MESSAGES DE LISTES 2003
BACH A DU PLOMB DANS L'AILE
Bach a du plomb dans l'aile. C'est ce qu'enseigne de plus en plus la
confrontation des données musicologiques et historiques sur le compositeur
depuis un demi-siècle. L'humiliation du Cantor n'en finit plus, malgré les
soins désespérés de ses adorateurs tentant, par les cataplasmes d'une
rhétorique douteuse et les béquilles d'une dialectique fallacieuse, de
maintenir debout leur idole croulante. Il y a ceux qui ne
savent pas, mais aussi ceux qui savent. L'an dernier, Mylène Pardoen me
confiait dans un
courriel privé que Bach était sans doute plus un compilateur qu'un créateur.
Il y a aussi ceux qui ne veulent pas savoir et ceux qui réagissent par
le démenti violent, voire l'injure. Si les faits permettant la
remise en cause de Bach sont souvent
ignorés par le grand public de la musique classique, des échos significatifs
transparaissent malgré l'encensement général, toujours de mise. Un sondage
réalisé sur le site Gramophone (que nous a signalé François Juteau)
s'intitulait: "Was Johann Sebastian Bach a genius or simply a superb
technical craftsman?" Certes, toutes les notoriétés interviewées - culte
oblige - se sont épanchées dans une surenchère de superlatifs, considérant
unanimement le Cantor de Leipzig comme un génie supérieur sur lequel serait
tombé la grâce divine. Chacun a récité merveilleusement le dithyrambe
convenu, le catécchisme psittassique de la bienpensance musicale. Il
n'empêche, la question était posée. Après la
publication de l'ouvrage d'Hennion et Fauquet et le constat de plus en plus
évident que la fameuse Grande Toccata BWV 565 doit être désattribuée, cela
sent le roussi du côté de chez Bach et certains commencent prudemment à
prendre quelque distance à l'égard d'un mythe bien encombrant. Sans bruit,
évidemment. Le compositeur était trop immense, trop génial pour être vrai.
Plus que le désaveu de Bach et d'une certaine idéologie musicale, c'est le
refus de reconnaître la remise en cause de leur propre discrimination
perceptive qui pousse certains mélomanes à refuser avec acharnement un
constat qui les discrédite eux-mêmes. Plutôt qu'une chute fracassante qui
heurterait trop de susceptibilités, d'amour propre, de compromissions et
d'intérêts, sans doute laissera-t-on le Cantor progressivement s'enliser
dans un silence vénérable tel une momie embaumée gisant sous les offrandes.
L'honneur sera sauf.
LES CONSÉQUENCES D'UNE CHUTE
Pourquoi s'émouvoir des désattributions et emprunts qui touchent les oeuvres
les plus connues de Bach? En effet, qu'une oeuvre ait été écrite par X ou Y
n'a sans doute aucune espèce
d'importance pour le mélomane objectif. Ce qui importe, c'est la valeur
intrinsèque de l'oeuvre, quelle que soit la signature apposée au frontispice
de la partition? L'on pourrait donc penser que la remise en cause de
l'authenticité des oeuvres écrites sous le nom de Bach n'entraîne aucune
conséquence pratique ni théorique. Nous continuerons d'apprécier
imperturbablement ces oeuvres que nous avons élues en raison de leurs
qualités musicales, qu'elles aient été écrites par Bach ou par un inconnu,
de même que nous continuerons d'apprécier les autres oeuvres du Cantor,
celles qui sont authentiques et ne sont pas moins géniales. C'est le
raisonnement - apparemment d'une logique infaillible - que soutiennent
certain(s) esprit(s). Encore faudrait-il prouver que l'émergence de Bach est
bien due à la valeur réelle de ses oeuvres. C'est là qu'interviennent les
données d'ordre historique et sociologique montrant largement l'importance
de l'idéologie, pour ne pas dire parfois la manipulation, dans l'émergence
du compositeur. D'autre part, l'attribution de "chefs-d'oeuvre
exceptionnels"
(prétendus ou réels ?) à divers compositeurs n'équivaut pas à leur
attribution à un seul, omniscient et supérieur. Dès lors, les conséquences
de la restitution de la vérité historique sur le cas Bach entraîne des
conséquences incalculables. Elles pourraient intervenir selon les axes
suivants:
-remise en cause de la croyance en une relation automatique entre la
nototiété des compositeurs connus et la réelle valeur de leurs oeuvres. Tous
les grands classiques, par contrecoup se trouvent fragilisés.
-reconsidération du principe de la "décantation positive par le temps".
Toute l'histoire de la musique pourrait être reconsidérée, d'autant plus que
la remise en cause de Bach s'inscrit dans le cadre d'une multitude de
rectificatifs historiques, notamment la fausse attribution à Haydn de
l'origine de la symphonie et du quatuor, la redécouverte tardive de presque
tout le baroque italien largement occulté...
-suspicion à l'égard d'un certain esprit intellectualiste qui sévit, tendant
à survaloriser les compositeurs considérés comme plus "Intellectuels" et à
dévaloriser les virtuoses-compositeurs, lesquels s'appuient sur une
conception de la musique plus intuitive.
-remise en cause par contrecoup des compositeurs de musique atonale dont
l'émergence est le résultat de la même idéologie intellectelle dont Bach a
bénéficié et qui émergèrent par un mécanisme artificiel similaire.
-ébranlement de la prépondérance de la musique prusso-autrichienne soutenue
par un certain "pro-germanisme rampant", mais jamais avoué, qui avait
notamment hissé aux premières places du panthéon musical uniquement des
compositeurs austro-allemands (Bach, Beethoven, Mozart, Wagner) et en particulier
Bach, pour constituer le club très fermé des "grands classiques". Le
déclassement de Bach, qui ne peut plus décemment être considéré comme "le
plus grand compositeur de l'époque baroque" sur le plan historique jette un certain
discrédit sur une prétendue domination germanique établie par
l'historiographie. Cet ébranlement se produit parallèlement à une relative
revalorisation depuis un demi-siècle des compositeurs de la "périphérie
européenne" (nord, sud, est, ouest) par rapport à la suprématie de ceux de
l'axe (représentant la référence traditionaliste), qui subissent une lente
érosion.
RYTHME CHEZ LES MODERNES: BARTOK, CHOSTAKOVITCH
Les effets de rythme chez Bartok
sont souvent, à mon avis, destinés à compenser un tonalisme déficient. Dans la plupart de ses oeuvres (celles que je
connais, du moins) c'est plutôt, je crois, une manière de sacrifier à la
déstructuration de la musique que créé la prépondérance du pôle rythmique au
détriment de l'expressivité. La comparaison avec Chostakovitch est
certainement plus difficile, d'autres effets "modernes" chez Chostakovitch
sont d'une autre essence et évoquent la provocation gratuite, le grotesque
comme dans certaines oeuvres de Mahler ou de Lajtha. Il n'y
a aucun concept moral dans mon discours, mais uniquement un concept
esthétique, relatif, je l'admet, à mon goût personnel. Je suis partisan
d'une "désaxiologisation" du discours sur la musique.
CONCERTO DE MASSENET
Attendons ce qu'en pense Jeff, de ce concerto, peut-être sera-t-il de votre
avis effectivement. Pour ce qui est du symphonisme de Massenet, je le crois
un très fin symphoniste, si j'en juge par ses suites pour orchestre. Esprit
diamétralement opposé à Saint-Saëns, Massenet s'est complu à mon avis dans
des subtilités extrêment poussées. Il a cultivé particulièrement l'art des
transitions, de snuances et la souplesse mélodique par un chromatisme très
prononcé. Son concerto ne peut être écouté comme la plupart des grandes
oeuvres romantiques, c'est une autre conception du solisme, paradoxale. Tout
dépend peut-être de ce qu'on attend implicitement d'un concerto.
OPÉRA
Votre parcours est sans doute significatif. Je crois que l'opéra demande,
sinon une initiation, du moins, un élément déclencheur. Le caractère très
artificiel et hybride de cet art en est-il responsable? Un auteur dont j'ai
oublié le nom considérait que l'opéra était une forme d'art absurde,
impossible. Je ne sais ce qu'il en est et ne me hasarderais à aucun
jugement, ce dont je me suis bien gardé jusqu'ici. Le paradoxe est que le
théâtre pur, voire sans accompagnement musical, et même surtout avec
accompagnement musical, m'intéresse particulièrement, la musique pure m'intéresse, mais en
aucun cas la musique chantée. Je crois que c'est la déclamation chantée en
elle-même, le caractère artificiel des voix qui produit en moi un effet de
repoussoir. En revanche, j'apprécierais plutôt la chanson intimiste, voire à
peine chuchotée. La déclamation théâtrale pure me produit aussi une
impression parfois désagrable et j'avoue préférer les versions
cinématographiques de pièces théâtrales avec des passages en monologue
intérieur (voix off). Et pourtant, je suis un chantre de la déclamation
concertante instrumentale la plus théâtrale et la plus ostensible, allez y
comprendre quelque chose?
J'en ai vu quelques-uns à la télévision et le déclic ne s'est pas produit,
pourtant j'apprécie el concert télévisuel. Un autre élément intervient. Même
en musique instrumentale, je supporte difficilement plus de 2 ou 3 minutes
de moindre intérêt, or un opéra, qui est très long, comporte inévitablement
des moments plus faibles, plus, peut-être, qeu dans une oeuvre
instrumentale. La valeur du temps ne semble pas identique à l'opéra et dans
la musique instrumentale, il n'est pas vécu de la même manière. Je n'ai pas
pu supporter Falstaff de Verdi jusqu'au bout. Impossible. Au-dessus de mes
forces.
La voix, j'ai toujours l'impression qu'elle transmet l'imperfection humaine,
tous les sentiments ignobles de l'Homme, alors que l'instrument est plus
rigoureux, plus pur, c'est une perfection. Ce n'est pas une philosophie, c'est une
impression vécue.
COURS D'HARMONIE
La préface du cours d'harmonie de Michel Baron m'a parue remarquable à
plusieurs titres. Il montre:
-que le langage tonal, et donc l'harmonie, demeurent la base du discours
musical réellement apprécié par le public et il stigmatise les théorie
intellectuelles gratuites prétendant ériger des langages artificiels
-que l'acquisition des notions de l'harmonie sur le plan intellectuel et non
intuitif ne peut mener qu'à l'échec
Vioci un extrait :
"La logique, le raisonnement, bien que sous-jacents (on peut analyser tout
et n'importe quoi) ne sont les créateurs premiers dans aucun acte musical et
ne vous aideront que sur le plan de la construction formelle, qui est
d'ailleurs rarement complexe au premier niveau, à plus forte raison dans de
brefs exercices."
Michel Baron
J'avais toujours observé que les véritables spécialistes demeuraient très
humbles sur leur propre science et sur les possibilités explicatives de
l'intellect pur. Remarquable.
BANTOCK
Dès que j'ai vu le mot "paganisme" dans votre message et avant que n'eusse
lu son nom dans la suite, j'ai immédiatement pensé à cette "symphonie
païenne"
"Et ergo in Arcadia vixit"
Quel esprit fin, subtil, d'une érudition littéraire et musicale étonnante,
quel homme racé que ce Bantock, ce grand inventeur de sons nouveaux.
"Bacchum in remotis carmina rupibus vidi decentum - credite posteri -
Nymphasque discentes et aures, capripedum Satyrirum acutas."
On peut rêver...
TCHAÏKOVSKY: INFLUENCES
Les idées ont beaucoup varié sur l'opposition et la convergence des Cinq
avec la lignée "germanisante" imposée par les frères Rubinstein. La donnée
classique a été d'abord de les opposer, puis ensuite on s'est avisé de les
rapprocher. Ce qui est bizarre, c'est que les parties orchestrales des
concertos d'Anton Rubinstein, asseZ "modernes", n'ont aucun rapport avec le
symphonisme post-viennois. C'est surtout le frère, je crois, qui était,
comme l'a dit Hofman "allemand jusqu'au bout des doigts". Certains tours
symphoniques chez Tchaïkovski sont très post-viennois, une certaine
simplicité, c'est vrai, un manque de subtilité diraient certains. Dans le
domaine des oeuvres pour piano solo, l'influence de Schumann est indéniable.
L'originalité la plus perceptible de Tchaïkovski sur le plan symphonique se
trouve à mon avis dans ses ballets et aussi dans certains de ses poèmes
symphoniques comme dans "Le voïévode" ou "Fatum". L'influence de Berlioz,
elle, plus conforme à ce que les Cinq acceptèrent se trouve plutôt dans
"Francesca da Rimini" (pas une réussite à mon avis) et dans le dernier
mouvement de la "Pathétique", typiquement. Il ne faut pas oublier les
concertos, notamment le 1 pour piano, le concerto pour violon qui témoignent
à mon avis d'une orchestration en totale ruture avec la tradition germanique
post-viennoise. On retrouve ce type d'orchestration dans le 3 de scharwenka.
D'où vient-elle? aucune idée. Sans doute celle des oeuvres concertantes de
l'époque. ce qui me paraît étonnant, c'est cette différence entre les parties
symphoniques des oeuvres concertantes et les oeuvres purement symphoniques.
On retrouve aussi cette différence entre les oeuvres pour piano solo et les
oeuvres concertantes, en aucun cas schumaniennes.
LIENS COLLECTIFS ET INDIVIDUALISME
Dans une société comme la nôtre, qui connaît la délitation des liens
collectifs, il est vrai que l'individualisme peut s'affirmer. Il ne faut pas
oublier cependant qu'il n'en fut pas sans doute de même des époques
historiques dont nous écoutons la musique, notamment le 18e siècle.
L'affirmation du solisme, de la musique profane, de l'expressivité
correspond à une émancipation progressive de la sphère individuelle par
rapport à la sphère collective représentée par la musique religieuse.
MUSIQUE CONCERTANTE DU 18e
Oui, effectivement, cependant le genre concertant pour violon me paraît
avoir devancé celui pour piano dans le sens de la virtuosité. Avec Vivaldi,
Locatelli, vers 1720 ou 30 on est entré incontestablement dans l'ère du
concerto virtuose, même si cette virtuosité demeure très spécifique. Dans le
cas du piano, il me semble que c'est un peu plus tard. Et puis surtout, il
me semble que les formules thématiques développées au piano à cette époque
ne peuvent rivaliser avec les formules violonistiques. Même dans les
dernières décennies du 18e siècle, je ne vois pas de correspondant au piano
des concertos déjà "modernes" de Viotti, vers 1780-90. Dans la période,
1740-70, j'avoue qu'il n'y a pas beaucoup de concertos, piano et violon
confondus, qui trouvent grâce à mes oreilles. Des concertos pour d'autres
instruments, peut-être. Le style classique me paraît quelque peu en
opposition avec le style concertant. Naturellement, tout cela repose en
grande partie sur un sentiment subjectif.
MOZART ET LA FORME - BRAHMS ET LA THÉMATIQUE
Je pense au contraire que Mozart a excellé dans
l'invention de thèmes nouveaux (si toutefois ces thèmes ne sont pas
empruntés et je n'ai pas de raison particulière de le penser, sauf
exception). Je crois que Mozart possédait particulièrement le génie
mélodique.
En revanche, je ne suis pas sûr qu'il accordait une grande importance à la
forme, de même sans doute que bien d'autres compositeurs. Mais, même si une
oeuvre est "bien construite", cela a-t-il un intérêt si les thèmes en
question ne sont pas géniaux en eux-mêmes. La forme représente surtout pour
moi un effet adjuvant qui n'a pas d'intérêt en lui-même. Le savant dosage
des reprises, l'intercalement harmonieux de motifs peut éviter l'ennui, mais
si les thèmes sont mauvais, cela ne cachera pas à mon avis leur indigence.
Je pense que Brahms, à l'instar de Mozart, a su créer de beaux thèmes,
parfois très caractèristiques, notamment le fameux 3ème mouvement de la
"Symphonie n°3". Créer un thème symphonique intéressant avec très peu de notes
fait sans doute intervenir la structure instrumentale dans la thématique
elle-même. Le développement n'est-il que la manipulation d'un thème? Pour
moi, c'est aussi de l'invention, sauf si le compositeur développe pour
cacher son absence d'inspiration. Naturellement, il est facile de le
prétendre pour les compositeurs qu'on aime pas, c'est un peu comme
l'académisme.
VALEUR DES MOUVEMENTS DANS UNE OEUVRE
Des oeuvres excellentes à mon avis selon tous leurs mouvements, c'est assez rare,
mais cela existe, je vous en dresserai une petite liste, relative à ma
propre opinion évidemment. Ce qui est encore plus rare, ce sont les oeuvres
où il n'y a aucun moment plus faible. Le cas assez classique est celui d'un
mouvement bithématique dans lequel un des thèmes est excellent (pour moi) et
l'autre médiocre. Comment juger le mouvement dans ce cas?
La méthode, c'est de graver ses compilations en supprimant impitoyablement
les mouvements que l'on juge d'intérêt plus faible. Naturellement, les
puristes et les partisans de la forme vont être offusqués.
CONCERTOS POUR CLAVIER DU 18e SIÈCLE
Dans mon message sur les concertos pour piano, j'évoquais, lorsque je
comparais les concertos baroque, non pas les concertos pour piano, mais pour
clavier, clavecin et orgue évidemment, le piano ne s'imposant
progressivement que dans les dernière décennies du 18e siècle. Là-dessus, on
trouve une adaptation de la thématique violonistique en particulier dans les
concertos pour orgue de Haendel. Je recomanderais le 4 et le 15, assez
marqués par le style vivaldien, très répandu en Europe à cette époque. Il
existe aussi un concerto in due cori de Vivaldi lui-même pour flûte, violon
et orgue, le RV 585, je crois, où l'on retrouve ces effets thématiques
transposés au clavier. En dernier, plus tardivement, et très curieusement,
des effets de ce type se trouvent dans une sonate de Cimarosa pour piano.
BOTTESINI
Très recommandable le volume 1 de Bottesini (oeuvre pour contrebasse et
piano) chez Naxos. La partie la plus marquante me paraît être l'"Allegro du
concerto alla mendelssohn", (très peu mendelssohnien d'ailleurs). Une oeuvre
à mon avis puissamment lyrique, d'une grande concentration. On n'y trouve
pas le lyrisme échevelé de la "Tarentelle" pour contrebasse et orchestre. Une
virtuosité maîtrisée n'offrant guère de faiblesse. Pourtant l'oeuvre est
longue, (12 minutes dans la version de Joël Quarrington), ce qui est
considérable pour une oeuvre concertante de ce type. On ne peut qu'admirer
cette performance, la contrebasse exigeant pour être captivante un
renouvellement de l'inspiration sans faille. Puisqu'il faut vanter la forme
d'une oeuvre pour qu'on daigne la considérer avec sérieux, allons-y.
Bottesini expose une succession de thèmes de plus en plus larges et lyriques
selon une logique de crescendo. Arrivé au summum de l'oeuvre, dans la partie
centrale, se développe une partie de style cadentiel se terminant par un
accelerando magistral. Après cette apogée, Bottesini réexpose la série des
thèmes de la première partie selon l'ordre inverse. Après cette analyse
intellectuelle de la forme (dont je ne vois pas trop l'intérêt d'ailleurs),
cette oeuvre de Bottesini peut être considérée avec estime. Ouf, on aurait
pu croire qu'il ne s'agissait que des élucubrations d'un virtuose. On est
rassuré.
Curieusement, Bottesini paraît ne pas savoir écrire de pièces légères. Il
excelle dans les oeuvres au contenu dramatique. L'ethos de l'instrument
explique peut-être cette particularité. Il ne sait pas être superficiel, il
se meut naturellement dans un discours noble et profond atteignant la
transcendance virtuose. Le "Bolero" (qui n'a pas plus le style d'un boléro que
l'"Allegro" n'était mendelssohnien) m'appraît également admirable. Son rythme
très enlevé après une introduction lente ne détruit pas l'effet de puissance
lyrique propre au compositeur. Un CD à ne pas rater.
SAUSSISSONNAGE
Comme certains pensent que la musique "coupée" devient
incompréhensible, voyez-vous, je n'écoute que de la musique
incompréhensible. Le plus triste, c'est que j'y prends goût. Je n'ai jamais
autant écouté les anciennes oeuvres que je connais depuis que j'ai un
lecteur de MP3. Je pourrais aussi vous faire une liste de troncatures qui
scandaliseront certains esprits chagrins. par exemple, la 3 héroïque de Beethoven, je
n'écoute que le premier mouvement. Je crois que c'est surtout ce mouvement
et, en particulier, le magnifique (pour moi) thème principal qui a fait le
succès de l'oeuvre. Ce thème, il est dans la mémoire de très nombreux
mélomanes. Dès que j'évoque la symphonie, il vient immédiatement à ma
mémoire, et pourtant je n'en ai pas beaucoup. Je pense encore à une idée.
Lorsque le mélomane enthousiaste se prend à siffloter un de ses thèmes
favoris, il siffle quelque chose d'incompréhensible. Et quand nous prenons
plaisir à nous remémorer intérieurement un thème, cela est encore du
non-sens. nous devons tous être complètement fous.
LE SAUSSISSONNAGE EST-IL UNE ABSURDITÉ?
J'avoue être assez étonné. Pour moi, même un thème isolé ne perd pas son
pouvoir d'impression sur l'auditeur. L'unité de signification de la musique
me paraît être le thème. Si ce n'était pas le cas, la reprise ou
l'utilisation d'un thème pour une autre oeuvre par le compositeur ou un
tiers ne serait guère possible, c'est pourtant une pratique courante. Ainsi
les multitudes de variations sur des airs d'opéra n'auraient pas de sens,
historiquement il apparaît pourtant qu'elle ont mobilisé le public. D'autre
part, au 19e siècle, on jouait souvent au concert des extrait de symphonies
sans qu'apparemment le public ou les compositeurs s'en offusquent. Je ne
comprends pas comment ni à quelle époque à pu naître cette idée, pour moi,
bizarre, qu'une symphonie ou un concerto constituât un tout indissociable Ne
sagit-il pas d'une certaine "sacralisation" de l'oeuvre, notion très moderne
dont ne s'embarrassaient pas les auditeurs du temps passé?
En dernier lieu, pour ma part, je considère que la musique classique est
une trop belle chose pour accepter de s'ennuyer en l'écoutant, c'est ainsi
que je justifie les "coupures" que j'effectue sur les sélections
personnelles. Cela ne fait-il pas partie du droit imprescriptible de
l'auditeur?
On a bien pris l'habitude de jouer la Marche turque" de Mozart à tel point
que la plupart des gens ignorent que c'est un extrait de sonate. Lorsque
j'écoute la sonate entière, j'avoue ne pas voir vraiment le rapport entre
les parties. En revanche, pur une oeuvre comme la Fantastique, on peut
revendiquer un lien, de même pour la "Symphonie des Hébrides puisque le
thème d'ouverture du premier mouvement revient dans le dernier. Nous avons
l'impression d'assister à une apparition, un rêve qui s'évanouit. Il n'y
aurait donc pas de règles générales. Les compositeurs eux-mêmes ne
s'embarrassent pas toujours pour bouleverser la structure d'une oeuvre, me
semble-t-il.
LEMINKAÏNEN IN TUONELA DE SIBELIUS - AUDITIONS CONTINUES
Si les oeuvres me paraissent excellentes, je suis loin de m'ennuyer, moi qui
suis un grand adepte de la lenteur nordique. Lemminkaïnen de Sibelius, un
vaste mouvement très long (peut-être 15 minutes (?) )qui est un immense
crescendo, une longue structure thématique figée se résulvant à sa coda. Et
dans un autre genre ce très long Allegro du concerto de Bottesini (12 mn) à
la contrebasse. Je ne m'ennuie pas une seconde en l'écoutant, moins qu'avec
Etincelle de Moszkovski qui doit durer à peine 2 minutes, 2 minutes
d'acrobaties, de voltiges pianistiques athématiques qui ne peuvent
m'accaparer. Question nombre de mouvement, je peux sans problème enchaîner
toutes les symphonies de Beethoven (expurgées de certains mouvement) sans
discontinuer, de même sans discontinuer in extenso les 4 concerti in due
cori de Vivaldi suivis des quatre premiers concertos de l'opus 8 (les quatre
saisons) (24 mouvements au total) sans même une pause pour un café. Lancer
le défi de la plus longue écoute de musique sans dormir à partir de mes
sélections ne m'effraie pas.
MUSIQUE ET ENNUI
La musique classique est une trop belle chose pour qu'on accepte de
s'ennuyer en l'écoutant
ORCHESTRAL WORKS ELISABETTA BRUSA
Orchestral works 1 et 2 d'Elisabetta Brusa. Les oeuvres de cette artiste
italienne ont été exécutées par les plus grands orchestres dans le monde et
ont recuilli un accueil favorable (c'est du moins ce que dit la notice des
CD). Son style est très structuré, témoignant d'un sens de l'orchestration
admirable et d'un travail thématique souvent remarquable. Malheureusement
aucune de ces oeuvres n'a éveillé chez moi le moindre intérêt. Le discours
est tonal incontestablement, mais d'un tonalisme très acidulé qui évoque
l'étrangeté. Parfois, la compositrice utilise des effets comiques gratuits
comME Lajtha, Chostakovitch ou Mahler. Nous voici encore une fois confronté
au pseudo-tonal et aussi aux "effets modernes" procédant de la tonalité,
voire parfois de l'ultratonalisme.
SAINT-SAËNS ET L'ÉMOTION
Laissons d'abord les manifestations lacrymatiques pour les enfants et
parlons sérieusement d'émotion. J'ai réécouté "La danse macabre" de
Saint-Saëns, chef-d'oeuvre ultraconnu que j'ai tant de fois écouté, mais je
l'avais laissé quelques années et il s'est trouvé par hasard sur un nouveau
CD que j'avais acheté. Je l'ai réécouté, et précisément, je dois dire que le
passage final où intervient la mélodie du violon m'a vraiment bouleversé.
S'il est un compositeur qui peut provoquer une émotion poignante, je crois
que c'est bien Saint-Saëns et on lui pardonnera son peu de souci de
considérer la forme dans ses oeuvres comme de mutiplier les concertos et
symphonies de forme, voire d'instrumentation, peu orthodoxes ou encore
d'écrire beaucoup de fantaises et poémes symphoniques ne répondant à aucun
critère normatif.
JEAN CRAS
A toutes fins utiles, je viens de réécouter son concerto de piano,
ainsi que "Journal de bord".
Je ne décèle, pour ma part, aucune influence jazzistique. Je serais
tenté de dire que ce n'est pas le genre de la maison. Rien, dans son
éducation, dans sa formation et dans sa personnalité, ne devait le
porter vers ce genre musical.
Je n'entends rien, par ailleurs, qui pourrait évoquer une filiation
debussiste.
Je crois que J. Cras a un langage qui lui est propre, et un univers
qui lui est personnel. C'est bien, là, la marque d'un grand créateur.
J'avais allégué différentes influences ou plutôt affinités: Debussy, mais
surtout Massenet, Albeniz, stenhammar, Constantinescu, Taktakichvili, Ravel
(surtout pour le 2e mouvement)... ouevre tèrs composite comme souvent les
oeuvres du 20e siècle. Cras en fait bien un style propre si toutefois ces
affinités sont avérées. Je qualifierais l'oeuvre de
post-impressionniste-expressionniste. En tous cas aucune influence
jazzistique à mon avis.
IMPORTANCE HISTORIQUE DE LA FORME
Vous savez, la forme, c'est souvent une illusion. Et puis, il n'y a pas que
la tradition française qui ne porte pas une attention particulière à la
forme, n'est-ce pas le cas de 90% de la musique, de quelque lieu de l'Europe
qu'elle provienne et peut-être même la quasi-totalité. vous croyez que
Vivaldi, Sibelius, Rimski-Korsakov, Albeniz, Dvorak, Kopdaly, même Brahms,
Mozart accordaient une importance à la forme. L'importance de la forme
n'est-elle pas un développement a posteriori réalisé par la scholastique
auquel même les compositeurs classiques n'ont réellement accordée qu'une
importance restreinte.
VIEUXTEMPS - RODRIGO
D'autant plus que les Naxos économique m'ont permis des découvertes de
premier ordre, la plus belle peut-être, je le rappelle, l'oeuvre pour alto
et piano de Vieuxtemps. J'enfonce le clou, si vous n'avez pas ce CD,
achetez-le. L'ivresse des hauteurs vous attend, la noblesse, l'élévation, la
puissance lyrique alliée à un sens du mélodisme étonnant et très spécifique:
un développement de l'école violonistique franco-belge dans le sillage de
Viotti et Paganini. J'en profite pour rappeler l'importance de ce dernier
compositeur pour l'école belge (Vieuxtemps a écrit un "Hommage à Paganini).
Paganini fut, rappelons-le aussi car il y en a qui l'ignorent, un des grands
initiateurs du romantisme en tout début du 19e siècle siècle avec Beethoven.
Le "quatuor" du grand virtuose génois (car il a écrit un quatuor, vous avez
bien lu) est à peu près contemporain de la Symphonie n°1 de Beethoven.
"Evocations finlandaises pour contrebasse solo", comment voulez-vous que je
résiste à un tel titre! Rodrigo, bien sûr, sa Suite "Soleriana", bien que
d'un néoclassicisme à peine concevable (presqu'une provocation) n'avait rien
d'antipathique, du travail achevé, poli, sans une note qui dépasse.
CHOSTAKOVITCH - KHATCHATURIAN
Tiens, cela me donnerait presque envie de l'écouter. Chostakovitch, qui est
capable du pire comme du meilleur (surtout du pire) pourrait bien s'être
transcendé pour commémorer une occasion aussi pathétique, bien en rapport
avec l'expressionnisme dont il a su parfois donner de belles démonstrations.
Cela rappelle l'épisode un demi-siècle avant, à peu près, qui vit
l'arrestation des opposants anti-tsaristes, dont Dostoïevski, qui faillit
être fusillé. Dans le genre, Khatchaturian avait (à mon avis) magistralement
exprimé la révolte de Spartaccus dans son ballet, un ballet fascinant pour
moi, que j'ai pu difficilement cesser d'écouter. Bouleversant malgré une
orchestration parfois très frustre. Le génie khatchaturien paraît
transcender ce caractère primitif par des thèmes d'une force inouïe. On ne
peut pas dire que le compositeur donne là dans le raffinement, si cela lui
est déjà arrivé d'ailleurs. Rome, au travers de cette musique, apparaît
comme une force barbare inéluctable animée d'un nietszchéisme impitoyable.
Moi qui suis un passionné d'histoire romaine ancienne, je n'ai pas été
choqué. Plusieurs décriptage potentiels de l'oeuvre m'apparaissent au niveau
philosophique (intuitivement bien sûr). On peut y voir aussi une affirmation
orgueilleuse de la puissance des forts contre les faibles, des vainqueurs
contre les vaincus comme dans "Les Perses" d'Eschyle. De cette ambivalence
vient peut-être la fascination qu'exerce cette oeuvre.
CONCERTO POUR VIOLON TCHAiKOVSKY
La succession des états d'"introversion" et d'"extraversion" est
certainement une des originalités remarquable exprimée dans ce conerto, à
l'image du psychisme pathologique fortement perturgé de son créateur. cela
montre l'ambivalence de la vituosité, son polymorphisme expressif.
CONCERT DU NOUVEL AN
Ah, non, vraiment pas pour moi le concert du Nouvel An. C'est à vous donner une indigestion de la
valse viennoise. Mais, après tout, n'est-ce pas un certain rafinnement de
s'ennuyer ferme en écoutant ce concert si consacré. c'est comme l'ennui
obligatoire des dimanche après-midi selon Prévert.
HOTTETERRE: OEUVRE POUR FLÛTE
Peut-être ceux qui m'accusaient de ne pas aimer le baroque avaient-ils
raison? Hotteterre, plus grand flutiste français du 18e (un CD Naxos). Non,
pour moi, cela ne passe pas: style convenu, vite ennuyeux, même si la flûte
affirme une réelle volubilité (mais jamais de virtuosité).Un langage
mélodique et harmonique tout de même très largement en retrait par rapport à
l'opus X de Vivaldi. Cela signifie-t-il que le baroque italien était
largement en avance sur le baroque français comme de nombreux auteurs
l'affirment. Il faudrait pour cela comparer à de nombreuses oeuvres de
l'époque, ce n'est pas moi qui pourrait le faire. Comme d'habitude, ce qui
est le plus irritant, c'et de ne pouvoir dater précisément ces oeuvres:
1712; 1719, le reste peut-être vers 1730 ou 40. Bizarre tout de même car
c'est le "Prélude" de 1719 dont l'écriture me paraît la plus moderne?
Telemann oeuvres pour flûte (un CD Hélios), même chose, plus archaïque,
même, sur certains points, mais plus en avance sur d'autres points.
Curieusement, la présence de certains tours presque galants, ce qui me
ferait dire que ces oeuvres sont postérieures. Après 1721, est-il précisé
dans la notice pour certaines pièces. Là aussi une flûte volubile sans être
virtuose. Fait nouveau, des vivaldismes. La notice en fait état longuement
ainsi que des procédés propres au compositeur vénitien repris par Telemann.
Il est précisé que l'opus III de Vivaldi répandit rapidement en Allemagne la
pratique de la ritournelle. Il semble bien confirmé, d'après d'autres
sources que j'ai pu lire, que l'opus III de Vivaldi a représenté une date
fondamentale de l'histoire de la musique au 18e siècle (d'après Peter Holman). Un fait reconnu en
considération de l'histoire réelle et d'une analyse des partitions, ce qui
nous change du langage idéologique où il n'est question que de Bach et
Haendel.
Ce qui me frappe dans ces productions de Telemann, c'est le déphasage entre
le soliste et l'"orchestre" (ou plutôt le tutti d'instruments). Autant le
premier présente des avancées stylistiques considérables, autant le second
demeure dans un archaïsme à peine imaginable. C'est vrai aussi que dans
l'opus III de Vivaldi, l'orchestre est parfois, et peut-être même souvent,
assez sommaire par rapport au soliste, mais tout de même. Vivaldi sauve
certains tutti grâce à son alacrité rythmique, ce que ne parvient pas à
faire Telemann et ses tutti (en réalité dans ces oeuvres pour flûte, il
s'agit de quelques instruments) ont à mon sens un caractère amorphe
pitoyable. Si la flûte baroque vous intéresse, vous pouvez vous rabattre sur l'opus X de Vivaldi ou sur les "Sept fantaisies" de Telemann lui-même,
qui offrent du compositeur une image très positive. De belles pièces à mon
avis (sans orchestre) où il atteint, à l'instar de Vivaldi dans l'opus X, la
virtuosité transcendante.
IDÉOLOGIE ET MUSIQUE: MUSIQUE SOVIÉTIQUE
Il me semble que Denisov pourvait être écouté du temps de l'Union soviétique
puisque je possède depuis longtemps un concerto de lui, moderne d'ailleurs.
Dans quelle mesure la musique atonale ou très moderne était "interdite" ou
"défavorisée", je n'en ai pas vraiment une idée claire. J'ai tout de même,
me semble-t-il, un certain nombre de concertos soviétiques de cette période
qui sont modernes. Mossolov était bien soviétique, sauf s'il a émigré sur le
tard (?), son concerto est hypermoderne. A mon avis, on aurait rien perdu à
ce que le Concerto de Denisov ne fût pas porté à la connaissance du public.
Si c'est ce genre de partitions que l'on redécouvrouve grâce à la
disparition du socialisme, je ne pense pas que l'intérêt soit bien grand.
Comme toujours, je pense qu'on a fait passer l'idéologie avant la
considération objective de l'intérêt musical. Pour raison idéologique, il
fallait que les compositeurs soviétiques fussent des médiocres et les
dissidents des génies. Nous oublions que nous avons nous aussi notre
idéologie. La différence, peut-être, c'est qu'eux savaient qu'ils
soutenaient une idéologie alors que nous, nous étions (et sommes encore sans
doute) tellement imprégnés de la nôtre que nous n'en avions pas conscience.
L'histoire de la paille et de la poutre, en quelque sorte.
MUSIQUE MÉTAPHYSIQUE: L'ADAGIO DIT D'ALBINONI
Le contraste, au moins si j'en juge par le commentaire, entre ces oeuvres de
Lenz et l'Adagio dit d'Albinoni est total. mais, vous aviez employé le terme
de musique métaphysique. Pourquoi pas dans la mesure où l'angoisse
métaphysique représente autant un sentiment qu'une conscience d'être
intellectuelle et peut donc être sujet d'un art expressif comme la musique.
Je revendique ce terme de musique métaphysique justement à propos de
l'Adagio dit d'Albononi dans lequel j'ai toujours vu une expression profonde
de concentration, de désolation qui peut, dans ses tréfonds, évoquer
l'instabilité métaphysique. La différence, peut-être, entre cette oeuvre et
les nombreuses oeuvres modernes ou modernistes évoquant l'angoisse
métaphysique pourrait être dans l'ambivalence de l'Adagio, en même temps
expression de l'angoisse et d'une chaleur intense, qui est son antithèse,
contrepartie de la solitude essentielle de l'Homme, expression elle-même
d'une conscience avide d'humanité, écrasée par le vide sidéral des espaces
cosmiques.
L'Adagio dit d'Albinoni de Giazotto, une oeuvre
devant laquelle les commentateurs sont totalement désemparés. Ils n'ont pas
de support idéologique pour l'interpréter, pour l'intégrer dans un schéma
connu, dans un courant musical. Avec les oeuvres de Bruckner, de Mahler...
c'est très simple, il y a de la matière extra-musicale. Mais là, rien.
L'Adagio est le type d'oeuvre qui échappe aux classifications des
Intellectuels, une oeuvre dont ils auraient voulu qu'elle soit rapidement
oublié, qu'elle n'obtienne aucun succès. Mais elle est bien là face aux
fours enregistrés systématiquement par les modernes. Le plus simple, bien
sûr, est de la déprécier, de la considérer comme une oeuvrette facile. Y
a-t-il pourtant de la facilité dans cette oeuvre lente au contenu
dramatique? Et c'est se considérer singulièrement au-dessus du public
mélomane que d'adopter un tel jugement car le succès de l'oeuvre est
immense. Si elle avait été écrite par Bruckner ou Beethoven, nul doute qu'on
y aurait trouvé de la profondeur et du génie.
DIABELLI: OEUVRES POUR FLÛTE
Je désespérais de me déboires récents dans l'exploration des répertoires
spécifiques, à laquelle pourtant je tiens fort, notamment dans le répertoire
pour flûte, celui pour guitare et pour orgue.
La découverte du CD Naxos de 3 sérénades pour flûte, clarinette guitare de
Diabelli me console de ces efforts vains. Je signalais récemment le
discrédit auquel tenaient ce compositeur les musicographes du 19e et même du
20e siècle. j'avoue avoir rarement découvert des oeuvres aussi accomplies
que la 4e grande sérénade de Diabelli. Je connais peu d'oeuvres de Mozart et
encore moins de Haydn ou d'un autre qui puissent s'y mesurer (opinion
personnelle évidemment, et il est vrai que je connais assez peu ces
compositeurs). Encore une fois, je me demande si l'électisme historique du
19e siècle n'a pas concourru à écarter les plus grands génies et à permettre
l'émergence de compositeurs secondaires.
La Grande sérénade n°4 montre la succession de thèmes
très typiquement galants et d'épanchements plus lyrique auquel aboutissant à de
véritables cadences solistiques digne d'un concerto. Diabelli, c'est le sens inné de ce qui est
compatible, l'art d'harmoniser ce qui est différent et apparemment
incompatible, que ce soit thématiquement, stylistiquement ou
instrumentalement. Les trois instruments (flûte, clarinette, guitare)
forment un ensemble qui ne me paraît jamais artificiel, soit par la
juxtaposition de motifs, leur enchaînement, l'intervention à nu de chaque
protagoniste ou leur synthèse en un ensemble concordant. Rarement au 18e
siècle (autant que je puisse le connaître), la mise en valeur des timbres a
été aussi magistralement atteinte, ce qui nous entraîne bien loin du style
galant.
IMPORTANCE HISTORIQUE ET VALEUR DES OEUVRES
Ce n'est qu'une interrogation, pas une affirmation. J'écoute en ce moment
une série d'une dizaine de symphonies de Haydn, je pourrais formuler un
jugement, au moins sur les symphonies que j'ai écoutées, sans extrapoler. La
notion de grand compositeur ou de compositeur secondaire, il faut l'avouer,
est sans doute illusoire. Je préfère la formule: le compositeur X est
considéré comme un compositeur important (ou secondaire) à telle période. En
effet, la considération d'un compositeur est très variable selon l'époque et
ne cédons surtout pas à la croyance selon laquelle notre époque détiendrait
la vérité. En revanche, on peut affirmer, sur la base de travaux réalisés
par des musicologues, l'importance d'un compositeur dans l'évolution du
langage musical. On sait, à propos de Haydn et de Mozart, qu'elle est à peu
près nulle. Ne cédons pas non plus à la tentation d'élargir cette conclusion
en prétendant qu'ils représentent de petits compositeurs. La valeur d'un
compositeur est déterminée par la valeur intrinsèque de ses oeuvres,
laquelle est inaccessible à la musicologie. nous ne pouvons affirmer qu'une
opinion strictement personnelle, subjective, qui nous engage
personnellement.
LES "GRANDS CLASSIQUES" ET L'ÉVOLUTION DE LA MUSIQUE
Moi-même, je parle de mozartianisme chez Saint-Saëns ou chez d'autres. Il ne
s'agit que d'un terme commode désignant le style galant. Le langage musical
de Mozart est celui de la musique galante, il ne l'a pas inventé, ne l'a pas
fait évoluer, et son originalité sur ce plan (je précise sur ce plan) est
reconnue comme étant négligeable, quasiment nulle. Et puis, même si un
compositeur du 18e utilise un thème précis de Mozart, est-ce que cela fait
évoluer le langage musical du 19e siècle? Même si des centaines d'auteurs du
19e siècle avaient présenté ces "références" à Mozart, cela n'infléchirait
pas le langage musical du 19e siècle qui s'est de plus en plus éloigné du
style galant.
Haydn, c'est une vieille discussion que nous continuons. J'ai déjà cité des
auteurs là-dessus. Il semble que Haydn ait joué beaucoup plus le rôle de
transmission. Par exemple, le procédé du crescendo employé par Beethoven,
n'a pas été inventé par Haydn, même si Beethoven l'a emprunté à Haydn (ce
qui d'ailleurs m'étonnerait), mais à Stamitz pour leur utilisation dans
l'orchestre et d'une manière plus générale à Vivaldi, qui lui même les a
tirés d'une pratique vocale de l'opéra vénitien (d'après l'ouvrage de Claude
et Jean-François Labie). Voici un témoignage d'époque du président De
Brosses significatif:
"Il [Vivaldi au violon] développe un renflement du son qui augmente de note
en note"
N'est-ce pas la définition même de ce que généralisera, à l'orchestre,
Stamitz. On a cru longtemps à l'importance des grands classiques du 18e
siècle dans l'évolution du langage musical, cette époque est révolue.
LISTE D'OEUVRES PESSIMISTES
Je vais donc jouer cyniquement le rabat-joie en proposant une liste sous le signe de la tristesse et de la mélancolie.
Symphonie pathétique 1er, 2e, 4e mvt TCHAIKOVSKI
Suite Tsar Saltan 2e mvt La princesse au milieu des flots RIMSKI-KORSAKOV
Symphonie n°2 3e mvt KABALEVSKI
Concerto n°1 1er mvt VIEUXTEMPS
Duo concertant BOTTESINI
Polonaise op 44 CHOPIN
Concerto n°2 TAKTAKICHVILI
Quintette n°2 SGAMBATI
Adagio dit d'Albinoni GIAZOTTO
Andante religioso HALVORSEN
Spartaccus ballet KHATCHATURIAN
Quatuor de ma vie SMETANA
Trio n°2 SAINT-SAENS
Valse triste TUBIN
Concerto pour 2 violons RV? VIVALDI
La plupart des compositeurs ci-après ne sont pas spécialement des
optimistes. Les oeuvres les plus pessimistes et lugubres : sans doute la
"Pathétique" de Tchaïkovski, et le "Quatuor de ma vie" de Smetana, 2 oeuvres
fortement autobiographiques, cathartiques. La présence d'autres oeuvres pourrait étonner
beaucoup plus, certaines recèlent une brutalité, une sauvagerie qui
constitue en elle-même une vision étrangement négative du monde, pour moi
"Spartaccus" de Khatchaturian. D'autres expriment une douce amertume qui nous
serre et nous entraine vers les espaces insondables de l'angoisse
métaphysique : l'Andante religioso d'Halvorsen ou le 2e mvt du Concerto pour
2 violons de Vivaldi. D'autres se présentent comme les appels d'une
conscience qui espère l'idéal comme le "Concerto n°1" de Vieuxtemps, la
"Polonaise op 44" de Chopin. D'autres encore élèvent leur contenu lugubre à
une hauteur grandiose comme l'"Adagio" dit d'Albinoni ou "La princesse au
milieu des flots" de Rimski. Enfin, le "Trio" de Saint-Saëns, le "Quintette" de
Sgambati expriment une émotion poignante, concentrée, celle d'esprits
refusant de se livrer facilement, perdant l'auditeur dans une
complication déroutante, l'un par une virtuosité "déplacée", l'autre par
l'agencement des registres.
SYMPHONIES DE HAYDN
Symphonies 42, 43 (Mercure), 44 (funèbre), 70, 71, 72 (CD Helios) auxquelles
il faut ajouter la 94 (La surprise), la 96.
Oserais-je dire que ces symphonies m'ont paru meilleures que celles de
Stamitz (de l'op 3 et 11 notamment)? Que personne ne se rengorge de ma
déconvenue à propos de Stamitz. Meilleures celles de Haydn (susnommées),
peut-être, mais à mon avis à peine meilleures. Rien à mon avis qui puisse
justifier l'émergence du nom de Haydn, mais celui-ci n'a pas écrit que des
symphonies et, d'autre part, ces 7 symphonies ne sont pas obligatoirement
significatives de l'ensemble. Les oeuvres de Haydn m'ont toujours frappé par
une effarante pauvreté (à mon avis) dont on pourrait presque croire qu'elle
est volontaire. Comme pour détruire tout enthousiasme ou tout souffle
lyrique qui eût pu le transporter, Haydn multiplie les notes piquées, les
brisures propres à casser le dynamisme. Il semble cultiver la fausse naîveté
obligée du style galant. Et les thèmes, surtout dans les menuets, me
paraissent vraiment rudimentaires, parfois même ultrasimplistes, presque
grotesques. Quand à l'emploi du cor dans la 70, je crois, ou la 71, cela me
paraît confiner au comique.
Un fait me paraît bien significatif de l'absence de sensibilité qui
transparaît, ou plutôt ne transparaît pas, à mon avis dans les oeuvres de
Haydn. J'ai l'habitude d'écouter les oeuvres sans consulter tout élément
extra-musical qui peut y être afférent (notice historique, voire intitulé
des oeuvres). Ainsi, j'avais copié sur mon lecteur de MP3 ces symphonies
sans indiquer les titres. j'ai écrit ensuite mes notices critiques. A
l'issue, c'est avec stupéfaction que j'ai découvert que la 44 était une
symphonie "funèbre". Une symphonie funèbre sans doute vraiment joyeuse! Ou
bien est-ce moi qui ne suis pas sensible à la coloration funèbre de Haydn.
Certes, on pourra me rétorquer qu'il en était ainsi au 18e sicle, sans
doute, mais tout de même. Et quand on rencontre chez Haydn des modulations
(rares) ou des passages plus troublants, je trouve que cela sent souvent le
procédé. Sur un autre plan, Haydn me paraît apte à imaginer des thèmes
parfois prenants (sans exagérer leur intérêt), c'est à mon avis le cas de
l'"Allegro" de la Symphonie 43: contraste importants justifiant le terme de
prébeethovénisme dans ce mouvement, sans doute, mais sans doute aussi
procédé déjà très commun à l'époque. Et le thème principal rappelle beaucoup
celui de la "Marche militaire" pour piano de Pleyel. Je ne sais lequel a copié
sur l'autre, peut-être Pleyel car Haydn était plus connu que lui, en tous
cas, le thème de Pleyel me paraît beaucoup plus fouillé, plus remarquable
que celui de Haydn. Comparer ces oeuvres aux oeuvres contemporaines de
l'époque est affaire de spécialistes. Cela nécessite de connaître très bien
les oeuvres de cette période et surtout conaître les dates de composition
(pas toujours évident même pour le spécialiste, je suppose). Je pourrais
cependant comparer ces symphonies datant environ de 1770-80 à quelques-unes
de Cannabich, Kraus. Sans être géniales (à mon avis), la 50 de Cannabich,
(1772), la "Sinfonia buffa" de Kraus (1770) me paraissent meilleures que
toutes ces symphonies de Haydn et surtout beaucoup plus affranchies du
carcan galant.
BACH PLUS ÉMOUVANT QUE SARASATE
Vous dites préférer les compositions violonistiques qui évitent la vituosité. pour vous, chez Sarasate, chez paganini, il ne peut y avoir de génies, tout au plus leurs compositions sont "plaisantes". Une fois encore, le rouleau compresseur de la notoriété (sans qu'on fouille
trop comment elle a été acquise) semble avoir admirablement fonctionné.
Votre opinion sur l'oeuvre de Bach (qui n'est peut-être d'ailleurs même pas
de Bach) et celle de Sarasate reproduit exactement ce qu'on trouve dans les
ouvrages, sauf que vous êtes peut-être moins critique sur Sarasate que
certains auteurs. Voici ce qu'écrivait Edmond Buchet.
"La grande époque des concertos de virtuosité est passée et l'on peut se
réjouir, au nom de la musique, ce ce que le public nne goûte plus les tours
de force d'un Paganini, d'un Popper ou d'un Parasate"
L'émotion que l'on doit ressentir en écoutant les oeuvres de Bach est dans
de nombreux ouvrages est présentée non seulement comme un témoignage, mais
comme un devoir auquel l'auditeur doit s'intimer.
Je me suis toujours plu à comparer les commentaires sur l'Art de la fugue et
les Quatre saisons. La première oeuvre est vantée pour ses qualités
sensible, de la seconde il est souvent dit souvent "les quatre saisons" sont
célèbres. Il est bien évident que 2 sicèles de propagande pour Bach et
autant de dénigrement des virtuoses-compsoiteurs ont laissé des traces dans
la mentalité de l'auditeur.
Naturellement, vous n'avez sans doute jamais lu Edmond Buchet, critique du
début du 20e siècle, mais son orientation, qui est celle de toute la société
musicale de son temps, a accompli son oeuvre d'une manière indélébile.
L'émotion, dont je ne conteste pas la sincérité, en musique, ne peut guère
se produire si elle n'est pas accompagnée d'un conditionnement préalable.
C'est la constatation à laquelle je serais amené.
Pour ma part, je pense que les oeuvres de Sarasate que je connais,
notamment cette "Navarra "(peut-être son chef-d'oeuvre) est une oeuvre
profondément romantique et émouvante (opinion critique personnelle). J'avoue
être étonné qu'une oeuvre typiquement prébaroque puisse être reçue comme une
oeuvre émouvante par rapport à celle-ci. La meilleure oeuvre pour violon
d'un des plus grands violonistes compositeurs du 19e siècle serait moins
émouvante qu'un concerto pour violon d'un compositeur dont presque toutes
(sinon toutes) les oeuvres pour solistes et orchestres sont des
transcriptions ou des adaptations, un compositeur qui s'est essentiellement
exprimé dans le domaine du contremoint et de la musique religieuse. Bien
sûr, rien ne l'interdit dans l'absolu. on peut cependant manifester quelques
doutes.
SYMPHONIE N°2 SIBÉLIUS
Très en retrait par
rapport à la 1 sur le plan stylistique, cette symphonie revient parfois à
une esthétique post-romantique moins spécifiquement "sibélienne". Votre
opinion vaut-elle pour l'ensemble de la symphonie car le climat, voire le
style, m'apparaissent assez différent d'un mouvement à l'autre. Si les 2
premiers mouvements me semblent témoigner plutôt d'une inspiration qui se
cherche sans se trouver, le dernier, à mon avis, représente une des plus
formidables expresisons du romantisme. Elle est grandiose, délirante,
apocalytique par la multiplicité des plans sonores, l'agencement des
parties, la progression de l'ensemble. Je crois difficile d'échapper à
l'enthousiasme généré par le thème principal de ce mouvement.
CONTRADICTION DES NOTICES SUR BACH
Combarieu considère Bach comme "le plus grand compositeur", on ne peut donc
pas l'accuser, peut-on penser, de partialisme lorsqu'il nous dépeint Bach
sous des traits dévalorisant. Mais ce n'est pas si simple. Cette
présentation
du Cantor aussi négative me paraît effectivement outrancière. Pourquoi et
comment Combarieu
a-t-il pu être amené à écrire ainsi une notice à mon avis incohérente, en
juxtaposant des éloges aussi dithyrambiques à des critiques aussi
virulentes, je l'ignore totalement. Si quelqu'un a une théorie, je l'écoute
volontiers. Il faut préciser aussi que presque toutes les notices de Bach
présentent ce genre d'incohérence, tantôt on le prétend en avance sur son
temps, tantôt en retard, tantôt expressif, romantique, tantôt intellectuel,
et parfois dans la même phrase. Bien sûr, on pourrait prétendre que selon
les oeuvres, il est tout à la fois. A mon avis, c'est un peu facile et cela
n'explique pas une telle incohérence. Est-ce le signe d'une distorsion entre
ce qu'on voudrait qu'il soit et ce que l'on constate par ailleurs qu'il est?
MYSLIVECEK CONCERTOS POUR VIOLON
J'ai rarement écouté des concertos pour violon (Myslivecek 4 concertos pour
violon Supraphon records) qui m'ont paru aussi fades tout en présentant des
caractéristiques positives de virtuosité (relative), de diversité, de
dynamisme. Que manque-t-il aux concertos de Myslivecek? De la musique qui
passe, dirais-je. Un jeu violonistique délié, exploitant le staccato, une
thématique peu redevable de la musique galante. Rien, à mon avis, de
monotone, de systématique dans ces pages, mais rien de saillant, rien qui
laisse transparaitre la sensibilité musicale ou qui soit le signe d'une
imperceptible inspiration. Rien, pas un frémissement, pas l'ombre d'un
motif, d'une bribe de motif qu'on se plairait à reconnaître, qu'on aimerait
réécouter. Un premier concerto de ce compositeur que j'avais découvert il y
a quelques années m'était apparu tout autre, beaucoup plus incisif et
marquant à mon goût, pourtant peut-être moins "évolué" sur le plan
violonistique et même thématique. Ces oeuvres datent probablement de 1750 ou
60. Myslivecek ne s'est pas particulièrement imposé dans le domaine de la
musique concertante, ces oeuvres sont restées ignorées même de son vivant.
Pourquoi les avoir exhumées? Mais pourquoi pas non plus. Gardons-nous de
toute conclusion concertant ce compositeur qui fit une grande carrière en
Italie.
LE CONCERTO LYRIQUE-VIRTUOSE DANS L'HISTOIRE MUSICALE
Oui, en nuançant tout de même. Les concertos de Mysliveck ne peuvent être
confondus à la multitude des concertos galants qui ne recherchent aucune
virtuosité. Pour l'époque, à ce qu'il me semble, le jeu violonistique
apparaît d'une relative virtuosité, notamment par l'utilisation du
staccato. D'autre part, ils ne comportent quasiment aucun trait de
thématique galante.
Votre remarque me paraît caractériser la concerto pendant la seconde moitié
du 18e siècle (d'après ce que nous en connaissons aujourd'hui). D'ane
manière plus générale, les virtuoses-compositeurs, depuis Bibe, Westhof,
Walter... à la fin du 17e siècle ont élaboré une conception de l'utilisation
du violon tout autre (Biber d'abord dans ses partitas pour violon), ils ont
élaboré le concerto de soliste selon une conception lyrique-virtuose avec
Torelli, Albinoni, Vivaldi, Tartini, Locatelli, Veracini.... A la fin du 18e
Viotti, puis Paganini et l'école franco-belge en ont été les héritiers. Le
concerto lyrique-virtuose n'est donc pas une conception qui appartient à
l'époque romantique, quoique ce mouvement en ait amplifié les traits. La
phénomène le plus curieux est la "dilution" de ce mouvement pendant la
période de la musique galante, à moins que qu'il ne s'agisse d'un artefact
de l'historiographie. Connaissons-nous suffisamment la musique de la seconde
moitié du 18e siècle pour répondre à cette question?
BRAHMS
Concernant ce concerto de Brahms, je l'ai écouté il y a très longtemps
d'après un mauvais enregistrement, cela viendra sans doute à l'occasion. .
Un certain rafraichissement des idées me serait nécessaire.
Mon aversion pour Brahms, non, je ne vois pas. Son style clair, aéré,
mélodique me séduit, en revanche, je ne trouve pas chez lui, c'est vrai,
cette ivresse de l'expressivité, de l'affectivité ou du lyrisme échevelé que
j'apprécie dans les oeuvres de Tchaïkovski ou Paganini, par exemple. Il vous
suffit de visiter critique-musicale.com pour vous rendre compte que
j'apprécie Brahms, sauf si on considère qu'apprécier un compositeur, c'est
encenser toutes ses oeuvres.
Et puis, vous savez, qu'est-ce que cela signifie avoir une aversion pour un
compositeur. Au niveau de la critique musicale, lorsqu'on est responsable
d'un site de critique vis-à-vis de ses lecteurs (même s'il y en a très peu), cela ne compte pas. Je crois dans ce cas qu'on obéit à un serment moral
comme le serment d'Hyppocrate pour les médecins, c'est-à-dire tenter d'être
le plus honnête possible par rapport à sa propre subjectivité. Toujours à
propos de Brahms, j'ai accordé quatre étoiles aux Rhapsodies hongroises.
Beaucoup, sans doute, considèreront que ce n'est pas le meilleur Brahms...
LE CAS SCRIABINE
Scriabine est pour moi l'exemple typique du compsoiteur qui a évolué
négativement. Après avori composé un concerto pour piano à mon avis très
honnête, de style chopinien, Scriabine a été envahi par des visions éthérées
qui l'on amené progressivement vers une écriture de plus en plus absconse, à
mon avis sans contenu musical. Finalement, je me demande s'il n'a pas eu
raison, stratégiquement, pour se faire connaître et assurer sa renommée pour la postérité. S'il avait continué à écrire de la musique tonale, expressive et
lyrique, sans doute ne prêterait-on aujourd'hui guère d'attention à lui. Cet
épisode d'inspiration prétenduement mystique lui a valu la reconnaissance de
la postérité. Malheureusement, c'est bien selon ce schéma idéologique que la
notoriété au 20e siècle a fonctionné.
KRUMPHOLZ: SONATES POUR HARPE
Krumpholz Sonates op 13 et 14 pour harpe par Hana Müllerova. Heureusement
qu'il y a Krumpholz. Après Myslivecek, Haydn, pour moi aussi décevant l'un
que l'autre. Krumpholz s'est suicidé avant sa quarantième année. Il aurait
pu devenir un compositeur légendaire. Pourquoi lui a-t-on préféré Mozart?
Les seuls compositeurs du 18e siècle a avoir été promu au rang de
compositeurs majeurs au 19e siècle étaient autrichiens ou allemands: Bach,
Haendel, Haydn, Mozart alors que la musique italienne avait dominé presque
tout le siècle et que la fin de ce siècle allait être marquée notamment par
les virtuoses venus de Bohème, dont Krumpholz. Un choix idéologique
inacceptable que l'on ne peut soutenir aujourd'hui. On conçut par la suite
des doutes sur l'origine allemande de Haydn et une importante littérature se
développa pour prouver ses origines allemandes. Krumpholz, dès le départ, ne
pouvait prétendre au titre de "grand classique". Mais il y a plus grave. Il
se fit connaître comme virtuose de la harpe. Lorsqu'un compositeur est élevé
à l'état de symbole, accorde-t-on réellement d'importance au fait qu'il ait
pu écrire des oeuvres de génie. C'est bien là un petit détail. On a
découvert "par hasard" des oeuvres géniales de Mozart (à mon avis), on
n'aurait pu ne pas en découvrir. Le génie (à mon avis) de Krumpholz lui
permit peut-être d'acquérir une certaine notoriété de son vivant, c'était
une caractéristique très secondaire pour la postérité.
Venons-en aux oeuvres. Des sonates très galantes dans l'esprit, mais quelle
expressivité, quel art d'imaginer des thèmes marquants, au rythme incisif ou
à la teinte nostalgique. De vraies oeuvres. Et puis, n'oublions pas la
harpe. Un instrument dont les résonnances évoquent les forêts ombreuses, les
ruisseaux à l'onde rafraichissante, les clairières où s'ébattent aegipans et
naïades. La harpe: instrument bucolique comme la flûte, plus aérien, d'une
beauté moins troublante, plus raffinée. C'est mon instrument préféré et
c'est celui que choisit Krumpholz, auteur de plusieurs concertos pour harpe.
Malheur à lui, ne savait-il pas que seuls les symphonistes (austro-allemands) avaient de
l'avenir.
GÉNIE ET INSIGNIFIANCE
Le génie dans une oeuvre est parfois une
caractéristique si fragile qu'elle peut basculer facilement dans
l'insignifiance et le dérisoire. Oserai-je citer Chostakovitch?
QUERELLE DES GRANDS CLASSIQUES
La querelle entre la valeur des oeuvres et la valeur du compositeur me paraît fondamentale et constitue un des aspect de ce que je
nommerais la "querelle des grands classiques" dont je suis le sinistre
"inventeur". Cette querelle a agité et agite encore violemment plusieurs
forums de discussion. Elle a attisé les passions jusqu'à l'injure. Les
conséquences, comme je l'ai expliqué, sont considérables. Il ne s'agit pas
moins de reconsidérer toute l'histoire de la musique et toute la hiérarchie
des valeurs musicales. Rien n'est plus opposé au byzantinisme, même si ce
dernier a pu engendrer des querelles violentes. D'autre part, des enquêtes
historiques sur les causes de la notoriété n'ont, elles non plus, rien de
byzantin sur le plan méthodologique. Elles s'appuient sur des données
factuelles. Aucun rapport avec les querelles de juristes et la scholastique.
OEUVRES DE COMPOSITEURS FEMMES
On pourrait y ajouter les quintettes avec piano de Jeanne Farrenc, notamment
le premier, les pièces pour piano de Teresa Carreno: la barcarolle
notamment, le Caprice d'Ingebord von Bronsart, le Nocturne en si b m de
Maria Szymanowska, sans oublier diverses oeuvres de Cécile Chaminade:
Konzertstück pour piano et orchestre, concertino pour flûte, la Lisongera
pour piano... Certaines de ces oeuvres comptent à mon avis parmi les plus
géniales qui aient été composées. Il est aussi des dames que je voue aux
gémonies, pas précisément Elisabetta Brusa qui me paraît avoir des qualités
d'orchestratrices assez étonnantes (bien que je n'apprécie pas son style),
mais par exemple une certaine Betsy Jolas. Je doute d'ailleurs qu'elle ne
vous ravisse.
DISQUE CLASSIQUE EN FRANCE
Eve-Marie Charles est une jeune musicologue qui me paraît avoir dressé un
tableau remarquablement clair du disque classique en France. Le but de
l'ouvrage, de surcroit, se propose d'envisager l'avenir du disque et de
suggérer des propositions pour enrayer le fléchissement des ventes,
particulièrement sensible dans le domaine du classique. C'est à ce niveau
que se situent mes remarques. Les solutions envisagées par l'auteur
demeurent dans le cadre traditionnel de l'interventionnisme dirigiste, par
le biais du financement étatique et d'une politique d'enseignement
('j'allais écrire "endoctrinement", ce qui serait un vilain lapsus). On ne
sort pas de la considération selon laquelle une intelligentsia doit imposer
ses vues en "éduquant le public" et grâce aux "béquilles administratives et
publicitaires" de la collectuivité (selon les termes de la sociologue
Raymonde Moulin).
Sans renier totalement certaines propositions d'Ave-Marie Charles, je
défends la thèse selon laquelle, depuis le 19e siècle, la société musicale a
imposé des oeuvres dont les caractéristiques s'opposaient souvent au goût du
public, en considération d'un critère de qualité qui me paraît plutôt
l'expression d'une idéologie intellectuelle. Ainsi serait apparue (selon ma
thèse) une distorsion entre le répertoire actuel et les meilleures oeuvres
(à mon sens), celles qui satisferaient le mieux le public de la musique
classique, distorsion qui expliquerait (peut-être, restons prudent) le
constat de mévente et l'image consécutive (soulignée d'ailleurs par les
intervenant interviewés dans l'ouvrage) d'une musique classique ennuyeuse.
Je
pense que si les efforts de la société musicale s'étaient davantage portés
sur les oeuvres les plus lyriques comme par exemple celles des
virtuoses-compositeurs du 18e siècle et 19e siècle (ce n'est qu'un exemple)
plutôt que sur les "grands classiques" du 18e siècle (très contestables à
mon avis sur le plan sociologique et musicologique) la désaffection du
public pour le classique ne serait pas si
patente aujourd'hui. Cela me paraît encore plus significatif pour le 20e
siècle où la société musicale a favorisé les écoles "modernes" au détriment
des écoles tonales, illustrées par des compositeurs comme Garofalo,
Galynine, Melcer, Carreno, Kabalevski, Constantinescu, Beach-Cheney,
Rodrigo,
Taktakichvili, Bantock... (ce ne sont que des exemples). C'est à mon avis
par une réflexion sur le
répertoire, une remise en cause profonde de notre philosophie et de nos
valeurs, plutôt que par un interventionnisme factice que l'on pourra enrayer
la chute actuelle du
classique. Il ne s'agirait en aucun cas de démagogie à l'égard d'un public
"pseudo-classique" (laquelle malheureusement à mon avis n'est que trop
développée par certains majors), mais de récupérer l'élite s'intéressant aux
manifestations les plus élevées de la musique.
ALBÉNIZ: PIÈCES POUR PIANO
Quelques nouvelles pièces d'Albeniz interprétées par Esteban Sanchez sous le
label (ou la filiale?) Ensayo, spécialisé apparemment dans les productions
de compositeurs espagnols. Il est regrettale, de ce point de vue, que ne
soit pas entamée une intégrale méthodique des oeuvres d'Albeniz plutôt que
ces parutions souvent répétitives comportant les mêmes pièces ou tout au
moins dont le contenu se recoupe. On peut déplorer aussi des ambiguïtés
bibliographique et regretter l'absence d'un catalogue établi sérieusement
par un musicologue. Parmi les nouveautés (pour moi) "Cadiz", "Sevilla", "La Vega",
Preludio (que l'on ne confondra pas avec le prélude "Asturias", qui,
d'ailleurs figure, sur l'album). "Cadiz", "Sevilla", "Preludio" sont de la même
veine que "Castilla", "Rumores de la caleta" notamment. Des pièces fulgurantes,
au rhapsodisme particulièrement prononcé. Le style d'Albeniz n'abandonne pas
cependant le mélodisme récitatif qui se mêle aux effets impressionnistes en
des harmonies parfois hallucinantes, mystérieuses, envoûtantes. Le plus
fascinant me paraît être l'utilisation des unissons, un procédé utilisé
souvent par Vivladi, Chopin (par exemple dans la "polonaise militaire"),
Constantinescu dans son concerto pour piano. On mésestime souvent, me
semble-t-il, la force d'expressivité de l'unisson. Ce faux accord (en
principe il y a accord, je crois, losqu'intervient un 3e son
déterminant un intervalle autre que l'octave) ne peut être assimilé à de
l'harmonie, encore moins à du contrepoint, il crée une amplification de
l'effet mélodique parfois dans le sens d'une âpreté particulièrement
frappante. J'opposerai ces pièces, à mon avis excellentes à "la Vega", une
recherche à mon sens médiocre rejoingnant les trop célèbres (à mon avis)
"Cahiers d'Iberia". Un Albeniz pontifiant, complexé, qui tente de
s'intellectualiser en de fumeuses et stériles complexités dignes d'un pensum
abstrus. Albeniz, un grillon joyeux égaré par erreur dans les couloirs
tristes de la Schola. Bientôt, une autre série de pièces d'Albeniz dans un
second album d'Esteban Sanchez, un artiste à mon avis irréprochable qui sait
même gommer les effets rythmiques parfois un peu appuyés par certains
interprètes dans les oeuvres d'Albeniz. Son interprétation d'Asturias,
pourtant pièce rebattue par tant de pianistes, mérite d'être découverte.
SYMPHONIES DE BARBER
Comment caractériser ces symphonies de Barber. Une inspiration très
variable sans doute. Le tout ou rien. N'est-ce pas le principe même de
l'inspiration musicale à moins que ce ne soit celui de notre perception. Du
vide, de l'inconsistant parfois dans la 2e symphonie. Peu importe. Une
oeuvre exhumée contre le gré de l'auteur qui la renia de son vivant. Mais
deux
mouvements s'imposent à mon avis dans la "Symphonie n°1", le premier, le 4e.
Le premier, un thème principal à mon sens remarquable, des
contrastes thématiques saisissants, tout cela obtenu par un mélodisme que
Barber semble étaler cyniquement à la barbe des modernistes. Du tonal pur
sucre. Rien, pas une dissonance trop appuyée ou insolite pour rattraper cet
ensemble désespérément classique, pas une laideur manifeste, pas une
incongruité rassurante. On lui demandait seulement de faire un
petit effort, de manifester un peu de bonne volonté, une stridence par-ci
par-là, une petite cacophonie et on fermerait les yeux sur le reste. Non,
rien. Désespérément rien. Rien à en tirer. A notre époque, vous imaginez.
Honteux, scandaleux. Les injures
peuvent fuser : néoclassique, académique, néotonal, postromantique... Barber
ne
veut rien savoir.
Et ce 4e mouvement. Comment le décrire, comment suggérer cette extrusion
apocalyptique, quels termes utiliser pour ramener aux dimensions limitées
du
verbe cet épanouissement sonore, quelle éloquence imaginer pour
évoquer ce moelstrom symphonique.
Un immense crescendo de la première à la dernière note. Monumental,
gigantesque, monstrueux. Des masses sonores qui s'épanchent, s'étirent,
s'étalent, lentement, puissamment, découpant leurs perspectives inouïes dans
l'ombre indiscernable du silence.
Tour à tour, cordes, bois, cuivres, percussions, selon une amplification
sûre, émergent des profondeurs pour éclater à la surface du magma
musical. Une force délirante, telle une cathédrale de nues superposées, où
le regard
se perd, telle un gouffre insondable où
l'oeil plonge. Fabuleux, sidérant. Tout se résoud enfin dans les derniers
soubresauts des percussions. Le plus
étonnant en cette prestidigitation musicale, n'est-ce pas l'utilisation des
cordes, famille d'instrument la plus classique. Une provocation
supplémentaire. Barber, le spécialiste des cordes divisées,
après Vivaldi, peut-être un des premiers précurseurs, après Wagner qui les
amplifie dans le "Prélude" de Lohengrin, apèrs Grieg dans "Dernier Printemps",
après bien d'autres. Un défi. Pouvait-on aller plus
loin. Pouvait-on radicaliser encor ce procédé éculé, en y tirant
quelque originalité, pouvait-on lui insuffler un lyrisme nouveau, par-delà
l'indicible, l'incommunicable? Barber l'a tenté, réussi. En mode d'ut. Ces
cordes divisées, il
les développe jusqu'à la tétanisation, l'écartèlement, jusqu'à l'éréthisme,
comme un faisceau impalpable de rayons diffluents, une dissipation
d'effluves éthérées. Barber,
déjà, les avait
exploitées dans son Adagio, ces cordes divisées, en les laminant, les
étiolant pour atteindre un
sentiment d'angoisse métaphysique, de vacuité sidérale.
C'était Samuel Barber symphonies 1 et 2 par le Royal Scottish Orchestra
(Marin Ashop) un CD Naxos.
OEUVRES SYMPHONIQUES DE DEBUSSY
A propos de la "mer" de Debussy, je regrette simplement un peu la stérilité compassée
dont fait preuve à mon avis Debussy dans les 2 derniers mouvements de La
mer, mais je début me semble majestueux, mystérieux "Soleil levant sur les
flots" si j'ai bon souvenir. Certains ont été relativement déçus par rapport
au Prélude à l'après-midi d'un faune, les 2 oeuvres ne sont cependant pas
comparables. Debussy, à mon sens, connaîtra un flamboiement tardif de son
génie avec une oeuvre pour flûte et harpe (sa dernière) et "jeux". Je le
croyais fini dès 1905 avec Images. Vous savez que le plaisir le plus raffiné
de mon esprit cynique est de guetter la période à partir de laquelle un
compositeur est fini.
AUTORITÉ DE LA NOTORIÉTÉ
Je m'apesantirais un peu plus ce mois-ci sur la chronique, bien qu'elle
considère sempiternellement les mêmes thèmes. J'essaie cependant d'y
apporter une certaine diversité en changeant de cible et de citations. Parmi
celles-ci, il existe dans les ouvrages un foisonnement d'éloges à l'égard
des grands classiques et de diatribes contre les virtuoses-compositeurs tels
que je n'aurais jamais l'embarras du choix. :-/
C'est Satie qui est l'objet de mon questionnement sur les causes de
notoriété d'un compositeur. Ce qui m'étonne toujours, c'est l'autorité
automatique qui émane de la notoriété. Les doutes que l'on peut entretenir
sur les causes de cette notoriété, les arguments que l'on peut opposer,
voire même parfois certains faits prouvés sur l'authenticité (ou
l'inauthenticité) des documents, n'y font rien. Je m'explique ce phénomène
par le lien entre la puissance et la vérité. Ce qui fait office de vérité,
c'est la puissance, or la notoriété peut être interprétée comme l'expression
de la puissance au sens nietzschéen . Tout n'est en somme qu'une relation de
force. Les phénomènes relatifs à la musique ne semblent pas faire exception
à cette loi. Celui qui refuse les valeurs établies, qui veut jouer les
Alceste ne peut être que désavoué ou moqué. Ce ne peut être qu'un fou. Socialement, la vérité en soi n'a pas d'importance, seule compte celle qui s'est imposée, par définition elle onstitue la Vérité, sociologiquement parlant.
COMPOSITEURS SOVIÉTIQUES
Chtedrine, Khrennikov, Kabalevski, Sviridov sont des cas totalement
différents l'un par rapport à l'autre, que l'on ne peut à mon avis comparer
sur le plan stylistique. Chtedrine est tout de même un moderne bon teint qui
ne s'inscrit pas dans la "ligne socialiste", par son style je précise.
Kabalevski, aux yeux des observateurs de l'époque, est un post-romantique
traditionnaliste (ce qui n'est pas mon avis personnel, d'ailleurs), en tous
cas un pur tonal d'obédience plutôt nationaliste (au sens large du terme),
se référant à Rimski et Tchaïkovski. Mon avis personnel est que les
compositeurs qui ont subi les foudres du régime sont essentiellement ceux
qui se mêlaient de ce qui ne les concernait pas en tant que compositeur,
c'est-à-dire de s'impliquer dans l'idéologie politique, d'émettre des
opinions dans ce domaine. Les autres, adoptant des styles très différents,
ont pu être plus ou moins favorisés par le régime, mais ils n'ont pas subi,
à ce qu'il me paraît, de préjudice majeur. Les différences d'appréciation
portées par les dirigeants, y compris relativement au rapport Djanov,
pourraient n'être que des effets assez secondaires qui ne vont guère plus
loin que les attributions préférentielles de poste ou de subventions dans
les régimes démocratiques. C'est du moins mon point de vue, assez peu
documenté, je dois l'admettre. Sur le plan du mélomane, oublions tout cela. Pour préciser mon opinion personnelle sur les
compositeurs, autant que je le puisse, d'après les oeuvres que je connais,
Kabalevski, au regard de l'évolution musicale au 20e siècle et par les
chefs-d'oeuvre qu'il a à mon avis, composé, me paraît un compositeur d'une
stature autrement considérable que Prokofiev. Il est vrai qu'il n'a
bénéficié d'aucune publicté, cette publicité accordée souvent à ceux qui ont
été plus ou moins dissidents (cas de Stravinski) ou plus ou moins critiqués
par le régime (cas de Prokofiev ou Chostakovitch). Il s'est contenté d'être
tout simplement un compositeur comme le furent à leur époque Mozart ou
Clementi.
LE BASSON COMME SOLISTE
La fonction d'instrument soliste n'est-elle pas un paradoxe, voire une
impossibilité à propos du basson. Comment négocier cet instrument si peu
convenable à exprimer le brillant et la bravoure concertiste. N'y a-t-il pas
incompatibilité entre les termes de concerto et de basson? Quelques
compositeurs à la charnière entre le 18e siècle et le 19e siècle ont tenté
la gageure (CD Naxox). C'est bien certain, il faut être inconscient ou à
moitié fou pour écrire un concerto pour
basson. Passe encor pour les compositeurs du 18e siècle qui devaient
satisfaire les caprices d'un prince ou encore proposer des oeuvres
pédagogiques à leurs élèves. Mais Peter Josef von Lindpaintner, né en 1791,
lui, n'a aucune excuse, aucune circonstance attténuante d'avoir écrit son
"Concerto op 44" pour cet instrument intordable en tant que soliste. Son
initiative est d'autant plus scandaleuse qu'il réussit dans cette
entreprise. Il pousse même le cynisme jusqu'à opposer le son terne et
caverneux de l' instrument
avec un déploiement orchestral provocateur (une de ces
ouvertures ronflantes à la manière de Ries, Hummel ou Moscheles). Il se
permet aussi de proposer à cet instrument si peu gracieux un thème de rondo
particulièrement aguichant dans le 3e mouvement. On serait même tenté
d'écrire: léger, mais, brillant, non impossible, il ne faut pas exagérer.
Cependant, quelle récompense de tendre l'oreille pour apprécier ces
acrobaties incongrues dans le grave. Terne le basson par son timbre, oui,
bizarre, même, d'une esthétique contestable en tant que soliste, mais agile
et cette qualité lui permet des prétentions de virtuosité. Molter, né en
1696, s'en tient au
style vivaldien qui faisait fureur en Europe à son époque. Il décline ce
style à l'orchestre avec une verve à mon avis
admirable, osant avec originalité des marches d'harmonie, le procédé
vivaldien par excellence. Mais il bute sur le soliste qui refuse
catégoriquement
de suivre. Rien n'en ressort, du vide, du néant, des contorsions inutiles.
Mieux cependant que Conradin Kreutzer, dont j'avais pourtant une excellente
opinion à propos de son heptuor. Aucune de ses qualités de finesse et de
subtilité ne semblent s'imposer dans cette fantaisie pour basson et
orchestre. Dommage. Quand à Kalliwoda, il semble qu'il prenne
l'instrument à rebrousse-poil, lui inflige une terrible humiliation en
développant sa tendance naturelle à la vulgarité. "C'est tout ce qu'il
mérite"
semblent nous dire ses "Variations et Rondo". Un faux pathos qui me laisse
froid dans ces pages pseudo-romantiques mêlées à du mélodisme parfois
rossinien.
Malgré les prouesses de Lindpaintner que je reconnais - même si elles me
restent un peu en travers de la gorge - l'utilisation du basson par ces
compositeurs Au début du 19e siècle me laisse sceptique. Il semble que le
basson ne soit pas utilisé selon ses possibilités du point de vue de
l'affect, de la coloration sentimentale, du climat. Aucun effet de nostalgie
ou de mystère n'est apparemment tenté. Les mouvements lents (ou parties
lentes), Lindpainter compris, ne me semblent guère s'évader du mélodisme
conventionnel. Ce qui manque à mon avis, c'est l'adéquation entre l'esprit
de l'instrument et son exploitation. Si elle apparaît souvent accomplie dans
l'utilisation orchestrale de nombreuses oeuvres romantiques, elle semble
absente de l'utilisation comme soliste dans ces oeuvres. La philosophie
selon laquelle est utilisé le basson ne s'éloigne guère, dans ces oeuvres,
de la conception baroque dans laquelle la couleur instrumentale est
secondaire.
J'ai commandé quelques concertos pour basson de Vivaldi, qui est, selon la
notice de ce CD le premier compositeur a avoir honoré le basson. Ce serait
lui qui aurait commis le premier cette incongruité. Je ne sais si
l'intégrale des quelque 40 concertos pour basson qu'il a écrit exsite. 40
concertos pour basson, oui, vous avez bien lu. Là, vraiment, Vivaldi est
encore plus fou que tous les autres réunis. Je vous dirais ce qu'il en est
dans quelque temps, mais peut-être certains d'entre vous les connaissent -
si jamais ils ont pu survivre à une telle avalanche de concertos pour
basson.
BOULEZ ET LE ZÉRO ABSOLU
Croyez-vous que l'on puisse composer du sous-Boulez? Cela m'évoque les
efforts des thermodynamimiciens pour atteindre le zéro absolu.
ORCHESTRATION DES OEUVRES ORCHESTRALES DE CHABRIER
L'orchestration de la "Bourrée fanstasque", je dois dire, ne m'a pas
convaincue par rapport à la version originale pour 2 pianos. Le piano de
Chabrier me paraît d'une coloration remarquable dans les
"Pièces pittoresques". On peut sans doute aussi admirer la densité d'un
mélodisme volontairement archaïque rappelant les anciens clavecinistes et la
richesse harmonique de certaines pièces comme "Danse villageoise". Il
s'agit de la part de Chabrier d'effets parfaitement volontaires dans
lesquels il marie le baroquisme et le préimprésionnisme.
L'orchestration des Pièces pittoresque comme celle de la Bourrée fantasque
n'est pas de Chabrier, me semble-t-il.
QUATUOR BORODINE - QUATUOR N°1 TCHAÏKOVSKY
Décevant ce quatuor n°2 de Borodine. C'est ce j'affirmerais au premier
abord. Du mélodisme, des répétitions de motifs d'un registre à l'autre. Du
classique, du déjà entendu. Du convenu. Et Encore du mélodisme primaire.
Mais, miracle, il y a ce 3e mouvement lent "Notturno". Là, tout bascule :
l'irruption d'un pathos maladif qui nous entraîne vers les rives indicibles
de l'angoisse, une mélodie où l'on ne sait si le rhapsodisme est une
création spontanée, intuitive, une manifestation "sui generis" à moins que
ce ne soit, habilement travestie, une recréation volontaire au nom du
nationalisme musical. Vilaine expression qu'il nous faut ici oublier. Rien
n'en est plus éloigné que ce mouvement de l'âme, incoercible, irrésistible,
tantôt nous élèvant vers l'espoir, tantôt nous plongeant au désespoir.
Alors, non, pas du tout décevant, ce quatuor de Borodine, génial, rien que
pour ce mouvement, voire rien que pour un certain fragment de ce thème, ce
genre de motif qui nous suit insidieusement toute une journée, puis la nuit
et le lendemain sans qu'on puisse en épuiser le pouvoir énigmatique.
Il n'en est pas de même du "Quatuor n°1" de Tchaïkovski. Oeuvre presque froide,
rythmique, d'une richesse plus harmonique que mélodique. De l'art, pourtant,
de l'art pur. Nous ne risquons pas ici de nous enliser dans le pathos. Et
dans cet "Andante cantabile", la grâce d'une mélodie chinoise, savamment
ciselée sur un fond de pizzicatti dans un esprit très décoratif. Oeuvre
d'artiste, d'orfèvre. Un rare moment de beauté auquel nous convie
Tchaïkovski. Pour le reste, une thématique elliptique, évitant soigneusement
le développement mélodique. Et bien peu d'inspiration. Qu'importe aussi. Un
quatuor lui aussi sauvé par son mouvement lent. Paradoxalement, les deux
compositeurs réussissent dans l'exercice le plus difficile du quatuor et du
concerto : hausser l'intérêt d'une partie qui n'est pas soutenue par la
vivacité du tempo.
SYMPHONIES DE KRAUSS
Une autre série de symphonies de Kraus, "VB 139" à "VB 148" concernant les
années 1780 (2 CD Naxos). Vous pouvez être rassurés, non, Beethoven n'est
pas détroné. Rien dans ces symhonies qui menace son hégémonie. Des
symhonies, il est vrai, écrites quelque 20 ans avant le début de sa
production. Rien que de très classique dans ces oeuvres de Kraus, bien qu'il
s'éloigne des effets les plus stéréotypés du style galant. Beaucoup plus
que Diabelli, lequel usera de la mélodie récitative très tard jusqu'au début
du 19e, mais il en usera avec un tel génie. Des "beethovénismes", il y en a
pourtant, notamment dans le dernier mouvement de la "VB 142", dans le "Menuetto"
de la "VB 140". "beethovénismes" qui sont en réalité des effets propres à la
musique symphonique de l'époque dont Beethoven a hérité. Mais il faut
compter aussi avec l'ouverture "Olympie" dans laquelle Kraus affirme, à mon
avis, un style préromantique certain, ouverture très pathétique malgré une
faible utilisation de la coloration instrumentale. Il faut compter surtout
avec l'"Andante mesto" de la "VB 148", des effets très modernes approchant ceux
de Dittersdorf dans ses symphonies sur les "Métamorphoses d'Ovide", une
utilisation des timbales magistrale. Beethoven n'a pas inventé le
beethovénisme. On le savait. Ses effets ne sont pas plus modernes que ceux
de Kraus, et moins que certains de Dittersdorf, à la différence que ces
effets modernes constituent la matière ininterrompue de ses symphonies alors
qu'ils sont exceptionnels chez Kraus, Cannabich ou Ditterdorf. A la
différence également, à mon avis, que Beethoven leur prête une efficacité
musicale, les insère dans une trame thématique plus cohérente. Je serais
même tenté de dire, selon l'expression consacrée, qu'il en a fait la
synthèse, cette expression que je honnis car elle sert bien souvent à
camoufler les insuffisances des grands classiques qui n'ont rien inventé.
Pour Beethoven, je m'incline, et, depuis le temps que j'écoute des
symphonies classiques, je suis dans l'obligation de désespérer de plus en
plus de trouver une série de symphonie qui puisse prétendre à rivaliser avec
ses 9 symphonies, voire même en trouver une seule qui égale, ne serait-ce
que la "2" au début du 19e siècle. Ce qui n'est pas, vous l'imaginez, pour me faire très plaisir.
LES BAROQUEUX
Un article de Zwang dans le magazine "Eléments": "Faut-il traîner en justice
les baroqueux". Le ton est donné. Pamphlet injurieux, réponse à un autre
article de Mirefleurs qui accusait Zwang de "jacobinisme musical". Zwang
traîne dans la boue Malgoire, même Harnoncourt, et tous les baroqueux dans
le même sac. Il dénonce le "terrorisme esthétique des barbares envahisseurs"
qui menace notre civilisation musicale. Des arguments sans doute à
relativiser, mais qui, à mon avis, démontent l'absence de fondement du
mouvement baroqueux. Sur notre forum, nous avons, notamment François Juteau,
développé certains des arguments avancés par Zwang. Rappelons-les.
1 Premier délit: traiter de baroque la musique écrite entre 1600 et 1750 est
une infâmie.
2 Le fétichisme pour les instruments d'époque contredit le souci de
perfection instrumentale des compositeurs du passé et méprise le travail
admirable des luthiers et facteurs des 19e et 20 siècle.
3 Le style baroque repose sur le fantasme, le mauvais goût ou des
contraintes anachroniques.
4 Les chefs baroqueux ont profité de leur réputation usurpée pour envahir,
parasiter l'ensemble de l'institution musicale occidentale.
5 Les baroqueux ont mis les pieds dans les conservatoires, pour former les
jeunes talents selon leurs lubies, et dévergondent les artistes classiques
les plus en vue
6 Les baroqueux sont tellement envahissants qu'on risque de n'avoir plus le
choix qu'entre le rock et le baroque.
7 Le diapason malmené par les baroqueux détruit l'importance de l'oreille
absolue et porte atteinte à la coloration réelle des oeuvres.
Et comme le remarque Zwang, l'intérêt (au sens financier) n'est pas absent dans
l'écho prêté à ces considérations d'ordre organologique qui se
veulent scientifiques. Pour les majors, tout prétexte est bon pour "inciter"
les mélomanes à acquérir des interprétations nouvelles. Que va-t-on trouver
d'autre maintenant pour plumer le client?
Claude Fernandez
Effectivement, il y a déjà un certain nombre d'années que les baroqueux ont
étendu leur champ d'action à la musique galante et même au début de l'ère
romantique. Je me souviens des sonates de Beethoven exécutées sur un
instrument bizarre, une sorte de chimère qui serait issue d'un croisement
entre un clavecin et un mauvais piano. Encore plus curieuses, ces sonates de
Clementi que je viens d'acquérir, jouées sur un instrument des plus
déficients sur le plan de la sonorité. Bientôt, il n'y aura plus que les
oeuvres dodécaphoniques qui seront jouées sur des instruments modernes.
Zwang signale l'aplaventrisme de toute les agents de la société musicale. On
connaît aussi ce genre de réaction lorsqu'il s'agit d'encenser toujours les
mêmes compositeurs élus par une certaine intelligentsia que personne n'ose
contredire. C'est la loi du silence qui règne le plus souvent et la peur de
passer pour un incompétent ou d'avoir raté le dernier train. Le corollaire
de la position de ces authenticomanes me paraît être le peu de souci qu'ils
ont de la jouissance esthétique du public. L'historicisme et le
contextualisme se développent au détriment de la qualité artistique en soi.
Le désir de perfectionnisme est dévoyé, bafoué. Ils iraient, comme le
remarque Zwang, jusqu'à reconstituer les fausses notes d'époque. Et l'on sait
pourtant que les compositeurs des siècles passés étaient très sévères à
l'égard des instruments et réclamaient toujours des améliorations aux
facteurs. C'est la raison pour laquelle s'est développé l'art des luthiers.
Le public apprécie-t-il ces fausses innovations rétrogrades? On lui impose
sans lui demander son avis comme l'on impose certains compositeurs et que
l'on en écarte d'autres. Pour moi, c'est bien la preuve que ce sont des
facteurs internes au système qui créent le marché et non la demande de la
part du public.
CONCERTOS BRANDEBOURGEOIS DE BACH
Le
violon-solo dan ces oeuvres serait prédominant et aurait une énergie et d'une virtuosité débordante.
N'est-ce pas un peu exagéré de prétendre que les concertos brandebourgeois
sont d'une virtuosité débordante. Le nom de Bach s'est imposé par les
efforts de ceux qui détestaient la virtuosité et louaient en lui sa sévérité
(relisez Forkel). On voudrait maintenant accorder à Bach le lustre de cette
qualité. Vous ne trouverez aucun ouvrage musicologique affirmant que Bach a
pu jouer un quelconque rôle dans l'éboration du symphonisme ou de la
technique violonistique. Pendant l'époque baroque, le promoteur du
symphonisme cité est Vivaldi. Quant au développement de la virtuosité
violonistique, elle est due tout de même au violonistes-compositeurs du 18e
siècle comme Torelli, Tartini, Vivaldi, Locatelli... qui ont élaboré le
concerto de soliste. N'est-ce pas logique et cohérent?
Je préfère ceux qui apprécient les concertos
brandebourgeois sans vouloir considérer qu'ils sont des chefs-d'oeuvre de
virtuosité, mais pour d'autres qualités (supposées ou réelles). Au contraire, les Intellectuels
dénigrent la virtuosité, mais veulent auréoler cependant leurs protégés du
prestige de la virtuosité.
CLAVECIN ET PIANO
Rameau et Scarlatti n'avaient pas d'autre choix que le clavecin comme
instrument à clavier (le clavicorde avait un son beaucoup trop faible).
Lorsque fut inventé le piano, il s'imposa à tous les compositeurs à la place
du clavecin, c'est bien à mon sens la preuve de la préférence que lui
accordaient les compositeurs, même si le style musical avait changé. Dans
votre raisonnement, je pense que vous oubliez un facteur important: la
finalité de la musique qui est d'apporter au public une jouissance sonore,
c'est-à-dire lui proposer des sonorités justes, riches, dénuées de sons
parasites. Vous oubliez les cirtiques adressées par les compositeurs à
l'égard des capacités insuffisantes des instruments. Quant au problème des
défauts de justesse, il faut choisir: ou on est fidèle à la partition ou
bien on est fidèle à l'instrumentation d'époque. Le respect de la pensée du
compositeur, c'est tout de même avant tout de jouer les notes qu'il a
écrites. On peut évidemment y ajouter des nuances d'interprétation, mais les couacs et les grincements, on peut difficilement les faire passer pour des nuances d'interprétation.
RAMEAU ET LE CLAVECIN
Concernant Rameau, il est clair que certaines particularités stylistiques de
ses oeuvres s'accordent mieux avec des sons présentant une grande netteté
sonore. Celle-ci est possible à mon avis au piano, et, d'autre part, les
agréments rapides n'ont pas disparu avec le clavecin, ils sont rendus très
efficacement par le piano. Mais les partitions de Rameau ne comprennnent pas
que des agréments rapides et des doubles croches, elles comprennent aussi
des noires et des blanches (par exemple le "Menuet en rondo" qui ne comporte
pas moins de 27 blanches, dont la plupart liées et aucune double croche). La
partition est-elle réellement respectée avec un clavecin? Pour ce qui est de
Scarlatti, la tendance de ce compositeur dans de nombreuses sonates à
exprimer un chant récitatif proche du style classique incline encore moins
au choix du clavecin, c'est pourtant ce que font certains. Le style du
compositeur n'est donc pas pris en considération par les authenticomanes,
mais uniquement le souci historique de l'authenticité instrumentale. Que
dire aussi des oeuvres de Beethoven ou Clementi sur pianos d'époque.
KRAUS - OEUVRES POST-MANNHEIMIENNES
D'accord pour le qualificatif de "dramatique" pour cette ouverture, je
l'avais remarquée, oeuvre d'intérêt appréciable à mon avis. Très bonne
oeuvre même, j'espérais mieux encore cependant de Kraus, des oeuvres qui
pussent rivaliser avec celles de Beethoven, mais l'on se situe, je crois,
quelques décennies avant. Kraus, c'est le premier "Sturm und Drang", je crois,
pas aussi échevelé que le second. Bonne philosophie que de ne
jamais considérer la place historique de l'oeuvre. C'et une attitude
post-moderne qui dépasse le modernisme. D'ailleurs, les oeuvres
postmannheimiennes qui m'ont le plus séduit sont peut-être les "Sérénades" de
Diabelli et la musique de chambre pour vent de Danzi, plus proches du style
galant.
SONATES MOZART
Rien de très palpitant à mon avis dans ces 2 sonates très austères (K 310 et
533) où le contrepoint sévère tend à remplacer les formules compassées du
style galant. Un Mozart sans aucun rapport avec celui de la "Petite musique
de nuit" ou de la "Fantaisie" pour piano. un Mozart qui a renié le style
galant de sa jeunesse. Evolution ou involution fâcheuse. Le cynique que je
suis serait tenté de dire que Mozart était fini bien avant sa mort, pourtant
précoce. Son étoile d'ailleurs avait bien pâli depuis quelques années.
Curieusement, les meilleurs chefs-d'oeuvre pianistiques de la seconde moitié
du 18e siècle ne me paraissent pas toujours comme je l'avais cru les oeuvres qui tentent de dépasser le
style galant (tout au moins pour ce que je connais). Je préfère encore les
premières sonatines de Clementi à son fade opus 50 et le galant tardif de
Diabelli me paraît contenir un charme inattendu. Mais peut-être est-ce moi
qui suis fini en tant que critique et que je commence mon involution mentale.
CONCERTOS POUR VIOLON DE DE BÉRIOT
Du beau violon. Du grand violon. Et aussi -ce qu'on oublie souvent à propos
de concerto - de la belle orchestration. Evoquons-là justement. Concerto
n°1: date d'exécution : 1829. Vous avez remarqué la date? Qu'y a-t-il un an
après : la Fantastique bien sûr. Une orchestration pourtant très
berliozienne dans ce premier concerto de violoniste. Encore une date qui
s'effondre, un mythe qui se dégonfle, la révolution berliozienne de
l'orchestration. Si l'orchestration des concertos de de Bériot demeure
parfois un peu rudimentaire par rapport à la pleine floraison romantique du
milieu de siècle, tout y est cependant, notamment les roulements de timbale
dont il tire le meilleur parti. Il se complait même à en tirer toute la
puissance lyrique. Que dire du violonisme? Du génie, oui, du génie. Un génie
naturel, omniprésent qu'on trouve bien plus chichement chez de nombreux
classiques. Quasiment rien de son maître Viotti, mais tout de Paganini. Là
aussi, des effets parfois rudimentaires, mais des trouées magiques vers une
indicible pureté. L'éveil du romantisme sortant de ses limbes, dans son
esprit le plus authentique. Une authenticité mêlée à l'ingénuité des traits
les plus savoureux. Rétrospectivement savoureux, si l'on veux appliquer à
ces effets involontaires la théorie du rétroactivisme de Danto.
Tout de même - un CD de la RTBF (avec Alfred Walter et la violoniste
japonaise Nishizaki). Enfin. Mais que font les orchestres belges? Occupés
sans doute à nous inonder avec les banalités des Mozart, Bach et autres
Haydn au lieu de nous faire découvrir ces trésors musicaux que renferment la
bibliothèque de Bruxelles. Honteux.
Indispensable à mon avis cet enregistrement à la présentation indigente
(avec un sommaire des plages sonores complètement faux), et avec un texte bâclé en une
seule langue (anglais). Bien sûr, pour De Bériot, c'est bien suffisant. On
ne va tout de même pas lui offrir une couverture luxueuse et une notice en
trois langues.
CONCERTO N°1 DE THCAÏKOVSKY
Les relations entre Rubinstein et Tchaïkovski furent houleuses, mais
l'auteur de la Pathétique considéra toujours le pianiste Rubinstein comme
son ami. Tchaïkovski fut bouleversé par sa disparition, ce qui lui inspira
une oeuvre de musique de chambre, le trio avec piano, je crois. Une oeuvre dans laquelle se mêlent étraitement l'académisme de la forme comme l'expression de la douleur la plus poignante. L'anecdote
concernant le "concerto n°1" dédié à Rubinstein et dont Tchaîkovsky déchira la dédicace montre que le jugement sur les oeuvres montre que les jugements a priori sont bien peu fiables. Qui eût prédit
la destinée de cet illustrissime concerto. Cette oeuvre,
qui est, je crois, l'oeuvre pour piano et orchestre la plus jouée, est
superbement oubliée par de très nombreux ouvrages d'histoire de la musique
qui mettent en avant le "Concerto" de Schumann et les deux concertos de Brahms
notamment.
QUE SAVONS-NOUS DE LA CHOSE MUSICALE?
Sans doute, mais il est possible aussi qu'une seule grande oeuvre nous
apparaisse de la part d'un compositeur car nous n'avons pas sondé toute leur
production. C'est souvent le cas des compositeurs peu connus pour lesquels
les intégrales ne sont quasiment jamais disponibles. En définitive, et c'est
une conclusion que je suis amené souvent à écrire: que savons-nous de al
chose musicale? que connaissons-nous de cet océan quelques oeuvres et
quelques noms plus ou moins au hasard que nous considérons comme des
horizons.
SONATES DE CLÉMENTI
Les sonates de Clementi sont un univers polymorphe, c'est ce que suggère le
CD Naxos présentant quelques pièces de l'opus 2, 3, 8 et 13. L'écriture va
du style galant cultivant l'évidence tonale la plus absolue, la plus
horripilante au style romantique et au développement de la mélodie
cantabile.
Que dire de ces sonates? Admirables, oui, une révélation pour ce qui est de
celle de l'"opus 2 n°4" et de l'"opus 8 n°3" et le premier mouvement de la
sonate "op 13 n°6". Le style galant horripilant ne se trouve pas
systématiquement dans les sonates les plus précoces et les pièces qui en
sont débarrassées ne sont pas toujours géniales. J'ai encore en travers de
la gorge l'"opus 50" (pas la totalité de cet opus cependant, soyons prudent)
qui a bien failli me détourner de ce compositeur. Comment expliquer alors
cette complaisance dans l'évidence tonale la plus banale parfois et parfois
ces trouvées
vers le génie où tout est transfiguré. Mais n'est-ce pas un principe général
selon lequel fonctionne l'esprit. L'accès au génie ne se produit-il pas
lorsqu'apparaît un décalage comme si nous traversions une barrière
spatio-temporelle, nous ne sommes plus dans le monde de la réalité
prosaïque, il s'est
produit un déclic inexplicable. Le compositeur ne s'appartient plus à
lui-même, nous nous échappons à nous mêmes aussi en l'écoutant.
Si certains mouvement évoquent l'écriture dense, un peu lourde de Beethoven
avec des martèlements d'accords, d'autres mouvements accèdent à une écriture
extraordinairement aérienne, limpide, impalpable. L'"Allegro agitato de la
"Sonate op
13 n°6", où l'accompagnement est réduit au maximum, évoque presque, dans
l'extrême-aigu les figurations impressionnistes de Debussy.
Un CD qu'il ne faut pas rater. C'est un archipel témoignant d'un continent
englouti. Tant d'oeuvres encore à découvrir chez ce compositeur qui joua
sans doute un rôle majeur à l'aube du romantisme.
SONATES DE CLÉMENTI: CRITIQUE DE LA PRÉSENTATION DISCOGRAPHIQUE
Le CD Naxos se complait à exposer les critiques bien connues de Mozart à
l'égard de Clementi. Clementi n'est qu'un charlatan (comme tous les
Italiens) Ce n'est qu'un vulgaire mechanicus... Peut-on comparer les sonates
de Mozart et de Clementi du point de vue du style et de lintérêt? Il
faudrait d'abord pour cela les connaître, ce qui n'est pas mon cas, ni pour
l'un ni pour l'autre compositeur. Y a-t-il plus de pièces géniales chez
Clementi ou Mozart? A partir de quelques pièces, peut-on émettre quelques
éléments prudents de comparaison? Mozart me paraît moins orienté vers la
virtuosité, son jeu est moins contrasté dans l'ensemble, moins surprenant.
Clementi s'évade vers des modes expressifs inconnus (à ma connaissance) de
Mozart (mais aussi l'oeuvre de Clementi s'est continuée, au moins jusqu'en
1910, date à laquelle il prend sa "retraite"). Si les quelques sonates de
Clementi que j'ai entendues m'ont beaucoup impressionnées, je n'en oublie
pas moins la profonde sensibilité qui hausse l'intérêt de certaines sonates
de Mozart également au niveau supérieur (à mon avis) dans un style d'une
sensualité très nuancée.
PIÈCES POUR PIANO DE SIBÉLIUS - CONCERTO POUR PIANO DE BEACH-CHENEY
J'avoue être un peu désarçonné par cette initiative d'intégrale de la
musique pour piano de Sibelius. Le premier volume m'avait paru d'un ennui
mortel. Je l'avais acheté parce qu' c'était Sibelius, mais c'est tout. Ce
qui m'avait frappé, c'était l'absence totale (à mon avis) de personnalité
dès lors que Sibelius était privé de ses références thématiques si
strictement liées à l'écriture symphonique. Mais enfin pourquoi pas. J'ai
tellement eu de surprises (des mauvaises le plus souvent, mais aussi des
bonnes) en musique que je demeurerais prudent.
Et une nouvelle d'importance le Beach-Cheney, le grand concerto de la grande
compositrice américaine. Le second mouvement: une révélation. On dit souvent
qu'un compositeur s'inspirant de X fait du sous-X (quand X est très connu,
mais si X est inconnu, on dit que le compositeur a transcendé X), là je
dirais précisément que c'est du sur-X (avec X=Chopin).
Le reste, je ne connais pas.
SYMPHONIE N°41 DE MOZART
Symphonie 41 Jupiter, Mozart.
Une tranche bien épaisse de symphonisme viennois, lourde, fade, sans
imagination. A
peine quelques vélléités d'accents dramatiques sont sensibles dans le
premier mouvement, vite absorbés dans une suite de pseudo-effets orchestraux
aussi primaires que grandiloquents. Un second mouvement dont l'introduction
d'une belle sérénité fait vite illusion et se traîne indéfiniment en
longueur comme une larve amorphe embarrassée d'elle-même. Enfin un 3e et un
4e mouvements fatigants, uniformes, répétitifs, massifs, compacts. Bref, à
mon avis, un
mode expressif incertain comme un coup d'épée
dans l'eau. Mozart semble emprunter un style qui ne convient pas à son
génie, à son tempérament. Sans doute suit-il l'évolution stylistique de son
époque
sans parvenir à adhérer à la nouvelle esthétique préromantique? Une oeuvre
qu'il vaut mieux oublier.
RÉUTILISATIONS D'OEUVRES
Et c'est ainsi que sont nés bien des chefs-d'oeuvre par transformation d'une
oeuvre initiale, par exemple les Variations de Liszt sur Les ruines
d'Athènes de Beethoven ou celle de Paganini I tanti palpiti sur le Tancrède
de Rossini. Et c'est aussi grâce à cette permission de réutiliser les
chefs-d'oeuvre reconnus qu'on a connu malheureusement l'interprétation
moderniste et populaire du choeur "Va pensiero" de Verdi par le groupe
moderne "Waldo de los rios" dans les années 70. alors, que penser?
MOZART - CLÉMENTI - DE BÉRIOT
Au programme de ce mois, Clementi (Early Piano sonatas un CD naxos avec
Susan Alexander), Mozart Sérénades pour vents (naxos Oslo philarmonic Wind
Soloists), De Bériot : concertos 1, 8, 9 (CD Marco Polo avec Nishizaki)
Expédions d'abord ces sérénades pour vents de Mozart. Le compositeur
tenait-il en estime ces oeuvres populaires qu'il consentit pour le bas
peuple de Vienne (ou Prague, je ne sais plus)? Du sous-style galant, de la
guimauve musicale qui s'étale, du flasque, de l'inconsistant avec un manque
de tonus affligeant. A mourir d'ennui. Il faut avoir à mon sens une certaine
dose d'aveuglement envers le culte Mozart pour déclarer comme les
commentateurs de la notice:
"... aucune des Sérénades à Salzbourg ne nous prépare à l'intensité, à la
puissance de pensée et à l'austère beauté de la magnifique sérénade en ut
mineur."
Un Clementi connu et ignoré nous est révélé par la Sonata "op 2 n°4",
l'"Allegro" de la "Sonata op 8 n°1" et surtout l'étonnante "Sonata op 13 n°6". On
connaissait les thèmes tirés au cordeau, les harmonies attendues, les motifs
sages de Clementi à l'occasion de quelques sonates des "Classiques favoris",
mais là, tout d'un coup, la musique s'élève, s'envole, un autre monde nous
est offert. Toutes les conventions compositionnelles sont renversées. Nous
sommes dans le monde musical des virtuoses-compositeurs, un autre monde où
tout est transcendé comme si l'on venait de dépasser une limite, celle de la
bienséance policée pour atteindre la transcendance.
Enfin, De Bériot, écriture étonnante en dehors de tous les poncifs de
l'écriture traditionnelle. là aussi, un monde vierge s'offre à nous,
notamment dans le "Concerto n°8". De Bériot ne connaît pas la patine
classique, les moules, les réflexes qui constituent la fadeur du discours
musical convenu. On ne sait jamais trop où il va, il nous cause quelque
frayeur parfois. Parfois dangereusement, il penche vers le grotesque,
ingénuement, naïvement, mais souvent il s'élève vers le génie le plus pur.
Bériot, c'est le génie de l'authenticité. Un génie qui s'exprime aussi bien
dans l'écriture violonistique qu'orchestrale. On ne saurait dissocier les
deux composants du concerto dans le "Concerto n°8" et l'on comprend le rôle
des vionolistes-compositeurs dans l'évolution du langage symphonique. Quelle
orchestration, quelques années avant la "Fantastique". Quelle sève
irréductible dans ces concertos de De Bériot, des oeuvres qu'il est à mon
avis indispensable de connaître et qui comptent sans doute
autant dans la musique par leur valeur, leur intérêt propre que les
productions symphoniques des Mahler, Bruckner sur lesquelles s'est
cristallisé le snobisme de notre époque.
A propos d'orchestration. Berlioz est-il négligeable ou fondamental dans
l'évolution de l'écriture symphonique? Ne comptez pas sur moi pour me
risquer à une réponse.
COMPOSITRICES - SCHUMANN (ROBERT ET CLARA)
Impressionnant, l'ouvrage de Françoise Escal et Jacqueline Rousseau-Dujardin
retraçant notamment le destin de quelques compositrices comme Fanny
Mendelssohn, Augusta Holmes, Ethel Smith ou Clara Schuman-Wiek Et
significatif dans le fait qu'on y peut retrouver maints témoignages de
l'idéologie artificielle des "grands noms". Schumann, Mahler, Mendelssohn
nous paraissent aujourd'hui comme des sommités musicales incontestables.
Nous découvrons qu'il n'en allait sans doute pas de même à leur époque
puisque l'émancipation de leur femme (ou soeur) était susceptible de
répréSenter pour eux une atteinte à leur orgueil, voire à leur célébrité ou
même parfois une concurrence très sérieuse. Schumann, tout d'abord:
"Elle se sacrifierait donc? Pas exactement. D'abord parce que Schumann
résiste effectivement. Mais s'il résiste, c'est aussi, bien simplement,
parce que le talent d'interprète de clara et sa renommée déjà bien établie
le font, lorsqu'il l'accompagne en tournée, passer au deuxième plan, comme
en Russie où, après un concert, on lui demandel "Monsieur est aussi
musicien?"
On savait que la carrière de Clara (comme interprète) écrasait celle de
Schumann (comme compositeur), mais il faut avouer que cette remarque montre
cruellement combien Schumann était quantité négligeable en son temps. J'ai
pour ma part toujours émis des doutes sur l'exceptionnalité du génie de
Schumann et sur l'importance qu'on lui accorde dans l'histoire de la
musique. Un concerto (très pâle à mon avis), des pièces pour piano qui, dans
l'ensemble, sont loin d'avoir acquis la célébrité de celles de Chopin, le
bilan me paraît bien mince pour la place qu'on lui accorde. Schumann eut
cependant le mérite, selon ce que rapporte Françoise Escal, de ne pas
s'opposer à l'activité de compositrice de Clara. Il en sera différemment de
Félix Mendelssohn à l'égard de Fanny et encore plus de l'odieux Mahler à
l'égard d'Alma. Suite dans un prochain courriel.
FEMMES COMPOSITRICES: FANNY MENDELSSOHN
Contrairement à ce qu'il en fut de Schumann, le succès de Mendelssohn en son
temps comme compositeur ne fait aucun doute et il semble peu compréhensible
qu'il eût à craindre une concurrence de la part de sa soeur. Il manifesta
pourtant la plus extrême réticence à la publication des oeuvres de Fanny et
ne s'y résolut qu'avec assez peu d'empressement.
Voici ce que rapporte Jacqueline Rousseau-Dujardin:
"Portons à son crédit l'essai d'auto-critique qu'il tentera lors d'une de
ces circonstances, un peu honteux dans son orgueil de compositeur, du dépit
qu'il éproue en entendant apprécier ces lieder plsu que les siens propres,
alors qu'il n'en a pas nommé l'auteurp 151
(Il s'agit de Félix Mendellsohn ayant joué sous son nom des compositions de
Clara Schumann)"
Y aurait-il eu manifestation d'une cetaine jalousie de Félix à l'égard de
cette soeur pourtant très soumise, qui voue pour son frère une admiration
sans borne? Ou bien s'agit-il d'une manifestation plus générale de
misogynie? Si l'on se réfère à cette anecdote, véritable expérience de
"double aveugle", la suprématie de Mendelssohn sur le plan de la composition
n'est pas une évidence, au moins relativement aux compositions concernées.
Fanny, contrairement à Augusta Holmes ou Ethel Smith, est demeurée sous la
tutelle familiale, très rigide du vieil Abraham Mendelssohn. Une famille qui
cherche à s'intégrer à la société allemande. Abraham se convertit au
protestantisme et voit d'un mauvais oeil la conversion de Wilhelm (le mari
de Fanny) au catholicisme. Félix lui-même participe à cette intégration par
ses choix musicaux très étroits. Pour lui la musique s'identifie à la
musique austro-allemande et les autres compositeurs n'ont guère de place,
sinon aucune. Il appuie sans vergogne la trahison de l'Histoire qui s'opère
à cette époque. Et c'est lui qui contribuera de manière active au culte Bach
à l'époque où l'on croit encore Bach exempt de "l'esprit welsh". Fanny
pourtant, élevée dans le culte "Bach, Mozart, Beethoven" est fêtée par les
compositeurs français qu'elle rencontre au cours de son voyage en Italie.
(d'après Jacqueline Rousseau-Dujardin).
"Journal et lettres témoignent de cette période d'élation, de cette fête de
quelques mois dont les acteurs principaux furent les hôtes français de la
Villa Médicis dirigée par Ingres à l'époque: Gounod, Bousquet, Daguesseau,
ce qui ne laisse pas d'étonner si l'on pense au peu de considération
accordée aux musiciens français par les Allemands en ce 19e siècle."
(Jacqueline Roussea-Dujardin - Musique et différence des sexes)
OEUVRES DE LISZT
Je vous recommande particulièrement certaines raretés où Liszt semble avoir
affirmé une inspiration plus fantasque, d'une grande plasticité, notamment
les fantaisies sur "Les ruines d'Athènes", sur "Lelio", mais aussi le De
profundis", oeuvre étonnante qui n'a guère de coloration fun-èbre. Quant au
concerto à la manière hongroise, oeuvre sublime aussi mon avis où les deux
compositeurs (Liszt, Tchaïkovski) se sont bien complétés.
OEUVRES POUR CONTREBASSE BOTTESINI
Bottesini CD TELDEC Ludwig Streicher à la contrebasse, oeuvre pour piano et
contrebasse, contrebasse et orchestre, violoncelle, contrebasse et
orchestre. Je ne sais de quelle logique procèdent les sorties de CD de
Bottesini. Peut-être d'aucune. Celui-ci ne porte pas de numéro de série,
mais il me semble que les autres en possèdent un. On peut constater dans ce
CD une reprise du "Grand Allegro de concert alla Mendelssohn" paru déjà dans
un CD antérieur. Il ne s'agit donc pas d'une série. Inconvénient et effet
positif de la reprise? Il me paraît effectivement que ce "Grand Allegro de
concert" est une oeuvre majeure de Bottesini, par la diversité, le nombre
impressionnant de thèmes d'une haute inspiration, beaucoup plus que les deux
concertos que je connais déjà et les multiples autres pièces de ce CD
TELDEC. Voilà une initiative propre à la faire émerger. Pour une fois que
l'on polarise l'intérêt sur une pièce majeure (à mon avis), il ne faut pas
le dénigrer. Sinon, que dire ce CD. Il ne sert à rien de recréer des
oeuvres si on ne permet pas l'émergence de pièces essentielles. Toutes les
pièces ne présentent pas le génie supérieur (à mon avis)qui s'affirme dans
le "Grand Allegro". "3 pièces" me paraissent cependant excellentes, les 2e et 3e
mouvement du "Concerto pour violoncelle, contrebasse et orchestre en sol
Majeur". C'est la contrebasse qui domine, mais le violoncelle, notamment dans
l'"Andante" affirme une présente bien plus importante à mon avis que dans bien
des concertos pour violoncelle. Dans ce CD également, on distinguera la
"Tarentelle en do mineur", très virtuose, en forme de cadence très libre, mais
comportant un thème central caractérisé. Les autres pièces me paraissent
assez peu saillantes, sombrant souvent dans une certaine simplicité
thématique. Les plus grands compositeurs-virtuoses ne demeurent pas
constamment au niveau le plus élevé. On comprend qu'il est difficile de se
maintenir dans les hautes sphères de la virtuosité transcendante et de
l'inspiration supérieure. Bottesini, à mon avis, a voisiné ces sphères bien
souvent.
LA SOURCE POUR HARPE DE ZABEL
Malheureusement. Je ne me plais que sous la ramure ombreuse et j'abhorre les
ardentes flèches de Phoebus. "La source" de Zabel m'évoque tout à fait cette
atmosphère de fraîcheur vivifiante au son de la harpe.
PIÈCES POUR PIANO SCHARWENKA - BOTTESINI - OEUVRES POUR GUITARE - WEISS
Le volume 2 de Scharwenka par Seta Tanyel (CD Hélos) me produit un effet
bizarre. Le compositeur me semble exprimer une verve égale à celle des "Cinq
polonaises" précisément dans les "2 polonaises op 29" et paraît au contraire
s'enferrer dans des compositions d'une lisibilité incertaine dans sa
"Sonatine ep 52" et sa "Sonate n°2". Je conseillerais cependant ce CD pour ces 2
polonaises. Il en est de même pour le CD de Bottesini que j'ai présenté la
semaine dernière. Une écoute encore plus approfondie de la "Tarentelle pour
contrebasse et piano" me confirme dans mon impression. Une oeuvre sublime à
mon avis que l'on ne peut ignorer. De même pour les 2 premiers mouvements du
Concerto pour violoncelle, contrebasse et orchestre en sol majeur où
j'admire de plus en plus l'orchestration. En revanche, rien au sujet des
oeuvres pour guitare avec cette nouvelle compilation de Johan Fostier
(Castelnuovo Tedesco, Asencio, Maria Ponce) CD Naxos. L'exploration des répertoires spécifiques est
difficile. Je vais aussi de déception en déception avec l'orgue. Et aussi
concernant le luth avec le volume 5 des oeuvres de Weiss. Pour moi, il n'y a
rigoureusement rien dans ce CD comprenant les sonates 38 et 43. De la
gélatine musicale dépourvue de toute saveur. Dommage pour l'instrument, que
j'affectionne.
MOZART FINI PRÉMATURÉMENT
Chacun connaît mon mauvais esprit et mon cynisme me poussant à traquer les
compositeurs finis avant l'heure. D'aucuns prétendaient que Mozart n'était
plus ce qu'il avait été quelques années avant sa mort bien qu'elle survînt
précocément. Vous pensez combien cette idée pouvait me séduire et combien je
jubilais d'ajouter un tel compositeur à mon tableau de chasse des
compositeurs finis
prématurément. Malheureusement, la découverte de la "Flûte enchantée" écrite
en 1791, peu avant la mort dU maître salzbourgeois ne me le permettait pas. Même avec
toutes
les ressources de ma mauvaise foi, je ne puis résister à cette musique qui
me paraît présenter
toutes les qualités requises à une belle oeuvre vocale.
La flûte enchantée est à mon avis une oeuvre merveilleuse, mais quelle idée
saugrenue a eue Mozart d'écrire cet opera buffe en allemand?
Plus que les opéras et les symphonies (d'après ce que j'en connais), ce
singspiel exprime la maturité du compositeur, par des effets symphoniques
visiblement plus élaborés (mise à part l'ouverture à mon avis très
monocorde) et des arias d'un pathétisme parfois très prononcé (O ew'ge
nacht!, Der hölle Rache kocht in meinem Herzen et Ach, ich fühl's). Sans
doute faut-il déplorer sur l'ensemble de l'ouvre certaines parties plus
faibles, parfois mornes, compassées ou d'un contenu thématique extrêmement
réduit (Zurück! Züruck?, In diesen heil'gen Hallen, Der, welcher wandelt
diese Strasse voll Beschwerden...), mais un grand nombre de parties recèlent
à mon avis un intérêt plus ou moins soutenu sur le plan purement musical
comme sur le plan dramatique. Il faut concéder également l'existence de
motifs instrumentaux parfois rudimentaires (dans Ein Mädchen oder Weibchen
au glockelspeil), en revanche les interventions orchestrales sont le plus
souvent d'une rare élégance et nervosité. Sur le plan vocal, Mozart tire
étonnamment parti des voix féminines dans un registre très aigu, et
particulièrement les choeurs féminins (dans Zum Ziele führt dich diese bahn).
Il exprime parfois de manière réussi la veine burlesque si caractéristique
de l'opéra italien (Ein Mädchen oder Weibchen) voire de l'humour dans le
larmoyant "Feines Täubchen, nur heiren".. Sur le plan structurel, les arias
affirment le plus souvent une liberté remarquable, juxtaposant des sections
contrastées au lieu de réexpositions de thèmes, malheureusement les
capacités de renouvellement thématique de Mozart ne me semblent pas toujours
à la hauteur de cette structure ambitieuse. De ce point de vue, le duo du
premier acte "Zu hilfe! Zu hilfe!" me paraît réussi grâce à plusieurs thèmes
à mon avis magnifiques, dans une dynamique particulièrement électrisante, mais
accuse aussi des faiblesses. On admirera particulièrement la passion
exprimée par le "Der hölle Rache kocht in meinem Herzen", peut-être la
meilleure partie, et les célèbres vocalises qui l'émaillent. L'étonnant "O
ew'ge nacht!" se caractérise par une expression trouble, presque funèbre,
amplifiée par une orchestration pianissimo diffuse. La "Flûte enchantée",
c'est aussi l'alliance subtile de l'expression passionnelle et burlesque.
D'un autre point de vue, l'oeuvre évite assez heureusement le pur récitatif
(néanmoins le Zurück! Zürck?), les scènes de dialogues conservent souvent un
intérêt musical marqué.
GLAZOUNOV
17e volume des oeuvres de Glazounov, c'est impressionnant. Moi qui en
possède 2 ou 3 volumes, je dois abandonner l'ambition de connaître toute
l'oeuvre de ce génie (à mon avis). Génie, certes, mais dont les oeuvres
présentent de grande différence d'inspiration, me semble-t-il. Des pages et
des pages vides de substance musicale avant de touver la perle rarrissime
(souvent une courte pièce). Mais cela vaut la peine. Grande orchestration
post-romantique rappelant celle de Gliere. Nous avons tous, je crois,
apprécié Les Saisons.
CONCERTOS POUR VIOLON: RODRIGO, ÉLIZALDE, SÉMÉNOFF
Le CD de Christian Ferras Testament (SBT 1307) intéressera sans doute les
amateurs de concertos pour violon qualifiés de "néoclassiques": Rodrigo,
Semenoff, Elizalde.
Débarrassons-nous d'abord du morne et terne Elizalde: un concerto
néoclassique, certes, mais dont le violonisme évolue vers un récitatif à mon
sens peu mélodique et particulièrement fade.
Rodrigo: il faut distinguer les mouvements rapides du mouvement lent
central. Les mouvements rapides évoluent dans le style de l'époque, celui
des Khatchaturian, Chostakovitch et autres Glazounov dans un tonalisme net,
mais affirmant des effets pseudo-modernistes dont l'intérêt me laisse
sceptique. Il en est tout autrement du second mouvement auquel la teinte
rhapsodique un peu plus marquée (vaguement tzigane) communique un relief
plus saillant. C'est surtout le mélodisme retrouvé, sur une belle mélodie, à
mon avis, qui plaide pour ce mouvement, le seul qui me paraît digne
d'intérêt dans cette oeuvre.
Venons-en à Semenoff (double concerto piano violon orchestre). Je ne suis
pas entièrement convaincu, mais tout de même quel tempérament que ce
Semenoff. Le style pseudo-moderne, pseudo-tonal de l'oeuvre s'accomode de
passages d'un style beaucoup plus simple tirant vers le "Groupe des Six",
passages souvent rythmiques à mon avis réussis. On pense aussi parfois à
certaines oeuvres de Tubin. Cela n'est pas suffisant pour que je lui
pardonne certaines parties d'un style moderniste trop accusé, mais tout de
même Semenoff force l'admiration. Il est à l'aise dans l'outrance comme
Chostakovitch et en tire des effets positifs. Un CD que je conseillerais aux
amateurs de concertos pour violon du 20e siècle, mais dans l'absolu, seul le
mouvement lent du concerto de Rodrigo me paraît atteindre l'excellence.
Concernant ce mouvement, je ne sais si l'interprétation, notamment
symphonique (sous la direction d'Enesco en personne) est bien parfaite,
certains passages m'ont paru d'une clarté un peu douteuse. Mais est-ce la
partition ou le chef qui en est cause. Ne connaissant d'autre
interprétation, je ne puis en juger.
PIÈCES POUR PIANO DE SCHARWENKA
Le roi Scharwenka. Toujours lui. On ne peut l'imaginer que sous l'image d'un
pianiste applaudi à tout rompre, assailli par ses admirateurs, porté en
triomphe et décoré par les princes et princesses à l'issue de concerts
phénoménaux. Ce fut d'ailleurs le cas. C'est ce Scharwenka-là qu'évoquent
les "Quatre danses polonaises op 58", non moins brillantes que les fameuses
"Cinq polonaises" de l'"opus 3". Que dire de ces "4 danses polonaises" :
pyramidales, pharaoniques, par leur grandeur, leur énergie. Des effusions
inouïes de gammes, d'arpèges, de motifs éblouissants, et, au milieu de ce
jaillissement virtuose, presque barbare, se déroule de suaves mélodies d'une
âpre mélancolie.
Le "Scherzo op 4" et la "Novelette op 22" qui suivent imposent la même
transcendance. Quant au "Thème et Variations" terminant ce CD (Seta Tanyel
volume 3 Helios), dommage, il en est tout autrement. Pour caractériser ce
genre d'exercice académique, un seul mot me vient à l'esprit, mais
l'obligation du langage policé sur cette liste m'interdit de l'écrire
(ch...). Un CD indispensable.
SCHARWENKA - RODRIGO - GORECKI
Heureusement qu'il y a Scharwenka et Rodrigo ce mois-ci, dont j'ai présenté
les oeuvres déjà il y a quelques jours. Je voudrais revenir sur le Semenoff
pour lequel j'ai formulé une appréciation un peu sévère. Le meilleur et le
pire dans son concerto pour violon, mais on n'en peut contester
l'originalité et je pense que nombreux parmi vous seront ceux qui
l'apprécieront. En revanche, je n'ai nul scrupule à considérer la 3e
symphonie de Gorecki comme une production massive, répétitive et ennuyeuse.
Répétitive non pas au sens habituel de la musique répétitive du 20e qui
présente au moins une certaine pulsion rythmique compensant la monotonie de
la répétition. Non, une répétition qui s'abreuve de sa propre inanité, se
complait dans le structurellement simpliste. Une vague atmosphère de
mysticisme a certainement suffi pour parer cette vacuité de la plus profonde
expression musicale. Oeuvre tonale pourtant, plus que le Semenoff, même, qui
parfois dérape un peu.
QUATUORS MOZART
Mozart "quatuor n°14",
"15", "3"
(Quatuor Talich), "16" et "17" (Quartetto italiano). 2 CD bien différents
si
l'on compare la facture des oeuvres. le 14, le 15 représentent à mon
sens de
grandes oeuvres, d'une facture solide, particulièrement élaborée où
tous les
instruments du quatuor sont exploités magnifiquement. Mozart parfois
un peu
timide, n'affirme pas de thème d'un effet extraordinairement
puissant, c'est
sans doute vrai aussi, mais c'est son charme. Microeffets qu'il faut
savoir
apprécier en scrutant la texture musicale. En revanche, les 16 et
17 : de la musique précipitamment écrite, sommaire: instruments peu
individualisés, thématique passe-partout (à mon avis). On ne saurait
en tenir rigueur à
Mozart. Ces oeuvres sont-elles une synedoque de la production
mozartienne en
ce qui concerne la musique de chambre? Le style rudimentaire des 16
et 17
priment-ils sur le style élaboré des 14 et 15. Bien possible, mais
après
tout, est-ce vraiment rhédibitoire? Au total, voilà qui m'incite à
découvrir
d'autres quatuors de ce maître viennois, compositeur de la seconde
moitié du
18e siècle.
OEUVRES CLASSIQUES POUR ACCORDÉON
Je viens d'auditionner le CD de frédéric Gérouet que l'éditeur m'a
aimablement envoyé gratuitement. C'est la première fois que cela m'arrive.
Sans doute suis-je devenu un grand critique.
Frédéric Guérouet est un jeune accordéoniste dont la technique est assez
prodigieuse. Il est ambitieux pour son instrument et il a raison. Pourquoi
circonscrire l'utilisation de l'accordéon à la valse musette? A son
programme, des transcriptions d'oeuvres de virtuosité célèbres: une
"Paganiniana" sur la "Campanella", "Asturias" d'Albeniz, "le Vol du bourdon" de
Rimski. L'instrument convient-il à ces pièces? J'avoue avoir été surpris par
le traitement de Paganini et d'Albeniz, un peu moins par celui de Rimski.
Alors, l'accordéon classique est-il possible? A mon avis oui, mais pas
obligatoirement pour les pièces les plus classiques, plutôt pour le moderne.
Mais c'est là la grande difficulté. Comment trouver du moderne qui ne soit
pas moderniste, pourrait-on dire? La quadrature du cercle. La voie est
étroite. Du moderne, il y en a sur ce CD, oui, bien sûr. Pas celui qui me
satisfait. Un concerto pour accordéon et orchestre op 120 de Franz Constant
d'un modernisme tempéré, délié où l'instrument fait merveille. Parfaite
fusion avec l'orchestre et la partition. Mais voilà, oeuvre athématique,
comme presque toutes les oeuvres modernes. Que retenir de cela? Même une
pièce d'Escaich sur ce CD: "Ground", écrite, je crois, spécialement pour
l'accordéoniste. Guère plus de relief, tonalisme douteux à mon avis. Dommage
pour ce petit génie du piano à bretelles qui méritait mieux.
CONCERTOS POUR HAUTBOIS VIVALDI
Sublimes, oui, sublimes, ces concertos pour hautbois de Vivaldi. Quel autre
terme employer pour qualifier cette puissance d'expressivité, cette force
d'inventivité. Quasiment inconcevable. Je répugne à mettre en avant un
compositeur particulier, mais là : impressionnant, confondant. On se demande
bien qui pourrait accumuler autant de thèmes aussi exceptionnels. Et
surtout ces passages vibrants où s'ajoutent richesse de la mélodie, la
somptuosité de
l'harmonie. Que dire de ces mouvements lents où la musique plane, où elle
parle, où elle chante en accents mélancoliques. Le fond de
l'expression vivaldienne, c'est peut-être la mélancolie. Complete obeo
concertos Thomas Indermühle et I Solisti di Perugia (Jacques Tys). Pour ces
chefs-d'oeuvre, cet ensemble n'a pas craint d'user d'instruments au maximum
de leur évolution technique, c'est-à-dire d'instruments modernes. Certes,
tous les concertos, à mon avis, n'atteingnent pas ce paroxysme de
l'inspiration. Mais presque la moitié à mon avis, c'est beaucoup, énorme
même. Pour les autres, de l'invention aussi, des essais de forme, des
solutions plus ou moins accomplies, mais presque toujours une recherche.
Parfois (il faut le dire aussi pour être honnête) des thèmes beaucoup moins
élaborés, même simplistes dans le style galant que Vivaldi explore comme une
terre vierge. La fusion des effets baroques et classiques apparaît
certainement
une des plus délicates qui soit, certains concertos peuvent être
considérés comme des chimères stylistiques. Dans tous les cas, le
compositeur n'abandonne jamais le procédé de la marche d'harmonie pour en
tirer des effets très souvent irrésistibles. Bizarement,
on en a très rarement le sentiment de redite ou d'affadissement. Ce procédé
a-t-il été inventé par Vivaldi? On pourrait l'imaginer car ses contemporains
(d'après ce que j'en connais et c'est assez peu, il faut le reconnaître)
l'utilisent beaucoup plus parcimonieusement. C'est cependant peu probable.
Ce qui est exceptionnel dans le cas du Prete Rosso, c'est qu'il ait saisi la
puissance thématique de ce procédé, qu'il l'ait varié aussi bien dans la
forme de la progression que dans le choix de la cellule thématique ou encore
dans le traitement instrumental ou rythmique. Qu'il ait relié aussi ce
procédé à celui du
crescendo que l'on sent poindre comme l'ultime aboutissemnt logique. [le
crescendo pour le violon chez Vivaldi est attesté par des observateurs
historiques, mais pour l'orchestre l'invention ne viendra qu'avec Stamic]
Qu'il
l'ait également utilisé pour préfigurer les longues progressions thématiques
qui trouveront leur aboutissement dans la musique romantique.
Le trop est l'ennemi du bien et l'assimilation d'une aussi énorme quantité
de concertos pour un même soliste (18 concertos pour hautbois) risque d'être
décevante si l'on se contente d'une écoute superficielle. Il m'a fallu de
longues heures d'auditions pour bien apprécier chaque thème ou motif et j'ai
parfois modifié considérablement mon appréciation entre la 5e et la 10e
audition. Il me paraît peu recommandable d'écouter même l'intégrale d'un CD
(sur les 3 CD au total).
JANACEK QUATUORS - SYMPHONIES CHOSTAKOVITCH - NORGARD
Passons rapidement en revue les autres oeuvres que j'ai pu auditionner.
Janacek, les 2 premiers quatuors: oeuvres ni clasisques ni modernes qui
semblent à mon sens manifester une volonté d'amusicalité. Un membre de
cette liste, je crois, s'était insurgé que je ne considère pas Janacek comme
un génie supérieur. Je devrais encore attendre d'écouter d'autres oeuvres
pour en être convaincu. Chostakovitch, symphonies 11, 9, 5. Pas nul, non,
Chostakovitch dans ces symphonies, mais pas géniaL, en revanche bien égal à
l'image de l'excentrique
imprévisible que représente le personnage. Guère de thématique convaincante
dans la "11" aux accents presque funèbres, ni dans la "9", cette espèce de farce
comique qu'il fallait oser imaginer. Mais au moins il y a des thèmes, et
même mélodiques. N'importe quel compositeur normalement
constitué en aurait eu honte. Pas Chostakovitch. Mieux cependant que
l'inexistant Norgard, hypermoderne, dans ses symphonies 2 et 4. Pour les
quelques fanatiques snobs qui adorent les stridences ininterrompues sans
queue ni tête, je le recommande.
PROBLÈMES DE JUGEMENT DES OEUVRES
Certains jugements qui me sont apposés concernant de soeuvres me semblent consécutif d'une réaction épidermique consistant à contredire automatiquemenent un jugement émis. Pas certain, mais je le subodore. Ce n'est pas du tout ma conception de la critique musicale. Certes, le jugement que j'émets est subjectif, mais je soumets les oeuvres à de nombreuses auditions très sérieuses sans considération du nom des compositeurs (tout au moins j'essaie). Je pense plutôt avoir tendance à être plus sévère avec les compositeurs qu'en principe je préfère (quoique cette notion de préférence soit assez lâche). Cela pour être certain de ne pas les avantager. J'ai parfois attribué la mention "excellent" à des oeuvres de Mozart, Brahms, Haendel alors que cela me paraissait vraiment à la limite. C'est le principe du colonel qui donne un peu plus de corvées à son fils trouphion dans son régiment, si vous voulez. Un autre facteur intervient qui déprécie plutôt les oeuvres de compositeurs assez réguliers, c'est justement la concentration d'oeuvres excellentes. On a tendance à déprécier certaines oeuvres assez bonnes alors que chez un compositeur chez lequel on trouve beaucoup moins d'oeuvres excellentes, on a tendance à les réhausser. Certains concertos pour haubois de Vivaldi auxquel je n'ai mis aucune étoile ou une, je leur aurais mis peut-être 2 étoiles si je les avais rencontrés chez Bach ou Haendel, ou plus. Je ne sais si je me fais bien comprendre, il y a un effet relatif de comparaison par rapport au contexte.
Enfin, j'ajouterai que je ne suis pas le seul aujourd'hui à penser que Vivaldi, malgré sa prolixité, est un compositeur assez régulier. Voici l'appréciation du musicologue William Waugh dans un ouvrage assez récent 1995 (classical Music a new way of listening : titre original)
"La qualité des oeuvres de Vivaldi est remarquablement homogène"
C'est un musicologue de la nouvelle génération et je voudrais faire remarquer que les idées nouvelles vont plutôt dans le sens que je défends. Voici ce qu'il écrit dans le même ouvrage:
"Les quatre saisons" de Vivaldi et l'"Adagio" d'Albinoni sont populaires car ce sont des chefs-d'oeuvre éternels et il n'est pas moins honorable de les apprécier que toute autre musique."
(citation)
Mais, si cela peut vous faire plaisir, il y a un CD entier d'oeuvre pour flûte de Vivaldi que j'ai jugées nulles et bientôt je vais référer d'un CD d'oeuvres orchestrales que j'ai jugées aussi nulles. La "régularité" de Vivaldi est tout de même pour moi assez relative. Et puis, même dans les concertos pour hautbois, il y en a certains que je trouve de moindre intérêt, assez bons ou bons, un peu moins de la moitié me paraissent excellent. Pour donner un statistique exacte de mes appréciations sur les concertos pour hautbois de Vivaldi, voici la répartition:
sur 53 mouvements :
4 étoiles (exceptionnel) : 0
3 étoiles (excellent) : 19
2 étoiles (bon ou très bon) : 5
1 étoile (assez bon) : 11
0 étoiles : faible ou très faible intérêt : 17
J'ai failli mettre 4 étoiles à un mouvement, mais la notion d'exceptionnalité est plutôt comparative et j'ai pensé que j'avais assez mis de mouvements exceptionnels chez Vivaldi, alors je ne l'ai pas mise.
Il ne faut donc pas exagérer. Surtout en comparaison avec ceux qui considèrent que tout est exceptionnel chez Bach.
Cela dit, je répète que tout cela est subjectif.
POPULARITÉ DES OEUVRES DE RIMSKI-KORSAKOV
Statistique très intéressante. Schéhérazade en premier, cela me paraît
logique, quoique l'oeuvre ait sans doute été négligée par rapport aux
possibilités attractives qui sont les siennes, ceci pour raison idéologique.
Le lyrisme et le romantisme exacerbés sont devenus quelque part suspect pour
nos modernes docteurs es musiques et nos mélomanes distingués. Je ne vous
rappellerai pas un dialogue épique que vous eûtes sur une autre liste à propos
des enregistrements de Schéhérazade. Ce fut un grand morceau de bravoure. Ensuite, le
"Cappriccio espagnol", logique aussi à mon avis. Une sauce espagnole
agrémentée à la personnalité de Rimski, beaucoup plus que ne le fit Glinka.
De la musique espagnole orientalisée comme n'ont jamais osé le faire les
compositeurs espagnols qui semblent plutôt se méfier de l'orientalisme. Bien
après, la Paques russe, à mon avis logique aussi, quoiqu'en pensent certains. Quant à "Tsar Saltan" (mais est-ce l'opéra ou la suite
d'orchestre?), c'est bien dommage pour cette oeuvre à mon avis magistrale.
j'en ai été bouleversée. Le plus grand Rimski, c'est peut-être là qu'il faut
le trouver. Mais ne manquons pas de perspective historique. Le succès de
l'oeuvre au 19e siècle compte aussi, pas uniquement le succès à notre
époque. La Paques, elle, connut-elle un grand succès à son époque, je n'en
sais rien.
Quel plaisir d'évoquer de temps en temps ce cher Rimski, j'ai parfois
l'impression qu'on fait tout pour l'envoyer aux oubliettes de l'histoire musicale.
POÈMES SYMPHONIQUES D'AUGUSTA HOLMES
5 poèmes symphoniques, Augusta Holmes. Pour moi : 4 chefs-d'oeuvres. Au
moins. Augusta Holmes a réussi avec "Andromède" et "Irlande" ce que Strauss
avait raté avec "Till l'Espiègle" et "dom Juan" (mais qu'il a réussi avec "Ainsi
parlait Zarathoustra"). Mais voilà, Augusta Holmes possède sans doute 2 tares
pour un compositeur symphoniste du 19e, être une femme et ne pas être
allemande. Le moindre de ces poèmes symphoniques, s'il eût été signé d'un
Strauss ou d'un Mahler eût été glorifié comme une réussite incontestable.
Puissance exceptionnelle, foudroyante, presque effrayante dans ces
partitions. Sublimes les solos de clarinette, de flûte, de violon, cor
anglais, sublimes ces crescendo lyriques, sauvages, effrenés. Une
orchestration d'une rutilance inouïe, presque provocante, une flamboyance
parfois presque tapageuse. Sublime aussi cette mélodie d'une sérénité
angélique aux cordes accompagnée par la harpe dans "La Nuit et l'Amour."
Epoustouflante virtuosité symphonique qui ne verse pas dans la subtilité des
effets, mais dans l'intensité. Un feu d'artifice qui nous éblouit, une orgie
sonore inconcevable. Des insuffisances, oui, il y en a. La pugnacité même de
ces partitions, la détermination farouche qui s'en dégage constituent
parfois leur faiblesse. Effets parfois trop agressifs. Une utilisation des
cuivres préfigurant le modernisme. Un Chopin eût vomi ces extrusions
volcaniques. Un Saint-Saëns eût-il pu les approuver? Il encouragea pourtant
cette égérie de la musique. D'où a pu sortir tout ce chaos, d'où peut
provenir cette énergie cataclystique? Je n'y vois pas très clair. Le dernier
mouvement de la "Fantastique", oui, comme bien des oeuvres. Les poèmes
symphoniques de Saint-Saëns. Gagné aussi. Dans les coups les plus
extraordinaires où la musique vibre, où se joue son destin, il est presque
toujours là, l'obscur compositeur acdémique. Par hasard évidemment. Et sans
doute bien d'autres oeuvres de l'époque que j'ignore. Qui a inventé ce style
"straussien". San doute pas Strauss (si l'on compare les dates). Comme
d'habitude.
Orchestral works Augusta Holmes Andromède, Ouverture pour une comédie,
Irlande, La nuit et l'amour, Pologne, Rheinland-Pfalz Philarmonic, Patrick
Davin, Samuel Friedermann. Marco polo éditeur. Des oeuvres dont on sort les
cheveux herrissés, le front en sueur, le teint blème, comme si l'on avait vu
la Gorgone ou les antres de l'Anténore.
SYMPHONIES DE LOUISE FARRENC
J'ai été séduit par les quintettes avec piano de Louise Farrenc, séduit
aussi par cette compositrice. Son portrait par Laurens la montre à
l'image d'une femme particulièrement raffinée, d'une grande noblesse.
Malheureusement, ses deux symphonies 1 et 3 m'ont paru d'une faible
originalité et d'un contenu thèmatique quasiment inexistant. On y
retrouve les caractéristiques de l'époque, parfaite fusion des registres
instrumentaux, relative timidité des effets, ce qui n'exclut pas une
certaine lourdeur héritée des écoles mannheimienne et viennoise. Les
leçons de Dittersdorf et Beethoven n'ont pas marqué, semble-t-il, cette
compositrice comme aussi un grand nombre d'oeuvres concertantes de
l'époque (Kullak, Hummel, Field, Chopin). Si les passages symphoniques
de ces oeuvres concertantes conservent malgré souvent à mon avis un
contenu thématique de grand intérêt, ce n'est pas le cas, me semble-t-il
des symphonies qui nous occupent ici. Le tempérament raffiné de Louise
Farrenc est sans doute aux antipodes de l'ethos impliqué par le genre
symphonique. Autant ce genre me semble congru sous la plume d'Augusta
Holmes (et bien illustré), autant, il me semble incongru sous celle de
Louise Farrenc. Pour moi, ces deux symphonies sont un échec complet. Pas
un seul motif n'a attiré mon attention. Pourquoi cette compositrice
s'est-elle fourvoyée hors des genres intimistes qui lui convenaient,
c'est pour moi une énigme.
A défaut d'être captivé par ces oeuvres, la petite notice les
accompagnant, de Christin Heitmann, m'a suggéré quelques commentaires.
Cette commentatrice remarque que, parmi les compositrices (et je veux
croire qu'elle connaît un peu le sujet) celles qui ont obtenu une
relative notoriété sont les épouses (ou soeur) des compositeurs connus: Fanny
Mendelssohn, Alma Mahler, Clara Schumann, compositrice qui pourtant,
n'avaient composé qu'épisodiquement. Ceci alors que Louise Farrenc, qui
a fait une véritable carrière professionnelle de compositrice avec un
catalogue important d'oeuvres était resté totalement méconnue. On
pourrait étendre la remarque à Cécile Chaminade qui a réalisé aussi une
grande carrière professionnelle de compositrice. Le culte de la
personnalité lié aux grands classiques retentit même sur leurs épouses
et oblitère les compositrices qui ont obtenu en leur temps une notoriété
considérable sans avoir de mari compositeur connu. On a vraiment l'impression d'étouffer. Ceci montre à mon
sens, le caractère pernicieux de ce culte, qui corrompt toute vision
objective de la musique.
MISOGYNIE DE MAHLER DIFFICILE À DIGÉRER POUR CERTAINS
J'ai lu cette idée aussi dans l'ouvrage de Françoise Escal et
Jacqueline Rousseau-Dujardin. Les auteuses apportaient de nombreuses
précisions supplémentaires sur le sujet, mais je les ai oubliées. Cet
ouvrage (Musique et différence des sexes), vous savez, c'est celui que
les mélomanes d'une certaine liste ont si mal digéré car Mahler y était
montré comme un misogyne notoire. Mais, l'honneur est sauf car un esprit
lumineux de cette liste (composée uniquement d'esprits lumineux
d'ailleurs) a déclaré qu'il n'y avait pas de rapport entre la misogynie
d'un compositeur et la valeur de ses oeuvres. J'ai été absolument ébloui
par cette argumentation à laquelle je n'avais pas pensé.
MUSIQUE DE SALON
Je lisais récemment dans la notice du CD consacré à Louise
Farrenc que l'on considérait les femmes bonnes pour la "musique de
salon", mais non pas pour les autres genres (symphonique il faut
entendre). Autre remarque, il me semble que l'on a souvent confondu
l'histoire de la musique avec l'histoire de l'orchestique. Or, sont-ce
vraiment les oeuvres symphoniques qui ont fait l'histoire de la musique?
OEUVRES VIOLONISTIQUES DE L'ÉPOQUE BAROQUE: TARTINI, LECLAIR, LOCATELLI
"The devil made me to it". pourquoi un titre aussi ridicule pour ce CD à
mon avis essentiel qui nous réserve maintes surprises? Oublions le
diable qui n'a rien à faire là sinon de personnifier la haute virtuosité
(diabolique). Pourquoi ces oeuvres, à mon avis essentielles de Tartini,
Locatelli, Leclair ont-elle été transcrites pour l'alto? L'initiateur de
cet enregistrement s'en explique. Cela me paraît assez confus. Je suis
généralement contre les transcriptions instrumentales, surtout celles
qui modifient la tessiture comme celles-ci. Néanmoins, il faut s'en
accomoder.
Malgré l'intérêt des concertos D96, D56 de Tartini, malgré, de même
l'intérêt de certains concertos de l'opus 3 de Locatelli, notamment le
n°8, ces sonates nous montrent une écriture à mon avis autrement achevée
et témoignant de la maturité du langage musical à cette époque. La
différence est encore plus sensible, me semble-t-il, entre les concertos
op 7 et op 10, bien pâle, de Leclair (ceux que je connais du moins) et
sa "sonate op 9 n°5". Pour moi, cette dernière oeuvre est une vraie
révélation. J'étais sceptique au sujet du génie de Leclair et de la
maturité de son langage musical par rapport aux modèles de l'époque, je
ne le suis plus aujourd'hui.
Ce qui me frappe dans toutes ces oeuvres (datant probablement de 1730 à
1760 environ) c'est l'absence totale de particularités relatives au
style galant (notamment dans les résolutions mélodiques) et l'absence
totale de particularités afférentes au style baroque. Cela me confirme
dans la relative indépendance de l'évolution du langage musical élaboré
par les violonistes-compositeurs du 18e siècle et l'évolution que l'on
constate chez les symphonistes et violonistes viennois. En second lieu,
le langage élaboré par Tartini, Locatelli me paraît directement se
raccorder aux oeuvres préromantiques. Bizarrement, il n'en est pas de
même pour Viotti, à la fin du 18e, dont le style présente des
particularités du style galant alliées à une virtuosité déjà très
développée. Y a-t-il une différence de langage entre les oeuvres pour
violon seul et les oeuvres concertantes pour violon au 18e siècle? C'est
ce qu'on pourrait penser en comparant les oeuvres de ces maîtres
(Tartini, Locatelli, Leclair) dans ces différents genres. En dernier
lieu, on remarquera l'absence totale de vivaldismes dans ces sonates, à
une époque pourtant où ils sont très répandus encore. Mela Tenebaum à
l'alto et Richard Kapp au piano, un CD ESSAY. Le lyrisme vibrant de ces
pages, leur inépuisable richesse mélodique me confirme que l'on a
souvent oblitéré l'importance de ces compositeurs jugés aujourd'hui
secondaire au profit des classiques reconnus, plus conforme à une
idéologie traditionaliste.
Ce CD m'inspire aussi quelques pensées désabusées.
Les compositeurs concernés: Tartini, Locatelli, Leclair sont
considérés comme des compositeurs très mineurs, mais ont néanmoins
laissé leur nom en raison de leur notoriété en leur époque. Il me semble
que ce sont souvent ces compositeurs-là qui sont de grands novateurs et
qu'ils sont souvent des génies bien supérieurs aux classiques reconnus
dont la notoriété, à mon sens, a été déterminé en grande partie par une
activité musicographique gratuite et partisane. La grande figure de
Tartini par exemple a survécu, ce qui lui doit au moins d'être cité dans
les ouvrages, mais que sait-on de son oeuvre? En existe-t-il un
catalogue, quelles oeuvres ont été enregistrées? Un CD est paru à ma
connaissance (à un prix prohibitif). Les insuffisances de la musicologie
italienne sont aussi sans doute une des causes de l'oubli dans lequel ce
compositeur est tombé. Ce violoniste de légende aurait dû être
redécouvert depuis longtemps. De même il y a longtemps que les "Caprices"
de Locatelli auraient dû être recréés. Il avait fallu attendre Pincherle
pour que l'on s'intéressât à Vivaldi et c'est un Suédois qui a établi le
catalogue définitif de son oeuvre.
Quant à Leclair, il existe sans doute des travaux érudits à son sujet,
mais quels efforts ont été fait pour le résusciter? B. Massin, qui a
écrit un ouvrage de plus de 1000 pages sur Mozart aurait sans doute été
mieux inspirée d'écrire quelques pages sur Leclair. Tant que l'on
continuera ce panurgisme autour des grands noms, je ne pense pas que la
connaissance et la reconnaissance de la musique fera beaucoup de progrès.
NOTORIÉTÉ POST-MORTEM
C'est une vaste question que vous posez là dont nous avons débattu
souvent. Pourquoi certains compositeurs accèdent-ils à la notoriété
post-mortem et pas d'autres. Les facteurs sont sans doute multiples et
complexes, mais à mon avis liés à l'idéologie dominante de la société
musicale qui est fondamentalement conservatrice et intellectualiste.
Scarlatti n'est que relativement connu, d'ailleurs. Il ne fait pas
partie des grands classiques du 18e siècle, lesquels sont Mozart, Haydn,
Bach, Haendel. Comparés à ces quatre "gros poissons", tous les autres
compositeurs, y compris Scarlatti, sont tout de même considérés comme du
menu fretin par les grands connaisseurs. Comparez la place qui lui est
consacré par rapport à Mozart ou Bach, et là dessus, croyez-moi, j'ai
des statistiques précises. Alors, le "Padre Soler", vous imaginez. Que
vous le déclariez supérieur à Scarlatti ne va scandaliser personne dans
la mesure où vous respectez les grands classiques. La hiérarchie entre
compositeurs secondaires n'a qu'une importance mineure.
ÉVOLUTION DE LA MUSIQUE AU 18e SIÈCLE
Il n'est pas certain que des
oeuvres de la seconde moitié du 18e siècle et même de la fin de ce
demi-siècle soient d'une maturité plus poussées, sur le plan du langage.
Le style galant a beaucoup laminé, me semble-t-il, les "hardiesses" des
clavecinistes. Il suffit de comparer, dans le domaine des oeuvres
violonistiques la relative timidité des concertos de Mozart (sur le plan
de la virtuosité au moins) avec la production des Tartini, Locatelli et
même Vivaldi. Certaines oeuvres de Rameau sont à mon sens d'une
modernité plus étonnante que celles de Haydn ou de Mozart. Le
classicisme a beaucoup tempéré les extravagances au profit d'une
écriture souvent assez stéréotypé. Naturellement, il y a des anvancées
sur d'autres points, notamment le développement de la notoriété cntabile, la diversité rythmique.
TARTINI NOTORIÉTÉ EUROPÉENNE
Je ne puis résister au plaisir de vous citer la lettre de Michel
Berstein, directeur d'Arcana, présentant un nouvel enregistrement de
Tartini.
"La musique de Tartini (qui était considéré au XVIIIe siècle comme un
des plus grands violonistes et maîtres de violon de son époque) n'est
pas très explorée actuellement, se trouvant, pour ainsi dire, à la
périphérie de la vie musicale contemporaine.
L'aborder c'est un peu comme escalader une montagne abrupte et ardue :
non seulement à cause des aspérités techniques que l'on risque d'y
trouver, mais aussi et principalement pour tout ce que cette escalade
implique en terme de préparation historique et stylistique de base.
Mais quand on arrive au terme de l'ascension, ce qui nous est offert,
c'est la contemplation de la beauté dans la solitude et la paix, la
possibilité d'être seul avec soi-même et d'entendre uniquement le son
des pensées, le bruissement de milliers de questions sans réponses.
Mon espoir est de pouvoir contribuer, avec mon travail, à une meilleure
compréhension de l'art de celui qui fut, à mon avis, un des plus grands
violonistes-compositeurs de l'histoire, créateur d'un langage
parfaitement personnel et unique.
Comme une montagne, il est immobile dans sa solidité cristalline et il
attend d'être exploré avec cette stupeur admirative qui caractérise tous
ceux qui aiment se rapprocher de la pureté de la nature."
Les violonistes-compositeurs sont à l'honneur depuis quelques années.
Bien qu'il soit difficile d'effacer 2 siècles de dénigrement et de mise
à l'index, voilà qui peut néanmoins redorer leur blason. J'avais
présenté une sonate de Tartini, la fameuse sonate "Trille du diable" qui
m'avait paru d'une remarquable maturité. En revanche, les duo
concertants m'ont paru plutôt archaïques. Le coffret de 2 CD proposé
devrait lever un voile sur ce grand violoniste-compositeur. Il s'agit de
l'opus 1 et 2.
Voici encore un extrait d'une lettre publiée en 1745:
« À part l'article du contrepoint, la thèse que j'avançais en faveur des
anciens, que la musique doit susciter des sentiments et non pas être
insignifiante et purement artificielle comme une arabesque, a poussé
Tartini à réfléchir à un nouveau genre d'harmonie ; quand je suis rentré
à Padoue il est donc venu me voir et m'a montré comment l'art pouvait
réussir à esquisser les passions humaines ; tel un nouveau Timothée, il
a excité en moi à son gré tantôt le sentiment de joie, tantôt celui de
tristesse, tantôt la fureur. Il s'agissait des sonates qui dès lors ont
mérité les applaudissements de toute l'Europe, et dont M. D'Alembert,
dans son "Traité de la Musique", dit qu'« elles étaient plus un
sentiment et un langage qu'un son et une harmonie ».
Cette lettre par référence à d'Alembert montre la notoriété de Tartini
et atteste qu'il a été perçu selon une certaine modernité préromantique.
Le violoniste compositeur est d'ailleurs publié par le Cène à Amsterdam,
il a donc une notoriété européenne. Il serait urgent de comprendre qu'un
siècle et demi d'idéologie partisane nous a berné sur la réalité
historique en propulsant des compositeurs à la mesure du
traditionalisme de la société musicale. Certes, il n'est pas facile de
revenir sur les valeurs qu'on nous a inculquées, mais il n'est pas non
plus agréable de savoir que nous avons été manipulés.
Voici l'adresse du dossier complet transmis par abeillemusique:
http://www.abeillemusique.com/produit.php?cle=9009
STYLE MOZARTIEN
Voilà ce qu'écrit un des rédacteur de l'histoire de la musique de l'"Encyclopedia Universalis" à propos du style mozartien:
"Il n'y a pas de style mozartien. Il n'y a pas, même dans ses opéras, de climat mozartien. Et pourtant sa musique a quelque chose d'unique qui se dévoile dès l'audition de quelques mesures, quelques chose d'insaisissable..."
Petite explication de texte:
Ici apparaît le conflit entre la réalité musicologique qui s'impose (l'absence de style spécifique de Mozart) et la nécessité de justifier les choix idéologiques issus d'une époque où la musicologie n'existait pas, mais auxquels on ne peut se soustraire, ce qui est concédé sous la forme d'un jugement de valeur: le "quelque chose d'unique". Naturellement, l'absence de spécificité sylistique de Mozart est une donnée factuelle musicologique vérifiable alors que le jugement de valeur sur le caractère d'unicité est un jugement de valeur invérifiable. Ce jugement est néanmoins contredit par les véritables expériences en aveugle que constituent les oeuvres de Mozart désattribuées qui ne paraissaient pas moins fameuses que les oeuvres authentiques avant qu'on ne les décelât. De même, toutes les notices actuelles sur Bach sont traversées par le même paradoxe insoluble: comment satisfaire simultanément l'idéologie et les données musocologiques qui la contredisent.
ÉCLIPSE DE MOZART - SALIERI ASSASSIN
Mozart aurait subi une éclipse parce que les autres compositeurs de son époque, jaloux de lui, l'auraient discrédité, dites-vous. Et revoilà la thèse du complot! Pas sérieux sur le plan historique, votre hypothèse, et elle a été abandonnée. B. et J. Massin eux-mêmes l'ont reconnu. Les Massin ont déjà émis l'idée qu'il était insuffisant d'expliquer l'éclipse de Mozart en son temps par des cabales contre lui. Et pourtant ce sont de grands défenseurs de l'exceptionnalité de Mozart. Cette idée avait d'ailleurs déjà bien vieilli. Vous évoquez l'hypothèse de l'assasinat de Mozart par Salieri? La grotesque affaire de la tentative d'assassinat de Mozart, de même qu'une possible jalousie de Salieri est totalement invalidée par les connaissances actuelles. Là-dessus, à ma connaissance, aucun historien de la musique du 18e au 20e ne l'a considérée sérieusement. Même les musicographes très partisans du 19e siècle n'ont jamais accrédité (à ma connaissance) cette absurdité. C'est une pure fiction qui semble née en dehors de la musicographie, mais il serait intéressant d'enquêter pour savoir comment elle est née, et pourquoi, avant que Pouchkine ne l'utilise. Car, si elle n'a aucune base historique, l'existence de cette légende, possède sans doute une signification sur le plan sociologique.
SOCIOLOGIE DE DURKHEIM APPLIQUÉE À LA MUSIQUE
La base de la sociologie selon Durkheim, d'après l'ouvrage de ce sociologue : "Les bases de la sociologie" (si j'ai bonne mémoire pour le titre), c'est d'abord l'établissement de la singularité du fait psychologique collectif par opposition au fait psychologique individuel. Ensuite, la considération selon laquelle l'individu obéit dans ses choix aux normes morales de la société, même s'il croit établir librement ses choix. Je ne me souviens plus des termes même de Durkheim dans son ouvrage "Les bases de la sociologie", mais je puis vous citer ceux de Jean-Christophe Marcel, spécialiste du durkheimisme et du post-durkhémisme définissant la sociologie de Durkheim:
"Du contact avec les autres naît un psychisme nouveau, l'individu n'est pas libre, mais assujéti aux contraintes morales et matérielles de la société, même s'il est consentant."
C'est le principe dont je me suis inspiré à la base, mais que j'ai étendu et appliqué aux "choix musicaux" de l'individu.
MOZART ET SALIERI: POPULARITÉ ET JUGEMENT PAR LES PAIRS
Vous accordez la prééminence à Mozart sur Salieri car, dites-vous, il obtint la considération de ses pairs alors que Salieri n'aurait obtenu que les suffranges d'un public de seconde zone. Vous oubliez tout de même que le public de l'époque était le public aristocratique, et que Salieri a été couvert d'honneurs par les académies, les princes, de la Suède à l'Autriche. On peut retourner le raisonnement puisque le public de Mozart est certainement plus populaire aujourd'hui. Le jugement par les pairs, nous voilà encore dans les fameux "jugements de compositeurs". Jugements souvent biaisés et surtout rapportés de manière partiale. Savez-vous à quel compositeur Gluck a-t-il confié sa dernière oeuvre inachevée avant de mourir? A Mozart ou à Salieri, bien qu'il connût les deux compositeurs? A Salieri. Naturellement, si on considère que Gluck est aussi médiocre que Salieri, la référence ne tient plus. Les grands, Haydn et Mozart s'accoquinent entre eux et les médiocres, Salieri et Gluck, s'acoquinent entre eux. C'est lumineux. On demeure toujours dans la même circularité vicieuse.
PRÉÉMINENCE DE MOZART?
Oui, mais elle ne prouve pas non plus leur prééminence sur le plan de la
qualité, d'autant plus que ces compositeurs n'ont pas émergé à leur
époque (cas de Mozart, Schubert, Bach, et même Haendel, c'est différent
pour Beethoven et Haydn). Mozart est devenu un symbole, celui de la
musique tout entière. Or, au départ, il n'a pas été plébiscité par le
public (pas n'importe quel public, celui de la classe aristocratique),
il a été choisi et imposé par les musicographes après sa mort, les
mélomanes ont suivi. Ceci aux dépens des grands noms de la musique qui
s'étaient imposés au niveau européen (Salieri, Clementi, Gluck,
Stamic...), compositeurs qui se sont avérés être de véritables novateurs
(au moins Gluck, Clementi, Stamic) au regard de la musicologie moderne
contrairement à Mozart. Autre facteur de l'émergence de Mozart: il est
un véritable Autrichien (quoique Salzbourg était autonome à l'époque).
Salieri, Stamic étaient des "étrangers" à Vienne, ils ont été au 18e
siècle choisis par les princes en raison de leur notoriété européenne,
mais pas par les musicographes nationalistes du 19e siècle. Gluck,
Salieri, Stamic sont originaires de pays où la musicographie est restée
embryonnaire jusqu'au milieu du 20e. S'il n'y a pas d'Intellectuel pour
assurer la mémoire, la musique ne passe pas le cap de la postérité.
C'est à mon avis un révisionniste très grave par rapport à la réalité
historique. Mozart nous fait pénétrer dans l'harmonie de sphères
dites-vous, vous confortez le discours hagiographique, cependant aucun
spécialiste n'a été capable de distinguer les oeuvres aujourd'hui
désattribuées de Mozart. Alors, il faut être sérieux. Sur quoi repose
tout ceci, sur l'illusion. Et c'est là que l'on retrouve la critique
durkheimienne. Ce que vous dites à propos de Mozart, le public du 18e le
pensait à propos de Salieri et Clementi, public qui n'avait pas été
"éduqué" par la classe pensante. Alors, pourquoi le public du 20e
aurait-il raison sur les jugements exprimés du 18e après l'intervention
tendancieuse (à mon avis) de la classe pensante? Pourquoi la hiérarchie
actuelle des compositeurs serait-elle la Vérité par rapport à celle
établie au 18e sicèle? Le concept de décantation positive par le temps
me paraît arbitraire, j'inclinerais plutôt pour celui de "décantation
négative" en raison de l'influence du facteur idéologique alors que le
jugement du public me paraît plus sain, plus authentique.
POLITISATION?
Vous me dites que je politise tout. J'aimerais savoir où est la politique dans ma thèse. Vous me citez Bourdieu, totalement étranger à ma pensée, alors que je me réfère à Durkheim! Etrange. La notion d'habitus lié à une classe sociale (idée chère à Bourdieu) n'intervient nullement dans mes considérations. Les Intellectuels ne représentent pas pour moi une classe sociale, preuve que je ne m'appuie pas sur une conception socio-politique. En pratique, à première approche, les Intellectuels sont pour moi les musicographes qui expriment leurs tendances dans les ouvrages que je lis. Il faudrait sans doute y ajouter les décideurs de la société musicale, les membres dirigeants des instituts, des sociétés de concert, des conservatoires, c'est-à-dire une intelligentsia, une communauté de pensée plus qu'une caste sociale (mais qui, effectivement, appartient à une classe sociale). Pendant la querelle des Bouffons, les partisans et adversaires de la musique italienne appartenaient à la même classe sociale, ce n'est donc pas un critère pertinent pour établir un distinguo. Pour aller plus loin, je pense que la part intellectuelle qui tend à nier l'âme se trouve en chacun de nous et même chez les créateurs. Sans doute allez-vous maintenant me taxer de psychanalyste post-freudien. mais, vous savez, on me met à toutes les sauces, j'ai l'habitude. Vous semblez renoncer à me réfuter pour tenter de me catégoriser. Je vois aussi poindre, comme dernier argument, vos références universitaires. Etes-vous parvenu au bout de vos capacités dialectiques pour que vous soyez dans l'obligation de brandir vos diplômes (en filigrane, bien sûr) et de me demander quelles sont mes "références méthodologiques", c'est-à-dire, en clair, de me prier de décliner mes dipômes, ceci pour faire valoir votre supériorité d'universitaire. Et vous commencez subrepticement à déplacer le débat sur le plan personnel.
Concernant le fameux "complot", je vous signale qu'une imprégnation idéologique (lato sensu) traditionaliste soutenue par la société musicale s'exprimant pendant plus de 2 siècles ne peut en aucun cas être assimilée à un complot, ni selon la dénotation du terme, ni selon sa connotation. De ce point de vue là, le christiannisme qui a occulté les idées des philosphes de l'Antiquité pendant 10 siècles serait un complot! Un complot, à mon sens, ce serait par exemple l'action de compositeurs viennois bien précis concurrents de Mozart qui ourdiraient des manoeuvres bien précises afin de le discréditer et de le déchoir de sa position. Donc, ce n'est pas moi qui soutient la thèse du complot. Au contraire, je la réfute.
SALIERI NE VAUT PAS MOZART... BIEN SÛR
"Saliéri ne vaut pas Mozart, bien sûr", dites-vous. Ce "bien sûr" n'est-il pas révélateur d'un jugement a priori? Vous
auriez écrit "Salieri ne vaut pas Mozart", cela m'aurait paru beaucoup
plsu crédible. Le "bien sûr" à mon sens signifie: Mozart étant beaucoup
plus considéré que Salieri, ce dernier ne peut par définition en aucun
cas valoir Mozart. Ne manquez-vous pas de perspective historique. un
mélomane de 18e siècle aurait dit: Mozart ne vaut pas Salieri, bien
sûr". En supposant que le mélomane européen du 18e siècle connût le nom de Mozart à l'époque de sa maturité, ce qui n'est pas évident, même s'il a été traîné dans toutes les cours pendant sa jeunesse par son père.
CONCERTOS DE GRIEG ET SCHUMANN
Je sais, j'ai lu souvent ce type de commentaire sur d'autres notices, c'est la raison pour laquelle je m'étais élevé depuis longtemps au sujet de ce rapprochement. Vous trouverez dans mon livre un commentaire là-dessus (dans la critique du "Concerto" de Schumann).
Je retiens cependant dans le commentaire suivant ceci, qui résume peut-être ce que je ressens:
"Si Grieg a bien sûr été inspiré par le concerto de Schumann, l'impact émotionnel des deux oeuvres est complètement différent."
La tonalité identique, le début identique, ce n'est pas le fond de l'inspiration et l'esprit de l'oeuvre. Grieg a dérivé totalement de son "modèle", ce qui montre à mon avis sa puissance d'innovation. Il est à l'origine d'une autre lignée (peut-être) d'une lignée qui conduit à Tchaïkovski, Scharwenka et Sgambati. Le rapprochement (tonalité, début), c'est à mon avis l'aspect anecdotique, pas le fond.
Un dernier commentaire d'ordre très subjectif. Je ne puis manquer, pour ma part, d'être frappé par la puissance des effets dans le concerto de Grieg par opposition à une certaine fadeur (à mon avis) dans celui de Schumann. Naturellement, ces 2 oeuvres n'appartiennent pas à la même époque.
Concernant la popularité de ces oeuvres, nous manquons d'enquêtes précises sur le nombre de ventes d'enregistrements. Il ne faut pas oublier aussi que Grieg est considéré comme un petit compositeur (parfois méprisé dans certains ouvrages) et Schumann comme un très grand. Il faut certainement pour un "petit" compositeur une oeuvre d'un impact considérablement plus important pour rivaliser avec l'oeuvre d'un "grand" compositeur.
ENGOUEMENTS D'UNE CERTAINE LISTE
Oui, mais je constate parfois que, bien qu'on me conspue sur "une
certaine liste" , comme vous dites si bien, on s'approprie aussi
certaines de mes idées. Que penserait-on de Saint-Saëns sur cette liste
si je n'étais pas intervnu pour montrer l'aspect absurde et
conventionnel du mépris voué à l'égard de ce compositeur. En lui accordant une certaine considération, on veut évidemment me faire croire qu'on n'a jamais eu de mépris pour lui et que j'ai sans doute rêvé. Je constate
aussi que miraculeusement, certaines oeuvres peu connues et présentées
comme des chefs-d'oeuvre sont maintenant considérées sur cette certaine
liste. On s'intéresse curieusement beaucoup aux concertos pour piano peu
connus. On voudrait sans doute croire qu'on n'a pas eu besoin de moi
pour les considérer. Et aussi montrer qu'on en connaît plus que moi sur le sujet. Mais vous savez, cela m'indiffère assez.
ENTRE MOZART ET CHOPIN
Concernant les chaînons manquants entre Mozart et Chopin, dans le domaine des oeuvres pour piano et orchestre, je ne citerais pas les mêmes noms que vous, peu importe, j'approuve le principe. Mais pourquoi Mozart, quand on sait que son émergence est postérieure à la période à laquelle il aurait pu avoir une influence. Même si Chopin a écrit ses Variations sur "La ci darem" de Mozart, l'évolution pianistique pendant la seconde moitié du 18e siècle et après est-elle due à Mozart, quasiment inconnu en dehors de Vienne et Prague? Bien sûr, Beethoven se réclame de lui, mais Mozart, c'est tout de même le "local", Viennois comme lui, dont la notoriété n'a aucun rapport avec celle des grandes figures musicales européennes au 18e siècle qui s'imposaient à Vienne. il faudrait sortir de cette circularité qui consacre un "grand" par référence un autre "grand", a dit une musicologue de notre siècle. Trop facile. A contrario, je pourrais affirmer de mon point de vue : la preuve que Tartini est un compositeur important, c'est que le grand et génial Locatelli s'en est inspiré. Je pense que vous saisissez le biais de ce type de raisonnement. Pourquoi considérer même que Chopin est un jalon, n'est-ce pas un artefact dû à une conception faussement rationnelle de l'histoire de la musique, une histoire certainement chaotique qui n'a pas le bel ordonnancement qu'on veut bien y voir. C'est la thèse de Gombrich dans le domaine des beaux-arts qui refuse tout fil directeur dans le développement historique de l'Art.
RÉCUPÉRATION
Cela m'étonne qu'un certain mélomane de ma connaissance n'ait pas déjà protesté en disant: "Mais vous plaisantez, il n'y a que des éloges de Liszt dans les ouvrages aujourd'hui". Et il aura raison, évidemment. Que des éloges, même trop d'éloges. Sauf que les oeuvres que l'on tend à mettre en exergue sont celles qui sont à la convenance de l'idéologie anti-virtuose et anti-lyrique. Ces grands succès qu'avaient été "Le rossignol" ou "Rêves d'amour", on a presque réussi à les faire oublier. C'est le principe de la récupération. On suit actuellement le même chemin pour Paganini, une oeuvre technique, didactique (en partie) comme les "Caprices", on veut bien l'admettre, mais les concertos, certainement pas.
Mais revenons un demi-siècle en arrière, et plus, avec Louis Aguetant, un des critiques les plus influents à Paris au milieu du 20e (La musique de piano des origines à Ravel de 1954):
"On se le figure [Liszt] comme un virtuose qui n'a guère écrit que pour son instrument; rien n'est plus faux. Au contraire, les titres les plus solides de Liszt à l'immortalité ne sont pas, sauf exceptions, dans son oeuvre pour piano."
Que cherche-t-on à démontrer? Faut-il que je le précise?
Et plus loin:
"Ce sont ces pages-là dont nous sommes curieux ("Légende de saint-François d'assise"...), tandis que nous laisserons volontiers tomber dans l'oubli les oeuvres superficielles qu'on applausissait au temps où les français avaient une culture musicale si médiocre."
Comme c'est curieux, là encore.
Et plus loin, dans le même ouvrage:
"Aucun de ses recueils [de Liszt]ne soutient la comparaison avec les "Kreisleriana", ni avec les "Préludes" de Chopin. Ses thèmes glissent souvent sur des pentes fâcheuses, celles de l'emphase et de la fausse grandeur. il affectionne l'épithète "grandioso": ce qu'il nous donne sous ce nom, trois fois sur quatre, c'est de l'héroïsme d'opéra... Une autre forme de la banalité chez Liszt, c'et la fadeur, une sentimentalité de romance, qui n'est pas très rare chez lui, pas plus rare que le panache."
Remarquons encore: quelle oeuvre de Chopin a choisi notre grand Intellectuel comme référence, pas les grandes polonaises, virtuoses et rhapsodiques, mais une oeuvre didactique : "Les préludes", oeuvre sans intention lyrique.
Encore un passage révélateur chez un prédécesseur d'Aguettant, partageant la même idéologie anti-lyrique anti-virtuose et anti-mélodiste, Camille Mauclair dans "La religion de la musique" 1908:
"L'heure où Liszt résolut en sa conscience de s'effacer en Wagner, de faire de toute sa vie à venir un constant sacrifice en faveur du génie de... , cette heure de renoncement pourra compter parmi les plus belles, les plus hautement morales et les plus fécondes que l'héroïsme psychologique ait connues"
N'est-ce pas magnifique? Et après cela on me dit que j'invente une idéologie qui n'a jamais existé. "En tout historien de l'art sommeille un iconoclaste" a écrit, je ne sais plus qui.
SALIERI MAFIOSO (?)
Salieri maintenu par une mafia italienne? Et revoilà encore la thèse du complot contre Mozart! La possible jalousie de Salieri est totalement invalidée par les connaissances actuelles. Salieri a été le seul a diriger la 40e du vivant de Mozart. Il a aidé Mozart et surtout son fils. Il a été un des rares à suivre son enterrement. Il faut trouver une autre hypothèse. C'est vrai aussi que Mozart avait un réel tempérament d'artiste et n'avait pas les talents d'un courtisan comme un certain Haydn.
REBATET ENCORE
Rebatet n'étant pas musicologue, et n'étant donc tenu à aucune rigueur d'ordre universitaire, a écrit un "ouvrage d'auteur" où il exprime clairement ses positions. On y retrouve l'idéologie musicale qui a présidé à l'élaboration du pathéon musical depuis Forkel. Son ouvrage, c'est la Bible du "mélomane supérieur" qui méprise la mélodie, le lyrisme, le rhapsodisme, la vituosité, les oeuvres qui ont obtenu les suffrages du public. Il prône une prétendue (à mon avis) profondeur musicale d'ordre intellectualiste qu'il détecte naturellement chez les "grands classiques germaniques" et les modernes. Sa vision de la musique est progressiste et se résume à une évolution vers l'atonalisme, signature pour lui de l'importance et de la valeur des oeuvres. Ses diatribes contre Saint-Saëns, Grieg, Tchaïkovski... sont notamment célèbres. L'intelligentsia actuelle (dont il existe d'éminents représentants sur ce forum) s'est détournée de lui, non essentiellement pour des raisons musicales, mais politiques.
LA CONVERVION DE LISZT
Cependant, Liszt a été en grande partie récupéré par les Intelledtuels, peut-être lui a-t-on pardonné ses écarts de virtuose en raison de sa conversion sur le tard à une esthétique plus conforme aux canons intellectualistes. Et puis, ce "sensible" avait eu le bon goût de s'aplatir lui-même devant les gros cerveaux de son siècle comme Wagner, c'est l'éternel complexe d'infériorité des lyriques devant les Intellectuels. En revanche, la déconsidération des violonistes-compositeurs comme Viotti ou Paganini demeure encore bien vivace par rapport à leur importance historique avérée. Prenez garde, vous pensez mal, apparemment. Vous prenez des risques sur ce forum qui est le sanctuaire de la bienpensance musicale.
MOZART BOUDÉ
Saliéri aurait été boudé car il était plus aimable que profond? Oui, et pourquoi un compositeur comme Mendelssohn, dont tous les commentateurs s'accordent pour dire qu'il a été plus aimable que profond, apparaît-il fort bien représenté dans les ouvrages par rapport à Salieri, quasiment jamais représenté. Donc, tout cela n'explique rien. Il faut chercher ailleurs le facteur décisif qui a permis à Mozart d'émerger post-mortem. Pour ma part, je vois la conjonction de 2 facteurs majeurs, par rapport aux compositeurs plus célèbres à son époque, le fait qu'il ait été un enfant prodige et le fait qu'il ait été Autrichien (au sens large). Et Léopold a sans doute fait beaucoup en nous offrant la chronique (sous forme de lettres) de ses voyages avec le petit Mozart. On soupçonne d'ailleurs qu'il les avait écrites à cette intention à un de ses amis dans l'espoir qu'il les conservât. On a beaucoup critiqué Léoplod, mais s'il n'avait pas été là, on n'aurait peut-être aujourd'hui jamais entendu parler de Mozart.
Je vois aussi un trosième facteur, mais il est aliéné à ma propre opinion de critique: la qualité réelle de certaines de ses oeuvres, qui obtinrent d'ailleurs un certain succès à l'époque, notamment "La flûte enchantée". Car j'ai toujours pensé que Mozart était un "grand compositeur", si cette notion a un sens, mais ce n'est qu'une opinion strictement personnelle. J'aimerais que ce dernier facteur (la valeur réelle, à mon sens, de certaines oeuvres de mozart) eût primé sur les autres, mais lorsque je vois que Bach a réussi à devenir "le plus grand compopsiteur", j'avoue être pessimiste sur l'impact qu'est capable d'exercer la musique par elle-même par rapport à l'idéologie.
REVALORISATION DE SAINT-SAËNS
La revalorisatin de Saint-Saëns a commencé aux environs de 1950
(estimation de ma part sur la date que l'on peut discuter) et les
messages de classique-fr qui suivent rendent compte de cette
revalorisaition. Sans vouloir surestimer mon influence, il n'a peut-être pas été totalement inutile que je rappelle cette revalorisation et que je la soutienne. Il apparaît cependant dans ces messages une forte
rémanence de l'image d'un Saint-saëns "académique", mais auquel on
pardonnerait l'académisme. Pas toujours, mais quelquefois. Je remarque
cependant que toute comparaison de valeur avec les concertos des "grands
classiques" est évitée. Les concertos de Saint-Saêns semblent estimés,
mais jusqu'à quel point? Qui classerait une oeuvre pour piano et
orchestre de Saint-Saëns dans ses 10 oeuvres concertantes pour piano
préférées? C'est une inconnue. Naturellement, nul n'a l'obligation de
porter les concertos de Saint-saêns au zénith. C'est mon opinion, mais
elle est personnelle. Je pense pour l'instant avoir été le seul à
considérer les concertos de Saint-Saëns nettement au-dessus de ceux de
Mendelssohn, Brahms, Schumann et Mozart et pense avoir contribué, pour
une très petite partie évidemment, à ce vaste mouvement de
revalorisation qui a largement précédé la date d'édition de mon ouvrage.
Je pense aussi avoir contribué à montrer le caractère fondamentalement
novateur de son art par rapport à son époque (à mon avis) pendant les
deux premiers tiers de sa carrière. Autre question que l'on pourrait se poser. Cette revalorisation historique est-elle une composante de la revalorisation de la musique française en général ou signifie-t-elle la reconnaissance de la valeur représentée par l'approche virtuose, lyrique et rhapsodique caractérisant les oeuvres de Saint-Saëns, en particuler les concertos pour piano?
SAINT-SAËNS NOVATEUR
Je pense que le second mouvement de la "Symphonie en la" et le dernier
mouvement de la "Symphonie n°2", particulièrement prometteurs, montrent déjà
l'originalité de Saint-Saëns. Il contiennent déjà presque à mon avis, un
certain préimpressionnisme et un sens très aiguë de la couleur. En revanche,
la symphonie "Roma" n'évoque
pas, à mon avis, la grandeur qu'on aurait pu attendre de son titre. Pour en
revenir à la "Symphonie avec orgue", je trouve que le génie y déborde de
toutes parts, mais de manière anarchique et désordonnée. Je regrette que
Saint-Saëns, esprit à mon avis foncièrement anti-académique,
anti-conventionnel et puissamment novateur, n'ait pas fait preuve d'un
minimum de considération de l'importance de la forme. Comme Rimski, les
Cinq, et tous les marginaux de la musique qui ont refusé les tutelles
conventionnelles, Saint-Saëns s'est plus particulièrement exprimé dans les
poème symphoniques."
"[Concertos pour piano] Sauf le 1 comme vous dites, les autres concertos me
paraissent animés d'un romantisme profond, traversés d'une émotion
poignante. Quant au 5 (et parfois le 3), il me semble d'inspiration
impressionniste. En revanche, directement accessible, Saint-Saëns, pas sûr à
mon avis car il s'agit d'oeuvre de haute virtuosité, donc à mon avis d'une
grande complexité."
"je suis le seul, en 1988, à avoir publié que Saint-Saëns avait à mon avis
écrit la plus belle série d'oeuvres pour piano et orchestre et ne pas avoir
hésité à placer la plupart de ces oeuvres au-dessus de celles des grands
classiques contrairement à l'opinion générale dont témoignent tous les
autres ouvrages. Je pense aussi avoir été un des premiers à remarquer le
contresens que l'on commettait (à mon avis) habituellement en considérant
chez Saint-Saëns des qualités d'équilibre des parties, de rigueur,
d'élégance française, de respect de la forme, d'absence de sentiment...
image qui s'appuyait sur les propos des uns et des autres, les propos de
Saint-Saëns lui-même, sans que l'on se souciât de considérer les oeuvres
elles-mêmes.
QUINTETTES: BRAHMS ET SCHUMANN
Le regroupement sur ce CD des quintettes op 44 de schumann et op 34 de Brahms (CD Naxos avec Kodaly Quartet) est peut-être chargé d'une signification (involontaire). Schumann, que l'on a représenté sous l'aspect d'une figure excessivement roamntique n'est-il pas assez proche du très classique Brahms? La folie de Schumann et sa triste fin fut sans doute une aubaine pour sa mémoire de compositeur. Rien, à mon avis, de la passion romantique, ne se retrouve dans cette page très fade. Tout aussi fade, à mon avis, un grand nombre de pièces pour piano comme les "Kreisleriana" ou encore le "concerto". Très mélodique, Schumann dans ce quintette, parfois manifestant un certain pathétisme, plutôt dans la nuance sentimentale que dans la frénésie passionnelle beethovénienne. N'a-t-on pas présenté ce sage compositeur comme un démiurge sombrant dans une morbidesse maladive, mais naturellement géniale. Un quintette où le piano, pourtant instrument électif du compositeur, demeure curieusement en retrait, un quintette où les différentes parties évoluent souvent en doublage. Brahms nous propose-t-il mieux? Malgré un début très incisif, l'oeuvre me paraît rapidement s'épuiser en développeements fastidieux. Un peu moins mélodique sans doute, mais tout de même très mélodique.
Ce qui me frappe dans ces oeuvres, par rapport aux oeuvres similaires de Saint-Saëns (trio avec piano), Sgambati (quintettes), c'est l'absence de relief. Le quintette n'est pas considéré comme une architecture dans laquelle différents plans s'amalgament ou se heurtent. Comparaisons peut-être d'une pertinence contestable, même certainement. La même différence m'apparaît pourtant entre ces quintettes et certains quatuors de Mozart (le 14 K387, très réussi à mon avis). Le chemin parcouru est-il si important entre Mozart et Schumann ou même Brahms. Sur le plan du style thématique, peut-être, et encore, sur le plan de la texture de l'oeuvre, à mon avis en aucun cas.
SCIENTIA ET DOXA
Encore une fois, je pense que vous confondez la scientia et la doxa. A mon sens, il n'appartient pas au musicologue de formuler un jugement sur Bruckner, Salieri ou qui que ce soit, c'est le public pour qui sont destinées les oeuvres de ces compositeurs qui doit en décider en toute indépendance. Il appartient aux musicologues, me semble-t-il, d'établir l'importance historique de ces compositeurs d'après des faits, d'étudier leur place dans l'évolution d'un genre par l'étude des partitions, d'établir l'authenticité des partitions, d'éclairer les oeuvres par l'étude de la contextualité historique dans un but didactique ou documentaire... Par exemple, il appartient au musicologue de nous indiquer l'apport de Sammartini par rapport à Haydn ou Stamic dans la symphonie classique, mais en aucun cas de nous dire si Sammartini est un grand ou un petit compositeur. Par définition, la formulation de jugements critiques ne relèvent pas de la musicologie, mais de la critique musicale. Ce qui apparaît, par rapport à votre propos concernant l'histoire de la musique de la Pléïade, c'est que la disctinction n'a pas été opérée correctement dans cet ouvrage, si j'en crois les extraits que vous citez.
RÉCUPÉRATION DE LISZT
Suite à mon message, voici ce qu'écrit Candé dans son dictionnaire de la musique:
"Mais ce que Liszt a écrit de plus grand pour son instrument est probablement la "Sonate". Et les plus originales sont les oeuvres des dernières années qui annoncent Debussy et Bartok."
Voici comment je décrypte ce discours:
-"Le summum du génie de Liszt n'est pas représenté par ses oeuvres de virtuosité transcendante ou rhapsodiques telles "Le rossignol" ou les "Etudes transcendantes" ou encore les "Rhapsodies" mais par une oeuvre moins virtuose, plus austère, moins lyrique, plus imprégnée "d'intellectualisme". Les oeuvres les plus virtuoses, les plus lyriques étant naturellement plus superficielles."
Ce n'est pas explicitement exprimé, mais on est amené fortement à le comprendre par soi-même.
-On peut voir à mon avis dans ce discours la vision progressiste selon laquelle les oeuvres les plus importantes d'un compositeur, qui sont naturellement ses dernières oeuvres, valent essentiellement par leur intérêt évolutionniste dans le cadre d'une histoire de la musique (à mon avis en grande partie déterminé par une vision idéologique). Et ces oeuvres sont d'autant plus importantes qu'elles conduisent d'ailleurs à l'atonalisme. Naturellement, Candé demeure prudent, il n'a pas dit "les meilleures oeuvres", mais "les plus originales", mais il fait tout de même fortement comprendre que de la part de Liszt, c'est un trait de génie que d'avoir préfiguré Debussy et Bartok.
L'idée générale du principe selon lequel les meilleures oeuvres d'un compositeur sont ses dernières oeuvres (pas évident dans le cas de Liszt chez lequel les variations stylistiques sont complexes au cours de sa carrière, mais idée généralement exprimée) implique plusieurs corollaires:
-on tend à accorder prééminence au métier, à l'expérience sur l'inspiration, c'est-à-dire à ce qui peut être maîtrisé intellectuellement sur ce qui relève de qualités moins rationnelles liées à "l'âme". C'est à mon avis une manière élégante de nier l'inspiration et le génie réel, lequel échappe bien souvent à ce développement convenu. Ainsi, on maintient plus rigoureusement la hiérarchie des compositeurs qui n'est pas liées à des moments de plus ou moins grande inspiration, mais qui est défini par la valeur infaillible du compositeur.
-on tend à présenter le compositeur comme l'archétype de l'esprit supérieur qui n'accuse pas la moindre faiblesse, qui est insensible aux ravages du temps (la sclérose ou simplement la limitation de son imagination avec l'âge). C'est un des aspects de l'héroisation, du "culte de la personnalité" et l'affirmation du "dogme de l'infaillibilité du compositeur".
CRITIQUE MUSICALE ET MUSICOLOGIE
Ne soyez pas si humble, votre diatribe contre moi n'est pas si mal troussée, je l'ai lue plusieurs fois avec beaucoup de plaisir et permettez-moi de vous féliciter pour votre inspiration. Je la conserve en bonne place pour mon livre d'or, vous serez à l'honneur.
Pour revenir au débat d'idées, car vous l'abordez cependant, à propos de la méthodologie, je vous répondrais que l'introduction de l'esprit scientifique dans les sciences humaines (en particulier en histoire, et donc en histoire de l'Art) me paraît irréversible et je ne pense pas que la nostalgie d'une approche idéologique ou encore d'une approche confondant critique et données objectives soit satisfaisante. En revanche, que l'approche musicologique soit la seule valide, que l'on se limite à une hiérarchie issue de l'importance historique, me paraît effectivement contestable. Pourquoi ne pas accorder plus d'importance à la critique musicale qu'à la musicologie puisque c'est l'intérêt musical d'une oeuvre qui importe au mélomane? C'est bien ce qui se produit dans la réalité car les lecteurs des revues de critique sont sans doute plus nombreux que les lecteurs des histoires de la musique. Je concluerais en souhaitant le développement des études portant sur les relations de la musique et de son public, ce qui serait une manière rationnelle de témoigner objectivement des effets de la sensibilité musicale.
VAUGHAN WILLIAMS - NIELSEN - CRITIQUE NÉGATIVE
Profil bas pour la remise à jour de critique-musicale.com. Déception sur
toute la ligne. Autant les compositeurs peu connus que les grands
classiques. Tout le monde dans le même sac, avec mention "faible intérêt",
formule empreinte d'euphémisme afin d'éviter un choc trop violent aux âmes sensibles et aux esprits chagrins. Aux
quintettes de Schumann et de Brahms que j'ai déjà présentés, on peut ajouter
Nielsen (avec la "4 Inextinguible") et Vanghan Williams. Ce dernier
compositeur jouit d'une grande estime sur les listes. Sans doute, avec la "5",
n'ai-je pas écouté la "bonne symphonie". Tout aurait dû pourtant me plaire
chez ce compositeur, la recherche d'expressionnisme dans le style de
Sibelius, l'absence d'effets modernistes (contrairement à ce qu'il en est
dans son concerto), rien pourtant ne m'interpelle. Aussi, c'est un peu
honteux que je vous invite à lire la page des nouveautés, sauf si vous avez
une inclination pour la critique négative. Mais non, vous
êtes des mélomanes honorables, je suis le seul esprit pervers dans ce cas, c'est
bien entendu.
Pourrais-je vous conseiller avec moins de honte ma chronique consacrée
toujours à la dépréciation dont sont victimes les virtuoses-compositeurs? On
me reproche un discours répétitif, mais les éloges obligés à l'égard des
grands classiques et le mépris des "petits compositeurs" ne sont-ils pas
répétitifs?
"RÉFÉRENCES MÉTHODOLOGIQUES"
Puisqu'on me presse de préciser mes "références méthodologiques", voici une approche. Mes références méthodologiques sont très générales et se conforment à l'heuristique par opposition à l'approche philosophico-littéraire qui a longtemps prévalu en sciences humaines et, à mon avis, continue parfois de prévaloir. J'utilise la méthode empirique consistant à obvserver des faits pour en tirer une modélisation, qui n'est donc en aucun cas une démonstration. En premier lieu, je tente d'appliquer le principe bien connu de la "tabula rasa" posé par Descartes - et qu'il n'a pas appliqué lui-même, ce qui semble montrer la difficulté que nous avons d'évacuer les assimilations de la société dans laquelle nous vivons (principe de la sociologie dû à Durkheim, qui n'inclue en aucun cas celui de la sociologie politique relatif à la lutte des classes défendu aujourd'hui par Bourdieu). En pratique, j'ai considéré que la hiérarchie actuelle des compositeurs n'est en aucun cas représentative d'une vérité apodictique. Je me suis astreint à observer d'un regard extérieur les notices dans les ouvrages d'histoire de la musique et à définir l'idéologie sous-jacente qui m'apparaissait. Des constantes apparaissent remarquablement, de Forkel à Rebatet. A partir de là intervient la phase d'une construction théorique (présentée comme hypothèse) afin de rendre compte des faits. Malheureusement, je ne dispose pas toujours des moyens qui me permettraient d'appliquer la méthode empirique par la collection des faits, notamment la mesure des ventes d'enregistrements précisément par oeuvre ou par compositeur. Ceci inclue la méthode statistique, notamment la recherche des occurentes, qui est devenue aujourd'hui banale en sciences humaines. Donc, je ne me réfère pas à une école de pensée précise, mais à un corpus de principes très généraux définissant la recherche d'esprit scientifique.
NIELSEN - PETERSSON - DE BÉRIOT - DIABELLI LA LETTRE À ÉLISE DE BEETHOVEN
Il fallait que cela arrivât. Toutes les oeuvres que j'ai
écoutées ce mois-ci m'ont paru décevantes. Il se trouve que mon programme
comportait un certain nombre d'oeuvres de "grands classiques": Brahms
(Quintette),
Schumann (Quintette), Beethoven (Bagatelles). Que l'on y voie pas trop
rapidement de corrélation. La surexploitation du répertoire des compositeurs
connus pourrait bien être à l'origine de l'intérêt plus restreint d'un grand
nombre de leurs oeuvres, si toutefois je me réfère à mon jugement critique,
qui est naturellement subjectif. Je puis citer cependant quelques oeuvres
de ces compositeurs qui présentent à mon avis un intérêt supérieur. De
Brahms, tout d'abord, les "Rhapsodies hongroises", de Schumann le "Carnaval" et
de Beethoven la "5e symphonie" ou la "Lettre à Elise". Cette dernière oeuvre,
qui
représente à mon avis l'expresison de l'âme la plus élevée,
me paraît devoir satisfaire les mélomanes les plus exigeants. Je ne
vois que le snobs qui puissent y demeurer insensibles. Les oeuvres de
compositeurs moins connus que j'ai également écoutées ce mois-ci ne m'ont
pas plus
retenu que celles des "grands classiques". Je n'ai pas rencontré la
génialité (supposée) de Vaughan Williams dans sa "Symphonie n°5", très
inspirée de Sibelius, ni dans son "Concerto pour 2 pianos", assez moderniste.
Quant aux symphonies 10, 11, 15 de Pettersson, elles me paraissent le
navrant produit d'une conception d'écriture niant l'art lui-même, sauf si
l'on trouve agréable une suite ininterrompue de stridences. Si la "Lettre à
Elise" ne me paraît devoir être méprisée que par les snobs, en revanche, ces
oeuvres de Pettersson ne me paraissent devoir séduire que ces mêmes snobs.
Nielsen ne me
semble pas s'être transcendé dans sa symphonie "The Inextingishable", bien
caractéristique à mon avis des nombreuses hésitations stylistiques dont
témoigne sa carrière, en l'occurrence ici entre un néoclassicisme sans
saveur et un expresisonnisme peu convaincant. Je conseillerais au mélomane
"Pan et Syrinx" qui me paraît la meilleure expression de son génie.
Afin de ne pas laisser le lecteur de cette lettre sans aucune référence
discographique, je rappellerais quelques oeuvres qui me paraissent
essentielles et fort négligées. Tout d'abord les concertos 1, 8 et 9 de
Charles de Bériot (CD Marco Polo) avec Takako Nishizaki et la RTBF, qui
unissent la ferveur romantique du grand siècle à la découverte de
la virtuosité transcendante. En second lieu, un compositeur passablement
négligé, Diabelli, qui me paraît une figure de premier plan à la charnière
entre le 18e siècle et le 19e siècle: "Trois sérénades pour flûte, clarinette
et guitare" CD ASV Arilicansemble.
ARENSKY - ARRIAGA
Du beau monde, notamment avec Arenski, Arriaga. Du premier ses pièces pour piano préimpressionnistes et post-lisztiennes, du second les quatuors post-classiques d'un préromantisme très atténué. On ne peut que recommander de telles oeuvres dans lesquelles circule une sève puissante et qu'animent un souffle intense. Avec "Silhouette" d'Arenski, il y a aussi la pièce "Le savant", pièce contrapuntique, naturellement, à mon avis volontairement ennuyeuse et en ce sens satirique.
QUINTETTES DE LOUISE FARRENC, BRAHMS
Il est vrai qu'une oeuvre comme le "Quintette n°2" de Louise Farrenc ne m'apparaît guère plus fouillée que le Schumann et même le Brahms sur l'organisation des différents registres, mais la densité des thèmes pianistiques me paraît largement supérieure dans le quintette de louise Farrenc. Pour en revenir au quintette de Schumann, j'avoue mal comprendre coment vous pouvez trouver une telle oeuvre "difficile" alors qu'elle me paraît d'un mélodisme très simple (pour ne pas dire plus) et quasi-inexistante sur le plan harmonique.
SONATES DE BEETHOVEN
Inon Barnatan est-il devenu un pianiste connu et côté? Je l'ignore, ne connaissant pas suffisamment les vedettes du clavier pour l'affirmer. Cela m'étonnerait cependant beaucoup. Les découvertes Classica lui ont concédé en 2001 un enregistrement sur CD, vendu avec la revue, à partir de sa prestation dans le cadre du Festival d'Auvers-sur-Oise.
Beethoven : Six Bagatelles. On ne l'a pas gâté, quoique ces bagatelles, à peu près vides musicalement à mon avis, présentent la parure convenable d'un pianisme brillant. Car le "Vieux" a toujours eu la délicatesse de jeter du clinquant et des paillettes lorsque parfois il n'avait plus d'inspiration. Notre pianiste en profite légitimement, à défaut de pouvoir, dans ces oeuvres, entrer dans les arcanes du génie beethovénien. Oeuvres dont on aurait pu attendre charme et grâce en rapport avec le titre, mais le "Vieux" n'est pas très subtil dans le genre et nous déverse sa pâteuse pugnacité qui tombe ridiculement à plat. Plus sérieux, quoique d'une sublimité limitée, la "Sonate op 6 n°2", j'ai même réévalué d'une étoile son second mouvement. Le génie mélodique, il l'avait bel et bien, le Vieux. Mais, qu'est-ce que l'oeuvre d'un compositeur, même de celui qui a le plus transcendé la thématique vers les plus hautes sphères de la complexité harmonique sinon de la mélodie. De la mélodie Scarlatti, de la mélodie Debussy, de la mélodie Sibelius... Sinon, où serait la musique? En revanche, beaucoup plus sérieux, la "Sonate 23 op 57 Appassionata". La, il faut s'incliner, le Vieux se transcende. Il en rajoute, naturellement, afin de bien se conformer à son image de génie ébourrifé composant dans les éclairs des orages romantiques. Mais c'est bon. Plus il en rajoute, meilleur c'est. Dépassant le concept d'authenticité de l'émotion, il atteint le second degré de l'expressivité. Pas subtil, certes. Chopin en frémirait et désapprouverait (ce qu'il a d'ailleurs réellement fait), mais l'absence de subtilité devient une qualité essentielle dans cet exercice majeur de surpassement où l'artiste s'autoflagelle pour atteindre les extrémités paroxysmiques du génie. Et il les atteint. Grandiloquent, théâtral, grotesque, tout cela s'effondre dans cette quête généreuse de l'absolu et du sublime.
CONCERTO POUR FLÛTE, CLARINETTE ET ORCHESTRE DE SALIERI
Cela change de l'éreintement systématique qui a été fait de Salieri sur une certaine liste. Pour ma part, j'attends de l'avoir écouté pour me prononcer, naturellement. J'ai a priori une bonne opinion de Salieri par la connaissance de son concerto pour flûte, clarinette et orchestre, une merveille à mon avis qui présente la particularité (toujours à mon avis) de ne comporter aucun passage faible de la première à la dernière note. Rares sont les concertos qui réussisent cet exploit, me semble-t-il, surtout au 18e siècle. Egalement richesse autant mélodique qu'harmonique sur une thématique pourtant proche du style galant.
MOZART ADMIRÉ
C'est la vérité, Mozart était effectivement très acerbe à l'égard de ses collègues, à l'égard de Clementi, mais pas seulement. Ses concurrents furent plus élégants à son endroit, quoique leurs compliments (ceux de Clementi par exemple) sont sans doute plutôt des propos de politesse conventionnels... que la postérité a transformé en preuve d'allégeance envers son génie supérieur. La vassalisation docile des concurrents ainsi que l'investiture par les "grands" (Haydn) étant les étapes obligées de la construction du mythe.
SCLÉROSE
C'est ce que je nommerai la sclérose des compositeurs âgés. Elle se caractérise par un rigorisme excessif, une nette diminution des valeurs liées aux sens et à l'imaginaire, un retour au traditionalisme ou alors une fuite vers un idéalisme stérile. C'est l'inverse du bouillonnement juvénile. Les exemples pullulent, de Liszt à Falla en passant par Albeniz ou Bach (par l'esprit déjà vieillard à la trentaine). Quant aux Russes, qu'ils soient compositeurs ou écrivains, beaucoup ont sombré dans la folie ou une sorte de névrose idéaliste schyzophrène, Tolstoï par exemple, Gogol, Scriabine. Naturellement, les Intellectuels, jamais à court lorsqu'il s'agit de nier par tous les moyens le génie, la liberté et l'explosion des sens, voient dans ces oeuvres tardives une expression supérieure de la maturité et la plénitude de la pensée. C'est ainsi que l'on voit louer la "Sonate en si mineur" de Liszt et dénigrer ses rhapsodies comme des égarements de jeunesse. Certains compositeurs échappent-ils à cette sclérose. Tiens, par hasard, c'est là que l'on retrouve "l'obscur compositeur acédémique" ou, à défaut, le "vieux pleurnichard".
RODRIGO CONCERTOS
J'ai trouvé il y a quelques temps 2 rodrigos à bas prix chez mon
disquaire, 2 CD Naxos, label, qui, apparemment vise à une intégrale de l'oeuvre
pour orchestre. L'exploration de ce CD réserve bien des surprises sur
le plan stylistique.
Le "concerto in modo galante" n'est pas une oeuvre qui se laisse découvrir facilement. Rodrigo y exprime un sens de la virtuosité rare pour le violoncelle. Plus envoûtant encore le "Concerto como un
divertimento" lui aussi pour violoncelle et orchestre l'"Allegretto" nous dévoile la même virtuosité éblouissante que le Concerto in modo galante. L'"Adagio", un essai de
radicalisation du style rodrigien par un compositeur conscient de son
originalité et désirant la pousser jusqu'aux confins du modernisme . Modernisme
maîtrisé sans aucune fausse
note, il faut le concéder, modernisme d'un tonalisme absolu, se
caractérisant plutôt par la recherche des sonorités inusités, des
timbres. On est loin du grotesque ridicule d'un Chostakovitch ou de la bouffonnerie d'un Lajtha.
Le sens inné de ce qui est "musical" au sens fondamental du terme prime
toujours chez Rodrigo au milieu des débordements cacophonistiques du
siècle. Même les effets instrumentaux les plus bizarres, se fondent dans une pâte harmonieuse. L'"Allegro", une succession heureuse de motifs
pseudo-galants rapides expérimentant des effets originaux au
xylopone, à la trompette pianissimo... et d'un lage motif mélodique
d'une teinte fortement rhapsodique. L'extase
dans ce mélodisme mélismatique qui atteint la volupté supérieure,
l'extase absolue. Nous ne sommes pas encore au bout de
nos surprises avec ce CD. "Cançonneta pour violon et orchestre à cordes".
Est-ce bien du Rodrigo que nous entendons, cette mélodie sombre qui
nous entraîne dans les catacombes de la musique, ce motif orchestral lui
aussi halluciné, presque morbide. "Andante religioso", c'est le titre que je
donnerai volontiers à cette oeuvre qui rappelle l'oeuvre du même nom d'Halvorsen.
Que vient faire cette brume nordique, cette nuit étouffante après ces
éclairs ensoleillés? Oeuvre prenante parfois, témoignant de la recherche
stylistique tous
azimuth que pratique Rodrigo en osmose avec les formes les plus avancées
du "néoclssicisme moderne" si on me permet cet oxymoron.
Le CD contient le "Concerto de esto" pour violon dont j'ai déjà fait une
recension il y a quelques mois. Je rappellerai le sublime (à mon avis)
mouvement lent de cette oeuvre, d'une teinte rhapsodique très saisissante.
BOURRAGE DE CRÂNE ET HALLUCINATIONS SONORES
Il fut un moment où l'on ne pouvait pas ouvrir France musique sans entendre du Gustav mahler, dites-vous. Bourrage de crâne à propos de Mahler, Bach et Mozart! Ce n'est pas
possible, vous avez certainement eu des hallucinations sonores et
visuelles. Cela m'est arrivé, j'ai tenté de me soigner, mais sans
résultat, elles reviennent toujours.
PIERNÉ - CONCERTOS SIFFLÉS CHEZ COLONNE
Malheureusement, Pierné n'a pas la clarté de Saint-Saëns. Je n'ai guère
trouvé de thème digne d'être retenu dans son concerto. Quant aux
concertos sifflés chez Colonne, Jankélévitch en fait état également.
C'est une manifestation de l'esprit de sérieux de la part de mélomanes
se révoltant contre la bravoure concertiste, représentant pour eux une
expression musicale inférieure. Cette réaction se trouve plus ou moins
exprimée chez de nombreux auteurs et commentateurs jusqu'au milieu du 20e siècle
et plus. On rencontre très souvent associée à cette réaction la critique du romantisme.
Les grandes oeuvres, ce sont les oeuvres intellectuelles sérieuses,
c'est-à-dire particulièrement les oeuvres contrapuntiques, et le sommet
est représenté par Bach. Voilà toute la philosophie musicale exprimée
par les philosophes de la musique. On peut remonter à Platon qui critique la musique capable d'exprimer des sentiments et se prononce pour une conception spartiate de cet art évacuant toute affectivité.
NOTORIÉTÉ ACTUELLE DE HAYDN
Bien difficile sans doute de juger l'importance accordée à Haydn durant le 20e siècle. Depuis ce siècle, il est un des 2 "grands" classiques de la seconde moitié du 18e siècle, les autres compositeurs de cette période n'étant considérés que comme de petits compositeurs. On savait déjà au début du 20e que Haydn n'était pas le "père de la symphonie" (malgré les protestations scandalisées d'un certain mélomane distingué d'une liste concurrente). Cette depossession du titre de nivateur a-t-elle influé sur sa notoriété. Probablement pas. Quant à l'impact de Haydn sur le public, il semble tout de même, à mon sens, que l'importance réelle de Haydn pour les mélomanes demeure problématique. Aucune de ses symphonies (dont il est le spécialiste) n'a obtenu une notoriété comparable à la 40e de Mozart. Comparé à Mozart qui a multiplié les oeuvres célèbres (relativement), Haydn me paraît plutôt (en considération de sa position de "grand classique") en situation difficile. Il apparaît plutôt comme un "grand classique" à la dérive qui ne survit guère que par une notoriété acquise antérieurement. C'est du moins l'impresison que j'en ai.
Voici ce qui dit Robert Bernard dans son histoire de la musique:
"D'un mot, on peut résumer la question en disant que Haydn ne sera jamais populaire. Mozart l'est davantage. Beethoven incomparablement plus, non pas que leur technique soit plus rudimentaire, mais grâce à des équivoques d'ordre sentimental. Aux effusions de tendresse mozartiennes et au pathétique beethovénien sont sensibles des auditeurs dénués de toute connaissance." (fin de citation)
DÉFENSE DES "GRANDS CLASSIQUES" ET HASARD
Très cher mélomane, croyez bien que je n'énoncerais moi aussi que des
lapalissades. J'attendais le moment délicieux de vous répondre sur
cette liste après l'avoir savamment provoqué, de vous enfermer dans les
rets de ma dialectique et, enfin, de vous porter l'estocade. Mais,
savourons cet échange. Nous voilà revenu à la grande époque.
Oui, un message sur plusieurs milliers qui prône la supériorité obligatoire des "grands classiques", n'est sans doute pas significatif, mais, n'ayant pas votre goût pour la compulsion des archives, j'ai
tout simplement ouvert ma boîte pour lire quelques messages
de votre liste (oh pardon, cher mélomane, j'oubliais, je voulais dire la
liste dont vous êtes le brillant modérateur) et, par un hasard
extraordinaire, je tombe sur celui-ci. Ce fut identique hier ou
avant-hier. Sans doute s'agit-il d'un méchant effet du hasard défiant
les lois de la probabilité.
RÉPONSE À UN MODÉRATEUR
Vous vous targuez d'être un chantre des compositeurs peu connus à tel point qu'on vous critique sur votre liste pour cette insistance. Mais ce n'est pas parce qu'on se gargarise de noms peu connus dans
un esprit d'érudition que l'on considère automatiquement que ces noms
(ou ces oeuvres) atteingnent la valeur des "grands noms" (ou de leurs
oeuvres). Là-dessus, vous vous gardez bien d'éviter toute comparaison gênante.
La supériorité d'un compositeur sur un autre (ou une oeuvre) n'a pas de sens, dites-vous. Je n'ai jamais circonvenu à ce principe, mais un grand nombre de
mélomanes de votre liste le transgresse, si j'en juge par le nombre
d'affirmations péremptoires qui s'y trouvent formulées. Je n'attache pas particulièrement à votre
liste cette constatation. Souvenez-vous du fameux "bien sûr" sur notre
liste à propos de la supériorité obligée de Mozart sur Salieri. La
différence ne réside pas là, mais dans le fait que sur une liste on
peut débattre du sujet sans se faire insulter, ce qui n'est pas le cas
dans l'autre.
Vous n'avez jamais vu qu'on écrive: "Sgambati est supérieur à Mozart" ou l'inverse.
Toute mon admiration pour l'adresse avec laquelle vous avancez cet
argument, cher mélomane distingué, c'est la flèche du Parthe. Pour reprendre votre
exemple,
connaissant si peu l'oeuvre de Mozart et encore moins celle de
Sgambati, il me serait difficile de porter un tel jugement. Ce
serait effectivement possible pour des oeuvres particulières, quoique je
ne saisis pas
trop la pertinence de comparer ces deux compositeurs appartenant à des
siècles différents. Sur le plan critique, s'il m'arrive de comparer des oeuvres, c'est purement une constatation par
rapport à mn jugement subjectif. La comparaion du jugement sur les
oeuvres, de même que la critique négative, si elles chagrinent certains
esprits délicats, me paraîssent pourtant le corollaire d'une critique
crédible. Mais, voyez-vous, ce qui me paraît
bizarre, c'est que la comparaison n'offusque ces esprits délicats (dont
je n'aurais pas l'outrecouidance d'affirmer que vous en êtes)
que si elle est forumulée dans un sens et jamais dans l'autre. Vous qui
êtes un si brillant analyste (et non moins brillant dialecticien), sans
doute pourrez-vous m'expliquer ce mystère.
Malgré vos dénégations, très cher mélomane distingué, votre
semble bel et bien le temple de la bienpensance musicale, le sanctuaire
de l'orthodoxie dogmatique atonale, la forteresse d'esprits frileux pour
lesquels toute remise en cause de l'historiographie conventionnelle est
repoussée comme un dangereux révisionnisme hérétique. Ce temple, vous en
êtes le grand pontife. Vos ouailles, il faut l'avouer, n'ont pas votre
style policé, elles versent fréquemment dans la franche vulgarité pour
parer d'un vernis de révolutionarisme leur traditionalisme foncier. J'ai
eu, il est vrai, parfois la faiblesse de me commettre dans ces échanges
plébéiens.
BIONDI ET CARMIGNOLA
Je pense qu'il y a beaucoup d'affectation dans le discours de Biondi. Il
veut montrer que l'éloge de Vivaldi par un de ses interprètes les plus
connus (lui) serait une attitude conventionnelle. Il manifeste donc du
dédain pour montrer qu'il se situe à un niveau supérieur. Sous-entendu,
peut-être, l'éloge absolu de Vivaldi, c'est bon pour un artisan
simpliste comme Carmignola. Car Carmignola, ce n'est pas le même genre.
un type gentil, humble qui voue une admiration sans borne, chaleureuse
pour son compositeur, Vivaldi. Lui, Biondi, méprise cette attitude qu'il
juge primaire et il fait ainsi le grand seigneur devant le public.
Enfin, c'est mon interprétation.
IMPROMPTUS DE SCHUBERT
Schubert est-il un mauvais compositeur du fait qu'il ne connut pas la
notoriété de son vivant et parce que sa gloire post-mortem est l'oeuvre
de l'intelligensia musicale? Pas nécessairement si j'en juge d'après ses
Impromptus. Opinion personnelle évidemment. Les Impromptus D899 et D935 me semblent montrer chez
ce compositeur l'étoffe d'un génie mélodique et harmonique. Cette
alliance des effets mélodiques et harmoniques ne me surprend pas. j'avoue
avoir très rarement rencontré la manifestation du génie mélodique sans
celle du génie harmonique et inversement. Et j'ai plutôt tendance à
penser que les compositeurs que l'on prétend essentiellement des génies
harmoniques ne possèdent ni le génie harmonique ni le génie mélodique. La
consubstantialité des effets mélodique et harmonique me paraît consécutive
de la parenté de ces deux expressions, s'il est possible de les
séparer. Historiquement, l'harmonie n'a pu se développer que grâce au
développement de la monodie à partir du 17e siècle. En second lieu, le développement de l'harmonie, historiquement, n'est pas postérieur à celui de la mélodie. La consubstantialité est appuyée par la concomittente historique. Donc, à propos de
Schubert, je m'incline. Certes, sur l'intégrale de ces impromptus et des
"Moments musicaux", beaucoup de déchets à mon avis. Les "Impromptus D946",
les "Moments musicaux D780", auxquels on peut ajouter les "German Dances
D960" représentent à mon sens une longue série de travaux laborieux,
quasi scolaires, sans la moindre ambition artistique. Schubert, qui a
beaucoup composé malgré sa mort précoce, a sans doute multiplié ce genre
de page à l'écriture amorphe, mais est-ce si rhédibitoire? Concernant
la notoriété post-mortem, on ne pourra établir le parallèlisme avec
Bach. Tout d'abord, Schubert présente un véritable tempérament
d'artiste, on ne peut le nier contrairement à Bach qui se présente comme
un parfait fonctionnaire à l'esprit traditionaliste. En second lieu, l'absence d'ambition
professionnelle (contrairement à Bach), le marginalisme artistique de Schubert (pas encore à la mode à son époque) peut
expliquer que sa réputation n'ait pu s'établir de son vivant. Trop
artiste pour cela, sans doute. En troisième lieu, il ne faut pas oublier
la carrière extrêmement brève du compositeur, mort, si je me souviens
bien (?) à 31 ans, plus jeune que Chopin ou Mozart, me semble-t-il. Si je me souviens
bien encore, ses dernières prestations avaient commencé à conquérir le
public.
Bref, pour revenir à la mélodie, chez Schubert, mélodie cantabile,
simple, captivante souvent malgré sa simplicité (par exemple dans le 2e
impromptu du D 935). Une simplicité qui n'est pas simplicisme et montre
l'importance de la spécificité thématique, laquelle échappe à toute analyse. En revanche, le 4e de la même
série nous révèle un Schubert à l'art plus complexe, au pianisme très
virtuose. Rare flamboiement d'un lyrisme passionné s'extériorisant avec
autant d'éclat chez ce compositeur intériorisé.
Sur le plan de la forme, Schubert, qui n'est pas un intellectuel, semble ne
consentir aucun effort. Il se contente souvent de passer d'un thème à
l'autre après l'avoir répété à satiété. Cela est-il rhédibitoire après
tout? S'il se prive des effets de "préséence" induits par les
réexpositions, l'essentiel demeure, l'attrait du thème lui-même par la répétition.
Les effets savants d'un Paganini par exemple dans la forme de ses
concertos ajoutent-ils véritablement à la valeur de ces oeuvres?
Peut-être. On peut être admiratif devant une telle intelligence, un cerveau d'une
telle compétence d'ordre organisationnel dans la pensée, qui a su
élaborer un type de concerto pour lui-même par la succession de phases
comparables d'un concerto à l'autre, mais ces concertos ne valent-ils pas principalement par l'irrésistible lyrisme qui les traverse et rend bien mince l'intérêt formel? Cas unique sans doute dans l'histoire. Certes, mais le "Concerto n°1" de
Tchaïkovski, n'obéissant à aucun plan rigoureux (apparemment, du moins), n'est-il pas aussi
satisfaisant?
OPÉRAS DE VIVALDI
Dans Orlando furioso, c'était plutôt l'inverse, l'acte I était génial, mais le second me paraissait assez vide d'inspiration. Même constat pour le Farnace. Pourquoi cela? Peut-on trouver un opéra de Vivaldi génial de bout en bout. Existe-t-il même de tels opéras chez d'autres compositeurs. Carmen de Bizet, à mon avis, n'échappe pas à la même critique. Pas si mauvaise la réaction de la fille qui s'en va car elle trouve que c'est nul. C'est assez sain de constater que le public possède un véritable jugement et qu'il refuse de s'ennuyer.
DISCOTHÈQUE IDÉALE DU "NOUVEL OBSERVATEUR"
"Le Nouvel observateur", périodique mensuel d'actualité politique, vient de publier dans son numéro du 18 décembre une "Discothèque idéale" destinée à fournir quelques idées pour les cadeaux de Noël. On me dit souvent que les acheteurs n'ont jamais lu une histoire de la musique avant d'acheter un enregistrement, ce qui est certainement vrai. Voyons si la hiérarchie évoquée par ce magazine, beaucoup plus lu que les histoires de la musique, est différente.
Tout d'abord, le préambule affirme:
"Nous avons sélectionné, sinon arbitrairement du moins subjectivement, et avec beaucoup de regrets, 70 compositeurs : les plus grands."
Que penser de cette phrase qui reconnaît en son début l'arbitraire, la subjectivité et qui affirme le contraire en sa fin, l'existence d'un ensemble de compositeurs qui sont "les plus grands". (?) La croyance en une absolue vérité de l'électisme historique n'est pas morte, elle n'a jamais, même, été entamé par la réflexion critique.
Voyons maintenant la hiérarchie.
Plusieurs groupes appariassent si l'on considère l'importance des discographies conseillées:
-les très grands:
Bach, Beethoven, Brahms, Mozart, Schubert, Schumann, Wagner
L'on est donc toujours pas sorti du noyau dur Austro-Allemand de la hiérarchie conventionnelle
-les grands
Berlioz, Debussy, Haydn, Liszt, Prokofiev, Purcell, Rameau, Strauss, Wolf, Verdi, Haydn, Haendel, Purcell
-les moyens
La plupart des autres compositeurs connus.
-les absents
Parmi les absents connus, j'ai remarqué notamment Grieg, Paganini. il y en a sans doute d'autres auquels je ne pense pas.
Remarque:
Boulez occupe plus de place que Vivaldi. Rien d'étonnant, j'avais trouvé le même résultat dans l'histoire de la musique Larousse (2000). De même, Boulez est plus côté que Saint-Saëns ou Stockhaüsen.
Dernière remarque, les récents succès de Cecilia Bartoli avec des opéras de Salieri, Gluck et Vivaldi n'ont laissé aucune trace et les rédacteurs les ont jugés indigne d'un cadeau de Noël. Comme ils l'avaient si bien dit au début de leur article, place aux grands.
DISCOTHÈQUE IDÉALE DU "NOUVEL OBSERVATEUR" S'ÉCLATER AVEC DU MODERNE OU DE L'ANCIEN
69 compositeurs en tout sont cités dans cette discothèque idéale, dont Berg, Froberger, Gesualdo, Kurtag, Machaut, Lassus, Ligeti, Wolf. Peut-être est-il possible de s'éclater avec ces compositeurs. Je les connais assez mal ou pas du tout. Si vous aviez une cousine, feriez-vous sa joie en lui offrant du Varèse ou du Wolf? Peut-être. (?)
Qui peut nous dire sur cette liste s'il s'est éclaté avec du Guillaume de Machaut?
Novak, c'est sans doute trop demander à ces auteurs de le citer, mais Dvorak est indiqué avec une seule oeuvre, les quatuors. Or, l'article, dans le préambule, disait:
"Dans leur production, nous avons choisi leurs chefs-d'oeuvre, ceux qui constituent une discothèque de base."
Donc, pour ces gros cerveaux, la "Symphonie du nouveau monde" n'est pas digne de figurer dans une discothèque de base. Pour ma part, mais cela n'engage que moi, je considère que cette symphonie grandiose, un des chefs d'oeuvre du genre, mérite de figurer parmi les oeuvres essentielles qu'un mélomane doit posséder. Je serais tenté d'ajouter aussi le Concerto pour piano de Novak, d'une originalité rare à mon sens, qui explore une facette peu connue de l'impressionnisme musical. Janacek est cité avec 3 oeuvres (que je ne connais pas), mais rien de Smetana, auteur à mon avis d'un des plus bouleversants quatuors, le "quatuor de ma vie" dans lequel le compositeur se fraye une voie unique, bien loin des modèles connus. Mais, bon, bien d'autres compositeurs sont oubliés, Vieuxtemps, Viotti, Bottesini, Kabalevski, Halvorsen... Il est évident que chacun ne peut y retrouver ses préférés. Il reste néanmoins que l'absence de figures historiques comme Paganini ou même Viotti qui infléchirent la destinée de la musique peut difficilement se concevoir.
SENSIBILITÉ MUSICALE ET TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Pour l'instant, je n'ai écrit que de la critique musicale et un article de synthèse. En matière de connaissance, je vous invite plutôt à lire les auteurs que je cite, ce sont eux les vrais connaisseurs. La critique musicale ne fait appel qu'à la sensibilité de l'auditeur, elle est dévolue à l'esthète, non au technicien ou au savant.
Vous me demandez si je maîtrise un instrument. j'avoue ne pas vraiment saisir l'intérêt de cette question posée à un critique, mais puisque vous la posez. Je maîtrise le piano. Les dernières oeuvres que j'ai jouées, il y a maintenant bien longtemps, étaient les études de Liszt d'après Paganini et la Polonaise militaire de Chopin, que je jouai, il est vrai, assez mal. J'avoue parfois éprouver des difficultés à juger des oeuvres que j'ai beaucoup répétées, non particulièrement celles-ci, abordées assez tard, mais certianes Mazurkas de chopin abordées plus tôt. C'est peut-être la seule commentaire intéressant que je puis apporter sur la relation entre la perception musicale et l'acquisition de la technique instrumentale, relation négative dans ce cas. Comme le remarquait le musicologue Alexander Waugh:
"Il n'est pas prouvé que l'acquisition d'une technique instrumentale développe la sensibilité musicale"
J'ai depuis abandonné le piano et ne compte pas en reprendre l'étude. Sans doute me suis-je avisé que la critique était beaucoup plus facile que l'art.
MENUHIN, LE VIOLON
Menuhin, je ne sais pas pourquoi, je ne l'ai jamais bien apprécié. Je trouve qu'il ne vibre pas, il me paraît flegmatique. Je préfère même Biondi, c'est dire.
Un violon, je ne crois pas en avoir tenu un de ma vie, mais il me semble l'avoir rêvé, de ces rêves dont on ne sait si on les a réellement rêvé, vécu il y a longtemps ou vécu dans une vie antérieure.
DE L'IMPORTANCE DES SÉLECTIONS D'OEUVRES
Aucune bibliothèque idéale, aucune sélection ou liste d'oeuvres préférées n'a de valeur, sans doute, mais il n'empêche que ces
listes existent et exercent une influence sur l'acheteur - comme par
hasard toujours dans le même sens. Rien ne sert d'ailleurs de les
anathémier lorsqu'on approuve justement la hiérarchie qu'elles imposent
et que l'on s'insurge contre toute vélléité de contestation.
DÉCONSIDÉRATION ET RECONSIDÉRATION
Ma chronique traite, vous ne le devineriez jamais des virtuoses-compositeurs. Réponse à quelques propos désobligeants de la part de Georges Piccoli dans un ouvrage de 1954 (Histoire du violon). Ce qu'il est intéressant d'observer une fois de plus, c'est la date relativement tardive de l'édition. L'ouvrage ne commence sa carrière qu'à partir de cette date. Pour un ouvrage de ce type, il est resté probablement en rayon et disponible chez les libraires pendant plus de 15 ans. Ce serait moins vrai aujourd'hui où le "turnover" des ouvrages est plus rapide. Bref, cela signifie que la déconsidération des virtuoses-compositeurs et la persistance des poncifs à leur sujet s'est poursuivi pendant la seconde partie du 20e siècle. Je constate le même phénomène dans les notices accompagnant les vynils jusqu'en 1970 et plus, notamment à propos de Saint-Saëns. Si la reconsidération de Saint-Saëns a commencé avant 1950, cela ne signifie pas que sa déconsidération a disparu automatiquement.
RODRIGO OEUVRES POUR GUITARE
Rodrigo Concierto madrigal, Concierto para une fiesta (Ricardo Gallen et
Joaquin Clerch, guitare, Asturias Symphony Orchestra avec Maximiano
Valdes. Audible, dirais-je, sur l'ensemble. Pas le grand enthousiasme,
loin de là. Pourtant, dans le Concierto para una fiesta, des bribes de
motifs mystérieux, d'une certaine couleur sibélienne ou rappelant même
Khatchaturian. Rien à mon sens cependant qui n'élève cette oeuvre
au-dessus d'une certaine originalité, notamment orchestrale, mais qui
n'atteint jamais un intérêt thématique suffisant. Manque d'audace, mais
surtout manque d'ambition, à mon avis. Le Rodrigo des oeuvres pour
violoncelle ou violon que nous avions considérés dans un message
précédent me paraissait d'une autre trempe. Est-ce la guitare qui
rapetisse l'imagination des compositeurs? A de rares exceptions prés
comme le fameux "Concerto de Aranjuez" du même Rodrigo ou le "Concerto" de
Castelnuovo-Tedesco, je serais tenté de le penser, même si je risque les
foudres des amateurs de cet instrument. Instrument riche de possibilités,
oui, certes, expressif, impressionniste par lui-même, oui, mais où est
sa littérature? Pour l'instant, si peu d'oeuvres me convainquent, mais,
il est vrai, j'en connais si peu. Guère mieux à mon avis pour le
"Concerto madrigal". Même des facilités outrageuses dans le premier
mouvement. Heureusement, le "Zapateado" nous réserve une cadence, une
vraie, dans l'esprit des cadences solistiques pour le piano ou le violon,
c'est-à-dire une cadence réellement lyrique. Par l'ambition au moins
car, sur le plan thématique, elle ne me convainc qu'à moitié.
Heureusement aussi, pour sauver l'honneur (de la guitare), cette "caccia"
terminant l'oeuvre. Un rhapsodisme bienvenu, et du tonus, du vrai, qui
n'est pas de la facilité. Tout cela ne me paraît tout de même pas
génial. je ne conseillerais donc pas ce CD Naxos, concevable à mon sens
dans le cadre d'une intégrale, mais non dans celui d'une parution
isolée. Les amateurs de guitare peuvent l'écouter. Oui, avait-je dit:
écoutable.
CONCERTOS POUR FLÛTE, BASSON HAUTBOIS DE VIVALDI
Ecoutable sans plus cette Pastorella présentée par Hélios avec The Chandos Baroque Players (RV105, RV95, RV107, RV878, RV86). Dans ces concertos pour flûte, basson, violon, hautbois, ce qui frappe le plus l'oreille (désagréablement) est le clavecin! Quand est-ce que les baroqueux comprendront la différence entre la musique baroque composée vers 1700 et celle composée vers 1730! Quoi qu'il en soit, aucun de ces concertos vivaldiens ne me paraît digne d'un intérêt supérieur. Doit-on en conclure comme le fait rapidement Biondi qu'avec les opus de Vivaldi édités, l'on a découvert le principal? Non, à mon avis si je me réfère aux dernières parutions révélées par Carmignola ... et Biondi lui-même, qui n'en est d'ailleurs pas à une contradiction près. Le RV 273 (par Carmignola) me parait un des plus grands concertos du maître vénitien. Et les 4 concertos in due cori, à mon avis parmi les meilleurs de Vidaldi avec les 4 saisons, n'ont jamais été édités. Pas plus de déchets à mon avis (peut-être même moins) dans ce CD Sony de Carmignola que dans l'opus 3. Et à mon avis moins que dans l'opus 9, d'intérêt extrêmement variable. Vers la fin de sa vie, Vivladi préférait vendre ses concertos à des clients fortunés plutôt que de les éditer. Après le scandale qu'a pu constituer la prestation des concertos pour flûte par Barthold Kuijken (des concertos quasi-scolaires), après une série de concertos pour orchestre d'insipidité décourageante (un CD que j'ai d'ailleurs perdu peut-être volontairement chez moi pour ne pas en référer sur mon site), faut-il conclure qu'après toute la production du violoniste compositeur qui a révolutionné la musique du 18e n'est pas plus admirable, dans l'ensemble, que celle de n'importe quel "grand classique"? Je mettrai tout de même dans la comparaison la série, pour moi essentielle, des quelque 15 ou 20 concertos pour haubois. Je ne bénéficie sans doute pas d'un échantillonnage d'oeuvres suffisant pour établir la comparaison. La supériorité que je vois chez certains grands virtuoses-compositeurs comme Vivaldi sur les grands classiques s'appuie surtout par comparaison entre les oeuvres principales les plus connues et je ne puis étendre ma remarque à leur entière production.
SONATES POUR PIANO ET VIOLON DE GRIEG
Nous nous rejoignons comme vous allez pouvoir le lire dans la suite de ce message. Redécouverte cette semaine pour moi des sonates pour violon et piano de Grieg avec Ivan Zenaty violon et Antonin Kubalek piano CD Dorian Recording. Ces oeuvres que je connaissais déjà m'ont encore plus séduites et je suis poussé à les revaloriser par rapport à l'excellente opinion que j'en avais déjà. Interprétation à mon avis pourtant assez nulle. Bien inférieure à celle de Pierre Amoyal qui communique à ces pages une énergie électrique. Celle de Zenaty accuse une mise en relief bien timide du violon par rapport à un piano envahissant. La logique de la partition est pourtant l'inverse. Inconcevable qu'avec les techniques de prise de son actuelles l'on ne puisse régler correctement la balance des instruments. Mise à part Saint-Saëns (à ma connaissance), le piano dans ce type de composition joue un rôle de second plan par rapport au premier occupé par le violon, ce qui ne signifie pas d'ailleurs qu'il n'ait aucune importance. On en jugera notamment par les effets de fondu entre les deux instruments dans le sublimissime (à mon avis) troisième mouvement de la sonate n°3. Cet enregistrement, de ce point de vue m'évoque assez désagréablement ceux des sonates baroques où l'on entend quasiment que la basse continue qui ferraille. Quand va-t-on comprendre que dans une sonate pour piano et violon, ce dernier instrument doit occuper le premier plan. J'ai rarement entendu un violon aussi pâle et timoré que dans cet enregistrement. Mais le génie parle. Ces sonates pour piano et violon, à mon avis, comptent sans doute, avec celles de Paganini et les Danses espagnoles de Sarasate, parmi les grands chefs-d'oeuvre incontournables du genre. Ce qui expliquerait la campagne de dénigrement dont elles furent victime (et dont le compositeur Grieg fut victime), si j'en crois la notice de Kevin Bazzana.
"In 1948, the English music publisher and writer Alan Franck could write that two of Grieg's chamber works, the opus 45 violon sonata and the cello sonata,"
"were at one time immensely popular played, overplayed maybe. They have now dropped out of the concert repertoire, and Grieg's contribution to chamber music is almost forgotten."
Tout cela, me semble-t-il, pour protéger les productions des grands classiques (Mozart, Brahms, Beethoven notamment) dans ce genre, lesquelles me paraissent, je l'avoue, en comparaison, bien insipides. Ce dont Alan Franck atteste, c'est bien de la fracture entre le goût du public et celui édicté par une intelligentsia partisane qui tente de nier toute manifestation du génie par tous les moyens. Que reproche-t-on à Grieg dans ces sonates?: le traitement de la forme, approche intellectualiste normative qui indiffère le mélomane authentique. La fracture est entièrement consommée lorsque les prétendues élites considèrent comme des chefs-d'oeuvre les oeuvres de musique atonale que personne ne peut écouter. Le témoignage de Kevin Bazzana, montre une conception de la musicologie beaucoup plus objective actuellement et qui commence à révéler l'immense manipulation idéologique dont la musique classique fut l'objet. Nul ne peut plus maintenant le nier, sauf que certains ne peuvent décemment rejeter ce qu'ils ont adoré et admettre que leurs goûts musicaux ont été à leur insu téléguidés, ce qui est, il faut l'avouer, assez humiliant. Il y eut récemment la révélation au grand public du cas Salieri (avec le démenti du prétendu "complot" contre Mozart) qui peut commencer à faire douter certains du bien-fondé de l'électisme historique pendant les périodes d'obscurantisme musicologique. D'autres suivront sans doute. Le cas de l'opéra évoluant sur les mêmes sempiternelles partitions n'est pas unique, il peut être étendu aux oeuvres de musique de chambre notamment. Ce qui me paraît plus grave, c'est que ces mêmes sempiternelles partitions dans le cas de la musique de chambre n'ont peut-être pas la qualité de celles qui se sont imposées dans le domaine opératique, si j'en juge par quelques unes que je connais.
BACH MAINTENU AU SOMMET AUSSI LONGTEMPS
Est-il possible que les Intellectuels aient réussi à maintenir Bach si longtemps si ses oeuvres n'avaient pas de valeur et pas d'attrait pour le public, dites-vous.
Oui, cela me paraît possible pour plusieurs raisons
-Bach a pu obtenir un succès public grâce à des oeuvres inauthentiques
(cas de la Toccata BWV 565 qui est de Kellner). En France, l'Aria de
Gounod présenté sous le nom de Bach a fait connaître son nom (voir étude
d'Hennion et Fauquet)
-les oeuvres de Bach sont un support de l'activité cultuelle religieuse
-le phénomène de l'illusion intervient
-Bach se trouve au panthéon dans les ouvrages, mais son assise auprès du
public n'est sans doute pas aussi importante qu'on ne le croit. Il faut
distinguer comme le dit Belinda Cannone les faits de discours et la
réalité. Par exemple, au 18e siècle en France tout le monde vomit la
musique italienne, mais tout le monde l'écoute et semble l'apprécier. Cette constatation et ce raisonnement appliqués à Bach concerne tous les "grands noms", qui ne sont pas pour autant obligatoirement
de mauvais compositeurs, mais méritent-ils de représenter le haut de la
hiérarchie par rapport à d'autres?
THEORIES DE L'AUDITION MUSICALE
Je ne vous étonnerais pas si je vous dit que je ne retrouve nullement
mes sensations, impressions personnelles... dans ces théories de la perception et de l'intégration: théologique, psychanalytique et philosophique.
Elles me paraissent sous-tendues par l'idéalisme intellectualisant,
qu'il soit religieux, teinté de psychanalyse ou de philosophie.
N'oublie-t-on pas la dimension affective, le pathos, "l'érotisation"
fondamentale qui nous lie à l'oeuvre et feront que nous l'écouterons, la
réécouterons sans savoir consciemment le sens de ce que nous écoutons.
N'oublie-t-on pas également la dimension esthétique (élaboration sonore
trouvant en elle-même sa propre finalité)? Il est vrai que ce vilain
mot, rétrograde, voire réactionnaire, est honni de nos modernes théoriciens. Depuis la fin du 18e siècle, on a voulu montrer que la musique pouvait exprimer les idées les plus complexes, les plus cérébrales, les plus hautement philosophiques. Je plaide pour une conception plus directement sensuelle de la musique, ce qui ne signifie pas dans mon optique une limitation des signifiances dont l'art musical est capable.
MUSIQUE ET MATHÉMATIQUES
Je souscris à toutes les opinions formulées ci-dessous tendant à montrer
l'absence de rapport réel entre mathématiques et musique. Enfin, voici une
idée reçue entamée par une réflexion hors norme plus approfondie (à mon
avis). Je voudrais ajouter un commentaire en considérant le sujet sous un
autre aspect. Pour moi, la musique est un art qui ne peut être perçu que par
la sensibilité, c'est-à-dire par l'intuition, ce qui interdit toute
perception non seulement d'ordre mathématique, mais d'ordre analytique
consciente. Je pense qu'il ne faut pas confondre la "mathématisation" liée à
la musique par l'intermédiaire de l'Acoustique physique" et la
mathématisation qu'ont voulu y introduire certains compositeurs à l'époque
renaissante et jusqu'àau 18e siècle, c'est-à-dire la numérologie (par
exemple Bach qui est un exemple tardif). La numérologie me paraît être un
ordre conceptuel gratuit non perçu par la sensiblité musicale, donc ne
concernant pas la musique en tant qu'art.
DIABELLI AUX OUBLIETTES DE L'HISTORIOGRAPHIE MUSICALE
Découverte qui m'a profondément bouleversé ce mois-ci avec les sérénades
pour flûte, clarinette et guitare de Diabelli (CD Naxos). La quatrième Sérénade
représente peut-être une des oeuvres majeures de la seconde moitié du 18e
siècle. On ne sait qu'y admirer, me semble-t-il, le plus, du charme irrésistible des thèmes
galants dans les 1er, 3e et 4e mouvement, aux épanchement lyriques du second
mouvement. Un art consommé qui n'accuse pas à mon avis de faiblesse, dont
chaque note semble indispensable et nécessaire. Une exploitation remarquable de la rencontre entre 3 instruments à la sonorité propre. Une oeuvre qui rappelle les curieux quintettes pour
cuivres de Danzi. Rares sont
les oeuvres en plusieurs mouvements qui puissent accaparer l'intérêt de bout
en bout. Cette Sérénade fait à mon avis partie de celles-ci et je n'ai pas
hésité à la faire figurer dans ma liste des 70 oeuvres pour une discothèque
idéale. Vraiment, Diabelli, quel génie, quelle aisance, quelle faculté
d'exprimer divers registres et de dépasser la musique galante sans la nier,
d'outrepasser les effets de l'ultratonalité pour les marier avec la
dissonance.
Curieux, j'ai cherché dans quelques ouvrages pour voir comment les esprits
supérieurs de la musique avaient salué celui qui me paraît un incontournable
génie (opinion personnelle il est vrai).
Tout d'abord, le "Dictionnaire de la musique et des compositeurs"
(Albin michel, 1988). Manque de chance, on passe directement de Dessau,
Destouches à Dittersdorf, Donizetti, Dorati. Pourtant Diabelli me paraît aussi connu que Destouches ou Dorati. Bien. Passons au
dictionnaire des compositeurs de Vignal (2001). Progrès conséquent, Diabelli existe pour ce dictionnaire,
mais je dois rapidement déchanter:
"Ses activités de pédagogue et d'éditeur n'empêchèrent pas Diabelli d'être
un compositeur fécond, à l'inspiration spontané et agréable, quoique
imitative et sans grande
envergure. Mais s'il s'acquit une certaine célébrité, c'est moins grâce à
ses propres oeuvres que grâce à Beethoven" p 249
Est-ce admissible d'écrire dans un usuel, un dictionnaire de la
musique, un jugement subjectif que, pour ma part, je n'oserais même pas
affirmer dans un ouvrage de critique musicale? Et cela en 2001. Mais, bien
sûr, c'est moi qui suis un provocateur et absolument pas le rédacteur de ce dictionnaire de la musique.
Dans le même esprit, Combarieu (dont nous reparlerons sans doute plus tard), dans son "Histoire de la musique" avait écrit
en 1913 à propos de Vivaldi:
"Si les compositions de Vivaldi pour le violon, jadis si estimées, ne sont
pas tombées dans l'oubli, c'est grâce à JS Bach, qui en a transcrit 16. On
comprend peu d'ailleurs, ce qui put l'attirer vers ces oeuvres si pauvres,
si éloignées de ses habitudes d'esprit..."
Passons au célèbre dictionnaire spécialisé Grove:
"He taught the piano and guitar, and soon became known for his arrangements
and compositions."
puis (je résume)
[il fonda sa maison d'édition avec Cappri en 1819. Première oeuvres publiées
1799 (six masses à Augsbourg) La majeure partie de la notice est consacrée à
l'activité d'édition. Pas de bibliographie.
Come on le sait le dictionnaire Grove traite de tout ce qui concerne la musique classique, mais uniquement les compositeurs. C'est donc principalement en tant qu'éditeur de musique d'aest traité Diabelli. pourquoi pas s'il a eu une importance en tant qu'éditeur, mais est-ce admissible, en considération de sa notoriété à l'époque en tant que compositeur de consacrer si bien de place au compositeur dans cette notice. Ceci comparativement à bien des compositeurs dont traite le Grove et dont les noms sont, tout au moins pour moi, totalement inconnus.
Enfin, le dictionnaire Grove, un ouvrage beaucoup plus sérieux, même si on peut regretter l'absence
de
bibliographie des oeuvres musicales. J'apprends tout de même que Diabelli
fut édité
dès 1799, donc que sa célèbrité est antérieure à la fameuse proposition de
Variations sur sa valse qu'il fit et bien avant qu'il ne fondît sa propre
maison d'édition. Ceci ne semble pas correspondre avec l'affirmation du
dictionnaire précédent (?)
Le pire (ou le meilleur, comme on voudra) nous est fourni par un article de
journaliste (dans le supplément du Monde de la Musique décembre 2002). On ne peut donc pas dire que cette philosophie négative n'a existé qu'au 19e siècle.
"Sans Diabelli, la littérature de piano n'aurait pas été tout à fait ce
qu'elle est... Les mélomanes les plus exigeants auraient perdu l'un des
monuments les plus abrupts et les plus fascinants de toute l'histoire de la
musique: les Variations op 120 de Beethoven.... Médiocre musicien, mais
habile éditeur, Diabelli eut aussi le mérite d'être l'éditeur de
Schubert..."
Ce qu'il y a de particulièrement insupportable dans ce jugement de journaliste, c'est que non seulement il dénie tout intérêt à Diabelli en tant que compositeur, mais qu'il l'utilise pour magnifier un grand classique. Bien évidemment, avec la meilleure bonne foi du monde de celui qui croit détenir dur comme fer la vérité dès lors qu'il répète comme un perroquet les jugements établis.
Je remarque néanmoins que le dictionnaire Grove, certainement le plus complet des dictionnaire, rédigé par des musicologiques spécialistes, est encore celui qui présente le plus objectivement Diabelli et se dispense de jugement de valeur à l'emporte-pièce, sans fondement.
Mais encore une fois, la machine à broyer les génies a fonctionné admirablement. Je
me demande parfois si le meilleur moyen de redécouvrir des génies musicaux
n'est pas de rechercher les compositeurs qui ont essuyé le plus de
critiques, de sarcasmes et d'injures,
celles-ci étant souvent la rançon qu'impose la jalousie au succès et au
génie.
S'il est permis de penser que les jugements négatifs émis au 19e siècle à
l'égard de certains compositeurs n'ont guère de valeur, on doit penser parallèlement que
les panégyriques à l'égard d'autres compositeurs n'en ont pas plus. C'est
pourtant là-dessus (pendant le 19e siècle) que s'est constituée la notoriété
post-mortem de nombreux grands classiques du 18e siècle, en particulier un certain compositeur du 18e siècle considéré comme le plus grand génie musical de tous les temps et le Père de la musique.
Heureusement que les musicologues sérieux et certains artistes ne partagent
pas le point de vue, à mon avis, étriqué, de certains auteurs.
JUGEMENT DE VALEUR DANS LES DICTIONNAIRES
Si un dictionnaire devait se garder absolument de tout jugement de valeur (ce qui était ma proposition), il devrait consacrer, dites-vous, exactement la même place à tous les compositeurs. Et vous précisez que cette prétention est ridicule. Se garder de tout jugement de valeur, évidemment. Le jugement appartient au public, au critique, le rôle du musicologue est d'éclairer l'oeuvre. chacun à sa place. Si un musicologue porte un jugement en tant que mélomane, il doit écrire "Je pense que..." En revanche, il peut écrire en tant que musicologue "La 5e symphonie de Beethoven est considérée comme une très grande oeuvre", c'est là une donnée de fait historique sur le jugement constaté par une majorité de personnes.
Accorder la même place à tous les compositeurs, non je ne me souviens jamais avoir affirmé cela. En revanche, j'ai souvent critiqué l'importance à mon avis excessive accordée à certains compositeurs, c'est différent. Dans un ouvrage d'histoire de la musique, un choix doit être fait, c'est évident, on peut être amené à considérer les critères de ce choix, qui peuvent concerner à mon avis les domaines suivants:
-l'importance dans l'évolution du langage musical (par l'étude comparative des partitions)
-l'impact réel sur le public selon une perspective historique depuis le début de la carrière du compositeur jusqu'à nos jours en privilégiant le succès du vivant moins susceptible de manipulation (difficilement objectivable, je l'accorde, mais on peut y tendre).
Les mauvais critères sont à mon avis:
-la place accordée dans les ouvrages antérieurs
-l'importance accordée par la société musicale
-l'importance des "références" à un compositeur
INTÉRÊT DE LA FORME MUSICALE
Bien sûr, chacun peut prétendre ce qu'il veut sur l'importance de la forme
dans l'intérêt musical. Je pense que la structure a toujours été un des
moyens utilisés par les Intellectuels pour nier ce qui m'apparaît comme le
sens profond de la musique, le pouvoir de toucher l'âme manifesté par la partie la plus fondamentale de l'oeuvre: la thématique. D'autre part, les
efforts consentis par les compositeurs pour créer une structure ne l'ont pas
toujours été par ceux que l'on croit. il suffit souvent qu'un compositeur
soit ennuyeux pour qu'on lui prête facilement les mérites d'une forme
élaborée. A l'inverse, on a beaucoup déconsidéré Paganini qui est pourtant
parmi les créateurs de concertos pour violon un de ceux qui s'est le plus
préoccupé de structure et dont les concertos répondent à une structuration
très poussée. Et l'on n'a pas craint, à une époque où l'admiration pour la forme était devenue un critère démodé signant les esprits passéistes, de déconsidérer Saint-Saëns sous
prétexte qu'il accordait (par son discours) une grande importance à la forme, ce qui s'avère
totalement faux à l'étude de ses oeuvres. Tout cela ne me paraît reposer que
sur des présupposés tendancieux. De même, comme le remarque les musicologues
spécialistes (la musique occidentale chez Messidor), Vivaldi était un
excellent spécialiste de contrepoint (un "contrepoint très sûr", écrit le rédacteur), bien qu'il en ait usé assez peu par
choix musical. En revanche, Comme le remarquent aussi de nombreux
spécialistes, le contrepoint de Bach comportait de nombreuses fautes. Ces
fautes ont été déjà relevées par Fétis et confirmées par les spécialistes
modernes.
SYMPHONIES CLASISQUES
Haydn est-il un plus mauvais compositeur que ses contemporains? Oserai-je
dire que les symphonies de Haydn que j'ai écoutés ce mois-ci (2 CD Helios
symphonies 70, 71, 72, 42, 43, 44) m'ont parues meilleures que celles de
Stamitz, initiateur du genre avec Sammartini. Que personne ne se rengorge,
meilleures, mais à mon avis de si peu. Et par rapport à ce qui est nul (de
mon avis), le mieux n'est guère plus que nul. D'ailleurs seul le premier
mouvement de la 71 me paraît recéler quelqu'intérêt musical. Un bon
mouvement? Oui, mais sans plus à mon avis. Haydn, à mon sens, utilise le style
mannehimien sans manifester la moindre volonté d'en tirer de l'expressivité.
Il semble se complaire dans l'archaïsme et l'autosatisfaction. Les quelques
tours baroques qu'il a bien voulu conserver communiquent à sa manière une
dureté mécanique sans le charme si propre à ce style musical. La comparaison
avec quelques symphonies de Kraus datant de la même époque environ me paraît
significative. Pas pour autant géniales ces symphoniesde Kraus, à mon avis,
mis à part un mouvement de la sinfonia buffa. Sans doute le genre
symphonique n'a trouvé sa maturité, son efficacité que très tard par rapport
au genre concertant. Soyons honnête (au moins par rapport à ma propre subjectivité), bon nombre de symphonies de l'époque ne
me paraissent guère meilleures dans l'ensemble que celles de Haydn (celles
de Mozart, Pleyel, Cannabich). J'avoue fonder peu d'espoir sur celles de
Sammartini qui, à ma connaissance, n'ont pas été recréées. C'est avec celles
de Dittersdorf sur "Les métamorphoses d'Ovide", quelques décennies plus tard
(par rapport aux symphonies considérées ci-dessus de Haydn), que la
symphonie me paraît atteindre une véritable efficacité musicale. Et encore,
il ne faut pas exagérer, les procédés systématiques n'ont pas disparu de ces
symphonies "dramatiques" de Dittersdorf.
Guère mieux du côté de Myslivecek. un jeu violonistique évolué, utilisant
l'éargissement du jeu staccato à la fin de l'ère baroque, mais des oeuvres
(un CD Spraphon concertos pour violon sans numéros d'opus) que ne me
paraissent pas avoir trouvé leurs effets thématiques. Ni baroque, ni galant,
ni post-mannheimien, le style de Myslivecek me paraît dans ces oeuvres
s'évanouir dans le néant.
Il ne me reste donc à vous proposer que les oeuvres d'un autre virtuose
natif de Bohème, virtuose de la harpe celui-ci: Krumpholz. Il me paraît
confirmer dans ses sonates pour harpe solo ses qualités qui m'étaient
apparues dans sa fameuse Sonate pour flûte et harpe. Une utilisation sans
complexe de l'ultratonalisme propre au style galant, et pourtant cela
fonctionne, comme avec Diabelli. Pourquoi? mystère. Je ne cherche aucune
explication. Le génie mélodique, c'est cela, il échappe à toute analyse, et
c'est sans doute la raison pour laquelle les savants accordent plus de
considération à la structure qu'ils peuvent mieux comprendre et à l'harmonie
(qu'ils croient comprendre). Un jeune homme très sérieux qui m'écrivait ce
mois-ci (pour conspuer mon site, vous vous en doutez) me déclarait avec
emphase qu'il considérait avant tout dans son jugement la structure. La
structure, c'est profond alors que la mélodie, c'est superficiel. J'avoue
avoir été très impressionné. Si jeune, comprendre
déjà qu'il fallait mépriser la mélodie facile et considérer l'oeuvre au
niveau supérieur de la structure, avouez que c'est admirable. Quel cerveau!
Je me suis senti tout petit et honteux de considérer la musique par le
petit bout de la lorgnette. Pour ma part, lorsque j'écoute une oeuvre,
j'avoue que la structure est vraiment la caractéristique à laquelle je ne
pense jamais. Mais revenons à notre sujet. C'est Hanna Müllerova qui prête
son talent à Krumpholz dans ce CD Supraphon de sonates op 13 et 14 que je
vous conseille particulièrement, à moins que vous soyez, vous aussi, de gros
cerveaux et préfériez la structure.
Retrouvons encore les "mélomanes supérieurs" dans la chronique de ce mois
consacrée à un exercice de récupération très subtil qu'ils pratiquent à
l'égard de quelques virtuoses-compositeurs célèbres, ceux ayant pu échapper
par miracle aux anathèmes émis par les partisans de la musique austère, ceux
qui, selon le témoignage de Jankélévitch, allaient siffler les concertos
chez Colonne.
KRUMPHOLZ
Peu de nouveautés présentées ce mois-ci, à part le charme discret des
oeuvres pour harpe solo de Krumpholz. Ce compositeur venu de Bohème comme de
nombreux solistes de l'époque, vers la fin du 18e siècle, illustre à
merveille l'importance des répertoires spécifiques si négligés par les
ouvrages généraux. Les plus grands chefs-d'oeuvre de musique instrumentale
se trouvent-ils presque uniquement parmi les oeuvres symphoniques? C'est ce
qu'on pourrait penser lorsque l'on consulte la plupart des ouvrages
d'histoire de la musique. Sonder les répertoires spécifiques, dégager leur
importance historique réelle pourrait être la tâche du musicologue
d'aujourd'hui. Seul le répertoire pour piano semble considéré sur le plan de
l'importance historique, il n'en est rien pour la harpe, la flûte, la
guitare, la contrebasse, le hautbois... Quant au répertoire du violon, il me
semble totalement discrédité en ce sens qu'ancun violoniste-compositeur
n'est admis dans la cour des grands, contrairement à ce qu'il en est de
quelques pianistes-compositeurs. Il est vrai qu'un certain Robert Bernard
(qui n'est pas musicologue) avait rapidement expliqué pourquoi, en
substance: "Il n'existe guère d'oeuvres fondamentales pour violon et
orchestre". On pourrait lui faire remarquer qu'historiquement l'importance
de l'expressivité, du lyrisme dans la musique instrumentale s'est d'abord
manifestée dans le genre de l'oeuvre pour violon et orchestre et que le
genre du concerto de soliste fut inauguré pour le violon. De même le premier
développement de la virtuosité transcendante au 19e siècle.
Quant à ma nouvelle chronique, elle s'intéresse à la volonté de récupération
de certains virtuoses-compositeurs par "l'élite musicale". Vous y trouverez
une citation de Rebatet (encore moins musicologue que Robert Bernard), mais
si significatif de l'idéologie soutenue par la société musicale. Pourquoi
s'intéresser à ces
ouvrages sans intérêt musicologique, c'est justement une des étapes de ma
remise en cause des grands classiques et l'absence de valeur musicologique
des ouvrages et de ces auteurs qui soutiennent le panthéon
musical d'aujourd'hui en constitue l'argument essentiel.
THÉORISATION ET PRATIQUE DE L'ART
Vous savez, les propos de Tchaïkovski sur son art étaient d'une nature à mon
sens bien infantile, par exemple ceux gravés sur la stèle qui figure dans le
musée de Kline, près de Moscou. Croyez-vous que l'on doive accorder une si
grande importance aux déclarations des compositeurs? Il est vrai que c'est
une spécialité des modernes pour lesquels la théorisation semble parfois
représenter plus que le contenu musical. Les compositeurs du 18e siècle
évoquaient rarement leurs oeuvres sur le plan de l'analyse esthétique. Ils
n'éprouvaient pas la nécessité d'écrire sur ce qu'ils composaient.
Du reste, j'avoue apprécier assez peu Petrassi, modernisant à défaut d'être
sérialiste, et préférer de beaucoup son compatriote contemporain Garofalo,
qui commit le crime inexpiable d'avoir remis à l'honneur la mélodie honnie,
voire même, suprême horreur, d'avoir développé le style post-romantique
dépassé de Tchaïkovski.
LIEBERMANN - SCHARWENKA - ALBENIZ
Je n'ai pas cédé au charme du concerto pour flûte de Liebermann (CD Delos av"ec Andrew Litton) contrairement à certains membres. Le déclic ne s'est pas produit, pourtant l'oeuvre ne manque pas à mon sens de qualités sur le plan stylistique, mais qu'est-ce que signifient les qualités stylistiques, formelles...? Pas plus ne m'a séduit la musique de chambre de Scharwenka, dont j'ai déjà donné un compte rendu ici. Je retiendrais donc ce mois-ci la Symphonie n°1 de Barber et quelques pièces d'Albeniz (oeuvres déjà évoquées aussi). Je m'appesantirais donc un peu plus sur la chronique, bien qu'elle considère sempiternellement toujours les mêmes thèmes. J'essaie cependant d'y apporter une certaine diversité en changeant mes attaques de cible et les citations. Parmi celles-ci, il existe un foisonnement d'éloges à l'égard des grands classiques et de diatribes contre les virtuoses-compositeurs tel que je n'ai jamais l'embarras du choix.
C'est Satie qui est l'objet de mon questionnement sur les causes de notoriété d'un compositeur. Ce qui m'étonne toujours, c'est l'autorité automatique qui émane de la notoriété. Les doutes que l'on peut entretenir sur les causes de cette notoriété, voire même parfois certains faits prouvés sur l'authenticité des documents, n'y font rien. Je m'explique ce phénomène par la suprématie de la puissance sur la vérité, en ce sens même où détenir la puissance, c'est, par définition détenir la Vérité. Ce qui fait office de vérité, c'est la puissance, or la notoriété peut être interprétée comme l'expression de la puissance au sens nietzschéen. Tout n'est en somme qu'une relation de force. Les phénomènes relatifs à la musique ne semblent pas faire exception à cette loi. Que ces considérations philosophiques ne vous ôtent pas l'envie de découvrir Barber ou Albeniz, pour ceux qui ne connaîtraient pas les oeuvres présentées.
BARBER - ALBENIZ - LIEBERMANN
Parmi les oeuvres de ce mois-ci, je ne saurais mieux suggérer à ceux qui ne la connaissent la Symphonie n°1 de Barber (CD Naxos avec le Royal National Orchestra dirigé par Marin Alops), et plus particulièrement son dernier mouvement. Un mouvement digne d'une éruption volcanique. De l'énergie tellurique à l'état pur se développant avec la lenteur qui caractérise les phénomènes plutoniques. La référence à Sibelius s'impose pour évoquer cette expansion figée dans une arythmie pesante, mais aussi planante. Les différents pupitres s'adittionnent jusqu'à un déferlement final que ponctuent les soubresauts des percussions. Sublime, apocalyptique, titanesque.
Albeniz (CD Ensayo avec Esteban Sanchez), celui d'Asturias, la référence, avec des pièces jetées en vrac (Cadiz, Sevilla, Granada). Je ne comprendrais jamais rien à la logique qui a prévalu dans la production d'Albeniz depuis ses premières pièces jusqu'aux cahiers d'Iberia. A moins qu'il n'y en ait aucune. L'ensemble de l'oeuvre d'un Liszt est-elle plus lisible dans son développement? La Vega se veut une recherche d'une nouvelle dimension dans l'oeuvre d'Albeniz qui tente d'atteindre une complexité compositionnelle nouvelle. Vous avez déjà compris que pour moi cette pièce est nulle. Quand aux pièces sus-nommées, Cadix, Granada, oui, pour moi, du grand Albeniz, pièces ponctuées par des unissons farouches et des silences pathétiques, presque solennels. Il reste les Six feuilles d'album, des pièces plutôt mélodiques. On n'y chercherait en vain les harmonies envoûtantes de Cordoba. Elles ne me paraissent pas négligeables à la condition de se livrer à une audition plus intimiste.
Le reste, concerto pour flûte de Liebermann, non, je ne suis pas séduit par cette page à laquelle pourtant je ne saurais rien reprocher. Tout le monde semble la trouver sublime, pourquoi, je n'en sais rien. Trouvez-lui toutes les qualités, j'approuve, sauf qu'elle m'ennuie. En dernier lieu, l'oeuvre de musique de chambre de Scharwenka. Presque surréaliste d'écouter ces oeuvres d'un pianiste-compositeur où le violon domine. Un violon à mon avis assez fade. Qu'est-ce qui a pris l'éditeur de nous servir ces pièces? Je suis partisan des oeuvres rares, grand admirateur de Scharwenka, mais là, non, j'abdique.
CAUSES DE LA NOTORIÉTÉ D'UN COMPOSITEUR
Quelles causes interviennent dans la notoriété d'un compositeur? C'est la question que je pose dans ma chronique. On peut s'interroger cependant sur la pertinence de la question dans la mesure où seul semble compter le résultat, qui fait automatiquement autorité, qu'il soit établi ou non sur l'intérêt musical des oeuvres, et quels qu'aient été les moyens pour y parvenir. Vous vous fonderez votre opinion. J'ai choisi l'exemple de Satie, C'est une chronique à rebondissement, d'autres noms ne tarderont pas à suivre. Comment démontrer les rouages de l'établissement d'une notoriété. Qu'un compositeur utilise mobilise lui-même les moyens pour parvenir à cette fin ou que ce soient ses zélateurs qui le fassent à sa place quand il est modeste, aucune importance. Un seul fait importe: que la notoriété soit établie. C'est elle qui représente la Vérité, la réussite comme preuve de vérité, la puissance comme Vérité. Par définition même.
Barber, symphonie n°1 (CD Naxos), c'est ce que je vous suggèrerais dans mes nouveautés, notamment le 4e mouvement de cette oeuvre, une puissance calme et lente rarement atteinte en musique à mon avis, héritée de l'arythmie sibélienne. On se perd dans les méandres de cette construction amorphe aux plans multiples et mouvants. Et une finale apothéosique digne d'un crépuscule des dieux qui voit l'écroulement de cette nuée sonore. Si vous préférez: des pièces pour piano plus intimistes: Albeniz : Six feuillets d'Album par Esteban Sanchez (CD Ensayo). Plutôt l'Albeniz du Concerto n°1 que celui des pièces flamboyantes comme Asturias. Des pièces percutantes, il y en a aussi dans ce CD: Cadiz, Granada... distillant leurs harmonies sourdes, leurs unissons farouches, leurs silences pathétiques. Pour le reste, Liebermann, concerto pour flûte, rien qui ne me porte aux nues, pas plus Scharwenka: musique de chambre. Ecoutez plutôt ses chefs-d'oeuvre (à mon avis): Concerto n°3, les 5 polonaises...
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