MESSAGES DE LISTES 2002
RÉPERTOIRE POUR VIOLON
J'ai vu le site de la violoniste Hilary Hahn, certainement talentueuse, mais j'avoue
ne pas comprendre comment elle n'a jamais pu enregistrer la moindre oeuvre
des grands génies qui ont élaboré le langage violonistique et du concerto de
soliste: Vivaldi, Locatelli, Paganini, Viotti, Wieniawski, Vieuxtemps...
Son répertoire est le plus pur produit du laminage des grands
violonistes-compositeurs et le laminage de ceux qui ont créé le langage
musical lui-même propre au solisme, le concerto de solisme, la virtuosité
transcendante. Pour moi c'est la parfaite représentation de la décadence
musicale du répertoire. C'est comme si un pianiste n'avait jamais enregistré
ou joué en concert ni Chopin, ni Liszt, ni Tchaïkovski. Serait-il vraiment
crédible.
Cette tendance, malheureusement, est
bien générale en ce qui concerne le répertoire pour violon. Je viens de voir chez mon disquaire un coffret de Philips
intitulé "Grands concertos pour violon". là -dedans il y a uniquement 3 noms
: Beethoven, Tchaïkovski, Mozart. J'adore le concerto de Tchaïkovski, mais
soyons sérieux, présenter ces trois compositeurs en laissant dans l'ombre le
créateur du concerto de soliste et le créateur de la virtuosité
transcendante pour violon, est-ce bien sérieux. Pour moi, le répertoire pour
violon subit aujourd'hui une détérioration considérable au profit de
l'esprit minimaliste d'une certaine intelligensia musicale.
RÉPERTOIRE DES PIANISTE SET VIOLONISTES
Pour un pianiste, trouver son individualité avec le "Concerto n°1" de Tchaïkovsky, ce n'est sans doute pas une entreprise évidente. Je pense cependant
que, même si un pianiste ne peut pas trouver son individualité en jouant ce concerto ou un concerto de Chopin ou certaines oeuvres de Liszt, il
doit être capable de prouver qu'il peut aborder à l'aise le domaine de la
virtuosité transcendante. C'est comme un examen de passage. On ne peut pas,
me semble-t-il, obtenir ses titres en jouant uniquement du Mozart et du
Haydn, ce serait tout de même trop facile. Il est cependant vrai que l'on
pourrait remplacer le "Concerto n°1" de Tchaïkovski par un concerto de
Scharwenka ou de Melcer, performance à mon avis tout aussi probante. il est
évident qu'on n'en est pas encore là .
A propos du "3" de Rachmaninov, je remarque que les 140 enregistrements que
vous évoquez n'ont pas permis à ce concerto d'acquérir une notoriété
comparable à celle du "2" (lequel l'an dernier a été sacré meilleure oeuvre du
20e siècle par les lecteurs d'une revue anglaise).
Dans le domaine violonistique, je ne pense pas qu'un soliste puisse être
crédible s'il se contente du Cocnerto de Brahms ou de Beethoven. Il doit
montrer à mon avis qu'il est capable de jouer Paganini ou Vieuxtemps.
L'anomalie, c'est justement que l'"examen de passage" se fait avec
Mendelssohn, Beethoven ou Brahms, ce qui me paraît une bizarrerie
incompréhensible. Je me souviens, sur une notice de 33 tours je crois, un
commentateur s'était étonné que Yehudi Menuhin joue un concerto de Paganini.
Le grand maître ne devait naturellement jouer, selon lui, que des oeuvres de
compositeurs supérieurs (selon lui). Cet étonnement n'est-il pas magnifique?
INTERVIEW DE JEAN CASSIGNOL, "RECONSTRUCTEUR D'UN CONCERTO DE VIVALDI
Je vous transmets l'interview que j'ai faite par internet de Jean Cassignol,
auteur d'une transcription reconnue d'un concerto de Vivaldi pour violon,
initialement prévu pour flûte par le compositeur.
Le "nouveau" concerto pour flûte RV 312R d'Antonio Vivaldi
- Jean Cassignol, qu'est-ce qui a attiré votre attention sur le concerto RV
312 ? L'avez-vous consulté dans l'édition Ricordi (s'il existe) ou avez-vous
eu accès au manuscrit? Comment avez-vous pu savoir que l'original était
écrit au départ pour la flûte?
- J'étais en relation épistolaire depuis quelques années avec Roger-Claude
Travers, le critique de la revue Diapason. Il avait suivi de près mes
transcriptions des "Saisons" de Vivaldi pour ensembles de flûtes (à bec ou
traversière) et cela l'avait intéressé, voire même convaincu. En juin 1997,
il m'a signalé le problème pendant du RV 312 (esquissé dans la revue
Diapason et dans le guide paru il y a dix ans dans la collection
"Bouquins"). J'ai consulté le manuscrit de Turin du RV 312 (pour violon) qui
contient, dans le premier mouvement, des esquisses pour la flûte à bec
(barrées par Vivaldi). Ryom n'accordant un numéro RV qu'aux oeuvres
terminées par Vivaldi, j'ai donc attribué au concerto reconstitué /
reconstruit le n° RV 312R. Le RV 312 pour violon a été édité par Ricordi
en 1956 : il est toujours inédit au disque, car sans doute bigrement
difficile au violon!
J'ai parlé seulement du premier mouvement. Les autres mouvements
marchent superbement à la flûte (à bec ou traversière), une fois modifiés
les arpèges typiquement violonistiques. Le troisième et dernier mouvement
est proprement ahurissant à la flûte! J'ai un enregistrement de Il Giardino
Armonico (concert de Potsdam - soliste : Giovanni Antonini) et des Berliner
Barock Solisten (soliste : Michala Petri, création à Copenhague où j'étais
présent).
- Avez-vous rajouté des agréments dans la partie soliste ou avez-vous
laissé la partie originale?
- J'ai reconstruit certains passages dans le style de Vivaldi (les critiques
n'y ont vu que du feu là où les programmes ne mentionnent pas le
nom du "reconstructeur" : au début, cela m'a flatté, mais désormais j'eng...
les organisateurs et les flûtistes quand je les prend sur le fait !).
Les agréments et les cadences sont rajoutés par les solistes.
- Savez-vous si cette pratique est courante dans les arrangements des
manuscrits de Vivaldi?
- Je ne connais pas d'autre exemple.
- Avez-vous ajouté une cadence de votre cru (car je suppose qu'il n'y en
avait pas dans l'autographe)?
- Le flûtiste à bec Manfred Stilz en a écrit une jolie pour le concert de
Cannes en juillet 2000 (mais le concert n'a pas été enregistré). Comme il a
un projet d'enregistrement, nous patienterons... J'ai simplement modifié une
cadence originale de Vivaldi.
- Dans le RV 312R, avez-vous réalisé la basse continue ou avez-vous utilisé
celle d'une révision préexistante?
- J'ai eu la "flemme" de faire le chiffrage... Nous l'avons fait pour
quelques exemples de l'article écrit avec Anne Napolitano-Dardenne
pour les "Informazioni e studi vivaldiani" (revue de l'Institut Vivaldi à
Venise). J'ai laissé "vide" la ligne main droite du claviériste.
Actuellement, les continuistes sont de véritables "pros" et préfèrent noter
leur propre réalisation, quand ils ne l'improvisent pas à chaque concert.
- De quelle époque de la production du prete Rosso dateriez-vous le RV312
(d'après le degré de maturité de l'oeuvre) car je suppose qu'il n'y a
aucune date sur le manuscrit?
- Le musicologue Paul Everett a daté les papiers utilisés par Vivaldi. C'est
environ 1727, époque de maturité, "pré-classique".
- Le RV312 contient-il des passages de "mélodie récitative" préfigurant le
style galant comme cela est dans certains concertos pour violon de l'opus
11 ou 12 et aussi dans certains concertos pour flûte de l'opus 10?
- Il y en a. Certains flûtistes pensent déjà que c'est le plus beau (ou
l'un des plus beaux) concerto pour flûte, surtout dans le dernier mouvement
qui "électrise" les publics. Je n'y suis pas pour grand-chose et Vivaldi
aurait pu nous laisser un "navet" (il y en a quelques-uns, qui devaient
plutôt être des exercices accompagnés pour ses élèves : de nos jours,
on écrit des études pour un instrument donné, pas des concertos!).
- Avez-vous été dans l'obligation de supprimer ou modifier certains traits
plus proprement violonistiques?
- Oui, cher Claude Fernandez, mais uniquement dans le cadre fixé plus haut.
- Qui sera le premier flûtiste à graver le RV 312R ?
- C'est Dorothee Oberlinger, une Allemande, qui vient de l'enregistrer avec
l'ensemble Ornamente 99 pour le compte du label Marc Aurel Edition de
Cologne. Le CD devrait être présenté lors du MIDEM de Cannes (20-24 janvier
2002).
- Et où pourra-t-on se procurer le disque?
- En France ? Je ne sais pas encore ce qu'il en est du distributeur français
de ce jeune label allemand. Les lecteurs intéressés peuvent me contacter dès
à présent.
- Merci et bonne continuation !
Jean Cassignol
B.P.80
F-95472 Survilliers Cedex
France
jeancassignol@laposte.net
Voilà qui pourrait nourrir un débat sur les problèmes de transcriptions.
A-t-on le droit d'interpréter ainsi la pensée du compositeur en vue d'une
transcription, jusqu'à quel point?. Les transcriptions "non autorisées"
(n'ayant pas l'aval du compositeur) sont-elles acceptables... on sait ce
qu'il advint de la transcription de la "Suite lyrique" de Grieg par Seidl,
transcription qu'il jugea inappropriée et révisa.
LES TRANSCRIPTIONS D'OEUVRES
De multiples raisons expliquent sans doute ces moeurs au 18e, les
disponibilités d'instrumentation que vous évoquez, mais aussi peut-être une
moindre sensibilité à la couleur instrumentale spécifique de chaque
instrument. De ce point de vue, Bach était, on le conçoit, assez peu
sensible à la couleur instrumentale, à tel point que certaines partitions
comme l'art de a fugue semblent n'avoir été destinées à aucun instrument
précis. Il en va sans doute différemment de Vivaldi qui a honoré un très
grand nombre d'instruments solistes et qui est à l'origine du langage
symphonique. Il est notamment le premier compositeur à avoir écrit des
concertos pour mandoline. Le fait d'ailleurs qu'il écrive par exemple "per
violino o per obeo" indique justement que l'on ne doit pas utiliser
n'importe quel instrument, mais ceux qu'il a spécifiés (le plus souvent un
seul). A moins que cette indication n'ait qu'une justification technique eu
égard aux particularités des instruments par rapport à la partition, ce qui,
je dois l'avouer, est aussi probable.
Quoi qu'il en soit, on doit observer que les transcriptions non autorisées
(et autorisées) se sont multipliées au cours du 19e et du 20e.
Personnellement, je n'ai pas la même position que la vôtre, je considère que
la couleur instrumentale de l'oeuvre prévue par le compositeur est une
caractéristique propre de l'oeuvre que l'on a pas le droit de modifier sans
son accord sous peine de trahison. Et puis vous savez "traduttore
tradittore" Je remarque de ce point de vue qu'il n'existe aucune loi
protégeant les oeuvres musicales, même les plus illustres, pas uniquement en
ce qui concerne les modifications de couleur instrumentale, mais aussi des
altérations du texte musical lui-même. Mais peut-être ai-je l'esprit trop
muséographique et conservateur.
RELATIVITÉ DE LA NOTORIÉTÉ
Je viens de découvrir que la Berceuse Rêverie de Sgambati avait été
orchestrée par Massenet, ce qui semblerait montrer que Sgambati jouissait
d'une certaine notoriété à l'époque. C'est le cas fréquent. On croit souvent
à tort que les compositeurs peu connus que l'on redécouvre étaient des
inconnus à leur époque, et on se rend compte par hasard que des oeuvres de
compositeurs très connus leur sont dédicacés. Par exemple de nombreuses
oeuvres pour violon de Saint-Saëns sont dédicacées à Sarasate, le "Concerto
n°2" de Liszt est dédicacé à Bronsart von Schenllendorf et le "1" à Henry
Litolff. Le "Concerto n°1" de Chopin est dédicacé à Kalkbrenner... Il nous
faut apprendre à relativiser l'électisme de notre époque. Soyons humble et
prudent quant à l'importance réelle des compositeurs que notre époque a
consacrés. Apprenons à respecter le jugement de nos prédecesseurs si nous
voulons que nos suiveurs manifestent quelque égard au nôtre.
WAGNER PLUS PROFOND QUE TCHAÏKOVSKY... OU L'INVERSE
Pour tout avouer, je dois dire qu'à la période de l'adolescence, je
considérais Wagner comme plus profond que Tchaïkovski. C'était ma crise
d'intellectualisme. En réalité, j'appréciais certaines oeuvres de
Tchaïkovski beaucoup plus, seulement je ne l'aurais jamais avoué. J'ai
développé un jugement plus conforme à la réalité de ce que je ressentais
réellement.
Peut-être certains pourraient-ils tirer profit de nos confidences et de nos
aveux. La réflexion sur ses propres impressions est-elle si répandue chez
les mélomanes?
FARRENC, GIULIANI, GRIEG, GRIEG/SEIDL, TORROBA, SOR, ROUSSEL
De temps en
temps, j'ai honte, moi qui suis un grand partisan des répertoires
instrumentaux spécifiques, de mon ignorance quasi-totale du répertoire de la
guitare. S'il est un répertoire spécifique par ses compositeurs, son style
instrumental, c'est bien celui-ci. Mes incursions hasardeuses dans ce
répertoire ont été rarement couronnées de succès.
Mises à part le fameux "Concerto de Aranjuez", celui de "Castelnuovo-Tedesco",
quelques pièces isolées pour guitare seule. Sor, je désespère vraiment de trouver
chez ce compositeur des composittions originales, les quelques pièces que je
viens de découvrir (op 36, 37, 40) ne me paraissent pas moins insipides et
limitées que ses études (opinion personnelle). Pourquoi Sor a-t-il une telle
importance pour les guitaristes? Torroba, là c'est différent, une découverte
je dois l'avouer, même si, après avoir longtemps hésité, je n'ai finalement
pas accepté sa "Sonatina" pour guitare et orchestre parmi la liste de mes oeuvres considérées comme excellentes. Paradoxalement, c'est
l'orchestration, d'un style impressionniste accompli, à mon avis, qui me
séduit le plus chez ce compositeur. Encore une fois se confirme, à ce qu'il
me semble, l'importance de la partie orchestrale dans les genres pour soliste et
orchestre et peut-être son rôle historique. Mais là -dessus,je connais trop
peu d'oeuvres symphoniques pour affirmer quoi que ce soit. Le style de la
partie de guitare de cette "Sonatina", enfin, reflète, malgré
contenu thématique à mon goût un peu limité, une originalité qui exploite bien le
timbre spécial de cet instrument. Alors, Torroba, certainement un cmpositeur
à découvrir. Cela contraste à Giuliani qui, décidément, pour moi et par
rapport à ce que je connais de lui, s'affirme plus dans le style
violonistique que dans celui de la guitare. Son Concerto op 30 me paraît
franchement d'un classicisme compassé et surtout la partie de guitare ne me
paraît animé d'aucune spécificité "guitaristique". Il semble qu'on pourrait
l'interchanger avec de la flûte, du piano, de la clarinette... tout ce que
l'on veut. Bien sûr, nous sommes au tout début du 19e ou peut-être à la fin
du 18e siècle. Grieg: la suite lyrique, un chef-d'oeuvre à
mon avis, qui pose cependant un problème d'attribution. D'après la notice
succincte que j'ai sur le CD, voici ce qui est dit : "Seule l'orchestration du
premier mouvement est entièrement de la main de Grieg, pour les 3 autres
mouvements, Grieg a révisé une orchestration de Seidl qu'il trouvait à son
goût "trop pesante et wagnérienne". Or, à ce qu'il me semble, et pas
uniquement à moi, le troisième mouvement "Notturno" renferme des
particularités symphoniques qui placerait l'auteur de ce mouvement comme précurseur du style
impressionniste debuusséen. Je pense même que l'essentiel de l'orchestration
de ce compositeur se trouve là . Il s'agirait donc d'une nouveauté
considérable. Qui est alors à l'origine de ces effets orchestraux, Seidl ou
Grieg. Probablement Grieg, mais la notice n'est pas assez précise pour me le
signifier. Dans le doute, j'ai choisi de faire figurer les trois derniers
mouvements sous la "vedette auteur" Grieg/Seidl.
Nous voici à Louise Farrenc. La fraicheur de cette oeuvre m'évoque le
renouveau de la musique française au milieu du 19e siècle. Rien ne subsiste
ici des pesanteurs trop classiques qui, à mon goût, caractérisent certaines
oeuvres de musique de chambre du début du 19e siècle (quoique je dois avouer
en connaître assez peu). Les quintettes de Louisse Farrenc sont certainement
représentatives de ces oeuvres inspirées qui ont été oubliées
injustement. Le "Quintette n°1" eut un tel succès, écrit Michael Stegeman, que
Louise Farrenc en écrivit un second. Ce dernier me paraît moins inspiré,
mais tout de même de valeur appréciable. Le premier, une très belle oeuvre à
mon avis que
je n'ai pas hésité à classer dans ma sélection d'"oeuvres
excellentes".
VÉRITÉ OU ERREUR CHEZ LES MUSICOGRAPHES ET MUSICOLOGUES
Je voudrais effectuer ici une mise au point concernant quelques idées
discutées par un mélomane que vous connaissez.
Mon contradicteur reprend chroniquement quelques arguments, quoique
j'aie pu lui répondre sempiternellement la même contrargumentation,
usant même parfois du copie-collé pour mes réponses. C'est un cas
de rémanence psychique et de récurrence dialectique assez
remarquable. Voici le premier de ces arguments:
-J'allèguerais (selon ce mélomane) les arguments des Intellectuels de la
musique lorsque je les approuve (la paternité de la symphonie par
exemple) et je les contesterais lorque je les désapprouve (la valeur
des grands classiques). Bref, j'userais de leur discours selon que
cela m'arrange ou non.
Voici ma réponse. Je pense qu'il faut considérer deux aspect dans le
discours d'un "Intellectuel de la musique":
-d'une part l'analyse des faits objectivables par nature: expertise
des oeuvres pour déterminer leur authenticité, étude de l'évolution
d'un genre, détermination des caractéristiques stylistiques...
-d'autre part les jugements de valeur porté sur une oeuvre ou un
compositeur
Par exemple, lorsqu'un expert affirme que tel motif d'une oeuvre d'un
compositeur X se trouvait dans une oeuvre antérieure Y, quand il
pense que tel procédé stylistique a été inventé par le compositeur
Z..., j'ai toutes les raisons de penser que son apport est honnête et
objectif (tout en considérant qu'en matière musicale, il n'existe
aucune proposition qui n'ait une valeur apodictique). En revanche,
lorsque le même expert dit: le compositeur X est supérieur au
compositeur Y, je suis enclin à considérer qu'il s'agit d'un jugement
subjectif pour lequel cet expert n'est pas plus qualifié que d'autres
personnes pour juger.
Je pense que la détermination des caractéritiques d'ordre objectif
doit être dévolue fondamentalement aux musicologues experts et le
jugement sur les oeuvres fondamentalement au public et aux critiques
(sans préjuger de la valeur de leur arrêts).
Ce mélomane distingué se range à mon avis, mais ne semble pas appliquer ce principe
puisqu'il continue à considérer Haydn comme le père de la symphonie,
ce qui est contredit à ma connaissance par les ouvrages modernes
d'historiographie musicale. C'est donc, à ce qu'il me semble, qu'il
les considère comme incompétents. Un second argument m'incline à
faire confiance aux experts qui jugent l'apport de Haydn quasi-
inexistant dans l'avènement de la symphonie.
On peut d'autant plus penser que ces auteurs jugent objectivement
l'apport de haydn dans l'avènement de la symphonie qu'ils fournissent
cette conclusion à l'encontre de leur inclination. En effet, ils
continuent toujours à accorder une valeur musicale beaucoup plus
importante aux oeuvres de Haydn qu'aux compostieurs considérés par
eux comme les véritables pères de la symphonie (Vivaldi et Stamic
notamment). Une question peut se poser : pourquoi continuent-ils à
considérer les oeuvres de Haydn supérieures? Je pense qu'il suivent
simplement la tradition véhiculée par leurs prédécesseurs.
D'autre part, un autre type d'argument me permet de considérer avec
prudence les jugements de valeur esthétique affirmés par les
musicologues (ce qu'il font du reste assez rarement), c'est le fait
qu'un esprit rigoureux essentiellement tourné vers l'examen
scrupuleux d'archives s'évère rarement être en même temps un esprit
touché par l'émotion musicale. Sans doute est-ce la raison pour
laquelle ils préfèrent les compositeurs "dits intellectuels" plutôt
que ceux qui apparaissent les plus lyriques et passionnés. Il n'est
nullement nécessaire que je fournisse des exemples. De ce point de
vue, la condamnation du romantisme par les historiographes se révèle
représentative de cette orientation psychique.
Du reste, le fait que Haydn ne soit pas le "père de la symphonie"
n'est nullement une preuve, ni même un argument pour montrer que ses
oeuvres n'ont pas un intérêt musical supérieur. Tout au plus peut-on
considérer avec circonspection le discours des musicographes du 19e
et début du 20e siècle qui nous vantaient la valeur musicale de
Haydn, car, s'ils n'ont pas été objectifs pour juger son apport réel
dans la symphonie, on peut suspecter une même inobjectivité quant à
leur jugement sur la valeur de ses oeuvres. mais cela ne peut, à mon
avis, en aucun cas constituer une preuve, pas même un argument
décisif. Mais j'arrête là car ce message est déjà très indigeste.
ATTITUDE ANTI-ROMANTIQUE DES MUSICOGRAPHES
Vous ne croyez pas à l'attitude anti-romantique des musicographes et critiques au 19e siècle. On décèle très souvent des petites pointes bien significatives de la part
des auteurs. Voyez par
exemple la hargne de Vuillermoz contre Berlioz. Elle ne me paraît pas sans
relation avec le romantisme exacerbé affirmé par l'auteur de Harold.
Tout un courant anti-romantique s'est développé sous la bannnière de
Hanslick pendant le 19e siècle et qui survécut au 20e :
En voici quelques témoins:
Edmond Buchet - Connaissance de la musique - Editions Correa Paris 1942 (255
p)
"Le musicien romantique s'inspire d'un idéal plus littéraire que musical ;
privée du soutin de la forme-stricte, son inspiration s'étend souvent
exagérément, et l'on trouve des pages de remplissages."
"Le manque de rigueur, l'abandon de la recherche inlassable et difficile de
la perfection technique, le manque de science en un mot, ont été les rapides
conséquences de cet art qui voulait saisir une essence musicale indépendant
du mouvement..."
p 178
"Le romantisme a intoxiqueé la musique comme la littérature"
p 223
Histoire de la musique de Vuillermoz - Fayard 1973 (première édition
1949) 590 p
Car le romantisme pondéré a peu de prestige sur la foule. La perfection
aisée, la maîtrise élégante ne la séduisent pas autant que la gestation
spectaculaire et haletante d'une oeuvre médiocre.
p 201
Musique et vie intérieure - Joseph Sanson
Editions du vieux colombier Paris 1951
"Romantisme : singulier mélange d'utopie et d'ambition. La musique prémédite
de dire avec les sons des choses que les mots disent aisément. Il croit
élargir les pouvoirs de la musique, il la ravale.
INFLUENCE DE MUSICOGRAPHES OUBLIÉS
Ces musicographes sont obscurs aujourd'hui, mais ils ont exercé à leur époque une grande
influence sans doute, en tous cas ils étaient le témoin d'un état d'esprit
général dans l'intelligentia musicale. Percy Sholes a exercé une influence
en formant de nombreux étudiants en Angleterre Quant à Rapin, son ouvrage
"Histoire du piano et des pianistes" représente tout de même un grand
classique de la littérature musicale.
HAYDN ET LA SYMPHONIE
Aucun des auteurs n'accorde une place à Haydn dans l'élaboration de la forme
symphonique. Inutile de vous débattre inutilement, Simon, vous êtes cette
fois dans la nasse. Une prise qui me réjouit car, je dois l'avouer, vous ne
faites pas partie du menu fretin. Et Haydn a-t-il été le seul à porter un intérêt constant à la symphonie (puisque c'est le dernier argument qu'il vous reste pour sauver la face), c'est
possible, ce n'était pas le sujet du débat. Je viens de lire cependant
(d'après Larousse La musique) que l'on doit à GB Sammartini plusisuers centaines de symphonies.
La célébrité des oeuvres, quant à elle, est une notion relative. Existe-t-il une symphonie de Haydn qui
ait atteint la célébrité de la 40e de Mozart, qui n'a pourtant aucun
sous-titre? Je me demande même si parmi les oeuvres très célèbres existe une
ouevre de Haydn, tous genres confondus. Quelle que soit la réponse à ces
questions, cela ne préjuge pas de la valeur de ces oeuvres, c'est un
indicateur du jugement global donné par le public. Parmi les compositeurs
très connus, Haydn n'est-il pas aujourd'hui en perte de vitesse?
REMPLACER LES "GRANDS NOMS" PAR D'AUTRES "GRANDS NOMS"
Comme je vous l'avais dit dans mon courriel privé, je ne considère pas que
la place de Tchaïkovski est insuffisante. D'autres compositeurs peu connus
ont à mon avis droit de cité et ce n'est pas en augmentant la place des
compositeurs déjà connus comme Tchaïkovsky, même si je l'estime
déconsidérés, que l'on va augmenter celle des compositeurs très peu connus.
Je pense que la solution est de se prononcer pour une place raisonnable des
compositeurs qui évite tout excès, c'est-à -dire diminuer l'importance de
ceux
qui occupent une place à mon avis inconsidérée. Si, après cela, il faut
diminuer encore la palce de Tchaïkovski et de quelques autres compositeurs
que j'apprécie, pourquoi pas. Il faut
parallèlement, et d'ailleurs en premier lieu, développer l'intérêt pour les
oeuvres peu connus, mais on doit être conscient, à mon avis, que l'on ne
parviendra pas à augmenter la considération des compositeurs peu cotés
actuellement tant qu'existera le
culte de la personnalité liées aux "grands classiques". Remplacer des noms
dominants par d'autres ou en ajouter quelques-uns comme Mahler ou Bruckner à
mon avis ne servirait à rien. En tous cas, ce n'est pas mon optique.
PAGANINI SUPERFICIEL BACH PROFOND
Je suis abonné à une lsite de diffusion sur le thème de la littéraire. Cette liste converse
essentiellement sur la littérature, mais aussi parfois sur les arts
plastiques et la musique. Les personnes participant sont sans doute des
mélomanes plus occasionnels que sur les listes dédiées à la musique
classique.
Voici ce qui dit l'un d'eux a écrit à propos de Bach et Paganini (reçu la
semaine dernière).
"La création musicale chez Paganini était davantage lié a une démonstration
de prouesses techniques dans l'utilisation du violon ..un peu comme un bon
prof. Démonstration intéressante mais sans réel intérêt musical..et je pense
aux prouesses violonistiques du Concerto pour violon no 2 en si mineur op. 7
"La Campanella" et aux 24 Caprices pour violon seul interprétés par Itzhak
Perlman. Tandis que J.S. Bach ..hum... du grand art... de la "musique" avant
toute chose..quelque chose qui finit par vous habiter....et je pense aux
Variations Goldberg - interprétés par Glenn Gould..Toujours et toujours..."
Ce jugement est-il le pur produit d'une sensibilité musicale indépendante ou
bien le résultat de l'idéologie véhiculée par la pensée dominante? On peut
s'interroger. Chacun pensera ce qu'il veut. En tous cas, ce membre n'est pas
le fantôme
d'un mélomane du 19e siècle qui serait venu hanter le clavier d'un
ordinateur. Pourtant ce mélomane
n'a jamais lu probablement ni Robert Bernard, encore moins Edmond Buchet ou
Louis Aguettant. En conséquence, je pense que les idées reçues persistent avec
force aujourd'hui contrairement à ce que pense un certain mélomane distingué et que je ne me bats
pas contre des moulins à vent.
J'ajouterai la
tendance à inverser les caractéristiques à mon avis réelles des
compositeurs. Pour un peu, c'est Paganini que l'on ferait passer pour un
compositeur académique et Bach pour un grand lyrique. C'est exactement la
démarche d'André Pirro (que notre grand mélomane évidemment n'a jamais lu).
Cela me rappelle aussi les propos affirmé à l'égard d'un certain autre
compositeur que l'on fait passer commodément pour un compositeur académique. Pour rétablir la vérité musicologique, il faut préciser qu'une
très grande partie des oeuvres de Bach est écrite dans un but didactique,
pédagogique ou religieux, ce qui est tout de même exceptionnel chez
Paganini. Les 24 caprices sont sans doute plus comparable aux Etudes
transcendantes de Liszt (et pour cause) et aux études de Chopin.
Cet extrait me paraît être un véritable document sociologique.
ANTI-ROMANTISME ET ICONOCLASTIE
Il faut distinguer sans doute dans un ouvrage le sens immédiatement visible
et les tendances sous-jacentes, inconscientes qui s'expriment à demi-mot ou
de manière contournée. Ainsi, Hennion pense qu'en tout historien d'art se
cache un iconoclaste. Je pense que l'antiromantisme n'est qu'une forme
d'expression de l'inonoclastie chez les historiographes, une manière de nier
l'âme au profit de l'intellect.
LES MAÎTRES DE BEETHOVEN
Il apparaît à tous avec évidence que le langage typiquement bééthovénien est
considérablement différent de celui de Haydn (même si Beethoven a pu écrire
des compositions de style classique ou pseudo-classique), qui d'ailleurs n'a
sans doute pas de langage propre. En conséquence, Beethoven a-t-il eu
réellement besoin de Haydn poru acquérir son langage? L'importance de Haydn
pourrait bien être une déformation de l'historiographie musicale. Beethoven
a été l'élève de Haydn, mais il a eu d'autres professeurs et l'art si peu
expressif (à mon avis) de Haydn a-t-il été un élément déterminant de sa
vocation romantique? Avouez qu'il y a de quoi en douter fortement. Mozart,
déjà , me paraît considérablement plus expressif que Haydn. Il faudrait
peut-être plutôt évoquer les autres symphonistes de l'école de Mannheim,
Cannabich, Dittersdorf, Kraus (les concurrents de Beethoven) pour expliquer
l'évolution de ce compositeur plutôt que ses maîtres Haydn, Albrechtberger
et même Salieri. Vous ne croyez pas qu'une histoire de la musique établie en
prenant uniquement comme jalon des compositeurs reconnus ne s'apparente pas
plus à l'idéologie qu'à la réalité historique.
Quant à Stamitz, il n'a aucun rapport avec le baroque. L'oubli de nombreux compositeurs
perdure autant que la permanence du culte de la personnalité associé aux
"grands classiques" et le traditionnalisme lié au meintien de la hiérarchie
actuelle, que vous contribuez si bien à entretenir. L'explication, c'est
votre propre attitude qui la fournit.
DÉCONSIDÉRATION DES VIRTUOSES-COMPOSITEURS
Je vous ai pourtant communiqué les rangs de Vivaldi, Saint-Saëns, Paganini
dans un dictionnaire datant de janvier 2000. Faut-il que j'y ajoute la place
de Vieuxtemps, de Winiawski, Viotti et quelques autres pour que vous soyez
convaincus. Ce qui s'est produit, à mon avis, c'est que nous observons
aujourd'hui le résultat de la déconsidération des virtuoses-compositeurs au
19e siècle. L'effritement de leur position persiste, même si, comme vous le
remarquez justement le discrédit qui leur est attaché en tant que
virtuoses-compositeurs a diminué. En quelque sorte, on a oublié la cause du
discrédit, mais celui-ci persiste. Cela se traduit par le fait que dans une
histoire de la musique il y a 50 ans on consacrait quelques lignes seulement
à Paganini en lui reprochant d'avoir été un virtuose sans pensée musicale
alors qu'aujourdhui on lui consacre toujours aussi peu de place, mais sans
lui reprocher quoi que ce soit. Certes, d'autres compositeurs qui n'ont été
nullement virtuoses ont été oubliés (Dittersdorf et Stamic par exemple),
mais le fait que des compositeurs comme Vivaldi, Paganini, Viotti qui furent
de grands novateurs et que l'on peut considérer comme des chefs d'école (par
l'influence qu'ils ont eu seulement pour certains) soient très loin des
"grands classiques" me paraît significatif.
Quant à la persistance des clichés du 19e siècle sur les mélomanes, vous
avez pu en juger par le "document sociologique" que j'ai fourni. Mais c'est
vrai, vous avez sans doute déjà oublié que vous l'avez vu.
HAYDN ET MOZART
D'après les ouvrages, Mozart n'a jamais obtenu les succès ni la
notoriété immense de Haydn. Il n'a jamais étteint une notoriété européenne,
surtout pendant la seconde partie de son existence où il fut en défaveur
auprès du public. Il obtint une gloire locale uniquement (Autriche-Hongrie).
Que sa réputation ait été surfaite, comme tous les "grands classiques", à
mon avis certainement, mais pas plus que les autres. J'avoue pour ma part
(mais ce n'est qu'une opinion personnelle) trouver beaucoup plus de
sensibilité, d'émotion dans les oeuvres de Mozart que dans celles de Haydn
(parmi les oeuvres que je connais). Cela ne va pas dans le sens de ma
théorie, mais je n'aliène pas mes goûts personnels à mes hypothèses
théoriques. Mozart possède aujourd'hui beaucoup plus de grands succès que
Haydn: la "Mache turque", la "Petite musique de nuit"... Même dans le domaine
de la symphonie, la 40e est plus célèbre que n'importe quelle symphonie de
Haydn.
HAYDN MENTEUR ET MANIPULATEUR? L'AFFAIRE DE LA JAMBE DE HAYDN
J'avais affirmé péremptoirement comme absurde que Haydn voulût de son
vivant se parer de l'invention de la symphonie. Suite à ce que je viens de
lire dans le Grove et dans Fétis, je suis amené au moins à nuancer cette
affirmation :
Grove :
"His possible influence [de Sammartini] on Haydn was first mentioned by
Carpati [biographe de Haydn],, who recounted that the Bohemian composer
Josef Mystivecek (1737-81) on hearing some symphonies by Sammartini about
1780 exclaimed: "I have found the father of Haydn's style. Though Haydn
strongly denied any influence of Sammartini in remarks to his biographer GA
Griesinger a stydy of Sammartini's music shows a marked affinity between the
composers in rythm, structure and even in the province of musical humour (p
544 notice Sammartini).
Or, contrairement aux dénégations de Haydn, les musicologues modernes
considèrent bien Sammartini comme un des pères de la symphonie et non Haydn.
Si l'anecdote est vrai (et Fétis de son côté la rapporte), Haydn a au moins
voulu oblitérer l'apport qu'il doit à Sammartini.
Voici également une note de Fétis qui pourrait être éclairante après la
révélation du Grove:
"C'est ici de réfuter une anecdote que Framery et Le Breton ont donnée sur
l'autorité de Pleyel, élève de Haydn, et qui a pour objet de ternir la
réputation de Gassman, voici comment Le Breton rapporte cette anecdote:
"L'empereur Joseph II eut le désir de se l'attacher [Haydn], en l'adjoignant
à son maître de chapelle Gassmann, compositeur très-médiocre, mais
intrigant. L'empereur en parla à ce Gassmann, qui feignit d'être lié à
Haydn, et affecta d'être bien aise de l'avoir pour adjoint; mais il ajouta,
avec le ton de la franchise, qu'il ne devait pas dissimuler à Sa Majesté
qu'Haydn manquait d'imagination, et que sa réputation était fondée sur une
extrême habileté à s'emparer des idées des autres et à les arranger; qu'il
était à l'affût de toutes les nouveautés pour en faire aussitôt son profit.
Il proposé à l'empereur de l'en convaincre sous peu de jours, en plaçant
Haydn dans l'orchestre et sous les yeux de sa Majesté elle-même à la
représentation d'un nouvel opéra qu'on allait donner. En effet, Haydn,
invité par Gassmann, fut placé à côté de lui, et le maître de chapelle,
feignant d'avoir oublié son agenda et ses lunettes, pria Haydn, qu'il savait
être toujours pourvu des moyens d'écrire les idées que son génie abondant lui
fournissait, de tenir note, pour l'empereur qui l'avait demandé, des thèmes
de tous les morceaux que Gassmann indiquerait. A chaque motif neuf ou
piquant, le genou d'Haydn était pressé, et sa main docile écrivait.
l'empereur fut persuadé. Si ce prince eût réfléchi qu'il était plus sûr de
s'en rapporter à la renommée qu'à un avis qui pouvait être suspect, et qu'il
était impossible qu'un plagiaire habituel ne fut dénoncé à l'opinion
publique par les auteurs intéressés à réclamer contre lui, il n'autait pas
été dupe de la fourberie de Gassmann, et, ce qui est plus grave pour un
souverain, il n'autait pas sacrifié un homme de génie à un vil intrigant. Au
reste, la modestie de Haydn et l'isolement dans lequel il vivait assuraient
l'impunité de Gassmann. Cette anecdote que M. Pleyel tient de son illustre
maître, est en quelque sorte garantie par le mépris attaché au nom de
Gassmann".
Tout est de nature à causer de l'étonnement dans de récit; tout en démontre
la fausseté... A l'égard de Gassmann, représenté comme un vil intrigant et
comme un homme généralement méprisé, on peut affirmer au contraire, que
jamais le moindre bruit injurieux ne s'est élevé contre lui, et qu'on ne
trouve rien de pareil dans les biographies allemandes..."
Cette anecdote invraisemblable est évidemment fausse comme le démontre
Fétis, elle montre donc que ce n'est pas Gassman qui est un manipulateur,
mais Pleyel, partisan de Haydn. A moins que Haydn, le premier bénéficiaire
de ce ragot, lui même n'en soit à l'origine. On ne peut l'affirmer,
cependant l'anecdote précédente rapportée par le Grove induit à certaines
réserves sur la franchise de Haydn.
Plusieurs enseignements sont à mon avis apportés par ces anecdotes:
-Il existait sans doute un combat impitoyable de concurrence entre les
compositeurs permettant probablement aux plus courtisans ou aux plus malins
de se faire valoir par rapport aux autres, peut-être même si leur musique
était plus médiocre ou au moins de valeur identique.
-La transmission de l'anecdote fausse rapportée par Fétis montre que les
partisans de Haydn (sinon Haydn lui-même) tentaient de ternir les mérites de
leurs concurents. ceci d'autant plus que Gassman était un compositeur lui
aussi réputé et que les travaux récents le montrent comme un des devanceurs
de Haydn, et le rôle de Gassman fut important dans l'évènement de la symphonie
(travaux de Dominique Patier)
Certes, il faut naturellement ramener à leur juste proportion ces menues anecdotes.
Elles doivent inciter néanmoins à considérer avec une certaine
circonspection l'importance acquise par certains compositeurs (que ce soit
de leur vivant ou après leur mort), notamment lorsque l'on constate qu'ils
n'ont pas été devanciers, mais suiveurs.
L'ÉCOLE FRANCO-BELGE - COMPOSITEURS DES PETITS PAYS
Je connais "Musique en Wallonie", come vous dites, c'est assez limité. Je
pense personnellement qu'il ne faudrait pas concevoir la musique dans
l'optique du notionalisme, mas plutôt de l'universalisme. Je m'intéresse
personnellement à l'école franco-belge de violon car il me semble qu'elle
est à l'origine d'une richesse d'oeuvres incomparable et qu'elle a
réprésenté une certaine idée du lyrisme et du violonisme au 19e siècle. Sur
les traces de Viotti et Paganini, elle a, me semble-t-il, notamment
contribué à opérer la fusion entre le virtuosité transcendante et
l'orchestration berliozienne. L'expression romantique y prend également une
coloration différente de celle de ses prédécesseurs. Malheureusement, il
faut bien constater que la meilleure promotion pour les compositeurs issus
de petits pays est constituée par l'effort de promotion national. Si les
chefs d'orchestre et solistes nationaux ne participent pas à une promotion
de leur musique nationale, qui le fera à leur place? Quelle serait
aujourd'hui la place de Tchaïkovsky si cet effort n'avait pas été fait? Je
signalais déjà sur cette liste il y a quelques mois le désavantage que
subissaient les compositeurs issus de petits pays européens s'ils ne
s'expatriaient pas dans les grandes capitales les plus en vue. Voilà encore
un autre facteur qui doit nous inciter à accorder une confiance très
relative à la hiérarchie des compositeurs établie par l'historiographie.
L'IDÉOLOGIE DÉBUSQUÉE PAR THÉODORE STAWINSKI
Je viens de découvrir en la personne de Théodore Strawinski (collaborateur
de l'ouvrage collectif "Les musiciens célèbres" - Ed. Mazenod, [1950])
quelqu'un qui partageait la même maladie mentale que moi. Il croit voir dans
notre monde musical parfait certaines attitudes qui naturellement n'exitent
pas.
Voici son commentaire à propos de Tchaïkovski:
"Il [Tchaïkovski] offre ceci de particulier, c'est qu'après avoir connu à
l'époque une très grande vogue, sa musique passa ensuite par une période de
discrédit auprès de toute une génération de musiciens, discrédit qui se
perpétue aujourd'hui [en 1950] encore dans de nombreux milieux. L'opinion
courante sur T. demeure embourbée dans une foule de préjugés et cela malgré
le revirement en sa faveur depuis 25 ans dans toute une jeune élite" p 209
"Il est vrai, nous l'avons dit, du désaveu des musiciens de toute une
génération, donc une élite, mais qui ne devait pas tarder à gagner tout le
public moyen et cela surtout en France" p 209
Un certain modérateur d'une ceraine liste m'avait fait remarquer que
l'"élite" ne pouvait influer sur le public car celui-ci ne lisait jamais les
ouvrages d'hisoriographie musicale (ou si peu de personnes). Je ne suis donc
pas le seul à soutenir cette idée assurément absurde. C'est au moins
réconfortant. Mais Théodore Strawinski va plus loin que moi (il est
assurément encore plus atteint). Voici les idées absolument invraisemblables
qu'il ose soutenir:
"Or, être pour ou contre Tchaïkovsky dénote aujourd'hui [en 1950] toute une mentalité,
toute une attitude devant l'art en général" p 210
"Au fond, il met en cause non seulement l'esthétique de Piotr illitch, mais
de toute une famille de musiciens à laquelle incontestablement il
appartient. Ainsi, de nombreux mélomanes croiraient déchoir en prenant
plaisir à la musique d'un Gounod, d'un donizetti, d'un Verdi... C'est que
l'idée bien arrêtée, assez étroite, et pour tout dire primaire qu'ils se
font de ce qui est noble et de ce qui en l'est pas, de ce qui est ou n'est
pas de bon ton, préside à tous leurs jugements" p 210
"Mais il y a autre chose, croyons-nous, et c'est là peut-être la clé du
problème: on trouve en effet à la racine de cette mentalité si répandue dans
le monde intellectuel d'aujourd'hui [en 1950] un indéracinable préjugé
contre une certaine facilité, une certaine légèreté, une certaine élégance
spontanée, une certaine qualité de grâce pour tout dire, qui fut pendant des
siècles une des constante de leur art. D'où la défiance très marquée chez
les représentants de cette mentalité envers ce qu'il est convenu d'appeler
l'italianisme. or, tout cela réuni chez un Russe, comme dans le cas de Tchaïkovsky,
voilà qui dépasse les bornes" p 210
Evidemment, cela se situe en 1950 et aujourd'hui, assurément, plus rien ne
subsiste de cet état d'esprit, si jamais il a existé un jour. Mais alors,
comment se fait-il que le fameux ouvrage de Rebatet, le plus emblématique de
cet esprit, vient d'être réédité? Comment se fait-il que s'exprime ici ou
là , des "documents sociologiques" qui ne sont pas écrits par des fantômes du
19e siècle revenus hanter les claviers d'ordinateurs. Mais, à propos, où est donc passsé notre modérateur favori. Nous
n'avons pas épuisé la liste des sujets qu'il avait récemment abordés en
privé.
PERSISTANCE DES CLICHÈS IDÉOLOGIQUES
Nous sommes sortis, dites-vous, de ces époques obscurantistes où certains compositeurs ne satisfaisant pas aux critères sélectifs des Intellectuels se trouvaient ostracisés.
Vous avez raison dans une certaine mesure, mais ces "époques obscurantes" n'ont pas moins permis d'établir une hiérarchie des compositeurs difficilement modifiable. Et, par un hasard extraordinaire, vous qui semblez opposés à cet "obscurantisme" êtes un des plus acharnés à en maintenir le résultat. C'est toute l'histoire de la musique
qu'il faudrait réécrire en gommant les distorsions introduites par cette
idéologie qui s'est établie depuis 1 siècle et demi. Voici encore quelques chiffres
significatifs, quoique j'abandonne tout espoir que vous en reconnaissiez la validité.
L'histoire de la musique de Jacques Lory (1971) consacre 2, 4 fois plus de
place à Bach qu'à Vivaldi. L'"Histoire de la Musique occidentale" de 1983
(ouvrage de plus de 800 pages écrit par 17 spécialistes) consacre 15,5 pages
à Bach contre 5,5 à Vivaldi soit un rapport de 3 à 1. L'"Histoire de la
Musique de Larousse" (2000) consacre 571 lignes à Bach contre 80 lignes à
Vivaldi, soit un rapport de 7 à 1. La "Petite encyclopédie de la musique",
1997, consacre dans son histoire de la musique 76 lignes à Bach contre 5 à
Vivaldi, soit un rapport de plus 15 à 1.
Ces ouvrages persistent à consacrer un chapitre particulier à Bach, Haendel,
voire Telemann alors que Vivaldi est généralement relégué dans les pages
traitant de l'évolution du concerto.
Dans l'"Histoire de la Musique de Larousse" (2000), ouvrage le plus récent
que j'ai, l'importance de Tchaïkovsky (par rapport au compositeur le plus
représenté), est 0,11; dans l'ouvrage de Michels Ulrich : 0.25 ; dans celle
de Lory (1971) : 0,11.
Quand a la place de Vieuxtemps, Paganini, Viotti, grands
compositeurs-virtuoses décriés par les musicographes du 19e siècle, elle est
quasiment toujours aussi nulle. Rien n'a changé. Tous ces compositeurs
(Tchaïkovski, Vivaldi... et même Saint-Saëns) arrivent derrière Boulez, Berg
notamment dans la musique de Larousse 2000.
Quant à l'attitude générale des mélomanes, notamment sur les listes de
dialogue, chacun a pu se rendre compte que la liberté d'esprit que vous
évoquez n'y est pas tourjous présente. J'ai publié plusieurs "réactions" de
mélomanes puisés sur des listes, vous pouvez vous reporter aux archives de
forum classique. Je suis personna non grata sur une certaine liste qui
refuse d'entendre le langage que je vous tiens là. Le changement demeure
donc assez relatif.
UNE INTERPRÉTATION DE LA PATHÉTIQUE
Cette valse pourrait être en effet une image de la société aristocratique froide et superficielle.
L'interprétation que vous proposez ne me paraît pas impossible. Quoi qu'il
en soit, ce mouvement me paraît lancinant en soi, même s'il revêt une
signification réelle voulue par le compositeur. Cette valse peut être
l'image de la vie même. On pourrait voir aussi dans le mouvement suivant
l'épisode de la fuite en train après le mariage raté de Tchaïkovski et aussi
un symbole désincarné du destin. Le dernier mouvement, lui, serait l'épisode
du suicide, raté lui aussi, dans un lac. Ou bien le troisième mouvement
pourrait être l'image du fatum, il faut bien l'introduire quelque part.
Certains commentateurs ont pensé, d'ailleurs, que le fatum, était un
artifice litéttéraire superficiel de la part de Tchaïkovski. Tout cela ne me
convainc pas sur l'intérêt des 2 et 3e mouvements.
RÉÉDITION DU REBATET
La réédition du Rebatet ne serait, selon vous, qu'une démarche épistémologique et naturellement, en aucun cas, le témoin de la persistance d'une idéologie.
Voici le résumé de l'ouvrage d'après le libraire électronique
www.chapitre.com., probablement la reprise de la 4e de couverture composée
par l'éditeur. Cela ne semble pas correspondre à ce que vous dites!
"L'ouvrage est admirable. L'étendue des connaissances confond chez un simple
mélomane. La science séduit, mais aussi l'entrain, la clarté, l'équilibre,
une équité remarquable, la constance dans la sûreté et l'autorité du
jugement. Cette Histoire s'adresse à tous ceux qui voient dans la musique
autre chose qu'un fond sonore et ne se contentent pas de ce que l'on appelle
la musique d'ameublement. Elle s'adresse aussi aux simples amateurs de
lecture. C'est l'oeuvre d'un écrivain comme on en voit peu. Quand on a entre
les mains un livre de ce genre, on peut difficilement résister au plaisir de
l'ouvrir dans tous les sens pour voir ce que l'auteur dit de celui-ci ou de
celui-là . Ce n'est pas du tout comme cela qu'il faut lire Une histoire de la
musique. Ce vaste et foisonnant récit n'a rien d'un catalogue, ni même d'une
galerie de portraits... Aussi ce livre est-il d'un bout à l'autre le livre
du mouvement. On y suit la marche constante de la musique, on y refait ses
conquêtes, depuis les flûtes aurignaciennes, 60000 ans avant Jésus-Christ,
jusqu'à Boulez et Xenakis. Sous peine de n'y pas saisir grand-chose, il faut
le prendre au départ et suivre son merveilleux courant."
ÉVICTION DE CERTAINS COMPOSITEURS
Il suffit de comparer la place relative accordée à chaque compositeur dans
les ouvrages. Comme l'a dit Robert Bernard lui-même dans sa préface
pour justifier ses commentaires critiques, "l'éviction est le plus
impitoyable des jugements". Le "culturellement correct", aujourd'hui, et
aussi, il faut le reconnaître, la recherche d'un réel esprit scientifique,
interdit dans une histoire de la musique de polémiquer comme se plaisait à
le faire Fétis en son temps. Le jugement se traduit par l'importance plus ou
moins grande accordée à un compositeur.
Mais là -dessus laissons le Robert Bernard puisque vous semblez penser qu'il
est sorti de mon imagination et passons au Honneger puisque
vous l'évoquez (édition de 1982) que j'ai entre les mains:
Considérons la représentativité du pianiste-compositeur le plus célèbre du
19e siècle et du violoniste-compositeur également le plus célèbre de ce
siècle par rapport au compositeur le plus représenté dans l'ouvrage: Bach
(en comptant l'espace représenté par texte+gravures+extraits de partitions):
Liszt : 0,093 soit 1/11 (11 fois moins représenté que Bach)
Paganini : 0,006 soit 1/167 (167 fois moins représenté que Bach) (exactement
7,5 lignes sur Paganini dans un ouvrage de 630 pages format 24cm x18cm)
Et si vous voulez Tchaïkovsky : 0,174 soit 1/6 environ Quant à Vieuxtemps,
il n'est même pas cité. Il n'a sans doute jamais existé, pas plus que
Khatchturian d'ailleurs.
En revanche, Stockausen jouit d'une représentativité 1,5 fois supérieure à
celle de
Liszt, 1,3 fois supérieure à celle de Vivaldi.
Bien sûr, tout est correct dans cet ouvrage, pas le moindre mot de
déconsidération envers qui que ce soit. Je préfère encore Bernard qui
écrivait une diatribe de 2 pages contre Viotti, au moins on savait qu'il
existait.
COMPLOT OU IMPRÉGRATION IDÉOLOGIQUE
Le terme de complot me semble impropre à représenter une imprégnation
idéologique caractérisant une époque ou un milieu. En revanche, il est
idoine dans le cas d'une cabale dirigée contre un compositeur par des
personnes précises dans une circonstance précise, par exemple lors de la
première de Pelléas. Un de nos membres, a donné d'autres
exemples là -dessus montrant que le "complot" n'avait peut-être pas joué un
rôle négligeable. Et nous avons vu à propos de Haydn, par les "ragots"
rapportés par Fétis, cette lutte d'influence psychologique sourde entre les
compositeurs et les écoles. Quoi qu'il en soit, il me semble impératif de
différentier le "complot" de l'orientation générale souvent diffuse d'une
mentalité dans une société ou une intelligentia qui est un autre phénomène.
Pour quelles raisons existe cette tendance idéologique qui condamne la
virtuosité, le romantisme, l'élégance naturelle, la grâce...? C'est la
question que l'on peut se poser. Je n'ai pas de réponse absolue. Je pense
que c'est une attitude de l'esprit raisonnant dirigée contre l'art, la
beauté, tout ce qui représente une manifestation supérieure de l'âme et que
les Intellectuels ne peuvent comprendre. Donc, ils condamnent ce qu'ils ne
peuvent comprendre et qui fait concurrence à leur domaine de connaissance, et surtout ce qui peut nuire à leur prééminence dans la société avec tous les avantages - même financiers - qui en découlent.
Cela procèderait du phénomène de la défense du soi d'une manière générale.
Ce n'est qu'une hypothèse.
Je pense que les mélomanes et les solistes, effectivement, ne peuvent
s'affranchir des contraintes idéologiques perpétrées par les Intellectuels.
Il y parviennent tout de même parfois. Le discrédit des Intellectuels contre
Tchaïkovsky n'a pas réussi à détourner le public ni les solistes du "Concerto
n°1", sauf que la valeur du concerto n'est acceptée qu'avec réticence dans
les ouvrages. L'idéologie ne gouverne pas tout heureusement. La pensée
philosophique est bien restée pendant 15 siècles sous la tutelle de
l'idéologie religieuse du judéo-christianisme avant de s'en affranchir à la Renaissance. Donc, vous
voyez que mon hypothèse n'est pas une absurdité. D'ailleurs, je n'en ai sans
doute pas la paternité, nous sommes sans doute un certain nombre à le
penser. Beaucoup préfèrent le taire. Au Moyen Age, on croît qu'il n'existait pas d'éthées, il en existait
(les esprits "forts"), mais il n'était pas question pour eux de le faire
savoir.
LA CÉLÉBRITÉ DU TEMPS D'UN COMPOSITEUR
La célébrité en son temps n'apprend sans doute rien sur la valeur
intrinsèque des oeuvres, mais elle témoigne de l'importance "historique" de
ce compositeur ou d'un aspect au moins objectif de son importance, ce dont
doit à mon avis tenir compte un ouvrage d'histoire de la musique. En
l'occurence, la différence entre la célébrité en leur temps de ces
compositeurs et la place qui leur est accordée dans prouve le laminage
réalisé par l'historiographe. C'est simplement ce que je m'évertue à vous
démontrer. Peut-être l'historiographe, sur le plan musical, a-t-il raison de
laminer Liszt et Paganini? C'est un autre problème. Mais il ne faut pas
prétendre qu'il ne les lamine pas, au moins pour Paganini. Liszt est beaucoup
mieux représenté dans d'autres ouvrages. J'ajouterai que la notoriété
actuelle (et non pas seulement au 19e siècle) de ces deux compositeurs me
semble supérieure également à la place qui leur est accordée dans l'ouvrage.
IDÉOLOGIE ET TENDANCES DU PUBLIC
L'idéologie me paraît marquer son empreinte sur la musique classique de
manière puissante au point d'avoir engendré une hiérarchie des compositeurs
très orientée et ne traduisant pas, sinon une hypothétique "valeur"
musicale, tout au moins l'importance historique des compositeurs et les
penchants réel du public.
Cependant cette emprise idéologique se trouve limitée par des forces
antagonistes.
A mon avis, la représentativité des compositeurs subissant le désaveu de la
classe intellectuelle est maintenue dans une certaine meusure en raison deS
facteurs suivants:
-la puissance du public (et donc en partie du marché consécutif) qui
parvient à infléchir les choix des Intellectuels en leur imposant certains
noms. Les Intellectuels ne peuvent pas totalement passer sous silence les
compositeurs qu'ils désapprouvent sous peine de faire apparaître un hiatus
trop gênant entre leur notoriété et l'importance du commentaire qu'ils leur
accorde. Ainsi, ils "récupèrent" les compositeurs qui leur sont imposés par
le public. L'importance de Tchaïkovsky à cet égard est significative,
quoique celui-ci ait bénéficié aussi d'un certain culte nationaliste en
Russie qui relève aussi de l'idéologie.
-la limite est également atteinte lorsque les choix des Intellectuels, dans
leur absence de réalisme et leur irresponsabilité, se portent sur des
compositeurs et oeuvres quasiment inaudibles. Il n'est pas nécessaire que je
précise.
-la rigueur intellectuelle et l'objectivité réelle des musicologues qui
rendront compte du rôle des compositeurs dans l'évolution stylistique,
l'avènement des nouveaux genres. Or, ce sont souvent les compositeurs
méprisés qui sont à l'origine des nouveautés. Le cas de Vivaldi ici est
significatif. L'histoire de la musique Larousse titre (comme le Honneger
d'ailleurs) : "Trois grands compositeurs baroque: Bach, Haendel, Telemann".
Vivaldi "survit" tout de même grâce à un paragraphe consacré à l'évolution
du concerto et à l'évolution de la symphonie d'où Bach, Haendel, Telemann
sont absents car ils n'ont rien inventé.
-l'importance des oeuvres de vituosité pour les solistes actuels qui doivent
faire leur preuve avec les compositions les plus virtuoses ayant acquis
depuis le 19e siècle une réputation; la survivance d'un répertoire
spécifique lié à chaque instrument sous la forme souvent de la pédagogie.
-l'ouverture d'esprit d'une très petite partie des musicologues qui ne
s'inscrivent pas dans la philosophie ambiante de l'antivirtuosité ou de
l'approbation systématique à la domination des grands classiques, sans
toutefois entrer en conflit ouvert avec leurs confrères. On peut donner
l'exemple de Pincherle, ou de Handschin. Les encyclopédies et
ouvrages d'historiographie tiennent parfois compte de l'existence de ces
travaux ou même produisent des articles de ces musicologues (La musique de
la Pléiade, et même le Robert Bernard).
Au total, la hiérarchie des compositeurs serait principalement la résultante
de deux forces antagonistes: le discours des Intellectuels et les tendances
du public.
LE CONCERTO POUR PIANO DE CÉSAR FRANCK
J'insisterais particulièrement pour présenter l'intérêt de ce
concerto, -pour moi, c'est un grand -même par rapport aux variations
symphoniques. Il est très "chopinien", utilisant le style en demi-teinte, le
chromatisme, les gammes rapides évanescentes... si spécial des concertos de
Chopin lui-même. Franck l'avait écrit très jeune, je crois et sa date de
composition n'est pas si éloignée que cela des concertos de Chopin
contrairement à ce qu'on pourrait croire.
Le père Franck, ce compositeur adorablement naïf, ne me paraît pas toujours
avoir suivi une évolution positive. Quel dommage pour le jeune virtuose
qu'il fut. Il fut un des "ennemis" de Saint-Saëns (qui en avait beaucoup).
COMPOSITEUR SYMBOLE DE LA MUSIQUE CLASSIQUE
Le compositeur qui, habituellement est le symbole de la musique classique,
est, je crois, Mozart. Il caractérise plutôt la délicatesse, l'élévation
propre à la musique classique alors que Bach est le symbole plus aride du
mélomane passionné (supérieur évidemment). Quant à Grieg, si vous dites en
être passionné (ce qui est mon cas), vous avez plus de chance que votre
auditoire vous gausse ou qu'on vous considère avec condescendance. Bien
évidemment, un certain mélomane distingué de notre connaissance dira que tout cela est une invention de ma part.
LE CONCERTO POUR HARPE DE GLIERE
Le "Concerto pour harpe" de Gliere est certainement l'oeuvre que j'admire le plus de ce compositeur. A mon avis un chef-d'oeuvre d'impressionnisme, elle me
rappelle un peu la "Ballade" de Fauré pour piano et orchestre et les
"Variations symphoniques" de Turina pour piano et orchestre également. le concerto pour harpe de Gliere, une
oeuvre qui évoque le rêve, des crescendos qui s'enflent insensiblement et se
résorbent sans jamais heurter, évoquant le repos de l'âme ou quelque
souvenir nostalgique aimable.
THÉORIE SOCIOLOGIQUE ET RESPECT DES MÉLOMANES
Vous essayez de m'expliquer depuis 2 ans que ma théorie ne respecte pas les mélomanes. J'essaie de vous expliquez aussi depuis deux ans que toute théorie d'ordre
sociologique aboutit à considérer l'intervention, sinon la prépondérance, de
facteurs extra-musicaux dans notre comportement vis-à -vis de la musique et
que l'on ne doit pas assujettir la recherche de la vérité - sans pour autant
affirmer qu'on la détient - à des considérations d'ordre moral. On pourrait
en dire de même de la théorie de l'Evolution de Darwin. Doit-on la refuser
sous le prétexte qu'elle ne respecte pas notre dignité?
D'autre part, je ne prétend pas personnellement être capable d'éliminer tout
facteur idéologique de mes jugements sur les oeuvres. Vouloir se croire un
esprit pur, réfractaire à toute influence ne procède-t-il pas d'un sentiment
d'orgueil. Soyons plus humble.
CONCERTOS POUR PIANO HÉTÉRODOXES
Pour satisfaire un peu plus la curiosité des amateurs de concertos pour piano, voici quelques
compléments sur les oeuvres concertantes pour piano et orchestre dont la composition
instrumentale s'écarte de l'orthodoxie (ils ont été établis par mon ami Jean-Michel Perchrancier):
Il existe 3 oeuvres pour 3 pianos et orchestre (Arnold, Jacob, Winne),ce qui
est pour le moins étonnant contre 17 pour piano à quatre mains (parmi
lesquels Clementi, Czerny, Arnold...). Ces possibilités instrumentales me
paraissent difficilement compatibles avec ce qui constitue l'essence de
l'oeuvre concertante, la mise en relief du soliste. Je ne vois d'ailleurs
aucune oeuvre qui m'est séduite parmi ces genres, cependant bien peu, il
faut le reconnaître ont été recréés. Que dire alors des oeuvres pour 4
claviers et orchestre de Bach, Czerny, Gould, Vengazo!
En revanche parmi les oeuvres pour 2 piano et orchestre (167 oeuvres), il y
a naturellement la célèbre "Fantaisie zoologique" de l'obscur compositeur
académique. Ce qui est relativement étonnant, c'est que l'oeuvre à l'audition
ne se différentie guère, à mon avis, d'une euvre pour piano seul dans le
sens où le second soliste n'introduit aucune lourdeur ni aucune complication
inesthétique. Il faut vraiment écouter attentivement pour constater qu'il y
a effectivement 2 solistes.
LA FOLIE VIVALDI
"La folie Vivaldi", tel est le titre choisi par "Le monde de la musique"
pour évoquer le compositeur vénitien, titre qui est une allusion à la
frénésie du public à l'égard de cette musique. Le contraste entre
l'engouement du public et le jugement réservé des élites musicographiques
est bien patent, comme je le pensais et quoique en dise(nt) certaine(s)
personne(s) :-).
"Les quatre saisons sont sans conteste l'oeuvre classique la plus populaire
au monde" écrit Olivier Bellamy. On compte 175 versions enregistrées, ce qui
n'est sans doute pas le record et ne prouve en rien l'adhésion du public,
mais c'est le nombre de ventes qui l'attesterait. De nombreuses versions se
sont maintenues en tête des ventes pendant de longs mois assure le même
auteur.
Les avis sont cependant partagés sur la valeur du compositeur. Si Eric
Tanguy le considère comme un grand génie, Fabio Bondi demeure plus réservé.
Tanguy dit:
"C'est un romantique" "Ce qui est unique chez certains compositeurs comme
Vivaldi, Sibelius ou Dutilleux, c'est que la sonorité qu'ils obtiennent est
la propriété exclusive de leur auteurs"
"il utilise l'art de Corelli et Frescobaldi avec une grande force
dramatique"
Biondi, lui, affirme:
Les moments d'émotion vraie sont rares, puis, au journaliste qui lui pose la
question:
"Pour vous, Vivaldi est-il un génie ?" (au passage, imaginons le scandale si
la même phrase était posée à propos d'un "grand classique"):
"Il y a une écriture d'une évidente uniformité. Vivaldi utilise des formules
stéréotypées et les mêle à une écriture violonistique brillante, mais pas
suffisamment développée. La quantité de musique n'est pas proportionnelle à
la densité du matériau."
Sur l'uniformité des concertos de Vivaldi, les avis divergent.
Tanguy lui, affirme:
Quand j'entens dire que Vivaldi utilise toujours le même moule pour ses
concertos, je bondis car c'est absolument faux. Une partie de son génie
réside dans son invention permanente de la forme. Son langage harmonique est
d'une fabuleuse richesse...
Marcon, de son côté affirme:
La musique de Vivaldi souffre encore aujourd'hui d'une mauvaise réputation
on la dit trop facile, complaisante et répétitive. Cela tient à une
connaissance insuffisante de son répertoire."
Marcon pense que les meilleures oeuvres de Vivaldi ne sont pas l'opus 3, 4,
ni même 8 ou 9 (qu'il semble plus ou moins mépriser), mais les concertos non
publiés de la dernière période, (ceux précisément que lui Marcon contribue à
faire connaître).
Le langage de Marcon ne serait-il pas un plaidoyer pro domo?
Petit rappel historique: c'est Luigi Dallapicola qui a déclaré le premier
que Vivaldi avait écrit 600 fois le même concerto.
Déjà , les spécialistes disaient du temps de Vivaldi d'après ce que nous
rapporte Goldoni: "Les bons connaisseurs disent qu'il était faible en
contrepoint et qu'il maltraitait les basses". Vingt-six ans plus tard
Goldoni, qui l'admirait, affirme que Vivaldi est "un compositeur médiocre".
Sans doute est-il devenu entre temps un "bon connaisseur".
Personnellement, je serais tenté de donner raison à Biondi si on compare
Vivaldi aux compositeurs romantiques, mais à Tanguy si on compare Vivaldi
aux autres compositeurs de l'époque baroque. Quelles que soient les avancées
de Vivaldi, sa musique demeure baroque par de nombreux aspects, affirmer
qu'elle est assujettie à certains procédés est peut-être exagéré, cependant
il me semble que Vivaldi recourt parfois à des formules thématiques
similaires, sauf peut-être dans certains concertos dramatiques comme les
"Quatre saisons". La succession tutti-soli systématique me paraît lassante
dans un grand nombre de concertos et l'on ne peut masquer le caractère
rudimentaire de nombreux tutti. Les possibilités du violon sont
insuffisamment développées, vrai aussi dans une certaine mesure.
Objectivement, il faut le reconnaître, par rapport à la technique du 19e
siècle.
Des "Quatre saisons", Olivier Bellamy dit:
"Vivaldi donne une vision dramatique et impressionniste de la nature qui
dépasse largement le cadre descriptif. Les quatre saisons sont plus proches
de La mer de debussy que du coucou de Daquin.".
Je dirais oui et non. Oui dans l'esprit, non dans le type d'écriture
utilisée. Personnellement, je pense que l'impressionnisme vivaldien demeure
fort différent de l'impressionnisme du début du 20e siècle, mais je pense
que le terme d'impressionnisme est approprié. Et le coucou n'a-t-il pas une
certaine teinte impressionniste, c'est à mon avis une pièce remarquable dont
on ne doit pas minimiser la valeur et qui n'est pas négligeable comparée aux
"Quatre saisons". Les "Quatre saisons" sont peut-être une oeuvre unique dans la
mesure où elle représentent une fusion
baroque-classique-romantique-impressionniste-moderne originale. On aurait pu
penser qu'une telle oeuvre ait été écrite au 20e siècle pour cumuler tous
les styles, cependant elle ne me semble en aucun cas résumer les procédés
qui furent à l'oeuvre pendant 2 siècles d'histoire de la musique, souvent
fort différent, mais elle induit des affects comparables.
MARCON ET BIONDI À PROPOS DE VIVALDI
Je pense que Marcon a effectivement montré la valeur de certains concertos
sans numéro d'opus datant de la période "de maturité" de Vivaldi, le RV 177,
mais ces oeuvres ne me paraissent pas supérieures à celle de l'opus 8 et il
ne faut pas oublier le déchet, à mon avis: des concertos pseudo-classique
dans le style galant un peu à la manière de Mozart. Ensuite, Marcon n'a pas
fait de découverte fracassante à mon avis, Vitold déjà avait enregistré des
concertos sans numéros d'opus qui me paraissent également appartenir à la
période dite "de maturié". Donc, je donnerai tout de même raison sur ce
point en partie à Biondi, cependant est-il vraiment opportun de se livrer
sinon à une surexploitation (on est loin de ce qui existe pour les "grands
classiques"), mais à une exploitation qui entraîne fatalement la négligence
d'autres compositeurs. Marcon nous répète à l'envi que Vivaldi fut influencé
par les Napolitains (mais il ne cite personne). ne s'agirait-il pas plutôt en ce qui concerne l'opéra que la littérature violonistique? Pourquoi Marcon ne nous
proposerait-il pas quelques oeuvres de ces Napolitains plutôt que de nous
livrer les oeuvres de Vivaldi où leur influence serait perceptible?
L'histoire de la musique pour violon, à mon avis, nous reste inaccessible en
grande partie, qu'il s'agisse de l'école italienne du 18e ou de l'école
franco-belge, de l'école polonaise ou du reste... à moins de parcourir les
bibliothèques et de lire les partitions.
VIVALDI ET SIBÉLIUS SELON TANGUY
Eric Tanguy cite par trois fois le nom de Sibelius dans son article sur
Vivaldi. Il rapproche ces deux compositeurs alors que Bach lui semble
appartenir à une autre planète. Je suis également fervent de Vivaldi et
Sibelius, pour autant, le rapprochement que fait Tanguy entre ces deux
compositeurs est-il justifié? Oui et non sans doute. Tout d'abord, l'un
appartient à la période baroque, même s'il prétend s'en dégager, l'autre est
un compositeur du début du 20e siècle. L'un affectionne le style concertant,
le second le style symphonique. En outre, on pourrait plutôt les opposer en
considérant que l'un a développé le culte de la vitesse et l'autre de la
lenteur. N'est-ce pas aussi un rapprochement car tous deux ont réalisé une
approche de la musique dans laquelle le tempo joue un rôle fondamental.
Biondi le remarque à propos de Vivaldi:
"La vitesse était pour lui le miroir du génie. C'était à mon sens
l'expression d'une angoisse existentielle". Tous deux ont recherché cette
ivresse orgastique du son et ces longues progressions thématiques dont la
résolution apparaît incertaine.
VIVALDI ET SIBÉLIUS
Je partage votre avis contre Tanguy à quelques nuances près dans le sens où
la thématique de ces deux compositeurs me semble sans rapport, ce qui est
consécutif du décalage temporel, ils n'appartiennent pas à la même époque et
donc pas à la même esthétique. C'est tout de même une donnée fondamentale
que l'on ne peut raisonnablement oublier. Les correspondances que l'on peut
établir à un niveau philosophique supérieur doivent sans doute être
considérées avec précaution. Cependant, si on avait à regouper les 3
compositeurs Bach, Vivaldi, Sibelius, ne serait-on pas tenté de réunir les
deux derniers et les opposer au premier?
Vivaldi "ensoleillé", cela ne me paraît pas toujours évident, notamment dans
ses concertos dramatiques comme les 2 concertos "La tempesta di mare" ou
l'"inquietudine". Et dans les "Quatre saisons", y a-t-il beaucoup de soleil?
peut-être plutôt une sorte de tristesse indicible. Dans l'été, la canicule
est vécue comme un accablement, non comme une bénédiction d'Apollon.
En ce qui concerne la forme, je ne pense pas que la forme-sonate existait du
temps de Vivaldi, nous sommes encore à l'époque baroque, mais il est vrai
que Vivaldi utilise très souvent la succession très limitée tutti soli, on
est à des années-lumière de cette liberté totale de la forme qui s'est
développée à l'époque impressionnisme.
Sibelius pessimiste, oui, cela me paraît être le mot juste, pessimiste, mais
non désespéré, cependant l'angoisse du pessimisme est peut-être un état plus
profond que celui du désespoir.
COMPOSITEURS ESPAGNOLS DU 19E SIÈCLE - EGK, HARTMAN, ZIMMERMANN, FOERSTER
N'est-il pas significatif que les deux meilleurs CD que j'ai écoutés cette
année soient le CD (8.554497 DDD) consacré au violon nordique (avec des
oeuvres très peu connus de Johan Halvorsen notamment) et celui que je viens
de découvrir (Sony GCD 2K0501) sur les oeuvres pour piano romantiques
espagnoles (comprenant
lui aussi des oeuvres
très peu connues (notamment de Martial Adalid).
Certains de ces compositeurs du milieu du 19e siècle ne figurent même pas
sur le fameux dictionnaire Grove (mais Adalid, le plus connu d'entre, eux
y figure). Ces compositeurs nous révèlent à mon avis un style
pianistique où la marque rhapsodique est peu sensible, d'une originalité
moins marqué que le style nordique (nous ne sommes pas non plus sensiblement
à la même époque). C'est sans doute à la génération
suivante qu'il appartiendra d'acquérir cette originalité. Sur l'extrait en
audio real que je vous invite à écouter, on peut découvrir des effets
comparables à ceux rencontrés chez
Gottshalk: glissandi ascendants et notes répétées dans l'extrême-aigu. Pour
le reste, l'écriture évoque le style contemporain (de l'époque) que ces
compositeurs, pour
la plupart, allaient puiser à Paris, la capitale la plus proche où l'on
pouvait entendre tous les artistes internationaux. Il en est ainsi pour
Martin Sanchez Allu, Eduardo Ocon... seul Teobaldo Power Lugo-Vina introduit
une touche de rhapsodisme.
Que dire des quelques concertos pour violon du 20e siècle réunis dans le CD Koch
3-1075-2 (Egk, Hartman, Zimmermann), seul le premier me paraît devoir être
pris en considération, un néo-classique au lyrisme réel à mon avis, qui n'en
demeure pas moins rudimentaire du point de vue symphonique. Mieux cependant
que la "Symphonie n°4" de Foerster, à mon avis massive et peu lyrique.
Harmonie et mélodie, tel est le titre de mon éditorial, emprunté à un
ouvrage de Saint-Saëns qui eut un certain retentissement. Si les
"harmonistes" et "mélodistes" sont réconciliés, la divergence n'en a pas
moins conditionné une certaine attitude envers la musique, à mon avis,
toujours perceptible actuellement et que l'on est pas près de faire
disparaître. Le regain actuel d'intérêt pour certains symphonistes comme
Bruckner
et Mahler alors que les grandes oeuvres concertantes, pour violon notamment,
du 19e restent dans l'ombre n'est-il pas significatif?
C'est curieux, j'ai l'intuition qu'un certain membre me répondra qu'il n'en
est rien et que tout cela n'a évidemment existé que dans mon imagination
VISION PARANOÏAQUE DE LA MUSIQUE CONTEMPORAINE?
Je me livrerais à une analyse paranoïaque de la musique contemporaine? Lorsque l'on constate la marginalisation de la musique contemporaine atonale
que ne survit que grâce aux "béquilles administratives et publicitaires" de
l'Etat, on peut se demander, sauf votre respect, cher mélomane distingué, si ce ne sont
pas ses partisans qui sont paranoïaques. Il me semble qu'enfermés dans leur
ghetto idéaliste qu'entretient une certaine intelligentsia, ils ont perdu
toute lucidité. Ne ressemblez-vous pas aux derniers prêtre sans fidèles
d'une religion morte vouant une sempiternelle vénération à leurs idoles
désavouées?
Cela m'étonne de n'avoir pas encore reçu de missive de votre part à propos
de ma chronique. Mais, c'est vrai, vous ne pouvez pas croiser le fer de
tous côtés à la fois.
MARGINALISATION DE LA MUSIQUE TONALE
La marginalisation de la musique tonale ne vous émeut pas, c'est vrai qu'il en faudrait bien plus pour émouvoir un mélomane de votre acabit, mais de plus vous associez le succès à la vulgarité en invoquant l'exemple des chansons populaires. Je crois que vous établissez d'abord une première confusion en considérant
des publics différents, celui de la musique classique et celui de la
chanson. Au cas où vous ne l'auriez pas encore remarqué, forum-classique est
une liste dédiée à la musique classique.
D'autre part, vous ramenez habilement les différences quantitatives qui
existent entre le succès des différentes oeuvres de musique tonale pour
faire valoir l'intérêt de la musique atonale. Or vous oubliez que c'est
l'ensemble de la musique atonale qui est concernée par l'insuccès, d'autre
part, cette musique n'a quasiment aucun public et le peu de public qu'elle a
est souvent amené artificiellement alors que les oeuvres tonales, même
bénéficiant d'un public restreint pour certaines, sont mieux accueillies. Vous
oubliez que les oeuvres dont vous nous faites l'apologie ne sont pas seulement négligées, mais sont vomies par le
public, elles sont excécrèes, considérées comme insupportables.
APOGÉE ET DÉCADENCE DE LA MUSIQUE
Si on additionne la musique ancienne et la musique contemporiane qui, à mon
avis, participent de la même essence anti-artistique, que reste-t-il à la
musique véritable s'adressant à la sensibilité? sans doute bien peu. Je me
demande parfois si la musique en tant qu'art ne se manifeste pas uniquement
lors de périodes exceptionnelles nés d'une stimulation, d'une floraison
intense qu'il faut porter, maintenir pour qu'elle s'affirme. Dès qu'il y a
un relâchement vers cet idéal de beauté, on retombe dans l'ornière d'une
"musique" sclérosée devenue une dégénérescence qui se maintient et
s'autodéveloppe. La vermine, les cirons et les cafards sont toujours là prêt
à se repaître du cadavre, ceux qui profitent de la respectabilité que la
musique avait atteinte au prix de tant d'efforts lors des périodes fastes et
en tirent bénéfice. Mais j'arrête là, c'est sans doute encore une
manifestation de ma paranoïa aiguë.
BRUCKNER MOINS CONSIDÉRÉ QUE TCHAÏKOVSKY!
Bruckner moins considéré que Tchaïkovsky à une certaine époque. Un plaisir guère plus avouable que pour Tchaïkovsky, oui, sauf que Mahler
était
estimé par les mélomanes "supérieurs", les chevaliers aux premières lignes
du progrès alors que Tchaïkovski était
estimé par la vile piétaille des mélomanes (dont je suis un représentant),
honteux eux-mêmes d'avouer leur
penchant. Cela dit, comme à propos de Bruckner, je dissocie l'opinion que
j'ai de la musique de Mahler des considérations idéologiques sous lesquelles
certains l'ont abordée.
PROCÉS DE LA MUSIQUE ATONALE PAR LANDOWSKY
Quelques citations intéressantes du livre de Marcel Landowski "La musique
n'adoucit pas les moeurs" que j'ai évoqué il y a quelques jours. (Ne pas
confondre avec W.A Landowski qui fut, musicographe du début du siècle).
"Que serait aujourd'hui la musique française depuis la fin du XIXème siècle
jusqu'aux années 1980 si des Habeneck, Colonne, Lamoureux, Pierné, Wolff,
Gaubert, dervaux, Fournet n'avaient eu les moyen de faire connaître et d'imposer la musique française de leur temps ?"
Et que serait Bach et Haendel aujourd'hui si la musicographie allemande et
anglaise n'avaient pas dominé la scène internationale alors que la française
et l'italienne étaient inexistantes. Il ne s'agit pas là d'un facteur
proprement "idéologique", mais d'une "contrainte" historique à laquelle la
connaissance de la musique et l'acquisition des notoriétés sont soumises.
C'est en tous cas un autre type de facteur qui a pu être fondamental. Je
poursuis plus loin dans l'ouvrage :
"La pensée de Honneger est à l'opposé de la réflexion d'un stravinski
voulant épater par des formulation paradoxales du contraire de ce qu'il
pensait.... Après les chefs-d'oeuvre fabuleux de la première moitié de sa
carrière, il se dessèchera peu à peu dans un quête formelle liée au goût du
temps. Ainsi Stravinski aura passé une bonne partie de son existence à côté
de lui-même, son génie asséché par certaines côteries
d'un monde
occidental qu'il a voulu suivre pour être à la page."
Les palinodies de Stravinski sont bien connues... Il y a mieux avec la
citation suivante. Là, nous arrivons au vif du sujet, c'était jusque là un
hors d'oeuvre.
"A l'Opéra de la Bastille on construit, à l'instigation de Pierre Boulez,
une salle dite modulable de médiocre dimension, car on a peur d'affronter
directement et courageusement, pour la création d'aujourd'hui, le vrai
public, celui qui fit les grands compositeurs. Frileusement, on se réfugie
dans les salles pour spécialistes. On évite la vraie vie."
Et encore mieux, plus loin dans l'ouvrage,
"La Dame Bien, Mon amie Suzanne me dit qu'elle raffole de cette musique
"contemporaine" là, mais chut... un soir elle m'a confié que, chez elle,
elle n'écoute que du Vivaldi ou du Brahms"
Et encore plus loin :
"L'impasse est encore grave en effet. Elle le sera tant que trop de hauts
fonctionnaires, de personnalités politiques de tous bords et de dames du
monde craindront, sans écouter leur propre jugement, de rater le dernier
bateau, et n'auront pas le courage d'affirmer sans complexe qu'ils voient "le
roi tout nu" du conte d'Andersen."
"On voit chaque jour la parenté d'esprit qui existe entre le conformisme
conservateur et le conformisme d'avant-garde.."
Et encore :
"Quand un art se déconnecte de la vie réelle, quand il ne vit que dans le
passé... le sens du service public s'efface et il n'y a plus de public. La
pulsion vitale étant tarie, c'est le temps de la gloire des tricheurs de
tous bords... Ce sont ou les malins d'avant-garde ou ceux du conservatisme
qui tiennent le haut du pavé, mais pavés glissants menant à des voies sans
issue."
Je me demande maintenant, cher mélomane distingué, quelle métamorphose, eau, air, feu...
vous allez utiliser pour vous échapper et éviter de considérer ces jugements cinglants. Peut-être encore allez-vous vous vaporiser sur place.
COTE DE L'ATONALISME DANS LES OUVRAGES MODERNES
comme je l'avais affirmé, il ne me
semble pas que le cote de la musique atonale ait diminuée dans les ouvrages
depuis 20 ans. Les chiffres que j'ai pour Schoenberg, Berg et Boulez ne sont
sensiblement pas différents. Comment en serait-il autrement alors que les
sommités qui donnent le ton sont toujours en place pour la plupart.
Je viens de consulter le "Dictionnaire de la musique" sous la direction de
Marc Vignal édité en 2001. Dans la présentation, il est affirmé qu'il a été
procédé à une mise à jour des rubriques.Ce n'est pas le cas de nombreux
ouvrages qui sont réedités sans changement de texte plusieurs dizaines
d'années après. Il peut apparaître plusieurs dizaines d'énnées de différence entre le dépôt légal et la date de réimpression. Même si le dépôt légal est récent, cela ne signifie en rien une modification du texte car le
renouvellement de dépôt légal a pu se justifier par une simple remise en
page. C'est le cas de l'"Histoire de la musique" de Larousse 2001 dont le texte
est identique a celui du Honneger il y a 20 ans environ; l'ancien éditeur
ayant apparemment vendu ses droits à Larousse.
Bref, voici ce que je lis dans cet ouvrage réactualisé sous la direction de
Marc Vignal à la notice "sérialisme":
"On peut affirmer que presque tous le grands créateurs nés entre 1920 et 30
ont eu leur période sérielle, (j'ai connais un qui sera content de lire
cela), tant il est vrai qu'une certaine tyrannie intellectuelle s'est alors
exercée (là, il sera moins content)." Et l'auteur de citer Boulez: "tout
compositeur est inutile en dehors des recherches sérielles"
Le terrorisme d'une certaine avant-garde est donc reconnu, ce qui signifie une certaine distanciation à l'égard du mouvement sériel, voire un désaveu de la part du rédacteur, mais voici ce
qu'on lit plus loin:
"Preuve en est que la grande variation beethovénienne, n'est guère très
éloignée et que la musique sérielle peut ne pas manquer de force, ni de
lyrisme [à propos de la mort de Virgile de Hermann Broch]."
L'acharnement à présenter les recherches sérialistes comme de la musique lyrique persiste. D'autre part, voici ce que je lis dans "Les grandes dates de l'histoire de
la musique dans la collection "que sais-je" (1995) ouvrages très actualisés
comme on sait:
"Nous avons été beaucoup plus discrets sur le 20e siècle, estimant à partir
de 1940 n'avoir pas un recul suffisant pour juger de la qualité intrinsèque
ou de l'importance d'un événement touchant à la vie musicale"
Cela implique que les auteurs pensent avoir réuni ces conditions pour les
périodes antérieures, notamment juger de la valeur intrinsèque des oeuvres!
Diantre!
Si l'on observe les dates retenues pour cette période (après 1940), on
remarque qu'elles correspondent toutes à des oeuvres atonales. (Schoenberg,
Bartok, Webern, Cage, Varese, Dutilleux, Stockhausen, Roussel, Messiaen,
Stravinski, Berio, Schaeffer, Boulez, Nono...) Aucune oeuvre "néoclassique"
n'est retenue. Apparemment la "discrétion" annoncée ne concerne que les oeuvres tonales.
Rien n'a changé.
OEUVRES ATONALES OU PSEUDO-TONALES
Roussel, sans doute. Il me paraît un peu comparable de ce point de vue à
Prokofiev ou Einem, des compositeurs tonaux ou pseudo-tonaux dont le style
présente une aridité bien "moderne", tout au moins pour les oeuvres que je
connais de ces compostieurs.
Concernant Bartok, si je me réfère aux concertos poru piano, je pourrais
vous donner raison, bien qu'il y ait une agressivité rythmique, un certain
parti-pris anti-mélodique bien moderne. En revanche pour les Mikrokosmos,
l'agressivité rythmique domine à un point tel que je qualifierai l'oeuvre de
moderne au mauvais sens du terme. Et il semble bien là que ces partitions
soient atonales. Je ne saurais vous dire s'il s'agit de polytonalité, de
dodécaphonisme ou d'autre chose, vous savez que ces nuances me semblent très
secondaires. Cela va peut-être outrer les esprits savants en atonalisme,
mais je ne vois pas l'intérêt de ces différentiations théoriques dès lors
que (pour moi) il n'y a plus de musique.
LES PLANÈTES DE HOLST
Vous avez merveilleusement évoqué cette oeuvre unique. J'ai un faible pour
Vénus. On se croirait réellement transporté dans un monde inconnu. Les
thèmes développés au violon, à la flûte (si mes souvenirs sont bons)
possèdent une empreinte sonore inimitable. Nous découvrons Vénus dans ses
limbes par un miraculeuse ouverture de son enveloppe de nues. Holst évoque
une volupté quasi orgastique - mais purement auriculaire - vraiment rare et
d'une suprême élévation.
DIATRIBES CONTRE LES INSTRUMENTISTES VIRTUOSES
Je n'ai pas vu cette épithète au sujet de Cziffra, mais elle ne m'étonne
guère. En revanche, j'ai lu un auteur qui s'en prenait à tous les solistes
(en bloc, comme cela il n'y a pas de jaloux), je vous laisse deviner son
nom, vous le connaissez. Voici sa brillante diatribe:
"Quand on songe que ce chef-d'ouvre [« Variations sur un thème de Diabelli »
de Beethoven] n'apparaît dans aucun programme, que l'on en compte au plus
deux enregistrements, on peut se dire que nos innombrables princes du
clavier, rois des récitals, sont les parasites de la musique beaucoup plus
souvent que ses serviteurs."
Et quelle oeuvre particulièrement, jouée par ces princes, pourrait être dans
le collimateur, on se le demande. Mais, c'est vrai, on m'a reproché de
prétendre lire entre les lignes.
Vuillermoz n'est pas mal non plus dans cette veine:
"Dans un esprit terriblement routinier, cette usine d'État [le
Conservatoire] fabriquait en série des instrumentistes sans culture,
uniquement préparés aux succès d'estrade..."
LES ÉTUDES TRANSCENDANTES DE LIAPOUNOV
Je signale parmi les nouveautés d'abeille musique les études transcendantes
de Liapounov. Je désespérais de les voir paraître un jour en CD. C'est pour
moi une oeuvre-culte, je les recommande vivement, sauf la 12e dédiée à Liszt
qui me paraît un exercice de virtuosité un peu vain et laborieux. Les autres
pièces, notamment Ronde des sylphes, Harpes éoliennes représentent un aspect
du pré-impressionnisme quelque part entre Liszt, Arenski et Albeniz. on
retiendra notamment Leshinga dont l'harmonie rappelle d'assez près une pièce
d'Albeniz (Zaragoza si mes souvenirs sont bons ou Cordoba). Par rapport à
Liszt, le pianisme de liapounov a gagné en souplesse et nuance. Son
exploitation des extrême-aigu demeure difficilement surpassable (sinon par
Arenski). Le style, par rapport à la période romantique, a gagné en
raffinement pour atteindre une éloquence, une virtuosité vaporeuse,
évanescente, presque dématérialisés, bien loin des effets quelque peu
abrupts de Listz dans ses études transcendantes, plutôt représentatives du
pianisme à mon avis encore assez peu dégrossi de la première période
romantique. C'est pour moi un chef-d'oeuvre à ne pas manquer, de même que la
fameuse Fantaisie sur des thèmes ukhrainiens du même compositeur qui, elle,
apparemment, n'est pas encore à l'ordre du jour chez les éditeurs. Mais il
faut espérer.
Louis Kentner joue Liapounov
Douze Etudes d'execution transcendante / Louis Kentner, piano
whttp://www.abeillemusique.com
LE "DICTIONNAIRE DES MUSICIENS" DE ROLAND DE CANDÉ 1964
Candé, Roland de - Dictionnaire des musiciens - Editions du Seuil collection
Mocrocosme, achevé d'imprimé 1964
J'ai toujours eu un certain faible pour Roland de Candé. Non qu'il se soit
détaché d'une vision traditionaliste de l'histoire de la musique, mais il
n'a jamais mis, à ma connaissance, de passion acharnée à dénigrer les
virtuoses-compositeurs, ce qui est déjà un bienfait.
L'introduction de l'ouvrage signale que le nombre de compositeurs aurait pu
atteindre 1
million en 10 siècles d'histoire de la musique. Sélection a été réalisée de
3000 compositeurs réduite à 777. Un million, cela me paraît beaucoup.
Normalement, c'est le vingtième siècle qui devrait être le plus représenté.
D'après le chiffre personnel que j'ai, le nombre de compositeurs d'oeuvres
pour piano et orchestre a augmenté exponentionnellement depuis le 18e siècle
(de 250 envrion pour le 18e à 1700 environ pour le 20e). Donc un million me
paraît important.
L'auteur a voulu éviter un déséquilibre en faveur de la musique française et
affirme la volonté de diminuer la notice de plus illustres compositeurs pour
préserver l'éclectisme. J'aurais plutôt pensé que le
déséquilibre ne se trouve généralement pas en faveur de la musique
française. La remarque de Candé me donne des sueurs froides. Voci également
ce qu'affirme Roland de Candé:
"Le souci de favoriser une documentation éclectique en si peu de pages
m'obligeait à traiter brièvement les plus illustres compositeurs. S'ils ne
sont pas représentés ici en proportion de leur génie, on sait que tout le
complément d'information utiles se trouve dans de nombreuses monographies" p 2
Pensée ambiguë à mon avis. Candé veut-il réellement signifier que les
illustres
compositeurs mériteraient plus de pages qu'ils ne leur en a réservé et
surtout
ne veut-il signifier que cette allocation proportionnellement à leur
célébrité représente une sorte de vérité universelle? Mais quelle célébrité
considère-t-il? la célébrité auprès du public ou auprès des musicographes
antérieurs?
Enfin, une phrase pour moi très réconfortante (j'en rencontre si peu):
"Les virtuoses célèbres comme Liszt ou Paganini sont considérés surtout sur
le point de vue de la création."
Voilà qui est intéressant et me paraît judicieux.
Quant aux notices, elles n'apparaissent effectivement pas disproportionnées
en faveur des grands classiques.
Il existe une nouvelle édition de cet ouvrage en 1974, dont le texte n'a
probablement pas changé si j'en juge par d'autres rééditions de Candé comme
par exemple La musique (histoire, dictionnaire, discographie).
ARGUMENTAIRE CONTRE L'ATONALISME
Vous ne pouvez refuser d'admettre les arguments d'ordre sociologique
concernant l'inauthenticité du public de la musique atonale, la rupture avec
le véritable public, le degré d'abstraction des productions sonores atonales
les éloignant d'une définition de l'art afférente à la sensibilité musicale,
le discours de nature purement idéologique s'y rapportant, les conditions
d'assistanat honteuses maintenant artificiellement l'avant-garde atonale...
Tout cela ne peut être contesté. Si vous persistez dans votre amour de
l'atonalisme après avoir reconnu ces réalités, je vous laisse libre.
PUBLIC DE LA MUSIQUE ATONALE
La musique atonale possède, dites-vous, un véritable public, même s'il est très limité. Ce qui compte le plus n'est pas foncièrement le nombre, mais la nature de ce
public et ses motivations réelles. Une "production musicale" peut drainer un
public considérable sans que ce public l'apprécie en tant qu'oeuvre d'art.
C'est le cas général de la musique dont la fonction est essentiellement. C'est en ce sens que je prétend que la musique atonale n'a pas de "véritable public".
religieuse.
AIMER LA MUSIQUE ATONALE?
"Aimer" sans doute pas. Selon la théorie de Furtwangler, la musique atonale
créé des effets psychiques épiphénoménaux, fortuits qui n'ont aucun rapport
avec les émotions "structurées", puissantes qui produit la musique tonale.
N'importe qui peut écouter le "Concerto à la mémoire d'un ange" et imaginer
des effets sporadiques, dues uniquement à notre capacité à exciter
nous-mêmes notre activité corticale.
Que veut dire aimer de la part de ceux qui apprécient la musique atonale. La perception correspond-elle à des sensations
et sentiments structurés ou bien n'est-elle que le déclenchement aléatoires
de "phosphènes psychiques"
SINGULARITÉ DE LA MUSIQUE SÉRIELLE
Selon vous, la musique sérielle serati un phénomène par essence totaleemnt nouveau et vous la trouvez de ce fait "mystérieuse". Rien de mystérieux à mon avis. Jusqu'à la Renaissance, la musique a obéit à
des conventions tout aussi absurdes qui ne reposaient que sur des règles
ésotériques abstruses et tout aussi gratuites que celles de la musique
sérielle.
ABUS ARGUMENTAIRE
Vous critiquez l'abus que je ferai de l'argument du subventionnisme de la musique atonale.
Votre manière d'aliéner la valeur d'un argument à la plus ou moins grande
fréquence de son énonciation a de quoi surprendre. Et les contre-arguments opposés ne sont-ils pas aussi récurrents? Que l'auditoire en soit
lassé, c'est différent, mais peut-être est-il lassé tout simplement de
cette nouvelle guerre sur l'atonalisme, et en l'occurence ce n'est pas moi
qui l'ai déclenchée. Pour ma part, les guerres contre les grands classiques
me suffisent. En l'occurence, je répèterai le même argument jusqu'à ce
qu'on veuille bien en tenir compte et chaque fosi que le contexte dialectique le rend nécessaire.
LE PUBLIC DE LA MUSIQUE ATONALE
Il a été prouvé que la quasi-totalité du public de la musique atonale était
un public de professionnels. Reportez-vous aux conclusions du sociologue
Pierre-Michel Menger "Le paradoxe du musicien". C'est une étude sérieuse,
une enquête, et vous disposerez de tous les chiffres, notamment la
composition sociologique du "public" de la musique dite contemporaine".
Menger y analyse l"'intervention sans cesse élargie de l'Etat". Voici une de
ses constatations : " Plus l'engouement pour les oeuvres du passé a grandi
plus la création savante contemporaine s'est projetée dans le futur et a
paru défier depuis 40 ans mélomanes, interprètes et publics des autres
musiques"
Voici un extrait de cet ouvrage dans le chapitre: "L'écart entre la
construction et la perception des oeuvres modernes".
"L'échec du système sériel, restreint ou généralisé, ne saurait être imputé
simplement aux excès de la pensée compositionnnelle, victime de sa volonté
de systématisation. L'échec se mesure tout autant à l'effet majeur de ces
contradictions internes, la distorsion irrémédiable des rapports entre
l'invention créatrice et la perception de l'oeuvre par l'auditeur profane.
L'impuissance du public à déchiffrer l'oeuvre strictement sérielle dans le
temps de son exécution comme après plusieurs auditions répétées n'était pas
un élément accidentel qu'auraient pu corriger un derssage des facultés
perceptives, une pédagogie de l'accoutumance, mais bien l'expression la plus
flagrante de l'abstraction stérile à laquelle était vouée une volonté
purement théorique de reconstitution du langage musical." p 216 édition de
1983
Si vous trouvez des sociologues contestant ces conclusions, indiquez-les
moi.
CONVENTIONS DANS LA MUSIQUE TONALE
Je ne reprends pas la totalité de vos réponses car globalement j'y souscris.
Topute musique, à mon avis, n'est cependant pas convention, notamment la
base de la musique occientale, la tonalité, ne repose pas sur la convention,
mais sur des lois acoustiques. Ces lois n'ont cependant pas été considérées
au départ, c'est l'oreille seule qui a prévalu. Il existe effectivement de
nombreuses conventions dans la musique tonale au niveau de la forme,
particularité sur laquelle justement s'appesantissent les Intellectuels,
mais à mon avis celle-ci ne revêt qu'une importance secondaire. Si vous
voulez un exemple de focalisation outrée sur les problèmes de forme, lisez
la notice discographique de l'intégrale des symphonies de Sibelius par
Bernstein, vous serez servi. Pour les auteurs, c'est le point central de ces
oeuvres et srutout le fait de savoir si Sibelius est en retard ou en avance
par rapport à son époque.
VALEUR EXCLUSIVE DE LA MUSIQUE ATONALE ET DE LA MUSIQUE TONALE
Si les atonalistes ont raison, je
pense que le corollaire est que la musique tonale n'a aucune valeur. En
effet, le principe sur lequel s'appuie ces musiques sont totalement
divergents. Dans le premier cas, la valeur musicale tiendrait à une analyse
raisonnée du matériau musical, dans le second cas à une perception
intuitive.
PRÉJUGÉ DU PROGRESSISME
Chez Bourdieu, autant que je sache, je
conditionnement social est en rapport avec la classe sociale, ce qu'il nomme
l'habitus. Ce que je veux dire n'a aucun rapport avec cette notion. J'évoque
un conditionnement lié à un corpus d'engagements idéologiques souvent
propres à une époque et même à une civilisation, en l'occurence l'idéologie
du progressisme (et de l'avangardisme qui a suivi) sont nés à l'époque des
Lumières au 18e siècle. Nous sommes toujours dans cette phase dialectique
depuis deux siècles et tous les efforts que l'on peut tenter pour s'en
dégager restent vains. C'est ce préjugé positif de progressisme, très
puissant, qu'utilisent habilement les compositeurs atonaux et d'une manière
générale, toute la microsociété qui gravite autour.
SOCIOLOGIE ET MARXISME
Vous persistez à me "traiter" de marxiste. Alors, allons-y pour une petite leçon de marxisme. Ce qui caractérise le marxisme, c'est l'importance accordée aux classes
sociales, et consécutivement une interprétation de l'Histoire en terme de "lutte des classes", or c'est un aspect que je n'ai jamais considéré. Vous confondez,
me semble-t-il, la sociologie et le maxisme. Toute la sociologiqe n'est pas
maxiste.
En second lieu, l'importance des facteurs sociaux n'est pas fondamentale dans
ma philosophie de remise en cause des grands classiques, mais au contraire
j'insiste sur l'importance de l'idéologie, ce qui est plutôt une critique du
marxisme. Vous auriez cité Hegel à mon sujet, cela serait plus juste car on
peut interpréter les grands courants idéologiques en termes de d'évolution
dialectique. Par exemple, il existe une dialectique vivante de la perception
de l'oeuvre de Bach par les commentateurs.
CORRESPONDANCES ENTRE MUSIQUE ET ARTS PLASTIQUES
Van Eyck et Picasso appliquent la même conception de la peinture : le
figuratisme ou pseudo-figuratisme. C'est avec la peinture de Kandinski et plus tard de
Matthieu par exemple qu'apparaît et se développe une différence de conception majeure. Le
même hiatus existe entre la musique tonale et atonale, quoique un certain
type de non-figuratisme (Kandinski justement ou Miro par exemple) puisse
être rattaché à la conception abstraite "décorative" de l'art à laquelle se
rattache l'ornementation architecturale traditionnelle. La correspondance
entre arts plastiques et art musical me paraît difficile et arbitraire.
BACH ATONAL?
La musique de Bach est tonale dans l'ensemble bien qu'elle s'appuie sur le
plan de la forme sur des principes d'écriture largement dominés par la
raison (l'imitation par exemple). Cependant, dans certaines oeuvres de ce
compositeur, le tonalisme demeure encore peu affirmé. D'autre part,
l'écriture contrapuntique en réalisant des rencontres fortuites de sonorités
entre les deux lignes horizontales concourt à une tonalité diffuse,
laquelle, précisons-le, n'a aucun rapport avec la dissonance, notion moderne
résultant de l'écriture verticale.
LE CONCERTO DE GLASS MODERNE ET TONAL
Pour moi, le concerto pour violon de Glass est moderne tout en demeurant
tonal. Il est moderne par une répétitivité accusée à un point insoutenable.
L'expressivité me paraît très limitée dans cette oeuvre.
ÉVOLUTION INÉLUCTABLE VERS L'ATONALISME?
J'ai moi-même parallèlement souvent considéré que l'évolution musicale
depuis le 19e siècle est loin de se résoudre à ce prétendu magnétisme vers
l'atonalité. Par exemple, les nouveautés apportés dans l'instrumentation par
Saint-Saëns et Tchaïkovsky (le casse-noisette, La jeunesse d'Hercule...)
ne vont nullement dans le sens de l'atonalisme, elles sont neutres de ce
point de vue. On pourrait aussi considérer l'évolution de la mélodie au 18e
siècle, de la "mélodie" non récitative des concerti baroque à la mélodie
ultratonale du style galant. On pourrait aussi ajouter les particularités
des expressionnistes russes comme Khatchaturian ou Kabalevski qui ont à mon
avis inventé une couleur tonale particulière sans rappport avec une
quelconque évolution vers l'atonalisme. Il y a bien d'autres évolutions dans
la musique classique qui n'ont aucun rapport avec la prétendue fuite vers
l'atonalisme.
"SYMPHONIE DES HÉBRIDES" DE BANTOCK, "RIENZO DU COLA" DE SGAMBATI
Tout d'abord, une oeuvre à mon avis "exceptionnelle" que je considère parmi
les meilleures oeuvres impressionnistes et que j'ai classé parmi les
chefs-d'oeuvres mémorables. C'est la Symphonie des Hébrides de Granville Bantok
datant de 1915. Quand je pense que ce chef-d'oeuvre (à mon avis) est resté
totalement négligé! Je la place largement
au-dessus de "Jeux" de debussy, oeuvre avec laquelle elle pourrait présenter
quelques affinités, mais on va me reprocher naturellement de promouvoir une
oeuvre au détriment d'un autre appartenant à un compositeur reconnu. Alors,
disons qu'elle est nettement meilleure que la suite de Harrisson. Là, on ne
me reprochera rien.
Autre grande oeuvre, la très longue ouverture "Rienzo du Cola", oeuvre d'une
intériorité assez rare. A bannir pour les amateurs d'oeuvres dynamiques et
au lyrisme plus généreux. C'est (peut-être?) une des étapes de
l'impressionnisme de la lenteur qui culmine avec Sibelius. Du même
compositeur, le premier quintette avec piano, oeuvre d'intérêt variable à
mon avis, beaucoup moins marquante (pour moi) que le second quintette que je
m'empresse de recommander à ceux qui ne le connaitraient déjà. Tout de même,
le second (ou troisième je ne sais plus) mouvement me paraît inoubliable.
J'ai appris par la notice du CD que Sgambati avait été élu à l'Institut en
France, il avait donc acquis une notoriété internationale. Massenet a
orchestré une de ses oeuvres, la plupart de ses oeuvres sont édités en
Allemagne. Ce quintette me paraît avoir de nombreuses affinités avec un
trio de Saint-Saëns. Sgambati connaissait obligatoirement Saint-Saëns
puisque c'était son collègue de l'Institut. Cela dit, je ne sais pas si ce
protégé de Wagner et ami de Massenet pouvait être en odeur de sainteté
auprès du créateur de la Danse macabre. Quelqu'un (?) sur cette liste
parlait d'un échec de Sgambati. Pour un échec, ce n'est pas si mal. Il est
vrai qu'il avait l'appui de Wagner et de Liszt. Wagner qui n'était peut-être
pas toujours le personnage égocentrique et exécrable que l'on croit. Voici
ce qu'il disait:
"Je souhaite du fond de mon coeur vous recommander la publication de deux
quintettes du Signor Sgambati.... Je m'attends à d'excellents résultats
étant donné l'extrême faiblesse de la musique de chambre allemande (même
celle de Brahms)."
La musicologue italienne (qui a eu le don de m'énerver prodigieusement)
rapportant ces propos s'offusque que Wagner considère la musique de chambre
de Sgambati supérieure à celle de Brahms. A l'époque les musicographes
n'étaient pas encore passé par là pour encenser qui bon leur semblait.
Parmi les chef-d'oeuvre également le "Concerto n°5" de Litolff. J'apprends par
la notice qu'il n'a pas atteint la notoriété du "Concerto n°3", oeuvre qui me paraît effectivement la plus attrayante, la plus "irradiante".
De Vivaldi des oeuvres pour flûte que l'on est allé chercher je ne sais trop
où et que l'on aurait à mon avis mieux fait de laisser où elles étaient.
Cela fait partie de l'intégrale opus 101. Ce genre de production avait
jusqu'à présent épargné le "prêtre Roux", voilà qu'il est atteint lui aussi. J'en
profite pour recommander à ceux qui ne les connaitraient les magnifiques
concerti pour flûte de l'opus X de ce compositeur. Cela permet de ne pas
finir avec une note aussi triste.
J'allais oublier: un second CD de musique espagnole pour piano, assez
proche de Scarlatti, de la bonne musique à mon avis qui cependant n'atteint
pas l'intérêt du CD précédent consacré au 19e siècle.
SUR L'ARTICLE DE DUTEURTRE ET CELUI DE TAM THAN-LE
l'article de Duteurtre, très bel article qui n'est pas écrit sur le ton d'une diatribe, mais avec un
certain esprit désabusé, ce qui lui communique plus de portée. Ce qui me
frappe, c'est le caractère scientiste de ces pseudo-créateurs que Duteurtre
a bien mis en lumière. Quel hiatus entre un Liszt, un Paganini et ces
prétendus artistes ne parlant que de fonctions et de systèmes. Cela
m'apparaît également dans l'article de Tam. Si l'on avait quelque vélléité
d'écouter de la musique atonale, l'article de Tam nous en dissuaderait bien
vite. C'est ébouriffant, ennuyeux, sérieux au possible. Cela révèle l'esprit
anti-artistique d'un ingénieur ou d'un mathématicien imperméable au charme
et au lyrisme. J'ai beaucoup d'estime pour Tam, mais je pense qu'il se fourvoie.
MUSIQUE EN TANT QU'ART
Je crois qu'il ne faut pas confondre la musique en tant qu'art et ce qu'on
nomme (improprement "musique d'une manière générale. La musique en tant
qu'art est un phénomène restreint qui s'est développé en Europe du 17e
siècle au 20e et elle s'indentifie à mon avis à la manifestation de la
tonalité. En revanche, la "musique" au sens général du terme est, comme vous
le dites, indépendante de la tonalité, c'est elle qui a dominé dans le monde
pendant de longs siècle, mais elle ne représente pas la musique en tant
qu'art, c'est-à-dire qu'elle ne véhicule pas une expressivité.
ARTICLE DE TAM THAN-LE
J'ai eu quelques remords et je me suis attaché à considérer plus
attentivement le pensum de ttle.
Voici son premier argument à la critique d'artificialité adressée à
l'atonalisme:
"Il ne l'est pas forcément, dans la mesure où il sert de moyen d'expression
à des créations artistiques et sert les tempéraments particuliers des
compositeurs qui l'utilisent. à mon avis, on peut difficilement affirmer que
les premiers atonalistes s'évadaient de la tonalité à titre purement
expérimental ; la musique post-romantique allemande, en particulier celle de
Wagner, avait déjà considérablement assoupli les relations tonales, et si
certains ont préféré s'en tenir là, d'autres ont désiré franchir l'étape
suivante, probablement pour des motifs tant expressifs que techniques ou
théoriques."
ttle justifie le caractère selon lui naturel de l'atonalisme par le fait
qu'il "sert d'expression à des créations artistiques". C'est, je crois,
utiliser comme argument ce que l'on veut démontrer (et qui ne l'est donc pas
encore). La capacité à véhiculer de l'expression est justement contesté par
les anti-atonalistes en prenant pour argument, en particulier, que le
langage atonal est artificiel. On ne peut répondre que le langage atonal
n'est pas artificiel car il véhicule une expression artistique.
A propos de la musique post-roamntique allemande et de Wagner, ttle ne
confond-il pas souvent la dissonance et l'atonalisme. La dissonance, me
semble-t-il, n'a de sens et ne s'interprète que par rapport à la tonalité
(par définition même), elle ne représente en aucun cas un pas vers
l'atonalisme. Dans une oeuvre atonale, les dissonances n'existent pas. Une autre considération toujours à propos du pensum de ttle (ne croyez cependant pas que j'y trouve
goût, ce serait inquiétant), voici une citation répondant à la critique: "les musiques atonales sont purement intellectuelles":
"Si l'on entend par "purement intellectuelles" que les musiques atonales
ne peuvent susciter l'attachement qu'après une analyse formelle préalable,
détachée de toute intuition, de toute émotion immédiate, non musicale, alors
je dirais que c'est une généralisation très excessive. Je n'approche pas une
oeuvre atonale d'une manière foncièrement différente, et le plaisir que je
prends éventuellement à la jouer ou à l'écouter fait, sinon passer la
satisfaction intellectuelle au second plan, du moins totalement intégrer
celle-ci à la conception musicale, comme pour toute autre partition."
ttle avoue là l'intervention d'une composante intelelctuelle à l'écoute de
la musique tonale, ce que personnellement, je ne puis comprendre. S'il y a
une composante intellectuelle, cela signifie qu'elle peut être formulée,
expliquée avec le langage de la raison, alors j'attends que ttle m'explique
pourquoi il trouve un intérêt à une oeuvre tonale précise, par exemple la
"Symphonie n°5" de Beethoven qu'il apprécie sans doute.
Je crois plutôt que nous ne pouvons percevoir la musique que par l'intuition
et que toute explication (très hypothétique d'ailleurs) ne peut être formulée
qu'a posteriori.
A l'assertion: "on ne peut apprécier la musique atonale qu'avec un bagage
technique élaboré", ttle répond: non. Voici cependant la suite du discours:
"Et, comme pour toute musique, des indications techniques peuvent aider à
affiner une perception, à l'approfondir, à la saisir avec plus de force et
d'acuité, à fournir de nouveaux éclairages."
C'est donc un nouvel aveu de l'intervention selon ttle d'une composante
intellectuelle - d'ordre "technique" même dans la "compréhension de la
musique tonale. Je ne vois pas en quoi des indications sur la technique d'un
instrument, sur la théorie tonale... peuvent aider un auditeur à apprécier
une oeuvre. Etrange conception de la musique. Je crois au contraire que
l'aspect technique ne saurait que briser la parcelle de rêve et de magie à
laquelle l'oeuvre essaie de nous faire accéder. Le meilleur interprète, le
meilleur compositeur n'est-il pas celui qui nous fait oublier la technique.
Ainsi la virtuosité lyrique nous fait oublier la difficulté instrumentale.
En revanche, que les circonstances de composition, le sujet de l'oeuvre
(pour une oeuvre à programme) interviennent dans sa compréhension, on peut
le penser raisonnablement, mais ce n'est pas ce qu'a voulu signifier ttle
apparemment.
Pour terminer, comme ultime citation, je rapporterai la profession de foi conciliante de ttle à l'égard de la musique néo-classique sous la rubrique:
"La musique contemporaine ne peut être qu'atonale":
"Non. énormément de partitions splendides sont composées de nos jours avec
des références tonales plus ou moins marquées. Certaines ouvriront-elles des
perspectives neuves et durables, inspirant d'autres personnalités
créatrices, il est un peu tôt pour le dire ; mais il est impossible de
réduire la création vivante d'aujourd'hui aux langages atonaux."
Certes, cette prise de position manifeste une incontestable ouverture d'esprit dont on doit se féliciter, mais n'a-t-elle pas pour but de renforcer l'idée selon laquelle la musique atonale est "une musique comme une autre"? N'est-ce pas une manière de gommer l'argument gênant de sa singularité fondamentale dont elle s'enorgeuillissait pourtant autrefois? L'ensemble de l'article, qui ne se présente pas, bien loin de là, comme un pladoyer virulent en faveur de la musique atonale semble s'incrite dans cet état d'esprit conciliant visant à intégrer la musique atonale harmonieusement et logiquement dans le contexte de la musique tonale, en douceur comme s'il s'agissait de la chose du monde la plus naturelle. Et cette pondération conciliante n'est-elle pas une habileté suprême pendant que d'autres dévaluent leurs propos par leurs violentes diatribes contre l'atonalisme? Mais ne croyez surtout pas cette interprétation, due certainement à mon mauvais esprit, prompt à déceler ches mes contradicteurs des manoeuvres imaginaires alors qu'ils sont toujurs d'une irréprochable candeur.
Considérons donc ces propos sous l'angle positif, j'aimerais néanmoins que ce principe fût appliqué dans les ouvrages d'histoire de la musique
pour lesquels la "vraie musique" de la seconde moitié du 20e siècle ne peut
être qu'atonale, à tel point que le terme de "musique contemporaine" a fini
par devenir synonyme de "musique atonale", ce qui constitue une contre-vérité inacceptable. Je
suppose donc que ttle s'accordera avec moi pour admettre que les ouvrages ne
reflètent pas la réalité historique et qu'ils sont fortement tendancieux.
J'ai produit sur ce forum de nombreuses citations sur des compositeurs
"néo-classiques" dépréciés parce qu'ils ne satisfaisaient pas au critère
atonaliste - quand les auteurs avaient bien voulu au minimum leur concéder une place pour les dénigrer. J'ai même rencontré plusieurs ouvrages d'histoire de la musique
où la place accordée à Boulez était supérieure à celle de Vivaldi. Est-ce
raisonnable? N'est-ce pas plutôt le résultat d'un aveuglement idéologique?
PERCEPTION D'UNE OEUVRE ATONALE?
Je n'ai jamais fait le procès des créations humaines, dont l'Art notamment.
Je répète que si la musique atonale peut être comprise, il faut qu'elle le
soit par une médiation qui passe par une connaissance des lois sur
lesquelles elles s'appuie, étant donné que ces lois ne peuvent être perçues
intuitivement.
Le langage est un code artificiel. nous pouvons cependant le comprendre car
nous connaissons le code, c'est-à-dire la signification de chaque mot. En
revanche, nous ne pourrons jamais déchiffrer une langue étrangère si nous
n'avons pas la "Pierre de Rosette" qui nous en dévoile l'alphabet.
Ce que les atonalistes soutiennent, c'est que l'on peut comprendre
intuitivement un langage qui n'a aucune assise dans la nature. C'est à mon
avis impossible.On apprend sa langue maternelle ou une langue étrangère parce qu'on établit progressivement le code par correspondance entre les objects, les
actions et les mots qui les désignent, me semble-t-il. Il est indubitable
que le langage que nous employons est un code.
Si les atonalistes refusent de faire appel à l'intuition, dans ce cas ils sont cohérents. mais alors il faut apprendre ce code
complexe. Personnellement je n'ai pas les
capacités de le faire
ATONALISME - SÉRIALISME
Effectivement, l'argument de l'artificialité ou de l'arbitraire du système
n'est valide que pour les oeuvres sérielles. Mais pourquoi les sérialistes
se sont-ils avisés de créer un système? A mon avis, parce qu'ils ont perçu
la faiblesse d'un atonalisme dans lequel aucune hiérarchie des sons ne
subsistait, c'est-à-dire dans lequel l'oreille ne pouvait plus percevoir de
signification.
Cela dit, on peut toujours prétendre que l'absence de système est capable
d'engendrer des effets musicaux perçus intuitivement. Personne ne pourrra
jamais vous prouver l'inverse sinon l'échec patent de l'atonalisme au niveau
historique et sa marginalisation.
ATONALISME ET MYTHE DU COMPOSITEUR INCOMPRIS DE SON VIVANT
Il faut distinguer la popularité ou l'impopularité d'une oeuvre
particulière, qui peut être due au hasard dans une certaine mesure et le
fait que pas une seule oeuvre parmi des milliers appartenant à une
conception musicale n'obtient le moindre succès. Là, il y a de quoi
s'interroger sur la validité des principes sur lesquels s'appuie cette
conception.
Vous revenez au mythe du créateur îgnoré de son vivant et qui devient
célèbre après sa mort. Les peintres impressionnistes, que je sache, pour
certains, sont devenus célèbres de leur vivant. Le Salon des Indépendant
a-t-il été boudé par le public? Qui a décrié ces toiles? qui a mené une
campagne contre les Impressionnistes?
En musique, les grands créateurs qui ont modifié le langage musical comme
Vivaldi ou Beethoven ont acquis une célébrité européenne de leur vivant.
RESPECT DU GOÛT D'AUTRUI ET CONTESTATION DE L'ATONALISME
Je n'ai jamais eu l'intention de ne pas respecter le goût des autres. En
revanche, j'aimerais que l'ensemble des intervenants du système cessent
leurs menées monopolistiques en faveur uniquement de la musique
contemporaine atonale. N'oubliez pas que la motivation de mes propos est
essentiellement l'inéquité dont font preuve les courants atonalistes
dominants alors qu'ils sont très largement minoritaires au niveau du public.
On peut y ajouter le travestissement de l'histoire réalisée par les
Intellectuels à leur solde, une historiographie musicale dans laquelle seul
la musique atonale est présentée comme la "vraie" musique de la seconde
moitié du 20e siècle.
CE QU'ÉVOQUE LA MUSIQUE ATONALE
Votre expérience est sans doute intéressante. Vous faites allusion au
cinéma. On peut imaginer que la musique atonale y occupe une fonction
comparable à celle d'un bruitage. Il reste à savoir si les "émotions" dont
vous parlez ont réellement la puissance de celles engendrées par les
productions tonales. Personnellement, je n'ai ressenti que des "émotions
indéterminées et très faibles que j'interprète comem de simples
épiphénomènes cérébraux alors que pour une oeuvre tonale que j'apprécie je
ressens toujours les mêmes effets liés à chaque thème précis.
SUR LES "CHANTS D'OISEAUX" DE MESSIAEN
Je vous avouerais que pour moi, les oeuvres de Messian s'inspirant du chant
des oiseaux ne valent pas celles de ces charmants volatiles.
CE QU'ÉVOQUENT LES OEUVRES ATONALES
Vous le reconnaissez. Je crois qu'il y a souvent, dans les oeuvres atonales,
une volonté de créer de la laideur, de la froideur. Quand je pense que
certain(s) partisan(s) (je ne le(s ) nomme pas pour ne pas le(s) froisser
car il(s) ont une susceptibilité extrême) ont le toupet de nous dire que ces
oeuvres sont lyriques et qu'elles parlent à l'âme!
MÉLODIE ET THÉMATIQUE
Concernant toujours la Suite hébridienne de Bartok (qu'il serait peut-être
plus correct d'appeler Suite des Hébrides) il me viens à l'esprit que le
terme de mélodie est sans doute beaucoup trop ambigu pour décrire un certain
aspect d'une oeuvre musicale. Personnellement, j'évite de l'employer, en
revanche, j'utilise volontiers celui de thématique. Le terme mélodie
sous-entend souvent "mélodie récitative", par exemple (souvent, mais pas
toujours) la mélodie des oeuvres classiques (Mozart pour prendre un exemple
commode). En revanche, ce type de mélodie me semble beaucoup moins présent
dans la musique baroque ou romantique, notamment dans les soli virtuose de
concerto dans les mouvements rapides. D'une manière générale, une pièce de
virtuosité est-elle "mélodique" dans ce sens. Prenons un exemple connu de
tous, la fameuse étude "Tristesse" de Chopin. La première partie est
manifestement une mélodie récitative. Mais peut-on appliquer exactement ce
terme de mélodie (même sans son qualificatif de récitatif) à propos de la
seconde partie. Il y a cependant une "ligne mélodique" incontestablement,
mais cette partie est-elle "mélodique"? En revanche, le terme de thématique
s'applique à l'ensemble de l'oeuvre.
BUREAU DES AFFAIRES TONALES ET BUREAU DES AFFAIRES ATONALES
Savez-vous, très cher mélomane, la différence entre le Bureau des Affaires Tonales et le Bureau
des Affaires Atonales? Le verdict du Bureau des Affaires Atonales est
imprimé et distribué à des milliers d'exemplaires sous forme d'ouvrages
officiels alors que le prétendu "Bureau des Affaires Tonales" (selon vous)
ne jouit que de quelques lecteurs. S'il était vrai que nous faisions du mal
à la musique, nous n'en ferions pas beaucoup. Quant au "Bureau des Affaires
Atonales, je crains qu'il n'ait déjà fait beaucoup de mal à la musique par
l'entremise de vos amis.
Je sais que l'allusion à "vos amis" vous met en rage, par hasard auriez-vous honte de vous sentir acoquinés avec eux?
CRITIQUE MUSICALE
C'est tout le problème de la critique que vous soulevez. Les jugements
portés par les critiques ont sans doute peu de valeur et ne servent
probablement à rien. Pour ma part, j'en fais car cela me fait plaisir et je
considère égoistement que c'est une raison valable. Quant à l'organisation objective de la musique, vous savez, je ne vois pas
qui pourrait prétendre y voir clair là-dedans. En tous cas pas moi.
SUITE DES HÉBRIDES DE BANTOCK - JEUX DE DEBUSSY
Toujours suite à mon message concernant la "suite des Hébrides" de Bantock,
je voudrais poursuivre la comparaison commencée avec "Jeux" de Debussy, au
risque de scandaliser l'un de nos membres qui semble vouloir proscrire ce type
d'exercice critique. Mais au point où j'en suis!
Ce que Debussy semble avoir tenté avec "Jeux", c'est d'atteindre la limite
extrême de la déstructuration des cellules thématiques et l'expérimentation,
à son extrême limite aussi du procédé de l'allusion ou la suggestion cher
aux impressionnistes. Dès qu'un effet commence à être perceptible, aussitôt
il est happé, englouti par un autre. L'ensemble de la partition progresse
dans une instabilité thématique traduisant un certain esprit de refus de
simplicité, un esprit d'évitement de tout lieux commun de la musique ou de
toute formule déjà éprouvée. Dans un mode plus dynamique, Chabrier dans
l'"Ouverture de Gwendoline" avait atteint ce type d'effets. Le reproche que je
ferais subséquemment à Debussy, c'est de nous priver de la plénitude des
effets musicaux, de nous restreindre à ce sentiment, certes parfois intense,
mais fugitif de la naissance de l'effet, d'exploiter l'ambiguité
mitivique jusqu'à ce qu'elle perde sa signification. Je ne retrouve pas chez Bantock ces
effets d'évitements qui frisent à mon avis un certain snobisme de la
nouveauté et de l'originalité. Je pense que l'inspiration de Bantock,
peut-être aussi sa culture musicale variée, lui a permis d'intégrer des
modes d'expression beaucoup plus vastes que Debussy dans "Jeux" et même dans
"La mer", à l'intérieur même de l'esthétique "impressionniste". Ainsi, il
intègre aussi des thèmes plus mélodiques, il
créé des ruptures étonnantes tout en maintenant une unité d'ensemble qui m'a
vraiment ébloui. S'il est une oeuvre qui forme un tout de la première
note à la dernière c'est bien celle-ci. Les mouvements, d'ailleurs, si je ne
me trompe, s'enchaînent sans interruption. Cette constatation va pourtant à
l'encontre de ma théorie de l'indépendance des mouvements. Je dois dire
cependant que rares sont à mon avis les oeuvres où l'on ne saurait ôter
l'une des parties, ni retrancher une parcelle à l'intérieur d'un mouvement.
La logique évolutive des effets me paraît également remarquable, même
lorsqu'il s'agit de thèmes très éloignés. C'est, je crois, à Rossini que
l'on a reconnu aussi ce don particulier de rendre le caractère absolument
inévitable, nécessaire de l'enchaînement des thèmes. L'arrivée de chaque
note semble prédéterminée , naturelle, indispensable.
SYMPHONIE DES HÉBRIDES DE BANTOCK ET JEUX DE DEBUSSY
Afin de poursuivre la comparaison entre la "Suite des Hébrides" de Bantock
et "Jeux" de Debussy, j'ajouterai l'existence d'une mode d'expression
présent chez Bantock et absent ou souvent plus limité dans les principales
oeuvres de Debussy que je connaisse: l'accès à un déploiement lyrique de
grande ampleur aussi bien sur le plan instrumpental que sur le plan de
l'intensité expressive. Cet aspect culmine dans les second et troisième
mouvement de la Suite des Hébrides, atteignant une coloration
quasi-expressionniste. Comme référence de ce lyrisme sauvage et véhément, je
citerai la célèbre "Nuit sur le mont chauve" de Moussorgski, le concerto
"L'été" de Vivaldi ou le RV177, le 1er mouvement du "Concerto n°3" de
Scharwenka, le second mouvement de la "Symphonie n°3" de Kabalevski, les
premiers mouvements des concertos 1, 2 et 3 de Paganini... et pour le
déploiement orchestral naturellement le dernier mouvement de "Schéhérazade" de
Rimski ou encore le drenier mouvement de la "Fantastique". Chez Debussy, on
rencontre certains passages assez véhéments, notamment la pièce pour piano
"Ce qu'a vu le vent d'ouest", mais c'est assez rare et le lyrisme de ce
compositeur n'est jamais échevelé. Il a d'ailleurs sévèrement critiqué les
romantiques Saint-Saëns, Tchaïkovsky et Beethoven. Il est d'ailleurs rare
que dans le style impressionniste, un compositeur atteingne ce type d'état
lyrique plus propre au romantisme. Je pense que lors de ces moments
suprêmement inspirés les compositeurs peuvent se surpasser, atteindre un
état de grâce presque magique.
Toujours à propos des effets impressionnistes, je crois qu'il est
intéressant de rappeler certains spropos de Debussy (vous savez que
j'allègue les propos de compositeurs uniquement lorsque cela m'arrange). En
substance le créateur de La mer dit (je ne me souviens plus exactement la
citation) que l'essence de ses recherches ne se trouve pas dans l'harmonie,
mais dans la mise en évidence d'une couleur sonore propre à ses thèmes. En
effet, je prendrai comme exemple l'introduction du "Petit berger" à la main
droite seule. L'originalité particulière de l'impressionnisme debusséen
apparaît ici pleinement alors qu'aucune harmonie n'intervient. N'évoquons
pas non plus la mélodie. Plus j'y réfléchis, plus pour moi ce terme apparaît
dépourvu d'intérêt, sinon de signification.
L'aspect, sinon secondaire, tout au moins non primordial de l'harmonie dans
l'impressionnisme debusséen (qui influa sur de nombreux compositeurs),
montre à mon avis l'indépendance de l'évolution de la musique avec la
tendance aux accords de plus en plus dissonants. Voilà ma conclusion très
orientée pour mieux appuyer ma réputation (méritée j'espère) de tonaliste
stalinien.
DÉBOULONNAGE DES IDOLES
Selon certains observateurs, les nouveautés musicales sont dues
essentiellement à la nécessité de renouveler un répertoire limité, ce qui
est un phénomène positif. La reconnaissance des nouvelles oeuvres demeure
cependant difficile et, à mon avis, ne se réalisera sans doute jamais (sauf
rares exceptions) si on ne déboulonne pas les idoles. Cette dernière
entreprise, vosu l'imaginez, se heurte à de nombreux opposants. Cela me
paraît compréhensible pour deux raisons essentiellement, tout d'abord cela
heurte l'esprit traditionaliste, en second lieu, si vous expliquez à
certaines personnes que les oeuvres qu'ils ont vénérées jusqu'à présent
peuvent être moins géniales que celles qu'ils ont jusque là considérées
comme inférieures, cela remet en cause ipso facto leur capacité de jugement
musical. Ils ne veulent pas admettre, on le conçoit, qu'ils sont été victime
dans une certaine mesure d'une illusion. Généralement, lee variations de
goût se réalisent lorsque l'on passe d'une génération à l'autre, un peu
comme les écoles artistiques, il y a le nouveau goût et l'ancien goût.
DÉFINITION BIOLOGIQUE DE L'OEUVRE D'ART
Ma définition de l'oeuvre d'art devrait assez bien convenir à un historien
ou à un biologiste. Quand les biologistes rencontres des hormones à des taux
sanguins extrêmement faibles défiant toutes les méthodes d'analyse, leur
seul recours est le test biologique: injecter une quantité d'hormone sur un
cobaye et mesurer l'action observée.
Donc, mour moi, une oeuvre d'art mérite ce nom lorsqu'elle parvient à
émouvoir au moins une certaine partie du public. Naturellement, il faut
apprécier si cet engouement est bien d'ordre artistique et non pas
idéologique, c'est là que l'historien intervient.
MESURE OBJECTIVE DE L'EMPREINTE IDÉOLOGIQUE
Pas nécessairement, il existe des "symptomes" d'un phénomène qui traduisent
au niveau historique sa nature idéologique. Pour la musique, par exemple, la
différence entre les succès de concert d'un compositeur et l'importance des
écrits développés par les intellectuels pour le soutenir. Cela peut se
mesurer.
LA SYMPHONIE DES HÉBRIDES DE BANCTOCK SE PLACE PAR RAPPORT À SON ÉPOQUE?
Comment la Symphonie des Hébrides peut-elle être placée par
rapport à son époque? C'est là un exercice difficile qui nécessiterait de
bien connaître la musique symphonique du début du 20e, ce qui n'est pas mon
cas. Néanmoins, je tenterais une comparaison avec quelques oeuvres. Nous
avons vu que par rapport à "Jeux" de Debussy", la symphonie des Hébrides
comportait une partie importante de déploiement orchestral de nature très
lyrique, ce qui pourrait amener à situer l'oeuvre stylistiquement comme une
oeuvre romantico-impressionnismte, donc plutôt tournée vers le passé.
Cependant la nature de ce lyrisme m'amènerait plutôt à la placer au-délà
comme une oeuvre impressionniste-expressionniste dans la mouvance des Russes
Kabalevski, Khatchaturian..., de Sibelius ou Nielsen.
Elle est contemporaine de la "Symphonie n° 5" de Sibelius, contemporaine à peu
près aussi de "Pan et Syrinx" de Nielsen, mais aussi des "Planètes" de Holst,
de "Ma mère l'Oye" de Ravel, de la "Symphonie n°3" d'Enesco, de la "10" de Mahler et
même de la dernière symphonie de Magnard. Mise à part cette dernière oeuvre
radicalement en dehors de son époque, la symphonie de Bantock me paraît
aussi radicalement différente des "Planètes" que de la "10"de Mahler ou même de "Ma
mère l'Oye" pour montrer au contraire des éléments plus proches de "Pan et
Syrinx" ou la "4" de Sibelius. Au total, elle me paraît celle qui a le plus
intégré les éléments impressionnismes à un expressionnisme naissant, si bien
qu'elle ne me paraît en aucun cas composite comme bien des oeuvres de
l'époque, malgré les éléments d'origine probablement disparates qu'elle
contient. A mon avis, la "Symphonie des Hébrides" est en même temps plus
colorée et plus lyrique que toutes ces oeuvres, surtout par rapport à Enesco
ou Ravel. L'intensité atteinte par cette oeuvre, par rapport aux
chefs-d'oeuvres russes expressionnistes, m'apparaît d'autant plus
remarquable qu'elle n'a pas le support du rhapsodisme. Si intégré soit-il,
celui-ci joue tout de même à mon avis un rôle important chez Kabalevski ou
Khatchaturian.
Sans doute faudrait-il faire appel à bien d'autres oeuvres qu je ne connais
pas pour situer et comprendre la genese de cette oeuvre.
CONNAÎTRE LA MUSIQUE CLASSIQUE DE JEAN-MICHEL GLIKSOHN
Je propose à votre réflexion quelques extraits de l'ouvrage de Jean-Michel
Gliksohn "Connaître la musique classique", aux Editions Slatkine. C'est un
ouvrage qui vient de paraître. Je ne connais pas l'auteur, c'est un
universitaire spécialiste de littérature.
L'ouvrage traduit bien l'état actuel de la hiérarchie des
compositeurs dans les milieux cultivés, à ce qu'il me semble. La partie
concernant la période moderne est conséquente. Voici quelques extraits
permettant d'en juger.
Sur les sérialistes de l'école de Vienne:
"A travers toutes les transformations du langage musical, ils [les
sérialistes] y étaient restés fidèles. En outre, les auteurs de cette
révolution musicale s'étaient tenus à l'écart des formes parisiennes de la
modernité: ils constituaient ainsi un autre pôle dont les innovations
allaient se révéler pour plusieurs décennies d'une singulière fécondité"
Citation de Schoenberg:
"Ce que j'ai trouvé assurera la suprématie de la musique allemande pour cent
ans"
"Ces polémiques [sur la musique moderne atonale] laissent perplexes, et plus
souvent indifférents, la majeure partie des mélomanes, que satisfait
pleinement l'écoute et la pratique des musiques d'autrefois."
"D'où, depuis un demi-siècle, la coexistence, inédite dans l'histoire de la
musique de la musique savante, de deux domaines, le domaine "classique" et
le domaine "contemporain", inégaux quant à leur audience et largement
étrangers l'un à l'autre."
"Le relatif isolement de la musique contemporaine explique qu'elle dépende
du mécénat privé et, plus encore, public."
"L'oeuvre [Pierrot lunaire] démontre que le travail sériel n'est pas
incompatible avec la séduction sonore" p 284
On ne peut mieux montrer la persistance de la considération dont jouit l'atonalisme dans les nouveaux ouvrages.
CRITIQUE DE VIVALDI
La critique que vous me rapportez sur Vivaldi me laisse assez rêveur. Rappelons-la:
"He is popular for the busy brightness of his music - but this
quality is also grist for his detractors. He's been accused of writing the
very same concerto 500 times; almost every work follows the same
fast-slow-fast pattern, with the fast movements chugging along in a
repetitious manner that has been described as "sewing machine music"."
Je vois une contradiction dans la citation critique ci-dessus. Si Vivaldi
est jugé "brillant", cela ne s'accorde pas avec l'idée de répétition et le
"chugging". Comme pour les critiques adressées à Saint-saëns, il faut
choisir et demeurer cohérent. En l'espèce, on ne peut en même temps accuser
Saint-Saëns d'avoir développé de la virtuosité superficielle et d'être un
compositeur académique. Pour Vivaldi, ou bien on l'accuse d'être répétitif,
terne et "chugging" ou bien on l'accuse d'être brillant et superficiel. On
ne peut trouver tous les défauts à un compositeur car certains sont
incompatibles. Et puis, on ne sort pas du jugement d'un compositeur et non pas d'un jugement topique sur une oeuvre qui eût été plus intéressant et où les auteurs auraient moins risqué de se contredire.
INFLUENCE DU PUBLIC ET DES INTELLECTUELS
Généralement, l'influence du public et celle des Intellectuels
(pardonnez-moi pour le terme, mais je n'en ai pas trouvé d'autres) ne sont
pas du même ordre. Le public peut "imposer" certaines oeuvres qui ne
plaisent pas aux Intellectuels, mais dans ce cas elles ne sont jamais
"reconnues" comme oeuvre musicale importante. Le meilleur exemple que l'on
puisse donner est encore l'Adagio d'Albinoni. D'une manière générale, c'est
le sort des oeuvres tonales néo-classiques contemporaines. Je n'ai pas non
plus trouvé un seul ouvrage d'histoire de la musique qui évoque "Les quatre
saisons" en termes élogieux (cela doit exister, je pense, mais c'est sans
doute assez rare). En revanche, de nombreux ouvrages évoquent avec beaucoup
d'éloges l'"Art de la fugue", tout de même moins écouté que les "Quatre
saisons". C'est ce type de phénomène qui m'intéresse beaucoup sur le plan
sociologique.
Vous me citiez un "prétendu" éloge des "Quatre saisons". J'en rappelle le contenu:
"Vivaldi sut concilier les données descriptives de l'ouvrage
avec ses exigences de pur musicien, d'inventeur du concerto
classique. [...] L'Allegro du "Printemps" est un modèle de
construction et d'élargissement des principes du concerto, avec ses
refrais (tutti) au nombre de six [...], encadrant cinq couplet
(soli). [...] Pour parvenir à ses fins, Vivaldi utilise dans "Les
Quatre saisons" les instruments à cordes avec une invention et une
ingéniosité sans limites. [...] A noter aussi les recherches
harmoniques". Etc, etc...
Après analyse plus approfondie, je m'aperçois que c'est un éloge assez
tiède. Il se borne à reconnaître surtout l'ingéniosité de Vivaldi sur le
plan de la forme, mais aucunement qu'il y ait du génie dans cette oeuvre. Je
vous ai préparé un petit dossier avec ici de véritables éloges sur Bach et
vous mesurerez toute la différence. Ces citations sont tirées d'histoires de
la musique, dictionnaires, parfois ouvrages d'auteur, mais jamais d'ouvrages
consacrés à Bach où, on le conçoit, il serait facile de trouver des éloges.
Les ouvrages vont de 1914 à 1998.
Larousse du XXème siècle 1928
"La puissance de la production n'a d'égale chez lui que la beauté et la
richesse de l'inspiration et une science incomparable."
"les hardiesses de son inspiration... devant lesquelles on n'a pas cessé de
s'émerveiller sont comme des prolégomènes à toute musique future".
Nouveau Larousse universel Larousse 1948
"...toutes pages de caractère polyphonique, chefs-d'oeuvre de clarté et d'équilibre qui témoignent d'une maîtrise et d'une facture non dépassée.
Vuillermoz Histoire de al musique
"Mais ce qui fait sa supériorité écrasante sur tous les compositeurs de son
temps, c'est le caractère profondément sensible qui transfigure ses
partitions les plus formalistes.
Edmond Buchet - Connaissance de la musique
"Son art... est un perpétuel tour de force, et s'il a parfois cherché à
commenter des textes - davantage par respect de ceux-ci que par besoin d'y
chercher une inspiration, car il ne semble jamais à court, il compose à
longueur de vie, et seul le temps pose une limite à son oeuvre
inépuisable...
Paul Landormy - histoire de la musique 1914
"... il prépare déjà l'art chargé, un peu lourd, mais si profond et puissant
d'un Beethoven veillissant ou d'un richard Wagner"
"il faut bien reconnaître que l'art de Bach possède non seulement ces trois
choses au suprême degré, mais que la confusion même du fond et de la forme,
l'équilibre merveilleux de l'inspiration la plus mystique et de la raison la
plus logique, font qu'il présente l'exemple le meilleur de grand style que
nous puissions trouver dans toute la musique."
Lory, Jacques - Guide des disques classiques
Bach apparaît bien par contraste comme un compositeur qui se livre
constamment dans ses oeuvres, le plus grands des "musiciens de l'âme".
Aguettant, Louis - La musique de piano des origines à Ravel
"j'aborderai Bach sans préambule. Aujourd'hui, tout le monde sait que ce nom
est celui d'un musicien que nul ne dépasse, que probablement nul n'égale."
Bernard, Robert
- Histoire de la musique Nathan 1974
Tout est extraordinaire, unique et merveilleux chez Bach
Bach, tout en étant le premier compositeur qui ait traité chaque instrument
en le différentiant nettement, en lui destinant une musique qui en utilise
toutes les ressources et les fasse servir à des fins hautement
significatives, est aussi, de tous les musiciens, celui qui a pensé
musicalement de la façon la plus transcendante, le plus dégagée et toute
contingence sonore.
Comme Bach, Saint-Saëns possède une mémoire immense, invasive, parfois
encombrante, plus souvent féconde. Elle est sans doute plus éclectique chez
l'auteur de Sansom,; mais - ce qui est regrettable - cet éclectisme est
d'une nature et, on ne peut le dissimuler, entaché de médiocrité. Il ne la
contrôle pas, ne la filtre pas avec cette rigueur qui unifie toutes choses
et les porte à leur plus haute expression chez Bach p 713
Encyclopédia universalis Dictionnaire de la musique Les compositeurs - Albin
michel 1998
"Quoi qu'il ait entrepris, il n'échouera en rien et, hormis certaines pages
de jeunesse, un peu irrégulières, il porta son art à un point de maturité et
d'équilibre sans équivalent. De surcroît, toute son oeuvre est préservée
comme par miracle, de toute scholastique p 35"
Bach respire aisément à haute altitude. Tant il est habitué au don permanent
de l'expression de soi qu'il n'y prend pas garde.
Direction de l'institut de musicologie de l'Université de Strasbourg
Dictionnaire de la musique science de la musique - Bordas copyright 1976
à la rubrique violon:
sur les concertos de Bach: "Leur écriture très polyphonique fait de ces
ouvres non seulement un sommet musical, mais une performance technique."
Sur Vivaldi: "La contribution d'Antonio Vivaldi à la littérature de violon
s'effectue à travers ses concertos, auxquels il communique un lyrisme où
transparaît l'influence de l'opéra.
BACH SUPÉRIEUR DANS TOUS LES GENRES À TOUS SES CONTEMPORAINS
Je n'ai jamais dit que Bach était dépourvu d'expressivité.Je pense
simplement que l'expressivité chez ce compositeur tourné préférentiellement
vers le choral et l'écriture contrapuntique est beaucoup plus limitée que
chez nombre de ses contemporains. Je pense que cela tombe sous le sens.
Certaine oeuvres de la période de Weimar et de Cothen, notamment, présentent
une certaine expressivité. Je pense que l'on a beaucoup exagéré cet aspect
de manière à asseoir la précellence de Bach dans tous les domaines. on le
considère comme meilleur que Palestrina dans le domaine du contrepoint,
meilleur que Vivaldi dans le domaine violonistique, meilleur que Scarlatti
dans le domaine de la musique pour clavier... Il n'y a que dans le domaine
de la musique dramatique où il est difficile de le considérer comme le
meilleur, et pour cause. Mais s'il avait abordé ce domaine, comme l'a dit
un musicographe, nul doute qu'il aurait surpassé tous les autres.
J'ai cité des ouvrages de 1914 à 1989 pour avoir un bilan sur le 20e siècle,
bien plus significatif qu'un instantané sur la période strictement
contemporaine, qui pourrait traduire une mode très passagère. Ce qui frappe,
c'est au contraire la constance de la considération supérieure dont jouit
Bach tout au long du siècle. Ceci permet également de voir que les progrès
de rigueur, lorsqu'il s'agit de Bach, sont relatifs, à moins que vous ne
considériez que cette apologétique n'est nullement excessive et qu'elle
procède de la rigueur musicologique. Cela dit, la rigueur a progressé dans
certains domaine à mon avis, mais pas suffisamment pour remettre en cause le
culte de Bach.
Pardonnez-moi, j'avais oublié de citer l'ouvrage que "j'avais sous la main" (le Glinckson).
Cet ouvrage est avare d'éloges pour quelque compositeur que ce soit, voici
néanmoins sur Bach:
"Le génie contrapuntique de Bach parvient à faire chanter, sans confusion,
les voix du contrepoint. Cette écriture, souvent dense, est animée,
harmonisée, dramatisée par de longues et ondoyantes mélodies dont la beauté
plastique est comme entretenue par l'infinie diversité des procédés"
sur Vivaldi, voici le passage le plus élogieux:
Vivaldi publie ses célèbrissimes quatre saisons qui, à l'état de manuscrit,
ont déjà fait le tour de l'Europe. Chaque partie de violon principal y est
précédée d'un sonnet explicatif. pourtant le pittoresque ne brise pas la
forme musicale: les scènes chez Vivaldi coincident avec l'alternance des
mouvements du concerto. Ainsi est préservée l'économie purement musicale de
l'oeuvre, l'imitation du monde naturel n'étant qu'une concession à
l'imitation du monde matériel. Aussi bien la plus grande partie de la
musique instrumentale baroque est vierge de tout argument littéraire"
Au-delà de toute polémique, il me paraît intéressant de rapprocher l'éloge
que vous avez présenté (ouvrage de Fayard) et de comparer aux éloges sur
Bach.
On reconnaît à Vivaldi des qualités "techniques", notamment à propos des
"Quatre saisons" l'ingéniosité à faire correspondre l'épisode narratif avec la
forme du concerto, mais on ne reconnaît en aucun cas de la "beauté" ou du
"génie" comme dans les citations sur Bach, qu'il s'agisse de critiques sur
une oeuvre précise ou sur l'ensemble de l'oeuvre des compositeurs. D'autre
part, les "Quatre saisons" sont considérées comme relevant du pittoresque
alors que certaines oeuvres de Bach procèdent du "dramatique", on est à un
niveau supérieur.
Le Larousse sous la direction de Marc Vignal comporte effectivement un
"éloge" de Vivaldi plus appuyé que celui-ci, mais dans le même esprit. Il
sera intéressant de le considérer dans un message ultérieur.
CRITIQUES COMPARÉES DE BACH ET VIVALDI DANS L'OUVRAGE DE MARC VIGNAL
Cher mélomane, comme promis et pour vous être agréable, je vous présente un
extrait d'une notice "élogieuse" de Vivaldi - où il y a même une critique de
Bach - tirée du "Dictionnaire de la musique" sous la direction de Marc
Vignal édité en 2001. J'espère que vous apprécierez cette délicate attention
envers vous.
"Ces dons d'invention et les côtés descriptifs de sa musique (dans le
"Chardonneret", "la tempête", "les saisons") placent Vivaldi à l'origine du
concept moderne d'orchestration. personne avant lui, en effet, ne s'était
soucié à ce point de la couleur et de la spécificité mélodique de chaque
instrument et donc de leur disposition à la fois dans le déroulement de
l'oeuvre et dans l''espace au moment de l'éxécution, d'où par exemple des
effets de masque ou d'écho sciemment mis en oeuvre (peu soucieux de
spécificité, ne songeant qu'à la riche neutralité polyphonique et n'ayAnt
comme souci que d'enrichir l'harmonie, Bach commit dans ses transcriptions
le contresens de modifier l'instrumentation.
Seul avant le romantisme, l'oeuvre de Haydn devait manifester des intentions
analogues. or Haydn fut vers 1760 le musicien des Morzin avec lesquels
Vivaldi avait été très lié. il semble dés lors probable que le jeune
musicien autrichien ait étudié les oeuvres du vénitien alors que ce dernier
était déjà tombé dans l'oubli. ce qui est sûr, c'est que Haydn put trouver
"Les quatre saisons" dans la bibliothèque du prince esthérazy" p 887
Vous remarquerez cependant que l'auteur se livre à un commentaire
(objective ou non ?) d'ordre analytique ou établit des hypothèses.
Il n'y a aucun réel "éloge" (par le biais de jugements de valeur sinon le
terme de "dons d'invention") dans le sens où
il ne nous dit pas que telle oeuvre est un sommet de la littérature ou telle
oeuvre est superbe... Si nous nous reportons à la notice Bach du même
ouvrage, nous trouvons notamment en sous-titre et en caractère gras:
"Une
synthèse
géniale", on peut mesurer toute la nuance qu'il y a entre le "don
d'invention" et le génie.
Mais allons plus loin. Le dictionnaire de Marc Vignal a été écrit par plus
de 100 rédacteurs dont Marie-Claire Beltrando-Pattier, Boucoureliev,
Bourniquel, Candé, Cantagrel, Chailley, Chion, Goléa... On imagine que le
présent article n'a pas été écrit par un des plus fervents admirateurs de
Bach et de Haydn et plutôt par un admirateur de Vivaldi. Pour avoir un avis
plus significatif et peut-être moins partial, reportons-nous à une notice
générale qui n'est pas afférente à un seul compositeur et pas
obligatoirement signé par un admirateur d'un compositeur particulier, par
exemple la notice
générale "concerto" Dans cette notice se trouve une analyse d'un concerto de
Vivaldi et d'un concerto pour clavecin de Bach. Pour l'auteur, dans le
"Printemps" de Vivaldi, les solis sont réservés à une "virtuosité athématique
et impersonnelle" (gammes, arpèges, marches harmoniques modulantes).
Puis l'auteur analyse le concerto en ré mineur BWV 1052 de clavecin et
orchestre de Bach. Il pense que le soliste se trouve dans la même situation
(mais lui applique-t-il le terme dépréciatif d'impersonnel?), cependant, on
remarquera, contrastant avec le caractère neutre voir dépréciatif de
l'analyse du "Printemps" le caractère laudatif (où apparaît un jugement de
valeur) de l'analyse du concerto de
Bach à propos duquel il est dIT qu'il comporte "un superbe fondu enchaîné, où
l'orchestre s'efface à pas de loup" p 203 Aucun jugement de valeur de ce
type dans
l'analyse du "Printemps".
Prenons un autre exemple intéressant. Dans la notice sur Viotti, nous
trouvons le commentaire relativement "laudateur":
"Les 10 derniers concerti témoignent des mêmes qualités dramatiques que les
précédents, mais aussi d'une orchestration plus fournie et d'un lyrisme
jusqu'alors inhabituel" p 886"
mais, lorsque nous passons à l'article précédent sur le concerto (article
très important quantitativement: plusieurs pages grand format) , nous
constatons tout simplement que Viotti n'y figure pas! L'éviction étant,
comme l'a dit Robert Bernard "le plus impitoyable des jugements", notamment
lorsqu'il s'agit en l'occurence du chef reconnu de l'école moderne de violon
dont l'importance "historique" ne peut être contestée.
En conclusion,je dirais que les discours élogieux envers Bach me paraissent
procéder chez les auteurs du réflexe pavlovien, comme s'il était nécessaire
à chaque fois
de sacrifier à un culte. Tout d'un coup, ils perdent le ton de commentaire
objectif qui devrait être celui d'un dictionnnaire ou
d'une histoire de la musique pour affirmer un jugement de valeur. L'anomalie
ne me paraît pas être l'absence
d'éloge pour Vivaldi ou d'autres, mais leur introduction dans le cas des
grands classiques et plus particulièrement de Bach. Ceci n'exclut pas
parfois des critiques envers ces classiques et - quoique rarement - aussi
sur Bach (j'ai relevé aussi une liste). Phénomène curieux, j'ai fréquemment
observé que les critiques et les éloges se trouvaient souvent chez un même
commentateur formulés souvent de manière contradictoire.
SATIE ET L'ÉCOLE D'ARCUEIL
Je ne suis pas sûr que Satie représentait un mouvement (l'école d'Arcueil)
important à son époque, mais je me trompe peut-être. Ce mouvement
dépassait-il le périmètre du microscosme parisien? Ce n'est que quelques
décennies plus tard, me semble-t-il, que l'on a vu se gonfler
considérablement les notices sur son nom dans les ouvrages, phénomène à mon
avis absurde, s'appuyant en grande partie sur l'amitié qui liait Debussy à
Satie. Sans cela, qui aurait accordé une importance à ces partitions.
Franchement, j'ai généralement vu Satie apprécié par des personnes très peu
mélomanes qui voulaient montrer des goûts originaux. Naturellement, Simon,
je ne me permettrais pas de vous ravaler à ce type de mélomanes :-)
Je crois qu'il faut vraiment être masoschiste pour écouter les "4 ogives" du
début à la fin.
LES SYMPHONIES DE SIBÉLIUS PAR BERNSTEIN
Je viens de commencer d'écouter l'intégrale des symphonies de Sibelius par
Bernstein, en commençant par les symphonies que je connais déjà. Si
l'interprétation me convainc pour la 2, en revanche je suis plus sceptique
pour la 1 par rapport à plusieurs interprétations que je connais. Il me
semble que la tendance de Bernstein a été de précipiter un peu le tempo. Cet
effet dynamisant ne met pas en valeur à mon avis une oeuvre s'appuyant sur
l'exploitation de la lenteur. Je me demande si Bernstein a bien senti la
spécificité de Sibelius. Pour moi, il est passé totalement à côté. Certes,
l'oeuvre rete compréhensible, mais on ne se sent pas imprégrer par la magie
de cette suspension infinie qui, à mon avis, constitue la sève de cette
symphonie, poru moi une des meilleures qui aient jamais été écrites.
L'INTELLECT ET LA MUSIQUE
Voici la philosophie générale de Glicksohn sur les rapports entre
l'intellect et la musique, tirée de l'avant-propos de l'ouvrage
(Connaissance d ela musique):
"Pour créer cette faminiarité, nous voudrions présenter, de manière aussi
claire que possible, ce que l'histoire et la science de la musique -
débarrassées de l'érudition et de la technique réservées au spécialiste -
peuvent apporter à l'auditeur dans sa compréhension des ouvres."
"La musique de variété est, par essence, éphémère" p 8
"elle n'en reste pas moins [la musique], commes les arts plastiques et la
littérature, le domaine d'une certaine élite et ne se livre pleinement qu'à
ceux qui partagent la culture dette élite"
"De même que l'amateur de peinture sait dire les qualités d'une toile sans
être lui-même un artiste, de même le mélomane peut discerner , sans en avoir
la pratique, les qualités musicales d'une ouvre... Il n'est pas de
meilleure - ni de plus facle - éducation de la sensibilité musicale."
Une philosophie qui n'est pas partagée par tous les "Intellectuels"
cependant. Depuis la fin du 19e siècle, me semble-t-il, la nature intuitive
de la "compréhension de la musique" a été de plus en plus reconnue, même si
les musique prétendues "intellectuelles" sont toujours favorisées.
Le caractère éphémère de la musique de variété me paraît beaucoup plus une
observation de son développement historique plus qu'une caractéristique sui
generis de cette musique. N'en a-t-il pas été de même de la musique
classique jusqu'à l'aube du 20e siècle. On pourrait d'ailleurs considérer ce
fait comme une caractéristique qui pourrait signer la musique "vivante" par
opposition à la musique "morte" considérée sous l'angle de la muséographie.
OUVRAGE DE GLINCKSON: QUELQUES JUGEMENTS GÉNÉRAUX
"Le compositeur baroque ne se veut ni personnel ni original. Il cherche à
plaire, à émouvoir, parfois à éblouir" p 85
Là, j'aimerais que l'on m'expliquât!
"Il serait erroné, cependant, d'imaginer une rivalité permanente entre les
artiste italiens, habiles à flatter le goût superficiel des Viennois, et des
maîtres germanique dont le style, plus sérieux, aurait peune à s'imposer." P
124
Glicksohn justifie cette phrase et indiquant qu'il y a eu une certaine
fusion. Guère d'évolution par rapport à laphilosophie de Forkel considérant que l'esprit "welch" avait perverti la musique. Ce sont les Viennois qui vont être heureux de lire l'ouvrage de
Glicksohn.
"A ceux qui reprochent à Haydn son manque de passion, Goethe, en admirateur
fervent, répond: "L'éternel passionnel en musique, comme dans tous lesa rts,
a d'autant moins d'importance que c'est celui qui est le plus facilement
perceptible." "p 128
Ici, une citation intéressante de Goethe. Les défenseurs de Haydn ne
tiendraient sans doute pas le même langage aujourd'hui. Le code des valeurs
a sans doute changé.
"Le thème baroque était, on s'en souvient, une longue phrase, une sorte de
discours sans parole dont les inflexions faisaient à la fois l'éloquence et
le charme. Désormais, le rôle du thème est d'incarner une identité, de se
fixer dans la mémoire de l'auditeur qui le reconnaîtra à travers les
transformations qu'il subit." P 131
Donc, apparemment, il n'y aurait pas de thèmes reconnaissable dans la
musique baroque! Et pas de thèmes courts.
"Certes, ni Haydn, ni Mozart ni Beethoven n'ignorent l'émotion mélodique,
mais l'élan de leurs compositions provient de motifs très simples, parfois
quelques notes extraites d'une phrase très longue et qui aquièrent, dans
leurs réapparitions et leurs métamorphoses une forte personnalité
dramatique" p 131
Que disais-je à propos de Haydn!
Beaucoup de comositeurs se ménagent un succès facile en sacrifiant au
pittoresque ou à l'anecdote. Carl Ditters von Dittersdorf fait entendre à
Vienne, en 1786, des symphonies inspirées par les métamorphoses d'ovide..."
p 141
Voilà une formule bien frappée. Se non e vero e bene trovato.
Sur les musiciens romantiques en général:
"mais peu d'entre eux parviennent à créer sereinement des oeuvres sublimes" p
153
INFLUENCE DU NOM
On n'apprécie pas mieux une oeuvre d'un compositeur s'il est connu au lieu d'être inconnu, dites-vous?
Même si cela peut vous paraître choquant, je répondrais, oui, dans une
certiane mesure, cela influe. Si on sait que le compositeur dont on n'écoute
l'oeuvre n'est pas un inconnu, mais un compositeur considéré comme génial
par l'intelligensia, on sera sans doute plus porté à le trouver
effectivement comme tel (cf Durkheim). c'est inconsciemment pour nous une
manière de nous considérer comme intégrés à la collectivité à laquelle nous
appartenons en en approuvant les codes et les valeurs. En second lieu, si on
ne le trouve pas génial, cela pourrait signifier que nous ne sommes pas
capables de percevoir le génie que les personnes autorisés ont vu. Deux
raisons qui nous poussent inconsciemment à amplifier l'intérêt des effets
réels que nous trouvons dans ses oeuvres et à biaiser notre jugement. Bien
sûr, vous allez me dire, moi, le compositeur X, je ne l'aime pas, pourtant
il est connu. Tout de même, globalement, les compositeurs qu'un individu
déclare apprécier sont ceux qui sont les plus considérés par le système et
la société. Egalement, les compositeurs connus qui sont désavoués sont
souvent ceux qui sont plus ou moins ouvertement désavoués par
l'intelligensia pensante. C'est ainsi que vous trouverez beaucoup plus de
contestataires de Grieg, Tchaïkovsky ou Vivaldi que de Bach ou Haendel. Les
hommes sont comme les animaux, lorsqu'ils sentent qu'un individu est
désavoué par la collectivité, ils aboient avec la meute. J'ai peut-être un
vision pessimiste de la nature humaine, mais les sociologues en viennent souvent à ce type de
conclusion. Nous sommes des animaux grégaires et nous en adoptons les attitudes, souvent issues d'un atavisme lointain
Bien sûr, chacun se dira: oui, mais moi, je ne suis pas influencé par les grands noms..."
Tout le monde prétend toujours avoir un jugement indépendant.
Personnellement, je ne prétends pas que mon jugement soit totalement
indépendant.Vous pouvez le penser pour vous. Je pense cependant que nous
devons nous interroger sur la part inconsciente qui intervient dans nos
jugements. Aucun individu ne peut se prétendre indépendant des codes de
valeur de la civilisaiton dans la quelle il baigne.
Bien sûr, personne n'empêche personne d'aller à la découverte... mais vous savez dans
notre société il y a des pressions considérables, souvent inconsciemment
ressenties. Laisser les individus libre et responsables de leurs actes
supposerait que l'on cessât l'hégémonie à mon avis exercée par
l'intelligensia qui favorise certains compositeurs.
LE CONCERTO ET LA VIRTUOSITÉ D'APRÈS GLIICKSHON
Voici quelques extraits commentés du Glickshon sur le concerto et la
virtuosité:
"Les aspects du concerto semblent passablement étrangers aux premiers
romantiques. Schubert n'en écrit aucun. Le concerto pour piano de Schuman
éloigné de toute virtuosité et de tout dramatisme, est une sorte de poème
musical. on pourrait en dire autant des deux concertos de Chopin."
Evidemment, si Schubert et Schumann ne pratiquent pas la virtuosité, on peut
en déduire que c'est une particularité qui signe tous les premiers
romantiques. Pour Glicksohn, quels sont les premiers romantiques:
Schubert,schumann et Chopin, point final.
Essayons plus sérieusement de discuter le problème de la virtuosité chez les
premiers romantiques, quoique je ne sois pas vraiment qualifié, mais il est
toujours permis d'essayer.
Dans le domaine du piano, l'affirmation de Glickshon peut être discutée. Il
est vrai que les oeuvres de Hummel (même dans le 6) témoignent d'un
romantisme et d'une virtuostié très tempérées constituée généralement de
gammes rapides évanescentes, d'accords parallèles développées généralement
avec une certaine régularité rythmique. Il en est déjà différemment chez
Moscheles (le 2 date de 1825) et surtout chez Ries (non daté, mais que je
situerait dans la première moitié du 19e siècle) et même dans les concertos
d'Alkan. Ce n'est sans doute pas vrai également pour les concertos de
Litolff écrits pour l'essentiel dans la première moitié du 19e siècle. On
pourrait plus simplement citer comme concerto romantique présentant à mon
avis une virtuosité certaine: le "5" de Beethoven, notamment l'entrée du
soliste dans le premier mouvement. Pour ce qui est des concertos de Chopin,
je ne partage pas du tout l'opinion de Glicksohn, notamment pour les deux
concertos, une virtuosité à mon avis impressionnante qui s'exprime aussi
bien dans les mouvements rapides que lents, notamment dans le mouvement lent
du "Concerto n°2".
Néanmoins, le jugement global de Glicksohn resterait vrai dans une certaine
mesure si on compare les oeuvres du début du siècle avec celle, plus tardive
des Gottschalk, Liszt, Saint-Saëns, Tchaïkovsky, Scharwenka...
mais là où je ne suis pas du tout Glickshon, c'est qu'il oublie totalement
les oeuvres pour violon. La virtuosité transcendante s'est développée avec
Paganini vers 1810 et je ne m'explique pas que Glickshon ne le cite pas, à
moins qu'il ne le considère pas comme un romantique, et peut-être pas
Beethoven non plus! Là dessus, il pourrait être intéressant de savoir si la
virtuosité depuis Locatelli (disparu vers 1760 environ) a subi une écipse à
l'époque classique avant de s'imposer à nouveau avec Viotti. Les oeuvres de
Viotti témoignent d'une virtuosité conséquente, mais les oeuvres un peu
antérieures, de Nardini, Fiorillo, plutôt dans le style galant, recèlent
effectivement assez peu de virtuosité. Spohr, plus tard, est un peu plus
virtuose, mais il a suivi l'exemple de Paganini. En revanche, Rolla né en 1757
me paraît témoigner d'une certaine continuité de la virtuosité dans le
sillage du 18e siècle. Une oeuvre de Giuliani m'inciterait à penser que
certains astecps de la virtuosité transcendante dans l'esprit romantique étaient à
l'oeuvre vers 1800 et peut-être avant.
Je ne puis en dire plus et, sauf pour quelques-uns, je connais assez peu les
compositeurs que j'ai cités. Existe-t-il un lien de continuité entre la
virtuosité baroque et les premiers violonistes de l'école de violon
"moderne"(Viotti puis Paganini)? Bien difficile de répondre à cette question
qui nécessiterait d'avoir accès à de nombreuses recréations d'oeuvres entre
le 18e siècle.
COÏNCIDENCE BIZARRE
Vous pensez d'abord par vos oreilles et non pas par celles des autres, dites-vous.
Me voilà rassuré. J'avais eu peur que vous n'ourdissiez un nouveau
stratagème machiavélique.
Vous vous interdisez donc toute théorie globale puisque vous ne considérez
que votre propre jugement... empirique. Ce qui est bizarre, c'est que vos
oreilles, apparemment, sont exactement paramétrées selon les jugements
formulés par le système de la société musicale, pourtant souvent très
marginaux. Bien évidemment, ce ne saurait être qu'une coïncidence.
PRUDENCE DIALECTIQUE
Pourquoi répétè-je souvent "à mon avis" ou par des formules dubitatives? Je vous répondrais:
Sapiens nihil affirmat quod non probet. Une certaine expérience des
conversations au sein des listes et ailleurs m'a
obligé à demeurer très prudent. Il est évident que si l'on écrit: "Bach
est le plus grand compositeur", nul besoin d'ajouter "à mon avis" ou
"peut-être", personne ne s'offusquera de cette affirmation pourtant
péremptoire. En revanche, si l'on émet le moindre doute sur les "vérités
reconnues", même en prenant toutes les précautions, on risque d'être
insulté, de passer pour un fanatique dangereux. Merci de votre remarque,
elle fait bien apparaître l'absence d'objectivité qui, à mon avis règne
dans la société musicale.
LA MUSIQUE ATONALE "INTRINSÈQUEMENT DÉTESTABLE"
Personnellement, je pense que les oeuvres atonales ont été ressenties par
l'immense majorité des mélomanes comme "intrinsèquement détestables" (pour reprendre à mon compte une formulation d'un de nos membres), étrangères
au phénomène musical. Je pense qu'évoquer le concept de "musique atonale"
(que nous utilisons par simplification) n'a pas de sens. La liberté
d'opinion que vous alléguez constamment (et à laquelle je souscris)
contraste curieusement avec la pression médiatique considérable exercée par
le système officiel de la société musicale pour déconsidérer et enterrer la
musique tonale de notre
époque. Je suppose qu'il est inutile que je vous resseve la litanie de mes
statistiques pour vous montrer l'intolérance de cette intelligentia à
l'égard de la musique tonale de la seconde moitié du 20e sicèle qui
se traduit par l'éviction pure et simple de ses représentants ayant écrit
les
oeuvres les plus appréciées par l'écrasante majorité du public. Il s'agit
pour moi d'une manipulation délirante de l'histoire témoignant d'une esprit
partisan et d'une irresponsabilité peu communes.
SUITES POUR CLAVECIN DE BACH
Me voici au terme des 6 suites pour clavecin de Bach et même de l'ouverture
dans le style français. Oui, on peut survivre à cette musique. Ces suites
font apparaitre le caractère assez paradoxal des oeuvres de Bach, tout au
moins pendant cette période compositionnelle. Quelle date? Je n'ai pas eu le
loisir encore d'aller voir sur le Grove à la bibliothèque. Je situerais ces
oeuvres juste après le séjour à Cothen (?) Il m'apparaît qu'environ 60 % (en
temps) de ces suites est composé dans le style contrapuntique, le reste en
style monodique accompagné conformément au style de l'époque (peut-être aux
alentours de 1725). Ce qui est frappant, c'est le hiatus considérable entre
les pièces de contrepoint et celles écrites dans le style
monodique. Certaines, parmi ces dernières, rappellent le style expressif du
"Concerto italien". Quelques-unes pourraient passer pour des sonates de
Scarlatti. Il s'avère donc que Bach peut écrire parfaitement dans le style
de l'époque et abandonner les contraintes sévères qu'il s'impose. Toutefois,
quelle que soit la liberté d'écriture très réelle de certaines pièces, je
pense qu'elles n'atteingnent pas les étonnantes audaces de l'oeuvre pour
clavecin de Rameau (écrites peut-être un peu plus tard (?)) ni celle de D.
Scarlatti, ni celles d'A. Scarlatti (écrites probablement beaucoup plus
tôt), Balbastre ou Royer. Je manque
naturellement de connaissances sur les oeuvres de l'époque pour situer
véritablement les suites de Bach. A part cela, je n'en connais guère plus.
Les
Noëls de Daquin, à mon avis, ne sont pas meilleurs que les
pièces de ces suites et sont écrites dans un style plus
simpliste et moins moderne. Donc, je dirais, en considérant ces oeuvres, que
Bach est archaïque par l'utilisation de l'écriture contrapuntique, mais en
aucun cas dans
ses pièces monodiques par rapport à celles de l'époque. L'écriture
harmonique paraît comporter très peu de passages modulants
comme c'est le cas dans les oeuvres violonistiques de Vivaldi et aucune
marche d'harmonie. Je ne vois
guère d'ailleurs que dans la "Grande Toccata BWV 565" des passages modulants,
cependant je demeurerais prudent là-dessus.
Toutes ces pièces ne m'ont pas franchement marqué, même celles écrites dans
le style de l'époque. J'excepterais la 6e et la 7e pièce de la "Suite n°5",
celles dont la thématique est le plus nette. ce sont pour moi deux belles
pièces, mais cela ne va pas au-delà.
APPRÉCIER RIMSKI-KORSAKOV AUSSI BIEN QUE BERG
Vous êtes capable d'apprécier aussi bien les opéras de Rimski-Korsakov que de Berg.
Bien sûr, on connaît maintenant la nouvelle philosophie: l'atonalisme est un
mouvement comme un autre. Bravo, cher mélomane, c'est très très fort. Ah mille
excuses, c'est vrai, j'oubliai, vous n'écoutez que vos oreilles.
RIMSKY
Comme je vous sais gré de nous fournir cette citation de Rimski présentant son "Cappriccio espagnol":
"Les changements de timbre, le choix des dessins mélodiques et des
figurations correspondant à chaque genre instrumental, les petites cadences
de virtuosité pour instruments solos constituent l'essence même de l'ouvre
et non son vêtement"
Je n'aime pas beaucoup faire de la personnalisation, mais je dois avouer que
pour moi Rimski, c'est quelqu'un. Je retrouve, à l'écoute de ses meilleurs
chefs-d'oeuvre, une impression difficiment communicable (ineffable dirait
Jankélévitch) que je ne peux nullement retrouver dans les oeuvres de Brahms,
Bruckner... dont j'admire pourtant certaines oeuvres. Pour moi, chez ces
derniers compositeurs il manquera toujours ce "quelque chose" supplémentaire
qui me permet vraiment de rencontrer une manière, une mentalité qui me
corresponde. Peut-être ont-ils trop de patine classique, je ne sais, je ne
comprendrais jamais leur tempérance, cette espèce de sobliété, d'austérité
qui restreint leurs pages les plus passionnées. Pour moi le génie, c'est
l'excès, la découverte d'un univers musical qui n'est pas le fruit d'une
tradition, mais qui est plutôt une apparition de novo, qui est un
dépassement.
Je crois que dans cette citation, Rimski a bien défini l'art contre ceux qui
veulent rechercher son essence hypothétique en dehors de ce qu'il est dans
une "profondeur" chimérique. C'est toute une conception de la musique que
défend ici Rimski. Rimski "Il professore", pour moi, c'est vraiment le
guide. Quelle autorité admirable pour affirmer cette conception contre le
courant traditionnaliste de l'intellectualisme qui ne veut voir en lui qu'un
prestidigitateur superficiel. Naturellement, il en fera les frais. Une
oeuvre de l'envergure de "Schéhérazade" aurait certainement asquis une plus
grande place aujourd'hui si des spécialistes n'avaient contribué à la
déprécier en ne voulant y voir que du clinquant.
CONCERTOS POUR FLÛTE VIVALDI
Quelques mots sur le CD d'Ornamente 99 avec Dorothee Oberlinger (Marc Aurel
Edition) : 6 concertos pour flûte de Vivaldi et une sonate (un des concertos
est le fameux concerto RV312R reconstruit par Jean Cassignol).
Tout d'abord, Dorothee Oberlinger est une superbe fille brune aux yeux
noirs, ce qui est déjà un premier point très engageant. Ensuite, je dois dire que son jeu m'a
séduit notamment par ses accélérations fulgurantes dans les passage les plus
virtuoses. L'orchestre fait également preuve d'une légéreté aérienne en
particulier dans le concerto "Il gardellino". On peut seulement regretter que
la sonorité des violons ne soit pas la meilleure qui se puisse trouver. Sans
doute un complot contre la musique baroque! Ce CD a obtenu récemment un prix
(dont j'ai oublié le nom), je vous le conseille vivement. Je voudrais louer
le RV441 qui me paraît dans la lignée des concertos de la maturité de
Vivaldi, présentant certains aspects de la musique galante naissante sans
brader l'essentiel du bagage baroque sur le plan des effets thématiques et
de la virtuosité. Quant au concerto reconstruit, je reconnais que certains
soli sont particulièrements impressionnants (rejoingnant par leur style le
RV444), malheureusement les tutti me semblent d'un contenu thématique moins
soutenu.
Peut-être est-ce ici l'occasion d'une petite synthèse sur l'oeuvre pour
flûte et orchestre de Vivaldi. Ce compositeur a confié à cet instrument des
oeuvres témoignant de ses avancées les plus pectaculaires. Il s'agit
d'abord du Concerto "la notte", concerto "dramatique" qui se présente comme
un véritable poème symphonique, de même le concerto "La tempesta di mare".
Le concerto il gardellino, un des premiers rejoués, je crois, témoigne,
quant à lui, des effets symphoniques atteints par le prete rosso. On y
admirera les effets d'accompagnements du soliste. N'est-ce pas à propos de rappeler la philosophie esthétique de Rimski, tous ces "effets" sont le fond de l'oeuvre, le témoignage de sa
transcendance. Ne cherchons pas le génie d'une oeuvre où il n'est pas pour
refuser de le voir où il est. Quant aux concerti joués habituellement pour
piccolo RV443, RV444, RV445, ils représentent pour moi un des sommets du
lyrisme virtuose, tous instruments confondus. On ne saurit oublier également
la poésie particulièrement intense du mouvement lent du RV444.
Pour ceux qui ne connaitraient pas les oeuvres pour flûte et orchestre de
Vivaldi, je conseillerais en premier lieu le Concerto La notte, il
gardellino et le RV 444. Ces oeuvres, au-delà de toute tradition musicale,
vous transporteront dans un univers vierge, inconnu comme une expansion
délirante dépassant les classifications chronologiques et engendrant une
euphorisation des sens inouïe.
Mais ces oeuvres, malgré leurs qualités, sauraient-elles agréer aux oreilles
savamment paramétrées d'un certain membre. Rien n'est moins sûr.
TCHAÏKOVSKY ET SIBÉLIUS
j'avais assez péremptoirement affirmé
l'incompétence de Robert Bernard sur l'assertion de ce dernier selon
laquelle le style de Sibelius s'apparentait à celui de Tchaïkovski. Pour
moi, il existe une telle opposition entre la 1 de Sibelius (à mon avis la
symphonie la plus caractéristique et la plus achevée de ce compositeur),
d'un style pseudo-impressionniste diluant tout mélodisme au sens classique
du terme et le style tchaïkovskien mélodique, voire d'une mélodisme souvent
très récitatif, que la remarque de Robert Bernard m'était apparu d'une
suprême absurdité. C'était sans doute sans compter avec la Symphonie n°2 de
Sibelius que je viens de réécouter. J'y vois en effet après réflexion des
effets très tchaikovskiens, et qui plus est, des effets que l'on retrovue
dans d'autres symphonies de Sibelius. De plus, j'avais noté à propos de la 3
de Tchaïkovski des effets sibéliens (il faut comprendre repris et développés
par Sibelius), le style tchaikovskien, lui non plus ne peut être réduit au
mélodisme romantique. Je procède donc à mon mea culpa.
Comment les contraires (le pseudo-impressionnisme supprimant toute mélodie
en tant que tel et le mélodisme purement récitatif peuvent-ils coexister? Là, je ne parviens pas vraiment à comprendre.
BACH A UN STYLE
"Bach a un style". C'est ce qu'écrivit un jour, un de nos membres dans un ancien courriel:
Depuis 2 ans environ, je repense encore à cette phrase pourtant simple, mais
qui me paraît mémorable. Chacun en effet peut reconnaître sans difficulté le
style spécifique de Bach, notamment dans ses "Suites pour orchestre". Ce
style, ce serait notamment un certain rythme (un certain rythme "bachien"
régulier, inexorable) et même une certaine thématique, ce qui nous fait dire
indubitablement "C'est du Bach". Cette assertion semble évidente. J'avais
répondu, je me souviens:
"C'est possible, mais pas certain"...
Heureuse prudence. J'avais également invoqué les oeuvres de la seconde
moitié du 17e qui pouvaient (sans doute?) évoquer bien des aspects du style
bachien, bien que je n'en connût aucune. Depuis, j'ai découvert de
nombreuses références faisant état notamment d'oeuvres rappelant d'assez
près les "Suites pour orchestre" et aussi
du "Clavecin bien tempéré" (qui n'est d'ailleurs pas la première suite de pièces écrites
dans l'histoire sur tous les tons et demi-tons de la gamme tempérée). Je
n'ai naturellement jamais entendu ces oeuvres très peu connues que seuls
connaissent certains spécialistes et je ne puis dire jusqu'à quel point on
peut y retrouver notamment ce tempo "bachien" si particulier.
En revanche, la découverte de la Sonate A m RV 86 (qui est un trio
pour flûte basson) de Vivaldi m'a peut-être fourni la clé du mystère
concernant ce fameux tempo bachien. Son 3e mouvement présente en effet ce
tempo si caractéristique ainsi que les particularités thématiques qui
l'accompagnent. Comme Vivaldi n'a sans doute même pas connu l'existence de
Bach et jamais entendu ses oeuvres, je suppose que le compositeur vénitien
est l'origine de ces effets, à moins qu'il ne les ai repris chez un autre
compositeur. L'hypothèse la plus probable est que Bach ait développé dans
ses oeuvres ce fameux style à partir de cette oeuvre de Vivaldi, puisqu'il
avait de même transcrit plus d'une dizaine de concertos pour violon de ce
compositeur. En outre, Candé a mis en évidence plus d'une dizaine d'emprunts
précis de Vivaldi dans diverses oeuvres de Bach (voir Bach par Roland de
Candé). Ce n'est sans doute d'ailleurs qu'un échantillon.
Voilà pour une des réflexions consécutive des oeuvres de cd CD d'Ornamente
99 que je vous ai déjà présenté.
SUR UN EXTRAIT DU CONCERTO N°1 DE PAGANINI
Quelle bonne idée d'avoir réuni ces deux grands concertos
romantiques qui présentent une certaine affinité, le Concerto n°1 de Paganini et le Concerto de Tchaîkovsky. Quand je vous disais que
les artistes russes avaient une prédilection pour les grandes oeuvres de
virtuosité! Je pense que c'est une conséqeunce du développement de la
musique russe en dehors de la tradition des conservatoires occidentaux à
l'époque du Groupe des Cinq. Même si Tchaïkovski a été accusé de véhiculer
en partie cette tradition, je pense que cela se vérifie plutôt pour certains
aspects de sa musique symphonique. Et encore, il faudrait y regarder de
près.
Oui, superbe, cet extrait, je l'entends maintenant en ce moment même. Il
commence juste après l'ouverture orchestrale. Il présente le premier thème
legato una corda, puis le second thème staccato dubbia corda e enfin la
reprise du premier thème. Je rappelle que les concertos de Paganini
présentent tous cette particularité de structure avec inversion dans le
dernier mouvement, c'est-à-dire thème staccato una corda et thème legato
dubbia corda.
Merci particulièrement, ce n'est pas si souvent que les grands
virtuoses-compositeurs sont à l'honneur. Certains préfèrent ronronner avec
les concertos de Schumann, Brahms ou Beethoven. Ils ont leurs qualités, je
ne nie pas, est-ce une raison pour occulter les oeuvres de ceux qui ont créé
la virtuosité transcendante et la thématique violonistique.
Voilà une idée que contesterait certainement notre cher mélomane aux
oreilles savamment paramétrées.
CONCERTO POUR VIOLON DE SIBELIUS
En fait, je n'apprécie pas extraordinairement ce concerto, contrairement au
Glazounov. Boursouflé, convenu, à mon avis non. Froid, non. Sans âme,
parfois certainement, comme de très nombreuses oeuvres écrites avec une
inspiration parfois défaillante, par exemple à mon avis le concerto de
Beethoven. Les effets sont extérieurement très lyriques, mais tombent
souvent à plat, faute d'une thématique suffisamment marquante. De ce point
de vue, et du point de vue style, je le comparerais au Prokofiev. Ce dernier
imite à la perfection une oeuvre expressionniste russe, sauf qu'il n'est ni
expressionniste ni russe. A propos de cette dernière oeuvre, je dirais
qu'elle est effectivement froide.
Le premier mouvement du Sibelius recèle cependant à mon avis bien plus de
matière musicale que de nombreux concertos de grands classiques (ce qui
n'est d'ailleurs pas un exploit). Je dirai tout de même que c'est un bon
mouvement. Les autres mouvement me paraissent quasiment sans intérêt, mais
cela c'est bien le lot de nombreux concertos et symphonies. S'il y a un bon
mouvement dans une oeuvre, c'est déjà beaucoup. Sibelius s'est forgé un
style symphonique d'une grande originalité. Il éprouve apparemment de
grandes difficultés à se mouvoir dans un autre genre instrumental qui
implique une thématique nouvelle. De ce point de vue, ses pièces pour
piano, qu'il aurait sans doute mieux fait de ne pas écrire, me paraissent
caractéristiques.
Oeuvre de nature nordique ce Concerto de Sibélius? à mon avis plutôt une symbiose entre le grand
concerto romantique virtuose à la Paganini (ce que certains appellent sans
doute le côté grandiloquent) et l'expressionnisme post-impressionniste russe
à la Glazounov. J'ai tout de même rectifié à propos du 1er mouvement, un
grand mouvement. J'ai réécouté le concerto plusieurs fois il y a à peine un
mois, il m'a laissé sur la même impression mitigée. Les avis sont très
partagés sur ce concerto. Je crois qu'un de nos membre el considère comme un grand chef-d'oeuvre , un autre le trouve nul, je reste
dans la moyenne (pour une fois!).
JUGEMENTS SUR LE CONCERTO POUR VIOLON DE BEETHOVEN
Le Beethove, oui, je considère qu'il est le fruit raté d'une inspiration défaillante. Pincherle est d'accord avec moi pour le trouver médiocre, et vous savez que
J'allègue le jugement (que je considère indu) des musicologues uniquement lorsque cela m'arrange. les 2 concertos pour violn de Prokofiev, je les mets tous els deux dans le même sac sans plus de détail.
Jankélévitch a voulu faire passer la froideur de Ravel pour une extrême
pudeur. C'est un argument... admirable. J'applique ce terme de froideur à ces concertos de Prokofiev sans prendre la peine d'user d'une telle précaution rhétorique.
STYLE DE RAVEL ET DEBUSSY
Que voulez-vous dire à propos de cette dame, je crains le pire. le Boléro
aurait-il de telles vertus? Le thème du Boléro ne me paraît pas froid en
lui-même, mais son traitement en une inexorable progression symphonique
laisse une impression d'inflexibilité impitoyable. On ne sens jamais chez
Ravel cette palpitation si chalereuse qui imprègne les pages de Debussy. Il y
a toujours un aspect acéré, anguleux chez Ravel contrastant avec le modelé
ondoyant de la phrase volutueuse debussyste. Comparer ces deux compositeurs
est vraiment la tarte à la crème, c'est vrai, mais pourquoi s'en priver.
BUSONI
Busoni est célèbre pour sa perpétuelle indécision entre la musique tonale et
atonale. Son style me paraît extrêmement variable selon les oeuvres, même à
l'intérieur de ses oeuvres concertantes et même d'un mouvement à l'autre.
J'y verrai comme point commun celui d'un esprit assez touffu qui ne cherche
jamais à discipliner son inspiration, et son manque d'inspiration. Sa
Fantaisie (pour moi sa meilleure oeuvre) avec le 3ème mouvement de son
concerto pour violon, témoigne d'une grande richesse inventive qui n'est
jamais assujettie à l'exploitation d'un thème ou d'une cellule motivique.
Tout est sans cesse renouvelé, chez Busoni, pour le meilleur et pour le pire.
Touffues aussi, voire indéchiffrables (pour l'oreille) ses pièces pour 2
pianos, dont certaines sont inspirées de Bach. Son concerto, immense
composition (le plus grand concerto jamais écrit, je crois, en dimension, précisons) est noyé dans un
déferlement orgiaque qui ne me paraît pas toujours convaincant. Et parfois,
on ne sait trop par quel mystère, de tout ce fatras musical sans queue ni
tête (à mon avis), surgit un mouvement génial accumulant les inventions avec
une prodigalité insouciante. Je conseillerais vraiment d'écouter sa
"Fantaisie pour piano et orchestre", qui atteint une forme d'impressionnisme
assez rare et le 3e mouvement de son concerto pour violon, oeuvre tonale,
moderne par ses effets, pour laquelle il serait difficile de chercher une
référence ou une oeuvre de style similaire.
SINGULARITÉ DES OEUVRES POUR VIOLON
Il est certain que le violon, instrument mélodique par nature, implique des
compositions de nature en grande partie mélodique, même si on peut exécuter
(très exceptionnellement) des quatruples cordes. Un jeu en perpétuelle doubles
cordes comme souvent les "Sonates" de Ysaie me paraît très fatigant et pauvre
sur le plan musical. Je ne pense pas que l'on puisse concevoir d'oeuvre
purement harmonique, même pour un instrument comme le piano et même pour
l'orchestre. Mais, ne sommes-nous pas entraînés dans un faux débat avec les
notions de mélodie et d'harmonie. Je pense qu'il n'existe que des thèmes et
des motifs plus ou moins récitatifs et ce caractère est plus accentué dans
un concerto pour violon. Dans tous les cas, il me semble que l'on ne peut
faire l'économie de la thématique, qu'elle utilise des thèmes très
caractérisés et répétés ou qu'elle s'exprime par de courtes cellules
imbriquées ou encore par une suite de figurations difficilement analysables
comme dans le solo instrumental de concerto. De ce dernier point de vue, je
ne vois guère de différence entre une séquence de solo virtuose dans un
concerto pour piano ou pour violon. Donc, en définitive, la différence sur
le plan harmonique entre un concerto pour piano et un concerto pour violon
ne me paraît pas enssentielle, le type de discours ne change pas. Quant à un
concerto atonaliste, pour l'un ou l'autre des instruments, je ne vois pas la
nécessi
SYMPHONIES DE SIBÉLIUS
Voici quelques réflexions générales sur la série des symphonies de Sibelius
que je viens de finir d'écouter. Cette série, partie de la sublime "n°1", me
paraît une déchéance progressive au bout de laquelle, in fine, on ne
reconnaît plus le compositeur. Quel rapport y a-t-il entre le génial
inventeur d'un impressionnisme de la lenteur presque figée et le compositeur
à bout de souffle de la "Symphonie n°6" accouchant laborieusement d'une courte oeuvrette à
mon avis d'un romantisme sans grande personnalité. Montionnons cependant un
très beau mouvement dans la "2" et un autre dans la "3" qui surpasseraient le
meilleur de bien des "grands classiques", mais qu'est-ce par rapport à la
sublimité native de la "Symphonie n°1"?
Les symphonies de Sibelius, hors la "1", n'ont sans doute pas plus
d'importance que celles de Rimski par rapport à ses poèmes symphoniques.
Pour ceux qui ne connaitraient pas la "1" de Sibelius. (c'est une symphonie
connue, mais tous ne la connaissent pas obligatoirement), je ne saurais trop
la conseiller. C'est pour moi une de ces oeuvres sans équivalent dans
laquelle le génie humain semble s'être surpassé. Sibelius est souvent
exécuté en quelques lignes dans les ouvrages, mais j'aimerais savoir s'il
existe beaucoup de symphonies écrites par les fameux grands classiques qui
atteignent la noblesse de cette oeuvre, dont l'intensité (à mon avis) ne fléchit pas un
seul instant de la première note du premier mouvement à la dernière note du
dernier. Quelle oeuvre atteint cette "couleur orchestrale" si
spécifique, quelle oeuvre atteint cette puissance d'évocation, quelle oeuvre
contient ce parfum rhapsodique si spécial. Cette musique nordique que
certains se plaisent à mépriser a tout de même produit cette synthèse. J'attends qu'on
m'indique un tel chef-d'oeuvre dans la tradition laborieuse et affadissante
des grands classiques par rapport à cette véritable "génération spontanée"
générant un lyrisme inconnu.
Pour revenir sur l'ensemble des oeuvres symphoniques de Sibelius, je dirais que c'est à
mon avis l'absence de dimension "nordique" dans les symphonies postérieures
à la "3" qui me paraît marquer un apauvrissement. Il est un fait que le
rhapsodisme est beaucoup plus marqué dans les poémes symphoniques, lesquels
illustrent les fameuses légendes du Kalevala. Outre que Sibelius me paraît
plus inspiré dans ses poèmes symphoniques, j'y ressens personnellement, la
magie de ces légendes de la Carélie lointaine. C'est peut-être uniquement
une impression très personnelle car j'ai été beaucoup marqué par les récits
recueillis par Elias Lonrott. Je les conseille d'ailleurs même si leur
authenticité me paraît parfois douteuse. ce qui semble hors de doute pour moi,
c'est que Lonrott est un génie. Peut-être s'est-il produit le même phénomène
qu'avec Ossian de Macpershon. Pour revenir à Sibelius et fermer cette parenthèse littéraire, sa volonté de marquer
une empreinte profondément finlandaise par l'évocation de ces sagas me
semble certaine. On peut imaginer qu'il a tenté a contrario d'atteindre une
écriture moins assujettie au style nordique dans ses symphonies. C'est
normalement la vocation d'une symphonie par rapport à un poème symphopnique.
STYLE PROPRE D'UN COMPOSITEUR
Il est
très rare ç mon avis qu'un compositeur possède un style propre, en général il s'agit du
style d'une époque ou d'une école. Par exemple, on peut trouver des
centaines de compositeurs qui ont le même style de Mozart, mais aucun n'aura
composé une oeuvre qui comporte le thème bien caractéristique de sa
Fantaisie en ré. Je peux vous trouver de même des dizaines de compositeurs
qui ont le même style que Scarlatti. Vous ne différentierez pas non plus
certaines oeuvres de Moschelès, Ries de Chopin... On avait reproché à
Saint-Saêns ne n'avoir aucun style propre. Il a répondu: "mais Mozart non
plus n'avait aucun style propre". Ce qui fait la valeur d'une oeuvre pour
moi n'est pas le style, mais la thématique. Distinguer des compositeurs par
leur style est pour moi une illusion, sinon une erreur.
SINGULARITÉ DE LA FLÛTE
Alors que le violon est l'expression la plus élevée de l'âme, le chant pur,
la flûte est l'instrument trouble par excellence qui exprime les pulsions
organiques, la sensualité, l'érotisme, la volupté. Il émane beaucoup plus du
souffle issu de nos entrailles. Il évoque Pan, la nature, la profondeur des
sylves. C'est ainsi que l'utilise magnifiquement Debussy dans le "Prélude à
l'après-midi d'un faune". J'avoue avoir un faible pour cet instrument dont le
son a plus de corps que le violon. Cela signifie peut-être que je ne suis
pas un esprit pur. Mozart détestait cet instrument, dites-vous, il a tout de même écrit un très beau concerto pour flûte et harpe!
Il m'apparaît, sur un ensemble de concertos poru flûte du 20e siècle, que des compositeurs
habituellement modernes, comme Hindemith et Martinu par exemple, se révèlent dans ces
oeuvres pour flûte et orchestre très mélodiques. Je pense que la flûte
convient mal à l'esthétique moderne et implique un style plus mélodique. En
revanche, une certaine dureté du piano convient bien au style moderne, de
même le violon, notamment dans les effets de doubles cordes.
DÉSENCHANTEMENT DES VIEILLES BARBES ATONALISTES
Je crois qu'aujourd'hui ce sont les vieilles barbes qui veulent mêler la
musique à la non-musique (comprenez: la musique atonale), pour essayer de la sauver. On ne peut refuser d'admettre aujourd'hui que s'est produit de la part des compositeurs un certain
désenchantement suite à l'insuccès de l'atonalisme. J'espère que vous ne
faites pas partie de ces vieilles barbes qui pourraient avoir jusqu'à 80 ans
aujourd'hui (mais il en est de plus jeunes).
L'INSTRUMENT À CLAVIER BIEN TEMPÉRÉ
C'est ce que m'avait dit tout simplement un germaniste: "Klavier" ne
signifie en aucun cas clavier, mais bien comme vous le dites : "instrument à
clavier", de sorte que toutes les appellations, qu'il s'agisse de la
traditionnelle: "clavecin bien tempéré" ou de la nouvelle appellation
"Clavier bien tempéré" sont fausses. Un membre suisse avait proposé très
justement de conserver l'appellation d'origine "Wohl temperierter Klavier"
dont la traduction rigoureuse est "L'instrument à clavier bien tempéré".
Cela dit, tout cela n'a aucune importance, j'ajouterais même que l'on se
préoccupe beaucoup trop de cette oeuvre (AMHA) qui n'est
d'ailleurs pas, comme je l'ai déjà précisé) la première oeuvre écrite sur les tons et demi-tons de la
gamme tempérée et qui n'a eu aucun retentissement à son époque.
LE PÈRE FRANCK
Je préfère cette oeuvre, même si la veine lyrique de Franck me paraît ici un
peu émoussée. Sérieux, oui, mais le père Franck est toujours sérieux et si
candidement sympatique. On peut lui pardonner. Il lui arrive même parfois
d'avoir du génie, sans doute par inadvertance. Sa "Grande pièce symphonique
pour orgue", une pièce très lyrique, grandiose, aurait pu être un des plus
grands chef-d'oeuvre de l'orgue (pour moi) s'il n'y avait pas quelques
intermèdes à mon avis inutiles. Et puis, la fantaisie en la pour orgue, au
charme si insidieux, une pièce qui passe presque inaperçue, si peu
contrastée. Comment peut-on faire autant avec si peu d'"effets extérieurs".
De ce point de vue, cette pièce m'a toujours fascinée.
LE BOLÉRO DE RAVEL
Vous prenez un risque, là, en admirant cette oeuvre. Les mélomanes supérieurs vont fustiger vos
propos. Comme je n'ai pas l'honneur d'appartenir à cette catégorie très fermée, je vous
approuve. Finalement, c'est encore l'oeuvre que j'aurais préférée, et
peut-être la meilleure de Ravel. Le thème est excellent, la progression
produit son effet. Cela prouve, pour moi, l'impact de la thématique en
elle-même. Si un thème est bon, son intérêt se sera pas amoindrie par de
multiples réexpositions. Certains esprits chagrins vous dire "oui, mais c'est l'art de varier
qui importe, Ravel a magnifiquement varié cette mélodie d'intérêt
secondaire..." Ce discours-là, je le connais, je l'ai maintes fois entendu.
Non, je pense que si le thème en lui-même est bon, on prend plaisir à
l'écouter, s'il est mauvais, aucun art de la variation ne l'embellira. Vous
savez ce qu'on dit de certaines "choses" bien apprêtées, elles restent ce
qu'elles sont. Bien sûr, Ravel est un peu froid comme à
son habitude. il a bénéficié aussi du rhapsodisme, qui rend service à de
nombreux compositeurs. Mais pourquoi pas. Personnellement, je suis partisan
de l'abus des bonnes recettes.
MASSENET
Le futur créateur de
Thaïs a été le plus jeune membre de l'Institut, me dites-vous.
Je ne peux pas résister de vous citer ce qu'écrit Roland de Candé à propos de
Massenet avec la sûreté infaillible du musicographe:
"Mais si l'on connaît Manon et Werther on a fait le tour du génie de Massenet.
Il ne se renouvelle guère et n'a pas assez d'envergure pour éviter le
conventionnel."
On pourrait conseiller à Candé de faire un petit tour vers l'oeuvre pour piano
de Massenet.
Je ne suis pas étonné de l'influence de
Massenet. Je pense que c'est un compositeur que l'on a beaucoup méprisé, par
conséquent il valait mieux ne pas se réclamer de lui. Cela dit, as-t-on
véritablement pris conscience de la valeur spécifique de son oeuvre pour
piano, ce n'est pas sûr. Le Concerto demeure une partition relativement
oubliée, comme les pièces pour piano. Massenet a développé une virtuosité du
langage pianistique stupéfiante. Rien n'égale la fluidité de son style, ni
Saint-Saëns ni Debussy à mon avis.
Ne tombons pas dans le travers de considérer que Massenet doit être
reconsidéré car il a eu une influence sur Debussy. C'est toujours rapporter
l'attention sur des compositeurs consacrés. Pour ma part, l'oeuvre pour
piano de Massenet vaut pour elle-même, indépendamment de toute influence sur
X ou Y. Je recommande le "Saltarello", "Nocturne" et "Papillons blancs".
N'oublions pas le domaine symphonique où le rafinnement n'est pas moindre.
Je recommande le "Nocturne" de la "Suite n°1" et le "Mélodrame" de la "Suite n°3".
LIAPOUNOV
J'ai personnellement qualifié le 2 de Liapounov (avec ou sans y) de confus
et sans imagination. La parenté avec Liszt ne me paraît pas évidente. S'il
est vrai que Liapounov, d'une manière générale, s'est beaucoup inspiré de
Liszt, je pense là que Liszt apparaît beaucoup plus clair dans ses
concertos, dont je ne suis d'ailleurs pas un grand amateur.
Il est urgent de découvrir Liapounov au travers de ses études transcendantes
récemment parues, et bien sûr de sa sublimissime (pour moi) Fantaisie sur
des thèmes ukrainiens. On uy découvrira un compositeur qui a intégré les
prémisses de l'impressionnisme à la virtuosité transcendante avec un
rafinennement rare. Nous parlions des pièces pour piano de Massenent, on
peut ici le citer, dans la même lignée, aussi avec Arenski.
OEUVRES POUR FLÛTE - DOPPLER
Sans doute me faudrait-il écouter un nombre d'oeuvre beaucoup plus
considérable pour sélectionner un corpus minimum représentant les chefs-d'oeuvre d'un genre, en l'occurence
les oeuvres pour flûte.
Passons pour les oeuvres de Prokofiev, Ibert, Martinu, Hindemith et autres
Poulenc que j'ai déjà évoquées. Quelques oeuvres du 18e, la critique sera
rapide pour moi. Devienne : nul, Cimarosa : nul, Viotti : à peu près nul.
Reste Doppler (début 19e). Il se distingue dans une oeuvre fort bienvenue
dans laquelle il ose considérer la flûte dans le même esprit que le violon
ou le piano à cette époque, avec panache.
Voici la critique que j'ai découverte sur cette oeuvre sur la notice du CD
Erato 2292-45836-2:
"... on assiste à une pure démonstration de virtuosité, dans la grande
tradition des concertos pour violon de Paganini. On en vient néanmoins,
après la réapparition de l'orchestre à la toute fin de l'oeuvre, à regretter
que ces manifestations techniques ne soient pas davantage, comme chez un
Vivaldi, au service de la musique."
Voilà bien la lâcheté de certains critiques! Ne pouvant s'en prendre à
Vivaldi, maintenant assez considéré par son rôle de pionnier du concerto et
de la symphonie, ils s'en prennent à ce pauvre Doppler.
Cette critique vient juste au moment où je m'interrogeais et où j'avais
presque fini par me laisser convaincre que finalement
j'exagérais, qu'il n'y avait plus aujourd'hui de discrédit à l'encontre des
virtuoses-compositeurs. Hasard vraiment malencontreux. Quel dommage.
ETUDES TRANSCENDANTES DE LIAPOUNOV
Vous définissez bien ce que j'ai ressenti à l'écoute de ce concerto de liapounov (le 2): une
inspiration qui se cherche sans aboutir, pas de thème mémorable. J'ai la
même impression en écoutant sa "12e étude transcendante", la plus longue. Il
semble, dans cette étude, que le compositeur, sentant le propre vide de son
inspiration, poursuit vainement sa composition en espérant la rencontrer.
Cette étude est une élégie à la mémoire de Liszt. Donc, là, pour répondre à
votre question, Liapounov (ou Lyapounov) cherchait bien parfois à imiter un
compositeur. Aucun rapport, il faut s'empresser d'ajouter, entre cet essai à
mon avis navrant et les autres études, dont certaines comptent à mon avis
parmi les meilleures oeuvres pour piano, et le recueil lui-même mérite de
figurer parmi les meilleurs. On pourra admirer "Carillon", la "Ronde des
fantômes", d'une légèreté, d'une évanescence digne de son sujet et
l'obsédante "Leshinga" dont on ne pourrait dire si elle s'appuie sur le
rhapsodisme russe ou hispanique. Le compositeur ne le savait peut-être pas
lui-même. Elle me fait penser à "Zambra granadina" d'Albeniz. Le similitude
est frappante.
BORODINE ET ROUSSEL
La "2" de Borodine que vous évoquez est finement ciselée. A mon goût, elle est
un peu froide, mais quel travail des cuivres. Elle devrait plaire à notre
ami critique musical, grand amateur (si je ne me trompe) des oeuvres "d'une
perfection froide". Vous le savez, ce genre d'oeuvres: très peu pour
moi, mais dans cette symphonie, il y a tout de même une caractéristique qui
réchauffe l'atmosphère (contrairement au "Festin de l'araignée" de Roussel), le
rhapsodisme.
BEETHOVEN CÔTÉ COEUR
On pourra y trouver notamment un document curieux : une lettre écrite à
Teplitz (l'immortelle bien-aimée) qui pourrait évoquer la "Lettre à Elise".
Beethoven côté coeur. Lettre stéréotypée de séducteur ou confidence
touchante d'un amant? Par prudence, je ne me prononcerais pas sur le
document. En revanche, l'authenticité sentimentale de la "Lettre à Elise" ne
fait pour moi aucun doute. Bagatelle facile, diront d'autres évidemment.
On a beaucoup phantasmé sur la vie amoureuse de Beethoven, dont on ne sait à
peu près rien. Certains imaginent qu'il ne connut que des amours
platoniques, d'autres qu'il s'adonnait à des débauches sexuelles... ou les
deux. Ecoutons plutôt la "Lettre à Elise" et oublions cela.
Mozart, lui, écrivait des lettres érotiques à sa cousine.
GAROFALO
Carlo Giorgio Garofalo (1886-1962) (CD Marco
Polo 8.225183 avec le new Moscow Symphony Orchestra dirigé par Serguéi
Stadler). Sa symphonie romantique est quasiment un hommage à Tchaïkovski,
tant la marque de ce compositeur y est présente. Son concerto pour violon
laisse percer l'influence de Glazounonv (ou d'un compositeur affectant le
même style violonistique).
De premier abord, Garofalo m'était apparu comme un néo-classique mou, je veux
dire ultra-néoclassique chez lequel on ne pouvait même pas déceler les
minimes crispations qui caractérisent les contemporains les plus
néo-classiques. De ce point de vue, je le plaçais avec Addinsell. Au fil des
auditions, je reconnais que Garofalo a réalisé un véritable travail
d'approfondissement du style de ballet tchaïkovskien, non en le
"modernisant" comme Glazounov dans "Les saisons", mais en poussant à
l'extrême le mélodisme tchaïkovski. Une fois de plus, cela montre
l'influence que peut exercer un maître original (Tchaïkovski) sans qu'il
soit nullement question d'évolution vers l'atonalisme, même pas vers un
langage plus dissonant à l'intérieur de la tonalité. Peut-être autant de
compositeurs sont tributaires de Tchaïkovski que de Wagner (peut-être?).
Les médias musicales ont pu occulter les successeurs de Tchaïkovski et mis en
exergue les néowagnériens. Saura-t-on un jour rechercher l'histoire réelle,
objective, derrière ces gesticulations idéologiques?
DES COMPLOTS PARTOUT - GAROFALO ET RESPIGHI
Je ne puis passer sous silence une curieuse remarque de la notice du CD sur
Garofalo (par Lex Ginsburg):
"Selon la rumeur, Ottorino Respighi aurait été en partie responsable du
destin malheureux de Garofalo, car il voyait dans ce dernier un dangereux
concurrent pouvant mettre en péril sa réputation de premier compositeur
italien non opératique"
Ne voyez surtout aucune relation entre les critiques très négatives que j'ai
fournies sur les oeuvres les plus connues de Respighi et cette remarque, ce
ne peut être, comme on dit, qu'une pure coïncidence.
Il y a vraiment des gens qui voient des complots partout!
RÉPERTOIRE PÉDAGOGIQUE POUR PIANO
J'ai observé un phénomène dans l'enseignement musical d'aujourd'hui.
Alors qu'autrefois on jouait volontiers au piano tout un répertoire
dit "de salon", certes plus facile à jouer mais aussi à écouter,
aujourd'hui on concentre les efforts sur les "grands" classiques :
Bach, Chopin, Liszt...
Ce n'est d'ailleurs qu'un des aspects de l'apauvrissement du répertoire dû à
la focalisation sur les "prétendus" grands classiques. J'ai souvent évoqué
en comparaison le répertoire encyclopédique d'Hortense Parent, une des plus
grandes pédagogues du début du 20e. Il n'y a pas que le répertoire des
pièces légères qui est sacrifié au culte desséchant des "grands
classiques".Quoi qu'on ait voulu absolument me prouver le contraire, je
pense qu'on est très loin de jouer autant Scarlatti ou Rameau que Bach et
que l'on est également très loin de jouer Saint-Saëns, Tchaïkovski autant
que Beethoven ou même Schubert dans le répertoire pédagogique. Les choix
sont très orientés, à ce qu'il me semble.
DEBUSSY PROFONDÉMENT ÉMOUVANT?
Le quatuor, un genre bien sévère par rapport à son tempérament, néanmoins je pense qu'il
a su introduire une certaine substance, au moins dans un des quatre mouvements. Le
quatuor de Debussy n'est cependant pas de ceux qui nous remue profondément
en nous-mêmes, me semble-t-il.
On pourrait poser une question plus générale. Debussy est-il le genre de
compositeur qui peut nous émouvoir jusqu'aux entrailles dans le sens où on
l'entend pour la "Pathétique" de Tchaïkovski par exemple. Eût-il d'ailleurs
apprécié cette référence? Son tempérament est plutôt celui d'un coloriste,
d'un peintre qui peut nous suggérer des émotions d'une subtilité supérieure,
mais qui n'est jamais l'expression d'une âme torturée. Son quatuor, de ce
point de vue, me paraît à l'unisson de ses autres oeuvres. On y discerne
peut-être plus d'effets rythmiques compensant une certaine pauvreté
de la couleur instrumentale imposée par le genre. En second lieu, le piano
me paraît mieux lui convenir que les cordes qui impliquent plutôt la mélodie
récitative à laquelle Debussy était particulièrement allergique.
J'apprécie ce quatuor (en partie), mais je n'y ai jamais senti les accents
douloureux qui ont pu m'être suggérées par d'autres oeuvres de musique de
chambre comme les trios de saint-Saëns, les quintettes de Sgambati ou le
"Quatuor de ma vie" de Smetana.
RICHARD STRAUSS
Ce double CD que j'ai acquis présente quelques oeuvres maîtresses de Richard
Strauss.
"Ainsi parlait Zarathoustra" est connu surtout pour son premier mouvement
d'introduction: "Le lever du soleil". Page saisissante, grandiose, sublime,
qui contraste avec les 5 mouvements suivants à mon avis très peu marquants.
Les 7e et 8e mouvements sont représentatifs de l'orchestration
particulièrement rutilante de Strauss mêlant des sections où dominent les
cuivres avec des motifs solo au violon. Ces derniers, très expressifs sont
irrésistibles. Strauss présente un style caractérisé par un épanouissement
dynamique en opposition avec le statisme "wagnérien" (que d'ailleurs Wagner
n'a pas du tout inventé), mais aucun élément de ce style "straussien" n'apparaît original par rapport aux oeuvres d'Augusta Holmes, par rapport à laquelle il se trouve en retrait. Une belle partition à mon avis, mais très inégale
et un peu décousue dans son ensemble. Certains glissandi un peu curieux
préfigurent Mahler. Don Juan et Till l'Espiègle:
je ne vois pas une once de musique intéressante dans les
2 poèmes symphoniques de Straus (dom Juan et Till l'espiègle) que j'ai
écouté et réécoutés désespérément, de peur de "passer à côté". Strauss, à
mon avis, n'a pas renouvelé l'exploit d'"Ainsi parlait Zarathousta",
réussite d'ailleurs très relative, moins de la moitié de l'oeuvre me semble
digne d'être retenue. Je poursuis avec "Une vie de héros" dont on dit que
Strauss l'a écrit pour sa propre apothéose. Pour l'instant, je pense qu'il
ne le mérite pas.
INFLUENCE SUR GAROFALO
C'est bien certain qu'il n'y a aucun rapport avec les sérialistes, mais ce
que je connais de Malipiero, notamment, me paraît très confus. Le critère
d'athématisme constitue pur moi une caractéristique de "modernité" autant
que le critère de "tonalisme". En tous cas, je ne vois aucun rapport avec le
style très mélodique de Garofalo, notamment dans sa symphonie avec un
quelconque de ces compositeurs. Comme je l'ai déjà dit, l'influence de
Tchaïkovski dans cette oeuvre (la symphonie) me paraît si évidente que je la
considèrerais comme un hommage à ce compositeur. Un des motifs notamment est
proche du "lac des cygnes". Qu'un commentateur veuille voir du Bruckner
là-dedans, voilà qui me dépasse. Mais que voulez-vous : "quot capita, tot
sensus".
VOLTAIRE
Voltaire, encore
un intellectuel. Ce qu'il a fait de bien, à mon avis, c'est de ne pas s'occuper de
musique. Si tous les Intellectuels prenaient modèle sur lui, tout irait sans
doute mieux dans la société musicale.
MÉPRIS DE L'ART PROFÉRÉ PAR LES INTELLECTUELS
Je viens de trouver absolument par hasard dans un livre de littérature un
passage qui fera plaisir aux amateurs de Gounod, s'il en est. L'auteur de
l'ouvrage est Pierre Bayrou et le titre "Solitude d'Anglard - Journal d'un
promeneur.
"Figaro littéraire d'hier mardi: article de Reynaldo Hahn: "Un centenaire.
Propos sur massenet:
"C'est la première fois que je vois un critique d'art
parler de Gounod sans mépris." L'ouvrage est paru en 1981, je situerai
l'article du Figaro vers 1950 ou 60.
L'auteur continue:
"Les critiques, les raffinés, les esthètes, ceux qui imposent leurs verdicts
aux badauds, font, hélas, beaucoup de mal: quel poète, quel génie, quel
dieu n'ont-ils pas méprisé, raillé, couvert d'ordures? Quelle grandeur
n'ont-ils pas niée, quel amour ou quelle foi n'ont-ils pas réussi à rendre
ridicules? A tant de condamnations péremptoires prononcées au nom de
l'Intelligence, que pourrait proposer notre pauvre coeur? Et que reste-t-il,
quand cette intelligence elle-même, après avoir tout flétri, souillé,
détruit, fait à son tour l'aveu de son incertitude?"
Je poursuis le Journal d'un promeneur de Pierre Bayrou. J'y trouve des
réflexions à ma convenance."
Et plus loin:
"Déssechement, extinction, stérilité de tout art par excès
d'intellectualisme. Alexandrie après Athènes. En littérature, en peinture,
le goût de l'abstraction naît quand meurt la force créatrice."
Voyons, n'y aurait-il pas une école musicale à laquelle on pourrait
appliquer cette réflexion.
HIÉRARCHIE DANS L'ORCHESTRE
Oui, en plus, les cordes représentent la noblesse de l'orchestre alors que
les bois ne représentent que la valétaille. Quant aux cuivres, je n'en parle
même pas. Une étude sociologique très sérieuse a montré que lorsque l'on
passe des cordes aux bois, puis aux cuivres dans un orchestre, les
instrumentistes concernés appartiennent à des catégories sociales moins
élevées. Il y a parfois des tensions internes dans un orchestre en raison de
ces différences.
RELATIVISATION CONCERNANT LES OEUVRES SYMPHONIQUES DE STRAUSS
J'ai pourtant écouté ces deux oeuvres de très nombreuses fois ("Till l'espiègle" et "Dom Juan", eu égard à
leur notoriété (relative tout de même, en fait seule l'Introduction d'Ainsi
parlait Zarathoustra est très connue). Je suis désolé. Je ne puis rien
ajouter de plus. En ce qui concerne la virtuosité orchestrale, elle ne fait
aucun doute. Dans "Une vie de héros", l'orchestration m'apparaît encore plus
subtile, plus raffinée, mais je n'y vois pas plus de matière musicale. Pour
moi, c'est un très brillant exercice symphonique, mais rien qu'un exercice.
Je voudrais tout de même apporter une correction par rapport à mon jugement
global sur ces 4 poèmes symphoniques de Strauss. J'ai jugé Strauss
sévèrement, pourtant il y a à mon avis 3 mouvements absolument géniaux
(selon moi) dans Ainsi parlait Zarathoustra. Si je fais un bilan des
symphonies de Dvorak, Sibelius, des poèmes symphoniques de Liszt ou de bien
d'autres compositeurs , y a-t-il beaucoup plus de mouvements excellents au
total chez eux (pour moi)? Il faut donc relativiser. De même, je porte aux
nues certains compositeurs qui n'ont écrit qu'un concerto excellent sur une
série de 5 ou 6. C'est vrai aussi que la comparaison avec les poèmes symphoniques d'Augusta Holmes, à l'avantage de cette dernière, pour moi, sur le plan de la valeur comme sur celui de l'innovation, m'apparaît assez cruelle à l'égard de Strauss. De ce point de vue, je ne suis peut-être pas objectif.
ATONALISME VARIABLE
ces oeuvres sont-elles atonales? C'est une différence d'évaluation que nous avons fréquemment concernant les
compositeurs modernes. Un certain mélomane sarcartique nous dirait sans
doute qu'il y a des dissensions au sein du Bureau des Affaires Tonales.
Disons que Chtchédrine est un moderne dissonant. Mossolov, me paraît plus
franchement atonal, d'après son "Concerto pour piano". Tcherepnine
(Alexandre), oui, 2 concertos et les 10 bagatelles. Inutile de vous dire que
je n'en pense pas du bien.
MUSIQUE ESPAGNOLE
Très heureux de pouvoir à nouveau discourir avec toi. Tu n'as pas
encore renié Bach. C'est pour bientôt, j'espère. Comment un mélomane tel que
toi peut-il donner dans ce culte ringard Aujourd'hui, Vivaldi est à la
mode, sois opportuniste!
A propos de Goyescas, parles-tu de difficulté instrumentale ou de
virtuosité? Tout le problème est là. C'est le praticien qui juge de la
difficulté instrumentale, mais c'est le mélomane qui juge de la virtuosité.
Les oeuvres ibériques que tu apprécies me semblent de faible intérêt: la
plupart des oeuvres pour piano de Falla (sauf la "Serenata andaluza" et la
célèbre "Danse du feu"), "Iberia" d'Albeniz, "Mompou" (indigeste pour moi).
Comment peut-on aimer ces insignifiants sons de cloche dont nous afflige ce
compositeur?
Je tiens à affirmer cependant que je suis un grand amateur de musique
espagnole, tout en reconnaissant ne pas être un connaisseur dans ce domaine.
Je pourrais cependant citer de nombreuses oeuvres de musique espagnole du
plus haut intérêt (à mon avis) : une grande partie de l'oeuvre pour piano
solo de Rodrigo, les "Cantos de Espana" d'Albeniz, de nombreux compositeurs de
l'époque romantique que j'ai découvert par hasard cette année: des oeuves de
Adalid, Power Lugo-Vina, Sanchez Allu... Et n'oublions pas Sarasate dans le domaine violonistique. Quant à Arriaga, ses quintettes me paraissent assurément des oeuvres géniales, mais est-ce de la musique "espagnole"?. L'inspiration la plus élevée me
semble être détenue par Rodrigo, pour moi le compositeur espagnol le plus
marquant. Naturellement, n'oublions pas la musique espagnole des Russes,
célèbre, celle de Glinka, Rimski, Glazounov et même de Tchaïkovski.
N'oublions pas non plus Grieg, Saint-Saëns, Lalo, Chaminade, Liszt dans ce
domaine...
MAHLER
C'est la symphonie de Mahler que je préfère, mais la seule... pour
l'instant. Certains procédés qui m'avaient paru très artificiels et
dépourvus d'efficience dans certaines de ses symphonies antérieures me sont
apparus là chargés d'un sens et d'une affectivité étonnants. Alors que le
"fameux" Adagietto de la 5e me laisse froid, cette symphonie me transporte.
Mais un mahlérien sur ce forum m'avait répondu que je n'avais pas écouté les
symphonies de Mahler qu'il fallait, alors tous les espoirs sont permis.
INFLUENCE DE BACH - INFLUENCE DE PAGANINI
La reprise de procédés thématiques, notamment d'un compositeur par ses
contemporains et directs successeurs témoigne souvent de son importance sur
le plan de l'évolution du langage musical.
Or, cette reprise chez les contemporains et successeurs directs est nulle
dans le cas de Bach pour la raison historique que la figure du Cantor
n'émergea réellement qu'au début du 19e siècle. Bach n'a donc de ce point de
vue eu aucune importance dans l'istoire de la musique (j'ai dit : de ce point
de vue). Et la reprise de certains thèmes de Bach dans des variations à
partir du 19e n'implique nullement que Bach ait eu une quelconque influence
dans la genèse du romantisme. De même, la reprise du 14e caprice par
Rachmaninov n'a rien apporté au langage musical du début du 20e. De ce point
de vue, vous avez raison.
C'est la diffusion du style paganinien chez presque tous les violonistes
compositeurs, et autre compositeurs du 19e siècle qui montre à mon avis
l'importance de Paganini. Le cas de Vieuxtemps (qui écrivit notamment un
"Hommage à paganini") me paraît évident. Naturellement, si on considère
Vieuxtemps comme un petit compositeur (ce que vous ne manquerez pas de
faire), on en déduira mathématiquement que l'influence de Paganini n'a pas
d'importance. C'est un raisonnement très subtil. On pourrrait tout de même
ajouter aussi toute l'école franco-belge, que, j'espère, vous n'écartez pas
comme étant insignifiante. Une nuance peut cependant être apportée à
l'importance représentée par Paganini. Certains concertos de Spohr (le 8
notamment) contiennent des exemples de "chromatisme paganinien" peut-être
avant la date à partir de laquelle était connu les premiers concertos de
Paganini (perdus actuellement). Une oeuvre de Giuliani témoigne aussi d'une
certaine exubérance du jeu violonistique à son époque selon une thématique
déjà "paganinienne". Je n'en sais pas plus. Cela me paraît tout de même
assez léger par rapport aux grandes innovations thématiques qui apparaitront
dans les concertos de Paganini à partir du "1". La connaissance d'autres
oeuvres de l'époque permettraient d'éclaircir nos idées la-dessus.
Pour revenir aux thème repris d'après Bach, le problème est aussi que ces
thèmes risquent de ne pas avoir été du Bach! ou de traduire l'influence des
autres compositeurs de l'époque Vivaldi, Albinoni, Marcello, Scarlatti... et
ces thèmes ont été repris bien souvent à une époque où ces compositeurs pour
la plupart étaient encore occultés (ou une grande partie de leur oeuvre).
Scarlatti n'était pas un inconnu au début du 19e, c'est vrai, mais il est
loin d'avoir joui de la médiatisation de Bach, savamment orchestrée par les
milieux intellectuels.
En troisième lieu, de nombreux compositeurs, si je ne me trompe, ont repris
souvent des thèmes de Bach dans le cadre d'exercices de contrepoint, très en
marge du style caractéristique de l'époque.
LA SYMPHONIE HÉROÏQUE DE BEETHOVEN
Pardonnez-moi, jm, nous étions bien sur forum_classique, je croyais qu'il
s'agissait d'un message personnel.
J'en profite pour ajouter que votre déception initiale à propos de la 3 ne
m'étonne pas entièrement. Le thème principal du premier mouvement en effet
fait preuve d'une grande économie de moyen. Je pense qu'il est
volontairement très "squelettique", fortement scandé, car l'intérêt se
trouve reporté dans le traitement symphonique et harmonique, lequel
traitement n'est pas un procédé de "variation", mais fait partie intégrante
du thème. Enfin, c'est une interprétation ou plutôt la manière dont je le
perçois. Certains mauvais esprit (mais y en a-t-il sur cette liste?) ne
manqueront pas de dire que je sais mieux que le compositeur ce qu'il a voulu
dire. Je précise que cette hypothèse n'intervient nullement sur l'émotion
esthétique que je ressens.
En revanche, je dois dire que le dernier mouvement me paraît un des plus
nuls que Beethoven ait écrit (opinion personnelle). Je lui ai tout de même
concédé une étoile, mais en y réfléchissant, je me demande si je n'ai pas été trop
généreux.
CERCLE VICIEUX
En considérant qu'Haydn a eu plus d'importance que Stamic dans la genèse de la symphonie classique du fait que Haydn fut le précepteur de Beethoven, vous prenez comme postulat que les compositeurs célèbres sont ceux qui ont
joué un rôle historique effectif. L'importance de Haydn est assujettie à
l'importance de Beethoven. Ce résonnement récurrent tourne au cercle
vicieux.
On pourrait affirmer de même que Christian Neefe (qui fut le premier maître
de Beethoven) est un compositeur d'une importance historique essentielle et
lui attrubuer le mérite d'avoir inventé les procédés qu'il a simplement
transmis à Beethoven. Vous confondez la transmission et l'invention. A ce
compte-là, n'importe qui peut être inventeur.
A contrario, je pourrais par le même raisonnement considérer que Bériot est
un compositeur fondamental dans l'histoire musicale puisqu'il fit le maître
de Vieuxtemps, que je considère comme un compositeur majeur du 19e siècle...
Tout cela ne repose sur aucune base solide.
Cher mélomane, je crois que vous êtes enferré jusqu'à la gorge à vouloir continuer de considérer Haydn comme le Père de la symphonie. Libre à vous de contester les données de base fournies par tous les musicologues qui ont étudié la genèse de la symphonie. Errare humanum est,
perserverare diabolicum.
ORCHESTRATION DES CONCERTOS DE CHOPIN
Franchement, l'orchestration des concertos de Chopin ne me paraît pas plus
négligée que celle des autres concertos de l'époque, qu'il s'agisse de ceux
de Hummel, de Moscheles ou celui de Kullak. Je crois que c'est le style de
l'époque et cela correspond à un choix esthétique: de longs tutti aux cordes
entrecoupés de petits motifs timides aux bois. C'est vrai qu'elle est moins
fournie, moins colorée que celle de beethoven dans l'Empereur (écrit
pourtant avant) et plus pauvre que celle du concerto de Ries de style lui
aussi plutôt beethovénien.
MENDELSSOHN INFLUENCÉ PAR BACH
Ne faites pas le naïf, vous comprenez très bien. Je vous ai dit que
Bach n'a pas eu d'influence sur le langage
musical caractérisant la période romantique. Les oeuvres romantiques de
Mendelssohn procèdent
des enrichissement du langage apportées successivement par Vivaldi,
Sammartini, Stamic, Dittersdorf, Beethoven, Paganini... qui ont abouti de
proche en proche au concerto et à la symphonie romantiques. Le "Concerto n°2"
de Mendelssohn procède plus de Torelli et Vivaldi du fait simplement qu'il
s'agit d'un
concerto de soliste, et brillant en plus, donc, dans l'esprit vivaldien
d'une
manière générale, même si sa virtuosité est très moyenne.
Vous ne ferez jamais croire à quelqu'un de normalement constituué que la
fugue appartient au langage musical romantique. Tout au plus, peut-on la
rencontrer sporadiquement dans certianes compositions. Si cela peut vous
faire plaisir, on pourrait y ajouter certaines oeuvres de Reger, Bruckner et
de bien
d'autres. Ces passages - très limités - n'ont justement joué aucun rôle dans
l'élaboration de l'esthétique romantique ou moderne puisque par définition
ils se réfèrent à une esthétique archaïque appartenant au 17e siècle (et
avant). Je connais les deux oeuvres de Saint-Saëns que vous avez citées, j'y
ai vu personnellement l'influence de Berlioz, Liszt, mais pas du tout de
Bach. Quoi qu'il en soit, le style de la
fugue n'appartient pas en propre à Bach puisque la fugue existait un siècle
au moins avant Bach.
INVERSION DES VALEURS
Si on veut considérer que la technique contrapuntique est une
caractéristique moderne par raport à l'évolution de la musique du 17e au 20e
siècle, moi je veux bien. J'ai toujours appris que la fin du 17e siècle
inaugurait la fin de l'ére polyphonique et l'avènement de la monodie
accompagnée et avec elle le règne de l'harmonie et de la mélodie. Il
faudrait s'entendre alors sur les rudiments et les bases de l'histoire de la
musique. Si vous voulez les contester, d'accord; pour ma part, je ne fais
pas partie des contestataires sur ce point-là. Il me paraît visible que par
une telle prise de position, on s'oriente vers une conception de la musique
qui élimine le lyrisme et l'expressivité, ce que les "modernes" de la fin du
18e et au début du 19e reprochaient aux traditionnalistes. Pour aller
jusqu'au bout, on pourra prétendre qu'il y a beaucoup plus d'expressivité
dans l'Art de la fugue que dans le Concerto n°1 de Tchaïkovski,. tant qu'on
y est, pourquoi pas. Dans le même esprit, on pourra aussi affirmer qu'il y a
plus d'expressivité dans le Concerto à la mémoire d'un age de Berg que dans
le Concerto n°1 de Paganini. Et on peut continuer comme cela de considérer
que les plus grandes oeuvres musicales sont des exercices rhétoriques qui
ennuient le public...
je vois mal comment on pourrait considérer l'influence de Bach seul comme
supérieure à la succession tout à fait normale dans le temps de nombreux
autres compositeurs qui orientent réellement la musique vers les formes modernes (le concerto, le symphonisme...).
Il est tout de même évident que l'utilisation de la fugue est un phénomène marginal au 18e et 19e
siècle ou alors il faut revoir toutes nos bases musicales les plus
élémentaires. Par définition même, l'écriture polyphonique, même si elle a
pu se maintenir sporadiquement par suite de l'importance de la scholastique
et du traditionalisme, n'a pu concerner l'évolution de la musique.
La seule explication à cette vision, à mon avis, absurde de l'évolution de
la musique, que quelques membres sur ce forum sont les seuls à entretenir
contre les évidentes notions de base de la musicologie est l'idéologie.
Sauver coûte que coûte Bach, lui garantir sa position de compositeur
supérieur, ne cherchez nulle part ailleurs d'explication.
L'influence d'un compositeur seul est rarement considérable dans l'histoire. L'évolution est plutôt la conjonction d'un grand nombre d'oeuvres de
compositeurs différents permettant une modification très progressive.
Il y a également un hiatus entre le discours et la réalité. De nombreux
compositeurs ont eux-mêmes participé aux culte Bach, il n'empêche que leurs
oeuvres sont influencées par les effets nouveaux créés par leurs
contemporains et non par l'ancien style hérité de Bach. Par exemple
l'influence visible dans les concertos de Chopin est celle de Hummel et
Moschelès. La parenté entre le "Concerto n°3" de Moscheles (2e mouvement) et
le 2e mouvement du "Concerto n°2" de Chopin est évidente. de Nombreuses autres
oeuvres de l'époque sont dans le même style pianistique et symphonique et
forment une lignée, celles de Field, Kullak...
POURQUOI LA POLÉMIQUE SUR BACH INNOVATEUR?
Malgré l'indifférence affichée par certains membres sur l'importance de Bach dans
l'évolution du langage, l'enjeu est réel. Cette polémique dure entre nous depuis plus de deux ans. Au
niveau historique, elle s'étend sur plusieurs siècles. Il est évident que si
Bach n'apparaît plus comme un grand novateur à la mesure du culte qu'on lui
voue, son prestige se trouve grandement diminué. Si l'intérêt intrinsèque de
ses oeuvres était suffisant pour le maintenir, cela n'aurait peut-être pas
d'impact majeur. Peut-être est-ce le signe qu'on lui a trop donné d'importance
par rapport à l'intérêt réel de ses oeuvres?
Le cas de Mozart est différent, il est intéressant de le considérer à titre
de comparaison. Mozart a été déifié aussi, et il a même encore plus
symbolisé la musique. On remarquera que Mozart "supporte" mieux la
révélation qu'il n'ait pas été un novateur car sa musique vaut par son
expressivité, son caractère "touchant" (l'innocence mozartienne) et on
comprend que c'est parfaitement suffisant. Mais Bach a été caractérisé comme
un "cérébral". Comment pourrait-on admettre qu'un cérébral , un "gros
cerveau" n'ait pas révolutionné la musique de son époque. Il faut ajouter à
cela notre philosophie progressiste (depuis la philosophie des Lumières) qui
nous permet d'admettre difficilement qu'un compositeur majeur n'ait pas été
un grand novateur. Voilà comment on peut expliquer à mon avis historiquement
la volonté des musicographes de présenter Bach en avance sur son temps.
BACH INSPIRATEUR DE L'ÉVOLUTION MUSICALE AU 20e SIÈCLE?
Dans la mesure où certains modernes se sont dégagés du romantisme et aussi
de l'expressivité et du lyrisme. Et je vous rappelle que Bach n'avait pas le
monopole de la fugue. La fugue, procédé qui remonte au 16e siècle et dont la
genèse fut sans doute très progressive est certainement la "res nullius" par
excellence et la chose de tout le monde. Faire de Bach un inspirateur dans
l'évolution de la
musique au 20e siècle est peut-être un peu exagéré, ne croyez-vous pas?
Je pense que l'évolution de la musique au 20e siècle est
moins monolithique, moins unidirectionnelle qu'elle l'a été au 18e et au 19e siècle. Je différentierais de nombreux
courants. Il y a sans doute une plus grande dispersion dans le temps et
l'espace. J'ai tenté une évolution des oeuvres pour piano et orchestre au
20e, mais en toute prudence, c'est un essai.
IMPORTANCE HISTORIQUE DE L'INNOVATION IMPORTANTE OU NÉGLIGEABLE
Si le fait que Bach ait été ou non un innovateur n'a aucune importance comme vous vous plaisez à l'affirmer, pourquoi 2 générations et plus de
musicographes se sont évertuées à présenter ce compositeur comme un novateur. Bien sûr,
maintenant qu'on est obligé d'admettre qu'il n'en a pas étés un, cela n'a
plus d'importance. Cela aurait eu de l'importance si cet élément
musicologique avait permis de mettre Bach en vedette, mais comme cela met
plutôt Vivaldi ou Scarlatti en vedette, il vaut mieux oublier l'importance
historique.
IMAGE DU GÉNIE CHEZ MOZART ET CHEZ BACH
Il est vrai que la précocité de Mozart a certainement beaucoup contribué à son émergence et à asseoir son exceptionalité. On pourrait citer pourtant parmi les compositeurs les
plus précoces Saint-Saëns, Vieuxtemps, Prokofiev et certainement bien
d'autres. La précocité renforce l'idée que Mozart est "touché par la grâce"
ou qu'il tire directement ses capacités de son génie propre sans approche
progressive. En revanche, à propos de Bach, l'austérité de l'étude apparaît
un préalable pour que s'épanouisse son génie. Le génie ne lui viendrait pas
spontanément, mais par l'exercice d'une cogitation (supérieure
naturellement). Dans un cas comme dans l'autre, nous sommes dans le
mythe.
APOLOGIES DÉLIRANTES DE BACH
Je me souviens d'apologismes encore plus délirants de Bach s'exprimant
dans des propos généraux. Mais lorsque Candé, en musicologue rigoureux, en
vient à l'analyse des faits, il reconnaît lui-même que Bach est un
compositeur tourné vers le passé, vers le chant choral et la polyphonie. Et
c'est lui qui considère Vivaldi comme le "père de la symphonie". Il y a donc
2 types de discours selon qu'il est question de propos de philosophie
générale ou bien que l'on considère la réalité musicologique.
Voici ce qu'il écrit dans son histoire de la musique:
"Les éléments fondamentaux qui garantissent à l'oeuvre de Bach son
universalité sont, d'une part, le caractère essentiellement polyphonique du
génie créateur, d'autre part l'omniprésence du choral luthérien. Choral et
polyphonie sont les dimensions provilégiées de son oeuvre qui constitue le
plus formidable travail de synthèse de l'histoire d ela musique.
On s'est plu à peindre Bach comme un musicien révolutionnaire : c'est
méconnaître la véritable vocation de son génie. Bach se méfie des formes
nouvelles qui n'ont pas été longtemps éprouvées."
Un euphémisme pour expliquer que Bach est en retard sur son temps.
Et l'on trouve quelques lignes plus bas:
"A la fois aboutissement et point de départ d'une culture prodigieuse,
l'oeuvre de Bach forme la clef de voûte de notre histoire musicale."
Candé qui reproche à certains d'avoir présenté Bach comme un moderne et le
premier à le faire. Il utilise le terme équivoque "culture" comme certains utilisent le terme de "référence".
Ainsi se trouve presque toujours à propos de Bach ces hyperboles
grandiloquantes, mais creuses, que vous chercheriez en vain dans les notices
sur Vivaldi par exemple.
CONVERGENCE ENTRE ÉCRITURE POLYPHONIQUE ET SÉRIALISME
Un inspirateur pour les adorateurs de systèmes qui orientent la musique vers
l'absence de sensibilité, si vous voulez. Les partisans de systèmes, qu'ils
soient archaîque ou modernistes se soutiennent. Le point commun entre le
sérialisme et l'écriture polyphonique, c'est que ce sont 2 systèmes
artificiels qui évacuent la sensibilité musicale.
INFLUENCE DE BACH SUR SAINT-SAËNS, RACHMANINOV...
L'influence de bach (je dirais plutôt de l'écriture fuguée) perceptible dans les deux
Préludes et Fugues pour orgue op. 99 et 109 de Saint-Saëns, oui, mais qu'en concluez-vous?.
Il s'agit de compositions qui se réfèrent au style
contrapuntique et au style des préludes de Bach, ne serait-ce que par leur
dénomination. Il est bien évident que cette composition de Saint-Saëns
n'apporte rien à la genèse du romantisme, ni ne participe de ce style, par
définition même et n'apporte rien à la genèse de l'impressionnisme musical.
Rappelons que Saint-Saëns a participé à cette genèse de l'impressionnisme
dans certaines parties du "Carnaval des animaux", (le fameux "Aquarium" par
exemple) une partition qui a reçu un accueil autrement plus extraordinaire
que son "Prélude et fugue op 99 et 109" que quasiment personne ne connaît et
dont l'importance dans l'histoire de la musique est nulle. On pourrait aussi
se poser la question de savoir quelles oeuvres polyphoniques du 19e ou du
20e siècle sont devenues célèbres. Parmi les oeuvres marquantes du 19e et
20e, lesquelles relèvent de la polyphonie? si ces questions n'étaient pas en
elles-même aussi absurdes.
De même pour Rachmaninov avec ses Préludes en ce sens ne participait pas à la genèse du style romantique et
encore moins impressionniste ou expressionniste. Il faut voir la
participation de Rachmaninov aux nouveautés stylistiques du 20e dans les
style pré-expressionniste du 2e mouvement de son concerto n°2, qui eut
d'ailleurs un immense retentissement. Les effets du culte Bach ont entraîné une myriade de
compositions imitatives dans le style archaïsant, mais n' en aucun cas
orienté l'évolution de la musique.
BACH RÉFÉRENCE
Platzer débute son chapitre sur Bach par la phrase suivante:
"Jean-Sébastien Bach est sans conteste un des piliers de toute la musique
savante occidentale car son oeuvre, par sa monumentalité et sa solidité, est
devenue le point de repère incontournable pour pratiquement tous les
compositeurs qui ont travaillé après lui."
Un autre paragraphe de Platzer s'intitule "Bach, une référence".
Tout cela me semble bien traduire le paradoxe. Il est vrai que Bach fut une
"référence" très importante pour ses successeurs...
Je me permets cependant de remarquer que l'on choisit les
compositeurs auxquels on fait allusion pour affirmer que Bach est la
référence incontournable. Certainement Platzer considère comme négligeable
l'univers des virtuoses compositeurs (pourtant très important historiquement
au 19e siècle) pour lesquels Bach n'est pas une référence (sauf exceptions) car il considère sans doute ces compositeurs comme
secondaireS. On reste donc dans le cercle vicieux: "Bach est important parce
qu'il a influencé Mozart et Beethoven..." à quoi on peut répondre Paganini
est une référence aussi importante car il a influencé Léonard et Lipinski...
Toujours dans l'ouvrage de Platzer, il est remarqué à propos de Vivaldi:
"La très riche et parfois curieuse harmonie vivaldienne y est présente (dans
les Quatre saisons) avec l'alternance de passages très stables tonalement et
d'autres construits sur des chromatismes émaillés d'accords de tritons ou de
septième diminuées enchaînés, tels qu'au plus tôt les romantiques (un siècle
plus tard) les utiliseront.
Dans le chapitre sur le concerto, platzer remarque sur Vivaldi:
"la plénitude de son langage harmonique très moderne pour l'époque, restera
pratiquement inchangé au moins jusqu'à Robert Schumann."
Ce qui n'empêche que pour présenter Vivaldi, on ne trouve pas la phrase
ronflante utilisée à propos de Bach "pilier de la musique occidentale...",
mais plus prosaïquement il est précisé que Vivaldi est un des compositeur
dont le nom est parfaitement connu du grand public grâce à 4 concertos qui
connaissent un très grand nombre d'enregistrements. Et l'auteur ajoute
"faut-il s'en réjouir ou s'en plaindre". Cela dit, Vivaldi est reconnu aussi
comme un génie (plutôt en raison de son rôle de novateur que de
l'intérêt intrinsèque de ses oeuvres, semble-t-il), mais sans que l'on
emploie les dithyrambes de rigueur pour Bach.
Le déphasage entre les propos généraux et les faits musicologiques apparaît
assez étonnant. Je l'ai vérifié maintes fois dans de nombreux ouvrages.
CERCLE VICIEUX DES "GRANDS NOMS"
Vous raisonnez toujours à partir des "personnalités musicales" en un cercle vicieux dont vous ne sortez jamais.
Qu'est-ce qui vous prouve qu'ils étaient de plus grands compositeurs que
Bériot, Lipinski ou Léonard? On retombe toujours sur
les "jugements" de compositeurs. Comme l'a dit Pestelli à propos de Clementi
"Sur lui pèse le désaveu de Mozart". Et tous les musicographes comme un seul
homme vont admirer une certaine oeuvre (Iberia) parce qu'un jour le grand
Debussy a dit que c'était génial sans se soucier de considérer par eux-mêmes s'ils étaient ou non sensible à cette oeuvre.
LA NATURE DES CHOSES
Vous avez aussi raison d'être dubitatif. C'est vrai qu'il peut y avoir un
décalage entre les ouvrages (souvent de vieux ouvrages réédités) et la
réalité de la considération des compositeurs par l'intelligensia actuelle.
D'autre part, il peut y avoir un déphasage important entre les idées
nouvelles et leur introduction dans ces ouvrages assez "officiels" que sont
les histories de la musique dirigées souvent par des sommités de la vieille
génération. Cependant, si on compare le nombre de sites internet (données
très modernes), le même hiatus apparaît (sites plus souvent édités par des
mélomanes zélés que par des organismes officiels ou musicologues, mais il y
en a aussi). Les mélomanes supérieurs qui se piquent d'être des Intellectuels
préfèreront toujours Bach à un violoniste-compositeur comme Vivaldi, c'est dans la nature des choses. Et le public de la musique
classique aura toujours tendance à préférer plutôt Vivaldi à Bach, c'est
aussi dans la nature des choses.
LE CONCERTO POUR PIANO DE MASSENET
Ah, le Massenet, une oeuvre phare à mon avis empreinte de ce délicat
préimpressionnisme à la recherche de la nuance la plus exquise... une
virtuosité toute feutrée, évanescente, qui se nie presque elle-même malgré
sa suprême complication et sa souplesse féline, ce qui rapproche cette
oeuvre du Novak.
Et le Konzertstûck de Cécile Chaminade: dans le même esprit, mais avec en
plus une passion sourde mêlant des motifs d'inspiration hispanique et russe.
Tout cela pour 5 euros!!
IS BACH THE BEST?
Le document suivant où l'on a demandé à un certian nombre de personnalité musicales ce qu'elles pensaient de Bach me paraît significatif.
http://www.gramophone.co.uk/profiles_detail.asp?id=383
La question posée: "Is Bach the best" montre déjà l'existence d'un culte. A propos
de quels autres musiciens oserait-on la poser? Beethoven et Mozart, je ne
vois que ces deux. Ce document est une pièce à conviction supplémentaire. A
mon avis, apologétique idéaliste téléguidée, poursuite du mouvement
enclenché au 19e siècle par Forkel. Belle unanimité, on croirait un hymne de
foi à l'égard du Grand Libérateur de la Musique.
CONCERTO POUR VIOLON DE BERWALD, STENNHAMMAR, AULIN
Le CD Naxos 8.554287 concertos romantiques suédois tient ses promesses dans
la lignée d'un extraordinaire CD de violon nordique qu'il m'avait été donné
d'écouter avec des oeuvres de Halvorsen, Svendsen, Grieg...
Ici, Berwald, Stenhammar, Aulin (le 3)
Le grand style romantique flamboyant et virtuose dans toute sa splendeur
dans la lignée de Paganini et Wieniawski. Les compositeurs nordiques
sus-mentionnés ont adopté la tessiture extrême-aiguë plutôt que le medium
adopté (un peu plus tard) par l'école franco-belge. Les paganinismes
foisonnent dans le Berwald, une oeuvre qui me semble très inspirée. le thème du
3e
mouvement se rapproche quelque peu de celui d'un des mouvements du 4 de
Vieuxtemps (datant de 1850) alors que le Berwald date de de 1820. Il a été
écrit à 24 ans. Décidément on retrouve des traits propres à Berwald dans
certaines oeuvres postérieures, certains "wagnérismes" notamment. Comme l'a dit
un membre de notre liste, ce sont peut-être les oubliés qui ont fait l'histoire.
Stenhammar. Deux romances peut-être moins saisissantes, mais le compositeur
a
choisi la difficulté. Le tempo lent nécessite souvent une invention
mélodique supérieure pour compenser l'intérêt produit par un rythme plus
incisif. Je pense qu'il n'a pas démérité sans atteindre cependant à mon avis
la fameuse romance de Sendsen.
Aulin, le 3 : du grand violon aussi atteignant la transcendance. un concerto
dont
le premier mouvement, superbe, s'inscrit selon une structure curieuse: une
longue introduction à la manière d'une cadence. Une orchestration originale
préfigurant certains aspects de Sibelius...
Des oeuvres dépassant à mon avis de nombreuses oeuvres pour violon plus
connues des Brahms, Mendelssohn, Beethoven dont on nous rebat les oreilles.
INFLUENCE DE BRAHMS SUR AULIN?
Pourquoi absolument invoquer le Brahms à propos du concerto n°3 d'Aulin?
Ceui-ci atteint dans cette oeuvre la virtuosité transcendante que Brahms n'a jamais atteinte (dans
l'esprit), même si sa thématique est beaucoup moins franchement paganinienne que celle de
Berwald. Le concerto de Brahms ne donne pas, me semble-t-il,
une telle importance au soliste dans le premier mouvement. Je remarquerais néanmoins que c'est simplement l'existence de la virtuosité transcendante qui
me fait placer Aulin dans la lignée de Paganini, mais il est vrai qu'il n'y a pas
de manière caractéristique des éléments de thématique paganiniens. Je verrai
un rapprochement plus net avec Wieniawski qui a développé la virtuosité
transcendante selon des formules thématiques déjà différentes. Aulin aussi,
de ce point de vue, a trouvé, je pense, sa propre originalité. En tous cas,
c'est vraiment impressionnant.
Quant au symphonisme d'Aulin, il me semble d'une puissante originalité et
sans rapport à celui de Brahms, lequel est vraiment très classique.
Personnellement, je vois une marque nordique sensible chez ces compositeurs,
même s'il n'y a pas comme chez les Norvégiens ou les Finlandais de
rhapsodisme caractérisé à cette génération (peut-être après y en a-t-il, je
n'en sais rien). Je pense qu'il n'ont jamais été à la remorque des grands
classiques, même s'il les ont obligatoirement cotoyés et même admirés (je
pense à Gades par rapport à Mendelssohn) et même Berwald qui a fait une
partie de sa carrière en Allemagne. L'originalité de la musique nordique est
généralement reconnue par les ouvrages, et même son opposition avec le
classicisme allemand. Ce que j'aimerais c'est que l'on reconnût également la
valeur de ces compositeurs et là il y a encore du travail.
DUEL MARCON BIONDI POUR DE NOUVEAUX CONCERTOS DE VIVALDI
Je me suis enfin décidé à écouter le fameux CD op 111d'Europa galante avec
Biondi bien que je n'en approuve pas les principes, mais faute de mieux. Il
aurait été fort dommage de ne pas écouter ces oeuvres. Biondi et Marcon
semblent rivaliser pour trouver des concertos nouveaux de Vivaldi dans les
oeuvres de maturité du Prete rosso. Ils ne réussisent pas à tous les coups
dans leurs choix à mon avis (je dirais :1 sur 2 pour chacun , ce qui n'est
déjà pas si mal). Léger avantage à Marcon qui nous a dévoilé un concerto à
mon avis exceptionnel (de style dramatique) le RV 275. Les 4 concerti RV
761, 517, 547, 202 du CD d'Europa Galante sont à mon avis d'un très haut
niveau, mais je ne comprends pas pourquoi Biondi a inclus dans ce CD le
Concerto Madrigaslesco et les 2 sinfonie Al santo sepulcro à mon avis sans
aucun intérêt. Peut-être les impératifs de l'intégrale le veulent ainsi (le
CD fait partie de l'intégrale op 111)
Le RV 202 me paraît intéressant à plus d'un titre. Sans s'inscrire dans la
lignée des concertos dramatiques de Vivaldi, il en a la structure ou plutôt
il manifeste la détstructuration de la succession tutti-soli caractéristique
en principe du concerto vivaldien. Le "tutti" est composé de 4 cellules
mélodiques différentes, sans compter leurs variantes qui apparaissent au
cours de l'eouvre. On trouve dans cette oeuvre des bizarreries harmoniques
telles, probablement, celles remarquées par Platzer. En outre, ce qui me
frappe, ce sont des mouvements de progression thématiques, assimilables en
partie à des crescendos ou pseudo-crescendos qui fleuriront beaucoup au 19e
siècle. C'était l'objet d'une de mes chroniques où j'en remarquais une dans
le concerto pour violon de Tchaïkovski notamment.
Le concerto pour violon et violoncelle RV 547 me donne un exemple de soli
pour violoncelle d'une remarquable efficacité (à mon avis), ce qui contraste
avec les nombreux concertos pour cet instruments que ne m'ont jamais séduit
(y compris ceux de Vivaldi). En outre, le rapprochement avec les soli de
violon leur communique des accents de nostalgie assez pénétrants. Le RV 761,
d'une virtuosité moyenne, se présente comme un assemblage de micro-effets
qui rapproche l'écriture de la musique de chambre. J'avoue que son écriture
d'un rafinnement très poussé m'a fasciné.
Ce CD est resté longtemps sur ma platine, de même que celui des concertos
suédois pour violon.
LE CONCERTO DES PAPILLONS IPPOLITOV-IVANOV OUVERTURES DE VIVALDI - PICH - PUGNANI - QUATUORS DE BEETHOVEN OP 18
Quelques mots sur les pièces accompagnant le fameux concerto "Les papillons
amoureux" sur le CD Naxos 8.554334 (de Zhu et Yan notamment). Des oeuvres
beaucoup moins percutantes exploitant le rhapsodisme chinois avec parfois, à
mon avis, une certaine facilité. Je ne présenterai pas de nouveau le
concerto pour violon de He Zhan-hao. Je l'avais acquis il y a une vingtaine
d'années grâce à un professeur de chinois de ma connaissance revenu de
Chine. Je ne sais pas si ledit concerto était disponible en Europe à cette
époque. Peut-être, car il date tout de même de 1958. En tous cas il était
quasiment inconnu, il est devenu aujourd'hui un grand succès. J'ai tout de
suite été frappé par cette oeuvre que j'ai immédiatement considérée comme
une oeuvre majeure du répertoire (avec 4 étoiles, le maximum, sur mon échelle de valeur). Je ne le connaissais d'ailleurs que sous
le nom chinois "Liang Shan-bo et Zhu Ying-tai", qui sont les deux héros
métamorphosés en papillons. J'ai découvert sur le CD que l'oeuvre était
attribuée à He Zhan-ho et Chen Gang alors qu'elle n'était attribuée qu'au
premier dans l'enregistrement que j'avais primitivement. Tout cela ne change
rien et je conseille vivement à ceux qui ne connaîtraient pas cette oeuvre
magnifique de se la procurer.
Ippilitov-Ivanov, première esquisse caucassienne (Naxos 8.553405), une
oeuvre aussi qui aurait pu, si elle avait eu la chance, connaître le sort
heureux de ce concerto et celui de "Sur un marché persan" de Ketelbey, à
laquelle elle s'apparente. Certainement, cette esquisse d'Ippolitov est une
des oeuvres les plus orientalistes que je connaisse tout en demeurant
parfaitement classique par son instrumentation.
Quelques mots d'un CD curieux sur des ouvertures d'opéra de Vivaldi.
l'impresario impénitent qu'était le Prêtre roux ne s'embarrassait pas,
apparemment, pour satisfaire le public de l'opéra. Le troisième mouvement de
l'ouverture "la Dorilla" est tout simplement une reprsie du thème principal
du concerto "Le printemps", alors grand tube dans toute l'Europe, une
manière de dire "C'est moi le plus célèbre, le plus génial". On veut bien le
croire, mais là, c'est tout de même se moquer du monde. De la musique très
sommaire, très vite écrite, bâclée sans scrupule, pour faire sensation.
Néanmoins, ceux qui voudraient avoir un parfum de la Venise du 18e côté
opéra, peuvent se procurer cet enregistrement.
Je ne dirais rien d'un concerto de Pich et d'un autre de Pugnani: du style
galant tout venant. C'est guère mieux à mon avis pour les quatuors opus 18
de Beethoven. Une écriture, certes soignée, assez "moderne", en revanche
l'inspiration ne me semble guère présente.
INFLUENCE IDÉOLOGIQUE ET "COMPLOTS"
Nous revoici avec les complots. En fait, je crois qu'il faut distinguer
plusieurs facteurs susceptibles d'être intervenu dans l'émergence des
compositeurs les uns par rapport aux autres:
-un climat idéologique véhiculé par l'intelligentsia musicale, qui
intervient durant et surtout après la mort du compositeur. Il englobe les
modes, les courants culturels, les caractéristiques de civilisation...
-une lutte d'intérêt personnel entre les compositeurs ou groupes d'intérêt
les soutenant. Le Fétis rapporte bien des faits divers qui traduisent ce
climat de luttes intestines, lequel existe, au fond, partout dans la
société.
Les cabales (telle celle dirigée contre la première de Pelléas et Mélisande)
sont sans doute d'origine mixte.
LE BACH DE FAUQUET ET HENNION
compte-rendu sur
l'ouvrage de Hennion et Fauquet paru aux Editions Fayard en 2000
Cet ouvrage est écrit par un musicologue et un sociologue s'appuie sur un
travail de recherche apparemment considérable dont nous ne voyons qu'une
partie. Les auteurs ont étudié le développement de ce qu'on peut nommer sans
ambiguïté le "culte de Bach" en France (quoique les auteurs aient pris la précaution, on les comprned, d'éviter cette expression). Ce culte s'est propagé selon les
auteurs grâce à l'ensemble de la société musicale. Sont considérés les
compositeurs qui y ont adhéré avec le plus de foi : Boely, Lammens, Baillot,
Hiller, en premier lieu, mais aussi Saint-Saëns, Chopin... Et bien sûr, les
"savants", les musicographes comme particulièrement Fétis (en étendant aux
Belges), qualifié de "croisé de Bach", les organisateurs de concerts, les
critiques... Les auteurs ont conçu cet ouvrage comme une analyse impartiale
qui ne vise nullement à "contester Bach", néanmoins il apparaît
objectivement (à ce qu'il me semble) que le culte de Bach s'est développé à
la manière d'une religion, Bach représentant le "père de la musique". Ce
culte a été téléguidé par l'intelligentsia musicale. C'est Bach qui a tout
inventé, incarné la perfection, constitue l'alpha et l'oméga de la
musique... Rares sont les voix s'élevant au milieu de l'encensement général,
c'est toutefois le cas de Berlioz.
Ernest David cité par Hennion p 35
"Ses compositions par leur contexture compliquée, sont d'une exécution
tellement difficile, que, pour en apprécier les innombrables beautés, il
faut les étudier, les examiner de près. C'est impossible à un musicien
ordinaire, et plus encore à la masse du public. Rien d'étrange donc à ce que
ces oeuvres soient peu connues et n'aient pas encore conquis la popularité"
Ernest David 1882
Comme pour la musique moderne, apparemment il faut "expliquer Bach".
"Si sa réputation de musicien savant est précoce, la légende même de Bach mal
compris (par les autres) parce qu'on le croyait pédant est d'ailleurs plus
tardive, et de façon cohérente elle va non pas décliner, mais se renforcer
avec le temps, c'est-à-dire à mesure qu'elle sert de faire-valoir à une
injonction nouvelle, celle d'"aimer" Bach, qui se fait de plus en plus
impérieuse. p 37"
"Dès le début du 19e siècle, Bach est célèbre sans être connu" p 54"
"Ceci ressort clairement du témoignage autorisé de l'abbé Ply qui, rappelant
l'incompréhension dont Hesse fut l'objet dans les fugues de Bach qu'il joue
sur l'orgue de Saint-Eustache en 1844, ajoute qu'on lui préféra le jeu des
Fessy, de Lefébure, des Séjan, des Boély, dont le genre mi-religieux,
mi-mondain convenait mieux à la légèreté française" p 66
On remarquera que, dans les commentaires, si Bach n'est pas apprécié, ce
n'est jamais parce que ses oeuvres sont mauvaises, mais parce que le public
est mauvais! Remarque personnelle.
"L'union de plusieurs talents tels que ceux de Baillot, de son fils René, de
son gendre Eugène Sauzay, de Boëly, forma une sorte d'"union sacrée", un
cercle agissant en faveur de Bach, par l'esprit plus que par la lettre. Au
sein de ce groupe, Alexandre Boëly incarne véritablement l'anti-virtuose
avec tout ce que cela peut signifier à l'époque du point de vue de
l'attitude sociale. La persévérance que Boély aura de jouer Bach lui vaudra
d'être chassé des claviers de Saint-Germain l'Auxerroix en 1851, tout juste
avant que Lemmens ne prenne le relais tendu par Hesse..." p 68
Berlioz (un des rares compositeurs à contester Bach)cité par Hennion p 70:
"Dans "Le rénovateur" du 29 décembre 1933, Berlioz parle du trio pour trois
pianos de Sébastien Bach" en ces termes:
c'était navrant, je vous jure, de voir trois talents admirables pleins de
sève, brillants de jeunesse et de vie, réunis en faisceau pour reproduire
cette sotte et ridicule psalmodie.""
Reicha cité par Hennion p 72
"Le genre fugué est et sera toujours celui que les connaisseurs et les
véritables amateurs estimeront le plus , non seulement parce qu'il est le
plus difficile, mais parce qu'il n'est point assujetti au caprice d'un goût
frivole et passager, comme tant d'autres productions musicales qui passent
de mode et ne résistent point au temps."
"L'intérêt n'est pas tant pour nous de démêler le faux du vrai, c'est que
cette tradition aussi illusoire qu'elle soit et résultant d'une manipulation
de Fétis pour faciliter la nomination de Lemmens au conservatoire de
Bruxelle ait, dès avant 1885, contribué à façonner Bach. p 90 [Lemmens qui
est un des bachomanes les plus acharnés]"
Tiens, comme c'est bizarre, cela ressemblerait-il à un complot?
"Il est des dizaines d'ouvrages ou d'articles de ce genre. ils font Bach au
19e siècle avec autant d'"efficacité, voire plus , que les ouvrage de Fétis"
p 102"
"Fétis ajoute au texte de 1833 la lente procession des redécouvreurs, Doles,
Fash, Selter, et l'effet du motet joué devant Mozart. La sacralisation du
génie immortel" est en route et, comme la bonne parole, l'enthousiasme n'a
plus qu'à se répandre de révélation en révélation. le texte met lui-même en
partie en route le mouvement que tout à la fois, il appelle de ses voeux, il
décrit, et auquel il participe. p 105"
"Le propos est de résoudre la difficulté propre aux biographes de Bach. Et,
en effet, au bout de peu de temps, la solution est toute trouvée. Elle va
consister à retourner en avantage moral la banalité de la vie de Bach...
C'est l'absence d'héroïsme romantique que le héros-Bach tire sa force: plus
on en ôte à la vie, plus on peut en donner à l'oeuvre. p 106"
"La figure de bach est là, et bien là, précédant l'écoute que chacun en
aura" p 108"
Gigout estime "qu'on ne saurait faire entendre trop souvent la superbe
Toccata en fa". Il montre l'exemple en la jouant et Goyon qui la trouve
inimitable considère que la manière dont le public a pu l'apprécier "prouve
bien qu'il n'y a qu'à lui montrer la bonne route pour qu'il la suive" p 144
"Bientôt il ne va plus suffire de faire ainsi globalement allégeance au grand
Bach, père de la musique, tout en rectifiant ici ou là ce qui mérite de
l'être. Au terme du siècle, et plus encore au 20e siècle, chaque note de sa
musique portera témoitnage de sa perfection, l'idée même d'y trouver à
redire devenant sotte insolence - et là encore, ce n'est pas seulement
affaire de respect, mais bien de perception: Bach ne choque plus. la
grandeur de l'homme est descendu sur la moindre de ses oeuvres. p 157"
"Il faut toujours avoir en tête que chez Bach la réputation précède le
succès" p 160"
Ce sera tout pour aujourd'hui, il ne faut pas abuser de telles bonnes
chose. Prochain message, les condition exactes de la résurrection de la
"Passion selon Saint-Matthieu" à Paris, le succès de Bach.
SYMPHONIES DE DVORAK
Que faudrait-il pour secouer l'apathie de la liste en ce début de semaine.
Que je déclare sans doute que la symphonie n°9 du nouveau Monde est nulle.
Mais non, elle est à mon avis géniale, unique, sublime, grandiose,
puissamment lyrique, délirante, de la première à la dernière note... Le
problème est que c'est à mon avis la seule parmi les symphonies du maître thèque. Le symphonisme de Dvorak me
paraît assez archaïque de la 1 à la 7, dans le style post-viennois. Je pense
qu'il y a une rupture très sensible pour la 8 qui présente un style beaucoup
plus subtil, nuancé, raffiné, totalement renouvelé. A quoi cela pourrait-il
tenir? L'évolution des compositeurs dépend de leur inspiration intérieure,
mais aussi des ouvrages qu'ils peuvent entendre. L'article accompagnant le
CD ne jure pour expliquer Dvorak que par Beethoven, Schubert, Wagner,
Mahler, tous les "grands" comme s'ils étaient les seuls compositeurs dont on
pouvait entendu les oeuvres et qui avaient pu apporter des novueautés. Les
programmes de concert au 19e siècle, étaient tout de même plus variés. De
quelles oeuvres a pu s'inspirer Dvorak pour manifester une variation de
style dont l'importance semble interdire qu'elle soit le résultat de
l'évolution normale vers sa maturité? Je n'en ai aucune idée. Wagner, je ne
le vois quasiment nulle part, Mahler pas plus. Je ne sais d'ailleurs pas si
chronologiquement c'est concevable, je n'ai pas vérifié. Pour autant cette
8e ne me semble pas meilleure que les précédentes. Son style est parfait, je
ne parviens pas à comprendre pourquoi je ne l'aime pas. Peut-être lui
manque-t-il ce "presque rien" qui tient à l'inspiration. Seule la 9e m'agréé.
J'ajouterais peut-être le début du 1er mouvement de la 1 et le 1er mouvement
de la 3 (et encore, en forçant beaucoup).
Gardons-nous de juger le compositeur uniquement à ses symphonies, il reste
les "Danses slaves", remarquables à mon avis et quelques poèmes symphoniques que je ne connais pas encore.
LA RECRÉATION DE LA PASSION SELON SAINT-MATTHIEU À PARIS
Suite du compte-rendu sur l'ouvrage de Fauquet et Hennion sur Bach: les
circonstances de la recréation de la Passion selon Saint-Matthieu, avec
uniquement des extraits de l'ouvrage, suivies de quelques considérations des
auteurs en guise de conclusion. Ils ne prennent pas parti, décrivent
simplement les conditions de l'ascension de Bach au 19e siècle en France. Est-ce moi
qui exagérais lorsque j'évoquais les causes de cette ascension. Il semble
que les révélations des archives consultées par les auteurs dépassent ce que
je n'avais même pas osé imaginer.
"Le 12 janvier 1840, Bach entre au répertoire de la Société des concerto du
conservatoire avec un récit et air avec choeur de la passion et l'Andante du
concerto BWV 1041 par Habeneck. le succès est médiocre." p 179
"Le public a applaudi par convenance plus que par véritable émotion"
(citation de Hennion d'un critique du moniteur universel de la première de
la passion Saint-matthieu. (extraits)
Sur la première grande exécution le 14 mai 1868 au Panthéon:
critique cité par Hennion p 187
"De Monter (un critique) donne en revanche des éléments plus précis sur la
solennité de l'exécution et la nature sociale de ce qui est un énévement
politico-mondain: présence de notabilités artistiques et littéraires,
plusieurs députés, le chambellan de l'empereur, le Préfet de la Seine "qui
est resté jusqu'à la fin" - le dit préfet n'est autre qu'Haussmann qui est
musicien. Les critiques de l'art, et, aux portes, quêtaient mme la princesse
de Meztternich, de Grandval, Jules Simon..."
"1874: le succès est là, pour une oeuvre qui épouvante toujours p 187
la critique (celle de Fétis sur la passion selon Saint Matthieu)
"La critique se termine explicitement par un appel mobilisateur
"performatif", à une re-formation du goût musical. C'est ce que nous
appellerons l'"inversion de la preuve": devant la difficulté qu'il y a à
jouer et à entendre Bach, ce n'est pas Bach qu'il faut amender, mais nous
qui devons travailler pour atteindre ses hauteurs. p 186
"La formulation des compte-rendus dans la tonalité d'un programme
pédagogique, voire d'une réforme du goût et de l'esthétique, semble être une
règle" (à propos de l'article de De Monter) p 186
Prise dans une perspective
historique et militante, la Passion est l'aboutissement suprême du mouvement
musical, plus rêvé que réel, qu'on espère voir se mettre en route, jusqu'à
ce qu'il ait à ce point transformé le goût qu'on soit enfin en mesure de
l'apprécier! p 194
"C'est là un moment décisif pour le goût, l'inversion de la preuve, en
quelque sorte: si cela ne plaît pas, ce n'est pas l'oeuvre qui a quelque
défaut, c'est l'amateur qui n'est pas à la hauteur." Et c'est à lui de faire
un effort supplémentaire pour se hisser au niveau exigé de lui par l'oeuvre
p 205
"L'amateur est désormais un disciple volontaire, doublé d'un expert. Il se
prépare avant l'audition. il cultive sa compétence à jouir des oeuvres, à la
suite d'un long apprentissage individuel et collectif. p 206
"citation de Hennion d'après Camille Benoît p 209:
"On peut affirmer sans crainte que les progrès d'un peuple en musique et en
art sont en raison des progrès de l'oeuvre de Bach chez ce peuple."
Je n'aurais qu'un seul commentaire concernant cette première de la Saint-Matthieu où il y avait tout le gratin politico-mondain, je me demande si, à Paris, pour la première des "Quatre qaisons" qui est pourtant devenu comme on sait l'oeuvre la plus enregistrée dans le monde entier, il y avait autant d'officiels et de sommités.
POÈMES SYMPHONIQUES FRANÇAIS
Quelques poèmes symphoniques français de la fin du 19e siècle avec le CD Emi
classics (Plasson et l'orchestre du Capitole de Toulouse).
Je dois dire que pour moi le principal intérêt de cet enregistrement est de
montrer l'identité de style qui régnait à l'époque. Je vois surtout le style
pré-impressionniste aux accents mystérieux de "Saint-Saëns", celui de "La
jeunesse d'hercule" et du "Rouet d'Omphale" qui est le plus caractéristique. Je
pense que Saint-Saëns a été le moteur de ce nouveau style car les
caractéristiques me semblent plus accusés dans ses oeuvres que dans celles
de Lazarri, , Duparc, Franck ou Dukas, mais c'est une simple supposition.
Dans l'ensemble, ce CD présente des compositeurs au style symphonique remarquable, mais le plus subtil n'est peut-être pas sur ce CD, à
mon avis c'est Massenet. A part cela, "Effet de nuit" de Lazzari me laisse
totalement froid comme "Aux étoiles" de Duparc. De la musique "parfaite"
peut-être bonne pour certains, mais pas pour moi. Je suis admiratif, mais
c'est tout."Lénore " de Duparc, utilisant des motifs vaguement ibériques me
paraît meilleur. "Le Chasseur maudit" du père Franck, rien qui me porte aux
nues, mais son style me semble à l'unisson des autres. On a tellement dit de
Franck qu'il était wagnérien, on a tout de même beaucoup exagéré, cela ne me paraît pas sensible dans toutes ses oeuvres, loin de là. En tous
cas, pas de wagnérisme dans cette oeuvre. "L'apprenti sorcier", c'est à mon
avis le grand chef-d'oeuvre. Je soupçonne Debussy d'avoir été influencé par
cette oeuvre dans "Jeux", malgré la différence de style (j'espère que pour
les dates cela est compatible, cela devrait) Et bien sûr, il y a la "Danse
macabre" d'un certain Saint-Saëns. Tout de même, permettez-moi de le dire,
quel chef-d'oeuvre aussi. Qui avait dit que
Saint-Saëns était froid et académique? Finalement, je m'aperçois que je viens de faire l'éloge des oeuvres connues sur ce CD.
pour les découvertes, ce sera sans doute pour une autre fois.
FEMMES COMPOSITRICES FRANÇAISES
Il y en a eu d'autres, je pense, mais cela ne me vient pas à l'esprit, mais
peut-être plutôt vers la fin du siècle. Au moins Trauttmann Marie,
apparemment elle s'est bien débrouillée sans le Conservatoire (née en 1846). Ses concertos ne sont pas recréés, mais il y a, je crois,
plusieurs CD sur sa musique pour piano. Son style me paraît peu mélodique,
pour ne pas dire peu mélodieux. Un style très viril.
J'avoue ne pas beaucoup l'apprécier. Elle a eu des éloges de Liszt,
Saint-Saëns, mais cela est-il significatif. Apparemment, Saint-Saëns était
prodigue d'éloges pour ces dames compostrices, on dit pourtant qu'il était
mysogyne. Mais que n'a-t-on pas dit sur lui? Et aussi n'oublions pas Cécile
Chaminade qui est née tout de même, je crois, en 1857, auteuse du fameux
"Konzertstück", mais aussi d'oeuvres symphoniques Je suis sûr qu'il y en a
bien d'autres. Judith Gauthier a composé au moins une pièce pour piano,
mérite-t-elle le titre de compositrice? Et il ne faut pas oublier, bien sûr, Augusta Holmes, peut-être la plus marquante, celle qui a développé un style autonome (peut-être).
Elle furent surtout des pianistes car cela faisait partie du statut social
de la jeune fille bien élevée que de jouer de cet instrument. Enfin, je
suppose que c'est l'origine. Cécile Chaminade a composé la symphonie "Les
amazones", non recréée à ma connaissance.
VIRILITÉ ET FÉMINITÉ DANS LA MUSIQUE
C'est vrai que bizarrement, ces compositrices sont plutôt "viriles" par leur style, notamment Marie-Jaëll-Trautmann, Augusta Holmes. Je ne sais pourquoi. Cette discussion pourrait nous amener très loin. L'artiste est tout de même
un être particulier qui, par sa sensibilité, tient peut-être de l'androgyne.
On a coutume de distinguer des compositeurs plutôt virils, Beethoven par
exemple en raison probablement de son volontarisme, des effets de puissance
sonore qu'il affectionne, d'autres plus féminins, (dans ce cas c'est
généralement considéré comme une insulte), Massenet par exemple. Le cas de
Chopin est particulier. On l'a d'abord qualifié de féminin en raison de son
sentimentalisme, mais peut-être dans un sens plus positif que pour Massenet.
Ensuite, on a considéré, somme toute, qu'il manifestait des élans de
virilité. Palinodies un peu risibles à mon avis. Nous réglons nos comptes,
exprimons nos obsessions au travers des compositeurs qui ne sont plus que
des archétypes ou des symboles. Tout cela nous éloigne de la réalité musicale.
Sur un autre plan, et pour rejoindre plus précisément votre remarque, on a
considéré que l'harmonie était un domaine plus viril que la mélodie, dans la
mesure où l'harmonie pouvait être ramenée à des notions intellectuelles
(c'est en tous cas ce que l'on croyait), or l'intellectualisme signe plutôt
le caractère viril (dans ce qui est convenu tout au moins).
KREISLER
Justement, je voudrais évoquer un EMI classics qui est probablement une
réédition car il s'agit d'oeuvres de Kreisler interprétées par le
compositeur lui-même à l'instrument soliste (il est mort en 1962).
On y trouve les classiques liberslied, liberfreunde..., d'autres
compositions originales "dans le style de" à mon avis beaucoup moins
remarquables. Et aussi naturellement de nombreuses transcriptions. Tout le
monde possède dans sa discothèque un ou plusieurs de ces Kreisler.
Oeuvrettes inévitables qu'il faut subir dirons certains, notamment les gros
cerveaux qui apprécient Boulez. Pour ma part, je pense que Kreisler a
inventé d'excellentes mélodies d'un haut niveau de musicalité ("Liberslied" et
"Shön Rosmarin" sont peut-être les meilleures) même s'il ne vise jamais la
haute virtuosité. Qu'importe d'ailleurs. La haute virtuosité n'est pas un
critère. Kreisler utilise admirablement le matériau rhapsodique, avec "la
gitana", que l'on retrouve moins couramment sur les enregistrements et aussi
"Caprice viennois", composition bizarre qui contient plutôt des airs
tziganes. Dans les arrangements, on trouvera des airs moins couramment
présentés, par exemple la Sérénade espagnole op 20 n°2 de Glazounov, The old
refrain de Brandt, la "Poupée valsante" de Poldini... La notice me paraît
particulièrement claire sur l'intitulé des oeuvres, distinguant bien les
compositions originales, et parmi elles, celles écrites dans le style d'un
autre compositeurs, d'autre part les arrangements. Les arrangements, je suis contre, on le sait, je ne les commenterais donc pas.
POMPIÉRISME
Oui. La dénonciation du pompiérisme a certainement à ses début stigmatisé un
type de musique assez primaire et superficiel. Cette accusation est utilisée
aujourd'hui pour dénigrer bien des chefs-d'oeuvre. Dès qu'une oeuvre est
lyrique, on dit que c'est du pompiérisme. C'est pour moi un exemple de
récupération dialectique de la part de ceux que scandalise tout effort vers
la beauté.
OEUVRES POUR ORGUE
C'est ce qu'on trouve effectivement dans les anthologies, mais cela
reflète-t-il le développement de l'orgue au 19e siècle. Que connaissons-nous
réellement de ce répertoire? Pour ne citer que Saint-saëns, il y a, je
crois, une intégrale de plusieurs cD sur son oeuvre d'orgue. J'en connais
quelques pièces, d'une bonne facture à mon avis (pour employer l'expression
consacrée) Et Lefébure-Wéli, que je viens justement de citer dans ma
prochaine chronique, qu'est-ce que vous en faites? Négligeable sans doute!
Sa gloire fut immense, sans doute plus que celle de Gigout, Vierne ou Boely.
J'avoue que ces 3 là ne m'ont jamais enthousiasmés, mais c'est vrai qu'on
peut difficilement juger sur les quelques pièces présentées dans les
anthologies.
COLLECTION D'OEUVRES POUR PIANO ET ORCHESTRE
Oui, j'ai vu cette collection Brilliant Classics. C'est pour moi l'exemple de mauvaise
collection qui n'a aucun intérêt, même si Saint-Saëns y est inclus car on ne
sort pratiquement pas des classiques reconnus. Toutes ces oeuvres sont déjà
éditées ailleurs. Aucun rapport avec la collection "The romantic piano"
d'Hypérion collection à mon avis admirable qui était consacrée aux
pianistes-compositeurs. Les éditeurs avaient osé éditer des concertos rares
de Sauer, Scharwenka, Litolff.... Deux philosophies radicalement opposées,
l'une inspirée de la vieille hiérarchie traditionnaliste des anciens
musicographes soutenant une fausse histoire de la musique, bourrée d'erreurs
et biaisée, l'autre s'appuyant sur les apports de la musicologie moderne et
tentant de restituer la vérité historique débarrassée de sa gangue
idéologique. Pardonnez cette diatribe. Je dois être excité ce soir.
Peut-être à cause de ce CD de pièces pour piano de Schubert que je viens
d'écouter et qui n'en finissait pas.
JUGEMENT BIAISÉ
Il peut exister un hiatus important entre l'intérêt réel que l'on éprouve en
écoutant une oeuvre et le jugement que l'on émet. C'est un fait
psychologique bien connu. Le jugement passe par le filtre de l'intellect. Il
peut être biaisé inconsciemment en fonction de la philosophie et des
préjugés que l'on a. En second lieu, l'audition elle-même peut être modifiée
en fonction de l'a priori que l'on a, de sorte que des effets musicaux
mineurs peuvent éveiller des évocations psychiques stokastiques d'intensité
mineure, mais qui peuvent être inconsciemment (et faussement) interprétés
comme de réels effets émotionnels de niveau élevé. Le même phénomène en sens
inverse peut se produire à l'écoute d'une oeuvre ou dun compositeur dont on
n'a pas a priori de jugement positif.
MUSIQUE LACRYMOGÈNE
Vous ne croyez pas que vous en rajoutez un peu en évoquant les frissons, les larmes aux yeux en écoutant la musique de Lulu. Une émotion qui s'affiche
aussi impudiquement est-elle réelle? Pour ma part, des oeuvres excellentes
qui m'émeuvent profondément ne produisent pas sur moi une telle révolution
physiologique. Nous n'avons peut-être pas la même complexion. Mais
parlez-vous de la musique ou des effets scèniques. Avec l'opéra qui est un
genre hybride, on ne peut savoir dans l'absolu. Pour être rigoureux, on ne
peut juger de la musique atonale qu'au travers d'une composition purement
instrumentale. Si vous me citez une telle oeuvre qui produise en vous de
tels effets, moi je veux bien, mais je ne peux m'empêche de trouver cela extrêmement bizarre.
LA MUSIQUE ATONALE INTRINSÈQUEMENT DÉTESTABLE
Ce qui déconsidère un mouvement ou un compositeur, ce n'est pas l'existence
d'une promotion, si appuyée soit-elle, pour le soutenir, c'est que le
résultat de celle-ci s'avère un échec. Echec total et définitif dans le cas
du prétendu courant atonaliste et plein succès dans le cas notamment de
Beethoven.
Que pas une seule oeuvre atonale n'ait pu constituer un "grand succès" du
20e (qui sont tous constitués d'oeuvres néoclassiques) en dépit d'un
engagement de toutes les forces du système et de l'autorité qu'elles
exercent (contre une déconsidération des oeuvres contemporaines
néoclassiques), voilà qui constitue, autant que ce soit possible, une preuve
de l'invalidité de ce mouvement.
D'autre part, l'existence générale, jamais démentie, d'un même effet de
révulsion du public mélomane sous toutes les latitudes constitue, autant que
ce soit possible, une preuve suffisante que la "musique" atonale est non
seulement dépourvue de qualité musicale, mais "intrinsèquement détestable"
selon l'expression appropriée de François Juteau.
Ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est la notion d'"existence sur
le plan de l'histoire de la musique".C'est la constatation d'un écho auprès
du public mélomane qui signe historiquement l'existence d'un courant sur ce
plan et non la gesticulation d'un microcosme partisan et sa capacité de
produire des partitions exécrées du public.
INSTRUMENTS ANCIENS
C'est vrai que, finalement, les instruments anciens tels qu'ils sont révisés
finissent par sonner assez peu différemment des modernes et j'ai fini
moi-même par m'habituer aux enregistrement de Biondi et Carmignola. Mais
attention, peut-être faut-il différentier les instruments de l'époque
prébaroque (environ 1700 de ceux de l'époque baroque tardive (1740 environ).
Peut-être aussi a-t-on été amené à tricher légèrement pour que le son soit
un peu plus décent et fournir au mélomane des oeuvres dignes d'être
écoutées. C'est naturellement une simple hypothèse, voire une divagation.
Vous savez bien que j'ai mauvais esprit. Je crois qu'une des différences
importantes reste l'intensité sonore, mais la technique d'enregistrement ne
supplée-t-elle pas à cette insuffisance pour la gommer en partie? En partie
car sur le dernnier Carmignola, dans le RV 273, il y a tout de même quelques
passages assez peu audibles. Faute du violoniste, de l'instrument ou du
technicien. Je ne saurais le dire.
SCHARWENKA: PIÈCES POUR PIANO
Un CD qui répond bien à ce que l'on en attendait, cela arrive, oui.
Scharwenka - 1 Pièces pour piano par Seta Tanyel. Royal Scharwenda,
magistral, impérial Scharwenka. Comme d'habitude. L'écoute de ses
chefs-d'oeuvre m'a toujours procuré de pleines bouffées de lyrisme. Il n'a
pas la manière coulante, souple de son compatriote Kullak, c'est qu'il se
place plutôt dans la lignée de Litolff et Schumann, avec des accords un peu
rudes, mais des sections mélodiques d'une grande limpidité. Les fameuses
"Cinq Danses nationales polonaises", un des plus grand succès d'édition du
siècle selon la notice du CD, marquent incontestablement par la fulgurance
de leurs motifs alliés à une nostalgie très prenante. La Sonate se présente
comme un morceau de bravoure démonstratif, trahissant sa vocation
pédagogique. Elle exerce cependant une séduction grâce à son second
mouvement qui rappelle d'assez près les sonorités gottschalkiennes. C'est un
pan de l'univers musical de la seconde moitié du 19e siècle qui nous est
révélée ici. La musique qui a marqué réellement ce siècle, l'événement
historique à l'état pur que le filtre des idéologues avait occulté. A mon
avis un CD indispensable.
PROBLÈME DE L'INSTRUMENTAITON ANCIENNE
Le problème des instruments anciens ne se complique-t-il pas lorsque l'on
veut jouer un répertoire qui s'étend sur plus d'un demi-siècle (le baroque
et prébaroque). Peut-on considérer qu'il y a authenticité si on joue une
oeuvre de 1740 sur un instrument d'époque datant de 1700. Pour jouer une
oeuvre de jeunesse d'un compositeur, puis une de ses oeuvres tardives dans
un même concert, il faudrait pendant l'entr'acte changer d'instruments! Les
instruments étaient-ils d'ailleurs renouvelés dès qu'il y avait une avancée
technique? D'autre part, il faudrait aussi considérer les différences
géographiques qui pouvaient sans doute être considérables. Une amélioration
intervenue en un lieu n'allait pas diffuser dans tout l'Europe à la vitesse
d'un message électronique. Je me demande si un compositeur baroque en fin de carrière exigeait,
pour l'exécution d'une de ses premières oeuvres écrites quelque 30 ou 40 ans
avant, que les musiciens changeassent tous leurs instruments pour en
reprendre d'autres contemporains de l'oeuvre. C'est sans doute une question
très sérieuse à creuser. Ignorant toutes ces éléments, n'est-il pas vain
de vouloir restituer une prétendue authenticité. Et comme vous dites, où
tracer une limite pour temporelle passer aux instruments modernes. A part la
découverte de l'archer droit pour les cordes, y a-t-il vraiment des dates
historiques qui ont bouleversé l'instrumentation?
LE SYSTÈME PRÉCÈDE L'INSPIRATION? ARTICLE DE DESJARDINS
Ce qui me frappe dans cet article, c'est que l'on demeure dans une optique
intellectualiste et analytique. Nulle part, il n'est question
d'"inspiration", de "mouvement de l'âme", d'émotion, d'affectivité. Tout se
passe comme si la musique avait été confisquée par des clercs qui n'y sont
pas sensibles. Je serais
tenté de dire come le fit Bohours dans les "Entretiens d'Ariste et d'Eugène":
"Je suis bien aise, dit Ariste en riant, que vous preniez le parti, et que
vous vous contentiez d'admirer ce que d'abord vous vouliez comprendre."
Mais voilà, nos Intellectuels veulent créer en "comprenant". Même si
l'auteur émet de sérieux doute sur la perception d'une musique à l'"opacité
cognitive" évidente, il n'abandonne pas l'idée selon laquelle c'est la
recherche intellectuelle d'un nouveau langage musical qui permettra de créer
des chef-d'oeuvres et non pas l'abandon à une inspiration nouvelle. Pour lui
le système précède l'inspiration. Ne peut-on dire plutôt que c'est
l'inspiration qui doit précèder le système comme il en fut durant toute
l'histoire de la musique.
D'autre part, la musique est toujours, presque par postulat, assimilée à un
langage, or j'aimerais qu'on m'expliquât la syntaxe et la signification des
termes dans le langage musical tonal. Jamais personne n'a pu l'expliquer.
N'y a-t-il pas en conséquence dans cette affirmation dont on peut douter
toujours la même philosophie: la création doit partir du langage au lieu d'y
aboutir.
Je suis également frappé par le manque d'ambition affirmé par l'auteur. Ne
se contente-t-il pas de rechercher un langage musical qui évite le "rejet du
public". C'est à mon avis un peu faible, la musique doit pouvoir prétendre à
exprimer le sublime ou tout au moins fournir un plaisir appréciable au
public.
BANTOCK OEUVRES ORCHESTRALES
Bantock Symphonie païenne, Fifine à la foire, deux balaldes héroïques CD
hypérion
Si aucun de ces poèmes symphoniques ne forment à mon avis un ensemble qui
atteint le sublime dans son développement, je relèverais cependant, épars,
des éclairs de génie fulgurants. La première partie de chacun de ces 2
poèmes symphoniques obéit à un style d'écriture d'une suprême élaboration
qui atteint à mon avis les plus subtiles créations de l'impresisonnisme.
Debussy est dépassé (sur le plan symphonique), je n'hésite pas à l'affirmer.
Rien que pour ces parties, je vous conseille d'acquérir ces oeuvres, cela
vaut la peine. Curieusement, Bantock, comme Sibelius dans certaines de ses
symphonies hésite entre un sytle purement impressionnisme et un style d'un
classicisme récitatif très mélodique, voir romantique. Il réussit même
parfois à marier les deux expressions. D'autres parties s'apparentent plutôt
à une écriture dynamique un peu lassante, parfois assez cuivrée. La seconde
ballade héroïque, elle, parvient à une expression grandiose d'une grande
souplesse et d'une grande subtilité, traduisant plutôt, avec de rutilants
appels de trombone, Anton Dvorak.
"Et ego in Arcadia vixit"
avait écrit Bantock au frontispice de sa "Symphonie païenne". Je n'ai pas
toujours atteint l'Arcadie en écoutant cette oeuvre, mais parfois par
quelques déchirures sonores j'ai réellement entrevu le monde féerique où
Dyonisos enseigne les mystères de la sainte ivresse à son cortège de
ménades.
MESSIAEN PAR MESSIAEN - TCHAÏKOVSKY DANS LE HONNEGER
S'agit-il de la version de 1976 (copyright) ou bien d'une édition
antérieure? Que Messiaen ait lui-même écrit l'article qui le concerne,
c'est, me
semble-t-il, une abérration sur le plan de l'éthique lexicographique, un
manquement inqualifiable au principe, au moins formel, de l'objectivité.
J'avoue ne pas comprendre cela de la part du Honegger considéré comme un
usuel sérieux. Je soupçonne le "copinage" de ces gens qui finissent par
perdre le sens le plus élémentaire de la responsabilité vis-à-vis des
lecteurs.
J'ajoute que c'était une ancienne version du Honneger (l'histoire de la
musique et non le dictionnaire je crois) qui présentait Tchaïkovski de
manière particulièrement méprisante en reprenant à son sujet la formule de
"vieux
pleurnichard", la notice se terminait, si je me souviens bien, par
l'apostrophe "Vieux sentimental", mais cela vous n'en trouverez pas trace
dans la
dernière version du Honegger où la notice a été remise à jour d'une manière
plus favorable. Mais si Tchaïkovski avait été encore vivant, sans doute lui
aurait-on demandé d'écrire lui-même sa propre notice, sait-on jamais.
ARRIAGA QUATUORS - LEKEU
C'est la série des confirmations. Abeillemusique proposait 3 quatuors
d'Arriaga par le Rasoumovski quartet (ENY-cd-9737). Je m'attendais à ne
trouver dans ces oeuvres que des prémisses. Celui qui fut unanimement
considéré comme un génie, trop tôt disparu, me paraît avoir produit là des
pièces exceptionnelles, notamment l'un des 3 quatuors.
Un style qui n'est pas à l'avant-garde de l'écriture romantique de ce début
de siècle, loin s'en faut. L'on y trouve de nombreux aspects rappelant le
style galant. Mais quelle expressivité, quelle richesse thématique, surtout
dans le mouvement lent du premier quatuor.
Qu'aurait pu devenir ce compositeur? Un aimable Mendelsshon? Beaucoup plus,
je pense (quoique je suis loin de mépriser l'auteur du "Songe d'une nuit
d'été"), mais certainement pas un romantique échevelé comme Berlioz. La musique de chambre semble lui convenir parfaitement et il
manifeste une conformation à l'éthique du genre étonnante, bien que l'on ne
puisse alléguer d'influence précise. Son destin rappelle celui d'un autre
compositeur fauché avant d'avoir donné sa mesure: Lekeu (un demi-siècle plus
tard). J'avoue moins avoir discerné de prémisses prometteurs chez ce dernier
compositeur. Lekeu, m'a paru cependant plus volontaire, plus soucieux de
renouveler le langage, plus empreint d'idéalisme.
Un CD à mon avis indispensable.
IMPORTANCE DE GLASS?
Il ne faut peut-être pas exagérer l'importance de Glass. Remarquez, j'avoue
(honteusement) avoir écouté quelques-une de ses
oeuvres sans trop m'ennuyer. C'est tout de même un peu simpliste comme
musique.
TAKEMITSU ET SES COMPARSES
La série des confirmations continue, mais dans l'autre sens, avec Takemitsu.
Des oeuvres "dignes" de lui, dépourvues de toute musicalité. Je suis sans
doute naïf car j'avais imaginé que ce CD pût représenter une image de la
musique japonaise contemporaine. En fait, les comparses de Takemitsu!
Miyoshi, Matsumura et
quelques autres dont je vous épargne le nom, ne représentent que la musique
atonale. Mais où est passée la musique japonaise tonale du 20e dont je ne
doute pas quelle existe?
OEUVRES INAUTHENTIQUES ET EMPRUNTS CHEZ BACH
L'oeuvre considérée comme la plus moderne de Bach, qui transcende son temps
et la plus transcrite qui s'avère inauthentique, vous trouvez cela mince.
Avouez que c'est une bombe. Et lorsque c'est la seconde oeuvre la plus
connue dans le genre où ce compositeur est considéré comme supérieur
(l'orgue) qui s'avère ne pas être une production entièrement de lui, c'est
déjà trop. Des explications sont nécessaires. C'est moi qui les attend de la
part de ceux qui soutiennent Bach et non pas à moi d'en fournir de
supplémentaires. Il y a aussi la bagatelle de dix concertos de Vivaldi
transcrits par Bach (sans compter ceux de Sach-Weimar et de bien
d'autres...) qui sont passés pendant longtemps pour être du meilleur Bach...
on est dès lors en droit de s'interroger sur l'authenticité de nombreuses
oeuvres dont on ne possède ni le manuscrit ni aucune édition d'époque. Il y
a aussi les concertos pour violon dont l'authenticité est douteuse, le
"Concerto italien", la "Fantaisie chromatique" qui ne sont pas entièrement de
Bach... Et il y a la multitude d'emprunts dont vous trouverez la référence
dans l'ouvrage de Pirro (pourtant un de splus grands défenseurs de bach) et dans l'ouvrage de Candé: "Bach". Si cela ne vous est pas suffisant, je ne sais ce
qu'il vous faut. Dès lors, le problème qui se pose, c'est de savoir quelles
sont les oeuvres dont l'authenticité est avérée. Certainement, oui, les
oeuvres contrapuntiques comme le "Clavecin bien tempéré", l'"Art de la fugue",
l'"Offrande musicale"... mais s'il n'y avait eu que ces oeuvres, Bach aurait-il
pu s'imposer auprès du public? Hennion et Fauquet montrent que l'"Aria de
Gounod" a permis en France au 19e la popularisation du nom de Bach car cette
oeuvre était présentée sous le nom de Bach (alors que seul l'accompagnement
est repris d'après Bach). Tout cela, (et bien d'autres méthodes douteuses de
la part des partisans de Bach pour ériger leur héros en Père de la Musique)
interdit de prendre à la légère la contestation de Bach.
AMITIÉS ET INIMITIÉS DE TCHAÏKOVSKY
Tchaïkovsky orchestrant un concerto pour piano de Liszt sans le savoir, qui lui fut présenté anonymement par une de ses élèves car le créateur du Casse-noisette" n'aimait pas Liszt. Oui, le "Concerto à la mode hongroise". C'est d'ailleurs une oeuvre excellente à
mon avis et que je recommande particulièrement. La fusion du style
tchaïkovskien avec celui de son ennemi fait merveille. Mais vous savez,
Tchaïkovski considérait aussi Chopin comme son "ennemi intime". Il
ressentait de l'affection pour lui, mais le haissait - sans doute parce
qu'il était Polonais. Faut-il accorder beaucoup d'importance aux amitiés et
inimités de Tchaïkovski?
DÉFORMATION OU ENRICHISSEMENT DES OEUVRES
Concernant l'aspect légal, on remarquera qu'aujourd'hui, n'importe qui peut
déformer comme il veut un chef-d'oeuvre classique, par exemple le transcrire
à la mode rock ou rap, sans qu'aucune loi ne s'y oppose. C'est tout de même
ahurissant. Certes, si une telle loi prohibant les réutilisations avait été
appliquée dès le 18e siècle, bien des chefs-d'oeuvre n'auraient pas été
créés. Il est toujours difficile de tracer une frontière entre la
réutilisation justifiée d'un fonds musical commun et une exploitation
regrettable des chefs-d'oeuvre de l'Humanité.
INAUTHENTICITÉ DES OEUVRES LES PLUS CONNUES DE BACH
Je n'ai pas cité qu'une seule oeuvre. En ce qui concerne les Passions, la
passion selon Saint Marc était considérée il y a quelques décennies comme
inauthentique parce qu'elle était indigne de Bach. Cela n'a fait aucun
remue-ménage. Au contraire on n'avait pas envie qu'elle soit auhtentique, il
semble bien pourtant qu'elle le soit. En ce qui concerne la Passion selon
saint Matthieu, je sais simplement qu'on ne possède que les 10 premiers
feuillets autographes et aucun document édité d'époque. Je n'en sais pas
plus. En général, on établit une authentification soit sur un manuscrit,
soit sur l'existence d'un document d'impression édité à l'époque. Si on ne
dispose d'aucun des deux, c'est sans doute recevable dans certains cas, mais
certainement beaucoup plus délicat.
Une oeuvre comme la "Fantaisie chromatique" a beaucoup d'importance car elle a
été utilisée pour montrer que Bach pouvait être en avance sur son temps. Pas
étonnant, évidemment, puisqu'on pense aujourd'hui qu'une partie de cette
oeuvre a été surajoutée par son fils beaucoup plus tard. C'est la même chose
pour la BWV 565 qui révélait un Bach visionnaire, quasiment romantique.
Evidemment, depuis que la BWV 565 est suspectée, on préfère lui accorder
moins d'importance, comme vous le faites vous-même. Certains, comme par
hasard, la considèrent maintenant comme secondaire. Il arrive peut-être un
moment où il faut voir les chose en face plutôt que toujours s'en tirer par
des pirouettes dialectiques.
Les preuves, en ce qui concerne la multitude d'emprunts avérés, vous les
avez dans les travaux des experts En général, il s'agit d'une partition
retrouvée dans une autre bibliothèque portant une date antérieure. Etant
avéré que Bach s'est souvent comporté en compilateur, il est maintenant à la
charge des partisans de Bach de fournir la preuve de l'authenticité des
oeuvres. Lisez l'ouvrage d'andré Pirro qui est une référence et aussi celui
de Candé. Pirro a été un des plus grands partisans de Bach, il défend la
thèse selon laquelle Bach a empreint de génie en les arrangeant les pâles
productions des compositeurs de son époque. En quelque sorte, Bach est le
génie supérieur qui corrige ses élèves.
VALEUR DE BACH ET DE SES OEUVRES
En fait, cela n'influe pas sur l'opinion que l'on a sur les oeuvres, mais
sur celle que l'on a du compositeur. Personnellement, avant de savoir que la
BWV 565 était très douteuse, je l'admirais comme une grande oeuvre. Dans mon
site, je l'avais notée 4 étoiles (oeuvre exceptionnelle). Je pense donc
avoir manifesté une certaine indépendance du jugement. D'ailleurs je n'ai
rien modifié dans la critique qui était très élogieuse, sinon pour signaler l'authenticité douteuse de l'eouvre. Peu
importe qu'une oeuvre ait été écrite par X ou Y. Je continue de penser que
Bach est un grand compositeur, mais qu'il est loin d'avoir été le
compositeur exceptionnel que l'on a voulu voir en lui, surtout par rapport à
ses contemporains. C'est surtout la hiérarchie de valeur par rapport à ses
contemporains que je remets en cause. Faire de lui le plus grand compositeur
baroque bien au-dessus de Scarlatti, Rameau, Vivaldi, Telemann... ne me
paraît pas recevable.Je crois que Bach
avait de grandes possibilités musicales, mais qu'il s'est enfermé rapidement
dans une attitude idéaliste et minimaliste stérilisante. Il n'est sans doute
pas el seul. Il a surtout été utilisé par une intelligentsia intellectuelle
qui voulait revalosiser les "oeuvres de l'esprit" (les oeuvres
contrapuntiques) par rapport au développement envahissant de la conception
purement "expressive" de la musique à la fin du 18e et au 19e siècle.
LANGUE NATIONALE DANS L'OPÉRA
Voilà une excellente mise au point. On retient que l'utilisation de la
langue nationale demeure une préoccupation secondaire, au moins jusqu'à
l'époque où le nationalisme musical se développe, notamment Glinka, l'opéra
russe, espagnol...
Toujours d'après l'ouvrage de Belinda Cannone sur l'évolution du goût en
France au 18e siècle, la préoccupation de la langue nationale existe, mais
elle n'a conduit nullement à revendiquer son utilisation absolue et c'est un
phénomène assez spécifiquement français. Les charges contre la musique
italienne portent plutôt sur son style, son importance envahissante par rapport à l'action, l'indigence des livrets dans l'opéra
plutôt que sur la langue.
RECONSIDÉRER LA VALEUR DES OEUVRES DE BACH
Bien sûr, Bach était beaucoup plus qu'un arrangeur, mais il a eu, d'après
ses biographes, une activité de compilateur très importante. Celle-ci est
attestée par le grand nombre d'oeuvres dont on n'a retrouvé les originaux
écrits à une date antérieure par d'autres compositeurs. La découverte de ces
éléments exige que l'on reconsidère l'importance de Bach, mais elle ne
saurait effectivement réduire la part qu'on doit lui accorder. Il est temps,
après avoir reconnu le caractère infondé de sa supériorité automatique sur
les autres compositeurs baroques, de se pencher positivement sur son apport
véritable et d'apprécier ses réelles qualités. Je pense notamment aux
partitas pour violon qui, si elles ne m'apparaissent pas d'une inspiration
supérieure (opinion personnelle) représentent objectivement un apport
important sur le plan didactique. C'est une assimilation remarquable de la
technique violonistique de l'époque à son plus haut niveau. Cette conception
d'une oeuvre didactique volonistique est peut-être une des rares avant les
Caprices de Paganini.
TUBIN
Jugement mitigé de ma part pour cette première rencontre avec Eduard Tubin.
Tout d'abord un vrai plaisir de découvrir un autre compositeur dans la
lignée des russes et nordiques qui ont composé dans le style expressionniste
de l'époque dont l'image la plus caractérisée se trouve à mon avis chez
Khatchaturian et kabalevski, mais aussi certaines oeuvres de Chostakovitch.
Déception dans la mesure où Tubin, subissant à mon avis la pression
d'esthétiques modernistes négatives, le symphonisme rudimentaire issu du
"Groupe des Six" en France, déprécie largement ses qualités. il s'ensuit des
oeuvres dontenant des moments sublimes voisinant avec une orchestration
grossière, disgracieuse tirant vers l'exhibitionnisme et le grotesque
chostakoviens. Dommage surtout pour le "Concerto pour contrebasse". Presque
toute la partie de contrebasse est géniale, mais la plupart des parties
orchestrales, non, inacceptable. Tubin passe vraiment près du chef-d'oeuvre,
c'est fou de constater un tel gâchis par suite de l'adhésion à une
conception esthétique que pour ma part je considère comme profondément
négative. Passons à la Symphonie n°7", je n'en dirais qu'un mot:, nul,
nul et archinul, bien pire que les symphonies de Nielsen "5" et "7". Quant à la "Suite
estonienne", la "Sinfonietta sur des motifs estoniens", Tubin nous amuse avec
avec du folklorisme primaire de bazar. Il vaut mieux oublier cela. Il reste
la "Valse triste", une pleine réussite à mon avis malgré la brièveté de
l'oeuvre, le sentiment d'angoisse et de mélancolie suggéré par le style
expressionniste à son niveau le plus élevé dans un symphonisme qui renonce
enfin aux facilités tapageuses et disgracieuses du "Groupe des Six". Enfin. la
marque de Sibelius y est également présente, et d'une manière transcendante,
ce dont témoigne peut-être le titre. Dans la même lignée, mais moins inspiré
à mon avis, nous trouvons la "Ballade pour violon et orchestre" et le "Concerto
pour violon". J'oubliais le "Concerto pour piano", il est bien dans la lignée de
celui de Galynine, de Constantinescu, de Khatchaturian, dont il à mon avis n'a pas les
qualités. Mais quelle pauvreté dans cette oeuvre, Tubin ne sort guère d'une pulsion rythmique
incessante et fatigante. Tubin, vraiment, quel gâchis, des éclairs de génie,
des moments bouleversants, des thèmes sublimes se heurtant à des laideurs
des incohérences uniquement dus à une conception négative de la musique et le désir de paraître "moderne".
APPALUDISSEMENT
Vous savez, c'est bien à peu près partout que l'on connaît la salve
automatique des applaudissements, surtout quand il s'agit de certains grands
noms. Que voulez-vous, aujourd'hui, le public est "éduqué" selon le coeu constant des musicographes du 19e siècle. Vous imaginez,
un public qui aurait l'outrecouidance de juger par lui-même indépendamment
de tout contrôle par les bien-pensants musicaux, l'horreur...
CONTESTATION DE LA HIÉRARCHIE ACTUELLE DES COMPOSITEURS
Vous n'allez pas prétendre que nous, contemporains, pouvons mieux comprendre
l'art egyptien du 1er millénaire avant Jésus Christ que ceux qui l'ont créé
et ceux pour qui il était destiné. Mais, soit, dans une certiane mesure,
l'art est universel et intemporel. Vous oubliez que s'il y avait sans doute
des conditionnements à l'époque d'une création, les périodes suivantes n'en
sont pas exemptes. Mais je voudrais ajouter surtout que l'art du passé,
notamment celui né au 18e siècle, a été reconsidéré non plus directement par
le public, mais par d'abord par la médiation obligée des Intellectuels qui
ont prétendu "éduquer le public", selon leurs propres termes. Croyez-vous
que cette prétention soit admissible et que, conséquemment on puisse
admettre la hiérarchie des compositeurs qu'ils ont imposée.
CONCERTO IN DUE CORI DE VIVALDI
Une amie m'a généreusement envoyé un CD des 4 concerti in due cori de
Vivalldi, oeuvres que je ne possédais que sur un vieux vynil difficilement
audible. J'ai donc réentendus ces oeuvres que je n'avais pas pratiquées
depuis maintes années. Elles s'imposent à mon avis parmi les oeuvres les
plus accomplies et les plus lyriques du compositeur. Datant de la période de
maturité, probablement 1830 environ, elles ont la particularité de présenter
un approfondissement du style baroque vialdien qui n'est entaché par ancune
facilité appartenant au style galant comme on pourra en rencontrer dans
certains concertos de l'op 9 ou 11. Les mouvements lents, en particulier,
présentent un développement dans le sens d'un épanchement de l'âme qui ne
peut plus être limité au champ de la musique baroque. Quant aux mouvements
rapides, ils comportent des variations de tempo particulièrement
saisissants, brisant le tempo régulier de la musique baroque et la haussant
à un niveau qui l'apparente à un nouveau style, ni baroque ni romantique, ni
impressionniste, ni moderne et surtout pas classique. Vivaldi pénètre ici en
une "terra incongita" qu'il semble le seul à avoir exploré au 18e siècle. En
les écoutant, on oublie véritablement ce que l'on sait sur l'histoire de la
musique. La virtuosité se transfigure pour atteindre une expressivité
totale. Une musique qui semble ne plus être composée de notes, mais qui est
entièrement mouvement de l'âme. Une musique qui n'expose pas des thèmes, des
motifs, mais qui parle et qui décourage tout essai d'analyse, toute
réduction à une quelconque esthétique musicale.
La prestation de Fantini, dirigé par Eprikian avec I solisti di Milano - qui
m'avait parue supérieure autrefois - m'a, après ces années, semblé
relativement "classique". Je crois qu'un champ est ouvert encore dans le
domaine des interprétations vivaldiennes, qui permette de mieux rendre
compte des singularités propres à la musique du Prete Rosso, même en ce qui
concerne des effets typiquement baroques comme les notes redoublées (à mon
avis trop souuent jouées comme des notes piquées).
Des oeuvres que je recommande particulièrement. Malheureusement, elles ne
sont guère disponibles (la discographie de Vivaldi n'est pas celle de Bach).
Vous pouvez espérer trouver séparément l'un ou l'autre de ces concertos,
mais non pas les 4, me semble-t-il, sur la même gravure. On pourrait ajouter
aussi que de véritables crescendos sont rendus assez timidement par "I
solisti di milano". Une référence pourtant car ces interprètes ont réalisé un
travail de recherche esthétique et émotionnel indépendant de tout pédantisme
muséographique. Est-ce que Carmignola et le Venice baroque Orchestra font
mieux sur ce plan? Sur celui de la prestation violonistique, peut-être, mais
sur le plan orchestral, je penserais plutôt l'inverse.
"SUCCÈS" DU "SACRE"
Rien de particulier, sinon un essai de musique atonale comme il y en a eu
des milliers depuis Schoenberg, tout aussi vain que les autres. Il se trouve
que l'oeuvre a fait scandale, c'est tout, et que la personnalité de
Stravinski a puissamment contribué à la fausse (à mon avis) notoriété de
l'oeuvre. On ne peut en tous cas comparer le succès du "Sacre" à celui
d'oeuvres comme l'"Adagio" d'Albinoni-Giazotto ou le "Concerto n°2" de Rachmaninov. Si le
Sacre avait été une véritable grande oeuvre moderne, il serait écouté mille
fois plus que l'Adagio car le Sacre représente son époque et il a joui d'un
effet médiatique considérable, or c'est plutôt l'inverse. Le Sacre
réprésente el symbole d'une rupture, uniquement le symbole d'ailleurs, il
est à mon avis plutôt le symbole réel du scandale. Il représente la force
d'attraction du scandale, un des éléments fondamentaux de la notoriété à
l'époque moderne surpassant celle communiquée par l'intérêt musical de
l'oeuvre. Et peut-être méconnu en France aussi, mais certaines de ses oeuvres ne
sont-elles pas mondialement connues? Le Sacre dissonant, cela signifierait
qu'il est tonal. Personnellement, je ne trouve pas dans le Sacre une bribe
de motif tonal. J'y vois des tentatives d'effets de rythme, de couleur
instrumentale, une sorte d'orgie sonore, mais pas musicale. Des effets qui
ne me paraissent pas s'adresser à la sensibilité musicale, mais qui créent
une sorte de divertissement superficiel, que n'est rien d'autre que ce qu'il
paraît extérieurement. il n'a pas de "signigication incompréhensible" comme
la musique tonale. Si cette oeuvre avait été produite en 1960 environ avec
tout ce qu'il y a eu avant, elle serait passée à mon avis totalement
inaperçue.
Il ne faut oublier que le "Sacre", c'est une musique de ballet, et, de ce point de vue, on peut considérer qu'il
est capable d'accompagner efficacement et de mettre en valeur la prestation
chorégraphique. Pourquoi pas. Et même on peut remarquer que si la musique en elle-même possède moins d'intérêt, cela contribue à poolariser mieux l'attention sur la chorégraphie. Le "sacre jouerait simplement le rôle suggestif de musique de film, voire de bruitage. Pourquoi pas. C'est peut-être plus le jugement sur l'oeuvre autonome proféré par certains que l'oeuvre en elle-même qui peut être attaquée. Mais le "Sacre" comme musique autonome, pour moi, non, inconcevable. il y a donc une ambiguïté au départ qu'utilisent les partisans de l'atonalisme. on utilise superbticement le fait que le "Sacre" soit une musique de ballet pour la faire passer.
Le sacre scandaleux, oui, dans la mesure où on a organisé et entretenu son
scandale, qui est la seule raison d'être des oeuvres modernes et la seule
raison capable d'attirer l'attention sur elles. Pour ma part, le "Sacre", rétrospectivement, n'est
pas du tout scandaleux en soi. Je l'ai écouté très sérieusement, je n'y vois
rien. Une oeuvre géniale est une oeuvre dont les thèmes m'accompagnent. Par exemple, en
ce moment, je réécoute la "Symphonie n°2" de Gliere, il y a un thème
magnifique, celui de l'ouverture au trombone qui apparaît ensuite avec
quelques variantes, je n'ai cessé de me le rémémorer toute la matinée (je
précise que hors cela, la symphonie me paraît de faible intérêt). J'aimerais que
l'on me citât un thème intéressant, un seul dans le "Sacre". Où est ce thème?
Quelqu'un sur ce forum a-t-il été charmé par un thème du "Sacre" au point de
se le rémémorer pendant plusieurs jours? Je puis me souvenir (comme vous
tous) à l'instant de plusieurs motifs inoubliables de l'"Adagio d'Albononi-Giazotto,
mas le "Sacre"! Alors, dites-moi où sont les motifs les plus percutants, les plsu marquants. Une
oeuvre aussi connue devrait avoir imposé un thème que tout le monde
reconnaît comme l'air de "Carmen" ou le fameux thème de la "Symphonie du
Nouveau Monde". De la part de l'oeuvre du 20e siècle prétenduement la plus
connue, c'est le moins que l'on pourrait attendre. Si je parle à n'importe
quel mélomane des "Quatre saisons", il pourra à la seconde se souvenir du
motif du printemps; si je lui parle du "Sacre", qu'est-ce qui va venir à son
esprit: l'idée de scandale, mais aucun motif caractéristique de l'oeuvre.
Du moins, c'est ce que je présume...
Peut-être le scandale est-il propre à fasciner certaines
personnes?
NOUVELLE APPROCHE DES CONCERTOS IN DUE CORI DE VIVALDI
J'avais cru transmettre mon enthousiasme pour ces concertos. je m'aperçois
que je n'ai dit que des banalités, c'était nul. Alors, on efface tout et on
recommence. Qu'est-ce qui apparaît le plus impressionnant dans ces oeuvres?
Certainement lA concentration des effets, leur succession, voire leur
interpénétration. Alors que souvent dans une oeuvre musicale, le motif
génial apparaît comme une exception, un surpassement obtenu par le créateur
au prix d'une effort quasi surhumain, nous somme ici en présence d'une
déploiement incessant, amplifié encore par la rapidité du fameux tempo
vivaldien et dont le terme ne peut survenir que par une contrainte imposée
par la forme. Qu'est-ce qui exalte ainsi l'âme à ce point où elle semble se
mouvoir dans un univers de transcendance et de beauté absolues? Peut-être la
fusion
d'une ondoyance "féminine" avec une puissance lyrique s'affirmant par un
pathétisme parfois angoissant. Sur le plan technique, cette dernière
particularité apparaît grâce à l'irruption de motifs orchestraux,
inhabituels
dans les concertos antérieurs du maître (où tutti et soli se succèdaient de
manière plus systématique). Lorsqu'on dit qu'une musique fait vibrer l'âme,
on l'entend au sens figuré. On pourrait le dire ici à tous les sens du
terme. Le jeu violonistique rejoint l'essence vibratoire du son et
s'épanouit au niveau de la ligne mélodique. C'est une électrisation
aveuglante traversé d'éclairs fugaces, de brisures inattendues, de chutes,
de rétablissement qui évoquent le mouvement d'un oiseau voltigeant dans
l'éther en une perpétuelle instabilité. Que pourrait-on dire encore
pour suggérer cette musique? C'elle un éblouissement, une effusion
discursive apparaissant comme la métamorphose incessante d'un matériau d'une
souplesse inouïe qui épouse ou évoque tous les modes indéfinis de la
sensibilité.
C'est aussi une fuite, presque la fuite d'une expression si subtile, si
ténue qu'à peine l'esprit peut la saisir, la concevoir en un instant alors
qu'elle s'est déjà dépassée elle-même. Elle abolit les trois modes temporels
de l'existence, passé, présent, futur par le nécessaire accomplissement de
leur succession. A quoi comparer cette effervescence, cette énergie vitale,
d'une tension invraisemblable mêlant souffrance et volupté? On a dit de la
musique de
Debussy qu'elle représentait l'eau, de celle de Vivaldi on a pu dire qu'elle
représentait la voix, que ce compositeur traitait le violon et la voix
identiquement. Oui, mais le chant du violon c'est une voix désubstatialisée,
désincarnée. Alors que la voix humaine évoque désagréablement les tares
inhérentes à notre état d'êtres "fondamentalement haïssables", foncièrement
et honteusement vulgaires, la chanterelle, c'est une rigueur, une pureté
débarrassée de toutes les bassesses. Une voix qui chante, crie, murmure en
inflexions plaintives, persuasives, en modulations extrême-aigu comme si
cette tessiture représentait l'élévation de l'âme elle-même.
Elle parle cette langue de la musique que l'esprit ne peut comprendre, mais
que l'âme ressent.
On a l'impression que l'homme à l'origine d'une telle oeuvre ne
s'appartenait plus lui-même, qu'il ne l'a pas composé avec son esprit, mais
par la puissance de forces qui le dépassaient. Ainsi en est-il des grands
chefs-d'oeuvre dont le créateur n'est qu'un intercesseur, oeuvres qui sont
la manifestations de potentialités inconnues de notre cerveau.
Revenons au niveau plus technique pour préciser que les concerti in due cori
de Vivaldi
se caractérisent par la maturité exceptionnelle des thèmes orchestraux
(ou tutti) dont la valeur thématique approche à mon avis celle des motifs
solistiques, ce qui n'est malheureusement pas le cas de nombreux concerti
des opus 3, 4, 7 et même 9 ou 10. Bien qu'il s'agisse d'orchestre à cordes,
ils sont conçus dans
un esprit symphonique. D'autre part, ils ne se limitent pas à un
unique thème ou en une suite de motifs successifs, mais s'épanchent en
sections autonomes dont le contenu lyrique apparaît souvent d'une teneur
exceptionnelle.
Ai-je pu évoquer un peu mieux ces oeuvres? Peut-être, comme à propes de la
"Symphonie des Hébrides" de Bantock, la succession des messages que j'envoie
ainsi sur une même oeuvre n'est-elle que le témoin de mon impuissance à les
évoquer.
CONTESTATION DE L'ARGUMENT DU "THÈME SIFFLOTABLE"
Vous croyez que le mélomane de base qui sifflote un thème dans la rue a une
approche analytique? C'est ce que je veux dire. Bien sûr, comme tous les
partisans de l'atonalisme, vous contestez le fameux argument du "thème
sifflotable". Mais en cela, c'est vous qui avez une approche plus
intellectuelle, donc plus analytique alors que la mienne est plus immédiate
et plus intuitive.
ARGUMENT DU THÈME SIFFLOTABLE - LE "SACRE"
J'avais transformé l'argument du "thème sifflotable"
en celui, plus général du thème "mentalement mémorisable et reproductible",
on pourrait l'étendre aussi au principe du "thème reconnaissable", le thème
étant une "unité organique significative" du texte musical. De même vous
auriez beaucoup de difficultés à retenir une suite d'onomatopées alors qu'un
texte significatif est plus facilement mémorisable. Naturellement, si vous
faites des efforts et si vous êtes masochiste, vous pouvez aussi retenir une
suite d'onomatopées. Le concerto de Saint-Saëns possède justement des thèmes
très caractéristiques et très percutants, notamment le thème du premier
mouvement, d'ailleurs réexposé avec des variantes. Je puis vous assurer
qu'en ce moment même je l'ai en tête, et pourtant je n'ai pas beaucoup de
mémoire. Il est vrai que certains passages d'une oeuvre sont plus
difficilement reconstituables mentalement, moins mémorisables. L'argument du
"thème sifflotable", même étendu, n'est pas un absolu. Par exemple un motif
d'une cadence dans un concerto de Scharwenka est
d'une complexité qui le rend difficilement reproductible mentalement, il
l'est pourtant. D'autres facteurs interviennent: le degré d'élaboration et
l'autonomie. Il y a dans une oeuvre des passages de transition, des
développements dérivés qui se rapportent à des unités motivites ou
thématiques dont l'autonomie est moins évidente. Lorsqu'ils ne sont pas
reliés à leur contexte, la signification de certains passages apparaît moins
évidente. Même en admettant que le Sacre comporterait une grande partie de
"développements", motifs dérivés, il me paraît assez grave, pour une oeuvre
prétendue la plus connue parmi les modernes, qu'uncun thème vraiment
caractéristique n'en ressorte, de ces thèmes que la publicité aime
exploiter. De ce point de vue, le "Sacre" n'est pas une oeuvre connue, c'est
une fausse oeuvre connue, son nom est connue, mais la musique elle-même ne
l'est pas. On a une vague idée de son contenu, mais pas de thème précis qui
s'impose. Même avec l'avantage médiatique considérable que le lui a donné
l'effet de scandale, elle n'a pas su s'imposer. Le thème du début,
dites-vous. Bien sûr, il est au moins facile de retenir l'incipit d'une
oeuvre, mais est-ce bien significatif? Est-ce vraiment un thème, et même un
motif? On le retient parce qu'il fait l'ouverture, mais noyé dans la masse,
le reconnaitrait-on?
LE SILENCE DOIT PRÉCÉDER LA MUSIQUE
J'ai vu des cas très différents suivant les types de concert. Depuis les
concerts "pédagogiques" où un présentateur esquisse une analyse de l'oeuvre
ou même le soliste lui-même jusqu'au concert classique où un très long
silence (rituel) suit les essais d'accordage. Ce silence, d'une grande
importance psychologique, est traversé par une tension très perceptible. En
effet, le maintien dans le silence d'une salle de plusieurs centaines de
personnes témoigne de la puissance acquise par la musique. C'est toujours un
silence impressionnant, presque sublime en lui-même et qui peut atteindre
une dimension pathétique.
A mon avis, la pédagogie détruit un peu l'essence du concert en faisant
apparaître l'artiste sous l'espèce dévalorisante d'un camelot qui vante sa
marchandise. Il doit être au-dessus de cela, apparaître comme un démiurge
tellement préoccupé par son art qu'il ne peut s'en extraire. L'argumenteur
dans ce domaine risque d'être assimilé au bonimenteur. Seul le silence
est digne de précéder la musique. En général, plus un concert est important,
plus le rituel est marqué, plus la solennité est grande, l'intervention d'un
commentateur ou les facéties d'un soliste qui se permet d'intervenir
verbalement caractérise les comités plus restreints. Comme je suis un esprit spartiate, aristocratique et rigide, je n'admets que les
concerts solennels et ne tolère aucune familiarité.
Pour ma part, je vais assez peu au concert et je peux reconstituer grâce à
mes enregistrements l'atmosphère qui m'agrée.
PERCEPTION MUSICALE ET "SACRE"
Dans la perception musicale, l'analyse des parties ne m'intéresse pas plus
que vous puisque je refuse toute perception intellectuelle, qu'elle soit
analytique ou synthétique, à moins que vous n'évoquiez une "analyse
intuitive" du cerveau, inaccessible à l'esprit raisonnant. Ce que je
pratique, comme tous les mélomanes, je pense, c'est la perception des effets
au fur et à meusure que se déroule la musique. L'impact global d'une oeuvre
n'est pour moi qu'une appréciation d'ensemble, un jugement extérieur a la
fonction perceptive immédiate et à son intégration par les fonctions
supérieures interprétatives de l'encéphale. Quant au "sens" global, je ne
vois pas ce qu'il peut signifier. Comment dans ce cas pourriez-vous
apprécier et "comprendre musicalement" un extrait d'une minute, à moins
qu'il ne constituât pour vous qu'une synecdoque du tout. Difficilement
crédible. D'autre part, le sens global est aliéné à une donnée extérieure,
celle que le compositeur a indiquée s'il s'agit d'une oeuvre à programme ou
celle qu'il a été convenu de voir par la critique d'après des données
d'ordre biographiques. Comment donnez-vous un sens particulier à chaque
sonate d'un Scarlatti ou d'un Mozart ou encore à un concerto quand vous ne
savez que le nom du compositeur. Votre perception synthétique risque de
n'être qu'une perception littéraire. Vous pouvez, certes, développer une
interprétation personnelle, mais dans ce cas ne sombrez-vous pas dans le
solipsisme musical, et où est l'universalité de la musique?
Je n'oublie pas que vous développez cette théorie pour défendre le "Sacre",
vous avez raison dans un sens car le "Sacre", à mon avis, ne produit pas
d'"effets" comme une oeuvre tonale de qualité (sinon des effets superficiels convenables pour accompagner une prestation chorégraphique). On ne peut que mettre en
relation cette oeuvre avec une idée générale d'ordre intellectuelle, par
exemple l'idée d'un épanchement dyonisiaque primitif. Ce qui au contraire
rend à mon avis le "Sacre" relativement "écoutable", c'est l'effet anecdotique
des changements de rythme et de couleur, l'évocation d'une sorte d'énergie
sauvage très superficielle car n'étant pas entée sur ce phénomène aux
possibilités expressives supérieures qu'est la tonalité.
UNITÉ DE SIGNIFICATION DANS UNE OEUVRE
Entendons-nous, la "minute" pour moi ou une quelconque durée ne représente
pas "l'unité de signification" de la musique. Celle-ci à mon avis ne saurait
être que le thème. Dans le cas de longues progressions thématiques comme
dans certaines oeuvres de Paganini ou Sibelius, l'unité de signification
peut atteindre plusieurs minutes. Il peut exister aussi, je l'admet, une
logique dans la succession des thèmes qui accroit leur efficacité. Le fait
que vous n'ayez pas de compréhension d'un extrait correspndant à un thème me
paraît en totale opposition aux observations générales. De nombreux
compositeurs ont utilisé des thèmes d'une oeuvre à l'autre pour les intégrer
dans un autre contexte, l'utilisation de thèmes isolées dans la publicité
notamment, dans diverses occasions semble bien montrer la puissance
signifiante du thème isolé. On a jamais vu quelqu'un siffloter un thème à
moitié, mais on peut siffloter ou chanter un thème unique sans se sentir,
heureusement obligé de chanter tout un mouvement, et pourquoi pas toute une
symphonie. Si je peux me permettre pour une fois un argument d'analyse
harmonique et mélodique (simple d'ailleurs), je dirais qu'un thème montre
une "conclusion" (une cadence) qui semble bien prouver qu'il possède une
fin. Toutes ces observations vont à l'encontre de votre insensibilité à un
thème isolé et j'ai beaucoup de doute à penser que la musique fonctionne
comme vous la ressentez, ou plutôt comme vous croyez la ressentir. J'ai
l'impression pour ma part de me trouver à l'unisson de la très grande
majorité du public de la musique classique.
JUGEMENT BIAISÉ
Tiens! vous remettez Sgambati sur le tapis. Quel hasard extraordinaire!
On ne vous conteste aucun droit d'aimer ou non telle ou telle oeuvre, Tremblay, Järvlepp si cela vous fait plaisir, mais
vous voulez nous faire croire qu'on puisse écouter sereinement et
objectivement ces oeuvres après toute la médiatisation outrancière réalisée
par les tenants de l'atonalisme, leur exploitation du préjugé de
progressisme, la déconsidération qu'ils ont entretenue à l'égard des
"néo-classiques". Après cela, comment voulez-vous que quelqu'un puisse écouter
objectivement et émettre un vrai jugement spontané en comparant le "Sacre" et
la "Symphonie des Hébrides" par exemple. Personnellement, je pense que les oeuvres atonales sont "intrinsèquement détestables" relativement à la quasi-totalité du public. Les
rares exceptions de quelques gros cerveaux (dont vous êtes avec quelques acharnés d'une certaine liste) ne comptent pas
statistiquement. D'autre part, de nombreux éléments d'ordre musicologique et
sociologique (que nous avons maintes fois développés), même s'ils ne peuvent
pas constituer une preuve absolue, représentent une somme d'arguments
concordants difficilement contournables et récusables, sauf si l'on est
aveuglé par l'idéologie.
JUGEMENT RÉEL ET JUGEMENT ÉMIS
Une impression fournie par un auditeur peut être hautement contestable sans
que son honnêteté soit en cause. De nombreux facteurs peuvent créer un
hiatus entre l'impression réellement ressentie et le jugement exprimé.
D'autre part, l'idée préconçue peut elle-même modifier la perception. Ce
sont des phénomènes psychologiques et sociologiques bien connus.
Les facteurs concernés peuvent être le type de musique (tonale ou atonale),
mais aussi surtout la notoriété du compositeur et, d'une manière générale,
l'idéologie du récepteur, sa perméabilité aux codes de valeur de la société
dans laquelle il se trouve ou tout simplement les relations d'amitié ou
d'opposition que l'on peut avoir avec l'interlocuteur qui formule un
jugement sur une oeuvre.
Afin de prévenir toute confusion de bonne ou mauvaise foi, je rappelle qu'il
s'agit là d'un élément de la théorie durkhémienne. Certain(s) se croient
permis tous les amalgames faciles pour discréditer leur interlocuteur dès qu'ils voient écrit le mot de société
ou de sociologie.
SÉLECTION D'OEUVRES
Cela me paraît toujours curieux. Pour moi, réaliser une sélection est une
entreprise qui tient de la critique musicale. Si vous faites abstraction de
vos impressions personnelles, quels seront vos critères de sélection? Vous
considèrerez sans doute la notoriété des oeuvres ou des compositeurs. Mais
alors, le terme de sélection me paraît quelque peu impropre ou du moins imprécis et prête à confusion. Parlons plutôt
en ce cas d'une image objective de la notoriété des oeuvres.
TOURNEMIRE PSEUDO-TONAL
Vous contestez l'épithète de pseudo-tonal appliqué à Tournemire. Là-dessus, j'essaie de prendre un peu de recul par rapport
à notre microscosme d'amateurs passionnés qui sont amenés à écouter assez
souvent ou parfois de la musique "moderne" (tonale pour vous, atonale pour
moi). Ce n'est pas le cas du mélomane courant, qui, à mon avis, n'est pas
moins bon juge de la musique que nous. Pour ce mélomane, il me semble
(opinion hypothétique bien sûr) qu'il serait comme moi plus porté à
considérer comme atonale certaines oeuvres que vous considérez comme tonale. Je crois que le contact avec certaines "horreurs" d'un
atonalisme plus qu'intégral nous fait un peu oublier les limites réelles de
l'atonalisme. La notion de tonalisme devient relative par rapport à des
extrêmes très distendus, en particulier du côté de l'atonalisme. Vous savez
que j'ai souvent le souci d'essayer d'oublier notre "déformation" de
mélomanes trop "passionnés". Je crois qu'il faut essayer de porter ce regard
vierge qui est celui du grand public de la musique classique.
TONALISME ET ATONALISME SONT-ILS EXCLUSIFS DANS UNE MÊME OEUVRE?
Une oeuvre est tonale ou atonale comme un eporte est ouverte et fermée, et ne saurait être les deux en même temps. C'est une question très difficile. Je vous donne raison en théorie, mais non
en pratique. Une porte est ouverte ou fermée (une porte logique
entendons-nous), oui, mais au cours d'une oeuvre ou d'un même mouvement, la
porte pourra être tantôt ouverte, tantôt fermée. Que conclure sur l'ensemble
du mouvement? C'est un premier point important, mais sans doute pas le seul.
J'évoquais Tournemire précisément car, en l'écoutant, j'ai souvent eu
l'impression qu'il se rapprochait de la tonalité et, au moment où
l'impression tonale s'affermissait, une dissonance sans résolution au bon
endroit (ou au mauvais comme on voudra) contribuait à créer l'ambiguité et à
détruire transitoirement le sentiment tonal. Y a-t-il chez lui un motif ou
un thème caractérisé qui maintienne du début à la fin le sentiment tonal et
où les dissonances transitoires soient résolues? Peut-on y trouver des
cadences mélodiques(?) harmoniques(?) pour l'ensemble des motifs dans une de
ses eouvres. C'est une question que je pose. En terme d'analyse mélodique,
il est peut-être possible de trouver des motifs au bord de la tonalité(?).
Vous savez que l'analyse mélodique est beaucoup plus complexe que l'analyse
harmonique, que nous en connaissons mal les règles (s'il y en a), c'est
pourtant à elle qu'il faut faire appel pour déterminer si une oeuvre est
tonale ou non si l'on veut aborder l'angle théorique. Je pense que l'on ne
peut plus asseoir aujourd'hui le sentiment tonal sur l'harmonie. Et même sur
l'harmonie, est-ce toujours possible? De ce point de vue, l'oeuvre
pseudo-tonale est pour moi une oeuvre ambiguë, une chimère théorique impossible, mais bien réelle en pratique. Pour aller plus loin, je
dirais que l'analyse mélodique aborde la structure même de la mélodie et
donc, dans une certaine mesure la cohérence intra-thématique.
Nous pouvons nous rejoindre peut-être dans la mesure où vous considérez les
oeuvres pseudo-tonales comme tonales alors que je les considère plutôt comme
atonales.
D'autre part, vous remarquerez que j'emploi aussi le terme d'ultratonalisme
pour caractériser les oeuvres mannheimiennes ou de style galante. On peut effectivement
contester ce terme de la même manière et le défendre par la même
argumentation.
ANTI-IDÉOLOGIE
Mes goûts seraient édictés par une anti-idéologie. Merci tout de même de reconnaître qu'il existe une idéologie car sinon comment aurais-je pu développer une anti-idéologie. Mais je voudrais rappeler cependant les
circonstances qui m'ont poussé à défendre, comme vous le dites, cette
anti-idéologie m'amenant à accoder plus de crédit aux oeuvres de Sgambati que de Järvlepp. Vers 1985, je rencontrai
Jean-Michel Percherancier, (auteur plus tard avec moi de notre ouvrage "Les
oeuvres pour piano et orchestre"). Il "collectionnait" les oeuvres pour
piano et orchestre. A cette époque, connaissant très peu d'oeuvres et
uniquement des oeuvres connues (moins de 10 concertos pour piano), je ne
pensais pas sérieusement que des oeuvres de compositeurs peu connus pussent
posséder une valeur musicale. Mon opinion était qu'un compositeur était
célèbre en raison de sa valeur musicale et qu'un compositeur inconnu ne
pouvait être qu'un "petit compositeur". Néanmoins, j'acceptai par curiosité
d'écouter quelques-unes de ces oeuvres, la première que j'écoutai fut la
"Fantaisie sue des thèmes ukhrainiens" de Liapounov. J'ai été subjugué.
C'était suffisant pour que je révisasse mon opinion. Je n'ai donc jamais
soutenu d'anti-idéologie comme vous dites. Mon souci a été depuis de faire
reconnaître toutes les oeuvres dans lesquelles, pour moi, le génie musical
s'exprimait. Par la suite, la découverte des jugement à mon avis très
orientés dans les ouvrages m'a amené à une réaction d'opposition aux "grands
classique", mais cette réaction ne se trouve pas à l'origine de mon
revirement d'opinion. Quand à mon jugement sur les oeuvres atonales, c'est
beaucoup plus simple. Le peu que j'ai pu en écouter dans ma jeunesse m'a
horrifié à tel point que je me suis désinterressé totalement de cette
musique. Comme je n'avais jamais rencontré de mélomanes pro-atonalistes (ils
sont tout de même très rare), je n'y mêlais aucune réaction polémique.
COMPOSITEURS SECONDAIRES
Vous ne vous contentez pas de Bach, Mozart et beethoven et on vous le reproche sur une certaine liste. Ah, mais il faudra mettre de l'ordre du côté de vos ouailles. Cela ne va
plus du tout. N'êtes-vous pas le brillant modérateur de cette liste?
Vous avez toujours pensé qu'il fallait défendre la hiérarchie
traditionnelle, ce que vous faites avec un acharnement peu commun. Votre
considération pour les compositeurs et oeuvres peu connus est-elle alors
crédible? N'est-ce pas pour satisfaire un certaine goût de
l'érudition et du snobisme? Vous soutenez les compositeurs peu connus, mais à condition
qu'ils restent sagement à leur place de compositeurs secondaires. On ne sait
jamais... s'ils pouvaient faire de l'ombre aux "grands", quel scandale. Si pour vous il n'y a pas de hiérarchie comme vous le prétendez si bien, pourquoi mettez-vous autant
d'charnement à défendre celle qui existe. C'est tout de même bizarre.
Adoptez une attitude conforme à votre credo en faveur des compositeurs peu
connus et vous verrez que je ne vous ferai plus aucun procès, non pas
d'intention d'ailleurs, mais pour les positions réelles que vous adoptez
régulièrement pour défendre coûte que coûte toute remise en cause de la
hiérarchie traditionnelle ainsi que toute remise en cause de l'atonalisme.
Vous avez également manifesté beaucoup de verve, contre les preuves les plus
évidentes, pour défendre les usurpateurs, ceux qui prétendent (ou à qui on a
prêté?) la naissance du genre symphonique.
ÉRUDITION
Vous savez bien que je n'ai pas de goût pour l'érudition. Je n'ai jamais
joué à ce jeu que vos ouailles apprécient tant et qui consiste à rechercher
tous les compositeurs ayant écrit sur tel ou tel thème. Récemment, j'ai vu
que le jeu proposé était de chercher toutes les oeuvres qui avaient utilisé
le Dies irae. Immédiatement, tous les membres de votre liste se sont jetés
sur cette pature comme la misère sur le pauvre monde. Pour ma part, j'en
citerai à peine quatre ou cinq. Et je n'ai aucune propension à me livrer à ces jeux infantiles, eussè-je l'érudition pour y briller. Vous savez bien que je ne suis pas érudit et
ne cherche pas à l'être.
SYMPPHONIE N°2 GLIERE
Si je puis affirmer une indépendance de mon jugement par rapport aux
préjugés relatifs aux polémiques (la notation maximale que j'avais accordée
à la Toccata BWV 565 de Bach avant que je susse qu'elle pouvait être
inauthentique en est, je pense une preuve recevable), en revanche, je dois avouer des variations
de jugements dues à une insuffisance d'audition pour certaines oeuvres. C'est
ce qui s'est produit avec la "Symphonie n°2" de Gliere. Je l'avais écoutée il
y a quelques années, très insuffisamment je l'avoue, et j'avais noté une
étoile seulement pour le premier mouvement. J'avais observé cependant un
thème conducteur très lyrique, très frappant, mais je n'avais pas perçu
l'intérêt des sections intermédiaires. Je reconnais aujourd'hui que ce
mouvement est sublime (à mon avis) et je lui mets la mention excellent. Son
audition exige une concentration difficile à atteindre, surtout lorsqu'on
est sollicité par diverses tâches ou occupations. De ce point de vue, cette
oeuvre me rappelle l'ouverture "Cola di Rienzo" de Sgambati. Il est très
facile de "passer à côté" d'une oeuvre, et je ne suis sans doute pas le
seul. En revanche, j'ai la quasi-certitude maintenant que le 2e et le 4e
mouvement (surtout le 2e) de cette symphonie de Gliere représentent plus une divagation de faible intérêt
(par rapport à ma propre perception). Pour revenir à ce fameux premier
mouvement, je crois qu'il atteint les caractéristiques idéales que l'on peut
exiger d'une symphonie, l'ethos exact du genre par sa recherche de grandeur,
de lyrisme, de puissance, de pathétisme, de dramatisme. Par rapport à la "5"
de Beethoven, autre exemple de symphonie "idéale" (pour moi), il me semble
que celle de Gliere, par sa complexité symphonique, perd un peu de l'impact
qu'obtenait Beethoven par des thèmes plus simples (relativement). Les
intermèdes sont moins saisissants, mais quel déploiement orchestral
prodigieux. Nous sommes ici au point extrême de l'esthétique romantique,
l'aboutissement d'un siècle de musique, voire une somme de toute la musique
savante occidentale depuis le 17e siècle.
CODE D'APPRÉCIATION
Jeu infantile pour vous que d'attribuer des étoiles à chaque mouvement d'une oeuvres comme dans le guide Michelin. Ce "jeu infantile" est dû, de manière simplifiée, à Hortense Parent, peut-être la plus grande
pédagogue et technicienne du début du siècle, avant, me semble-t-il, que le guide Michelin s'emparât de cette méthode d'appréciation élliptique très générale. Si vous n'en avez pour moi, ayez au moins de la
considération pour cette pianiste qui a considéré plus d'un millier de pièces musicales pour piano en les jouant toutes elle-même afin de fournir une appréciation.
CONCERTO POUR VIOLON GLIERE/LYATOCHINSKY
Bravo Lyatochinski pour cette orchestration du concerto pour violon de
Gliere. Plus vrai que nature. Une conception héritée sans doute de
Glazounov. Discrète, par petits motifs à la flûte ou à la clarinette. Une
ochestration originale à laquelle on ne prête pas attention au premier abord
car elle est d'une subtilité qui se laisse aisément oublier. Et pas
seulement originale, elle contient une âme, cette
orchestration. J'en suis ému aussi parce que je la reconnais. C'est celle
d'un post-romantisme russe auquel pas un seul commentateur d'histoire de la
musique n'accorde de
l'importance. Pourtant la nouveauté, elle est là. Pas dans les élucubrations
de ces modernistes qui s'éreintent pour désespérmément nous
faire croire qu'ils sont des inventeurs d'une conception nouvelle de la
musique. Mais comment faire reconnaître cela. La musique classique a trop
bien réussie. Elle est maintenant colonisée par des profiteurs insensibles à
ses véritables productions, des professionnels du détournement
philosophique, des récupérateurs et autres chiffoniers dialecticiens. Et
n'oublions pas Gliere. Là aussi, la lignée post-romantique dans
des terres inexplorées par l'Occident. Glazounov toujours. Un concerto
infiniment mélodique, sans le moindre heurt qui risque de briser ce
sentiment si délicat d'une ineffable nostalgie. Là encore, une nouvelle
coloration mélodique qui ne sera jamais reconnue comme nouveauté. Nos
idéologues progressistes sont bien loin. Où sont-ils? En dehors du téménos
sacré où se meuvent les véritables artistes transcendés par la lumière
immatérielle de la beauté. J'ose à peine le conseiller ce concerto car il
risque d'apparaître lancinant à certains d'entre vous. Des longueurs, me
direz-vous. On ne peut pas admettre ce genre de musique aujourd'hui. Il nous
faut les ingrédients du rythme, des dissonances, des dysharmonies. Je le
comprends
aussi. Peut-être l'intérêt que j'y trouve reflète-t-il en partie mon goût
personnel. Bravo Lyatochinsky, vous nous avez permis de pénétrer dans ce temple de l'ineffable où la fascination provient de la discrétion, bien loin des tonitruances modernistes."
CONCERTOS POUR PIANO DE SAINT-SAËNS
Mon ordre de préférence: 2, 5, 1, 3, 4.
Concernant leur notorité: le 2 puis le 4, c'est l'ordre "communément admis",
mais ensuite viendrait plutôt le 5, je pense. Quant au 3 et au 1, ce sont
les moins connus. Bien à tort à mon avis, ai-je besoin de le préciser. Je
n'ai toujours pas digéré d'avoir lu de la part d'un critique que le 1 était
une "oeuvre de jeunesse", ce qui ne veut pas dire "une oeuvre écrite par le
compositeur pendant son jeune âge", ne confondons pas. Toutes ces
connotations obligées liées aux "oeuvres de jeunesse" et aux oeuvres de
maturité" me laissent sceptiques. Si on ignorait la date de composition des
oeuvres, que de commentaires oiseux nous seraient épargnés. Et si on
ignorait le nom des compositeurs, là, je n'ose même pas y penser. Certains
n'oseraient plus proférer la moindre critique.
CONDOLÉANCES POUR LA MORT DE BACH!
Voici une des réponses reçues suite à mon article "Bach est-il un grand
compositeur"
Hallucinant ! simplement déconcertant et laissant sans voix...
Voilà ce que m'inspire les lignes que je viens de lire dans votre site...
Condoléances
Y.R.
Ce à quoi naturellement j'ai répondu que je n'avais rien inventé. Tous les
arguments m'ont été fournis par des musicologues, je n'ai fait que les
regrouper. Toutes les références peuvent être vérifiées.
Si vous comprenez le "Condoléances", faites-moi signe. Peut-être pour la
mort de Bach, mais ce n'est pas à moi qu'il faut envoyer les condoléances.
J'ai parfois l'impression de revivre la fameuse scène d'"Ainsi parlait
Zarathoustra" de Nietzsche lorsque le philosophe rencontre un vieil ermite dans la
montagne. Celui-ci lui parle de Dieu. Et Zarathoustra, ne jugeant même pas
utile de le contredire, se dit en lui-même: "Tiens, cet ermite ne connaît
pas encore la nouvelle. Il ne sait pas... que Dieu est mort."
NIER LA VÉRITÉ DES AUTRES
Une réaction de TTLE
"Mais ne nous trompons pas : le but de Claude F est bien de nier à
tous ceux qui sont touchés, émus, transportés par certaines oeuvres
de Bach comme nulle autre ne le fait, la vérité même de ces
sentiments. "
Ne nous y trompons pas, votre but est de nier la vérité des faits, à laquelle vous voulez substituer la vérité d'une illusion, la vérité de chacun, comme si la vérité pouvait être multiple et contradictoire.
Mon but est la recherche de la vérité et je revendique le droit à la vérité
pour le mélomane. Le mélomane ne doit plus accepter d'être manipulé. La
transparence ne doit pas exister uniquement en politique ou en économie,
mais aussi en matière de musique.
PROBLÈMES D'AUTHENTICITÉ DANS LES OEUVRES DE COMPOSITEURS: BACH CONNUS
Il faut distinguer plusieurs aspects dans les problèmes d'authenticité.
D'une manière générale, plus un compositeur est célèbre,
plus le nombre d'oeuvre désattribuées est conséquent. En effet, sa célébrité
est utilisée par d'autres compositeurs et surtout par des éditeurs
indélicats pour
donner facilement une médiatisation importante à des oeuvres nouvelles. Ce
phénomène s'est produit pour Vivaldi de son vivant et même lors de sa
résurrection. Il s'est produit pour Bach après sa redécouverte. Ceci est un
phénomène normal témoignant de la célébrité d'un compositeur et indépendant
de son génie (ou de son absence de génie). Ce qui est très spécifique à
Bach, je l'ai expliqué dans mon article, c'est que les oeuvres
inauthentiques d'une manière générale, comptent parmi les plus célèbres (et
comptent même la plus célèbre), et aussi que ces oeuvres sont les plus
"modernes" témoignant des "hardiesses" de bach, de sa "modernité" alors que
les oeuvres authentiques montrent au contraire son passéisme. Et ces oeuvres
inauthentiques ont permis le succès de Bach auprès du public, ce qui a,
peut-on penser, permis d'étendre la notoriété à des oeuvres contrapuntiques
généralement de faible intérêt pour le public. C'est le phénomène que l'on
peut fortement suspecter.
En second lieu, un grand nombre d'oeuvres authentiques de Bach (la plupart)
ne sont pas des attributions malhonnêtes par des tiers, mais témoignent
d'une
activité de recopie très importante de la part du Cantor (cas par exemple de
la plupart
des concertos). Il montre ainsi l'image d'un compilateur plus que d'un
créateur. Ceci est corroboré par les
données d'ordre biographiques.
Troisième point, très important, ce sont les emprunts en nombre
considérables qui confortent cette image d'un Bach recherchant peu
l'originalité et aliéné aux oeuvres de ses contemporains alors que ces emprunts sont quasiment inexistants chez Vivaldi et les compositeurs baroques.
D'une manière plus générale, les multiples manipulations, dont souvent le
public n'est pas ou mal averti - cas des chorals dont les thèmes principaux ne sont pas de Bach - doivent être reliées
avec les autres manipulations d'ordre historiographiques visant
l'établissement du culte Bach. De
quelque point de vue que l'on se place (authenticité des oeuvres ou
historiographie), c'est l'absence de clarté qui règne et le mélomane (que je
suis) a surtout la sensation d'être berné, non pas par un quelconque
"complot", mais par le développement d'une idéologie corruptrice de la
vérité historique. Plus que les faits d'authenticité eux-mêmes, c'est le
fait que Bach apparaît comme une construction idéologique qui incite à la
plus grande prudence concernant l'intérêt proprement musical d'un grand
nombre de ses oeuvres. Les oeuvres composites ne sont pas l'unique apanage
du mythe Bach. On pourrait citer les poèmes homériques, compositions
apocryphes dues principalement à un cercle de poètes (les Homérides de Chio)
et déformés ou complétés par la suite, et c'est le cas de tous les grandes
sagas historiques (le Kalevala par exemple), mais dans ce cas nous n'y
voyons pas une volonté idéologique s'opposant au choix électif naturel du
public (en l'occurence les compositeurs italiens de l'époque qui s'étaient
imposés). Pour moi, le mélomane a droit au respect, il a droit, autant que
peut se faire, à la vérité, celle que nous révèlent les experts
et les historiens scientifiques. Conclusion, si vous aimez le baroque,
écoutez plutôt Vivaldi ou d'autres compositeurs baroques qui ont été injustement liquidés par l'idéologie partisane, Tartini, locatelli... Là, aucun problème, leur découverte est le produit de
la musicologie scientifique du 20e siècle et leur notoriété actuelle, s'ils en ont acquise une, n'est due qu'au
public. Aucun ouvrage ne tentera de vous manipuler pour vanter leurs mérites
outre mesure en contruisant un quelconque mythe. Ils ne sont connus que dans la mesure où leurs oeuvres sont appréciées.
NE PAS HEURTER LA SENSIBILITÉ DES MÉLOMANES
Ne pas heurter la sensibilité de certains. Alors que faut-il faire? Empêcher la publication
des experts rejetant l'authenticité de la BWV 565 car elle relève du mépris
ou de l'agression, qu'elle nie la sensibilité de certains. De même faut-il
brûler tous les ouvrages attestant des recopies de Bach, faut-il intenter un
procès aux biographes de Bach pour mépris et agression de la sensibilité
d'autrui. Faut-il continuer de manipuler la vérité au nom du respect
d'autrui. J'aimerais avoir une réponse claire là-dessus. Dans mon article,
j'ai relevé essentiellement des faits observés par des musicologues. Ma
seule intervention a été de les regrouper et d'en tirer des conclusions,
considérées comme hypothétiques d'ailleurs. N'est-ce pas plutôt protéger un culte qui bafoue outrageusement la vérité et occulte tant d'oeuvres et de génies.
Vous affirmez d'excellents principes de discussion. Comment se fait-il alors
que je me fasse insulter sur votre liste dès que j'essaie d'y intervenir?
Approuvez-vous l'intervention intempestive de cette flicaille de la pensée
qui interdit le dialogue et que vous laissez prospérer impunément.
J'aimerais comprendre. Et comment se fait-il que se soit créé une liste
dissidente?
BACH RECONSIDÉRÉ
D'une manière générale, c'est la concordance des faits
musicologiques, historiques, sociologiques, biographiques qui incitent à une
très grande réserve concernant l'intérêt effectif de nombreuses oeuvres de
bach pour le public mélomane. La mythificatin de Bach est une certitude,
mais naturellement, il n'y a pas de preuve absolue que sa musique est sans
intérêt. Ce n'est d'ailleurs pas ce que je pense personnellement. Il
convient peut-être de considérer Bach comme un compositeur estimable.
INSULTE ENVERS LES MÉLOMANES
Mon article "Bach est-il un grand compositeur?" serait une insulte aux mélomanes.
Je m'appuie sur des travaux rigoureux, je le répète. Découvrir que l'on a
été manipulé n'est pas agréable, je le conçois, mais n'y aurait-il pas plus
de raison pour ceux qui sont bernés de se retourner contre ceux qui les
manipulent depuis si longtemps?
SYMPHONIES DE LAJTHA
Grotesque, Lajtha dans ses symphonies 4 et 9. De regrettables exhibitions
grandguignolesques. Des oeuvres modernistes
malgré
leur ultratonalisme - et même en raison de celui-ci. Un ultratonalisme
accusant il
est vrai, de fâcheux dérapages dissonants. Car
l'atonalisme n'est qu'une composante du modernisme,
son frère opposé, qui généra au 20e siècle (par esprit de
provocation) ces étrons nauséeux insérés dans un cadre formel vénérable.
Surenchères
absurdes parmi la multitude d'oeuvres délétères foisonnant en cette Cour des
Miracles de
la musique moderne où chacun ne sait plus quelle laideur imaginer pour
scandaliser ou prétenduement inventer. Un modernisme qui s'affiche en
interjections comiques
éructées par les percussions, xylophone, triangle et celesta.
Du Chostakovitch moins bruyant, moins hystérique surajoutant quelques
touches de
loufoqueries
pitoyables dans un ensemble qui se voudrait parfois pathétique. Une allusion
évidente au second mouvement du "Concerto pour piano" de Khatchaturian
apparaît dans le
premier mouvement de la "Symphonie n°9", à moins que ce soit Khatchaturian qui
ait copié ce passage. Je n'ai pas vérifié les dates, cela m'étonnerait
fortement.
On est toujours stupéfait d'observer combien des effets musicaux incohérents
et
ridicules pour n'importe quel mélomane sensé deviennent naturels,
admissibles, et même
admirables dés lors qu'ils sont auréolés par le préjugé positif du
progressisme et du modernisme. Pour peu qu'un universitaire s'en empare,
c'est l'apothéose. Epoque bénite de la musique de
cirque considérée comme supérieure aux grands symphonies romantiques, ces
ronflantes machines rouillées qu'il fallait envoyer à la feraille (celles de
Tchaïkovski en priorité), machines dont un Gliere a l'outrecouidance de
prolonger l'existence. A la casse aussi les byzantines subtilités du grand
foyer post-impressionnisme s'éteignant, dont un Bantock, seul dans les
ténèbres cataclystiques, attise les derniers rougeoiments. A la casse. A la
casse. A la casse. Heimdall a fait résonner sa trompe. C'est le grand
Crépuscule de la Musique... Mais cette fausse musique de cirque commise par
Lajtha, personne n'en
voudrait, même pas pour
accompagner les pitreries d'un clown. Cette mode du cirque, Kabalevski
lui-même y a
sacrifié, mais son très court "Galop des Comédiens" d'une minute trente,
contient sans doute plus d'authentique inspiration que l'interminable
logorrhée sonore d'un Lajtha. Comment un compositeur ne
peut-il avoir honte d'avoir produit un poncif aussi primaire et vulgaire,
digne de la vitrine d'une cinquaillerie que l'on voudrait faire passer pour
une galerie d'art? Arlequinades navrantes qui ne valaient pas que l'on
mobilisât pour les exécuter un orchestre entier, et encore moins qu'on les
fît subir à un public. A déverser au plus vite dans la fosse à purin du
modernisme où ces prétendues
oeuvres rejoindront les déjections coproïtales des Takemitsu, Martin,
Tournemire et autre Boulez. Et à oublier au plus vite.
CONCERTOS 5 ET 6 DE PAGANINI
Quant au "6" de paganini, c'est en fait le "0",
écrit avant le "1". Sans doute le moins achevé de tous (pour une fois, je rentre dans
la pensée conforme des oeuvres de jeunesse). Des
procédés qui ne permettent pas au lyrisme de s'épanouir toatalement malgré
le foisonnement des thèmes et motifs dérivés. Le rythme apparaît parfois
systématique. C'est l'inverse du 5, le dernier, inachevé. Tant qu'on y est,
rentrons entièrement dans le conformisme. Le "5", à mon avis un
approndissement de la pensée du compositeur. Le romantisme y est plus
accusé, plus torturé, plus mystérieux. Le pur jaillissemnt lyrique s'ombrage
quelque peu d'un sentiment amer. Et le finale "Alla zingarese" redouble de
complications thématiques. Je me demande si le "5" n'est pas joué encore plus
rarement que le "6". Quel dommage
LES FRÈRES BENDA
Pas évident de différentier le style des deux frères Benda, Frantiçek et Jan
Jirik, d'autant plus que la date de composition, en ce qui concerne Jan Jiri
est inconnue. 1760 pour les 2 concertos de Franticek. Dans tous les cas, ce
qu'on pourrait nommer du baroque tardif, genre dont j'ai peu d'exemple à
part celui de Corette et Locatelli. Tentons
une synthèse. Le style de Frantisek appraît très vivaldien, usant même de la
marche d'harmonie, procédé assez typiquement imputable au Prete rosso, mais
son style violonistique semble moins orienté vers le style galant que les
concertos de l'opus XII de Vivaldi (datant pourtant seulement de 1730).
Comme chez Corette (dasn son "Concerto n°6 pour orgue et orchestre"), aucune
caractéristique du mélodisme galant n'apparaît,
en particulier les fameuses cadences mélodiques typiques de ce style. Ceci
vaut, à mon avis pour le premier mouvement du "Concerto en ré M", d'intérêt à
mon avis largement supérieur à bien des mouvements de concertos de l'opus 12
de Vivaldi. Naturellement, aucun rapport avec des concerti beaucoup plus
lyriques et virtuoses
tels que le sont le Concerto Il favorito de l'opus XI de Vivaldi même ou
encore comme le RV 177 ou le RV 273 (si je ne me trompe pas dans les RV, pas
évident), concertos "dramatiques" que nous a révélé Marcon.
Quand à l'autre concerto de Frantiçek (en ré m), il me paraît uniformément
brillant, assez vide thématiquement. Quant au concerto du frère, Jiri Jan,
bizarre, le premier mouvement s'apparenterait du point de vue rythmique au
style prébaroque (cette rythmique régulière que l'on retrouve chez Bach). En
revanche, le second mouvement, à mon avis d'un lyrisme expressif très
prononcé ferait songer plutôt au 1er Concerto in due cori de Vivaldi, un
autre concerto de la maturité, probablement de la période de 1720-40. Je me
suis longtemps interrogé, après l'avoir écouté près d'une dizaine de fois,
si j'allais lui mettre la mention excellent ou seulement très bien. Après
mûre réflexion, je lui ai collé impitoyablement la mention très bien car
il ya, à mon avis, une nette baisse d'intérêt vers la fin du mouvement.
Un certain mélomane distingué me dirait qu'il ne sait pas ce que c'est que
le prébaroque (comme il refuse d'intervenir, je suis dans l'obligation
d'imaginer ses arguments contestataires, mais je le connais tellement bien).
A cela, je
répondrai, Geminiani, Tibaldi, et même Corelli, (et même Bach pour certaines
oeuvres bien qu'il soit plutôt tardif chronologiquement), bref, quasiment
tout ce qui relève du concerto grosso, la frontière étant
peut-être constituée par Torelli, qui cultiva, d'ailleurs , les deux genres.
Tous ceux-là, sauf Torelli (pour certaines oeuvres), je serai tenté de les
mettre tous dans le même
sac avec la mention nul. Opinion personnelle. Qui aimerait, sauf quelques
masoschistes ces objets de musée, ces oeuvres au rythme heurté, compassé, au
mélodisme poussif. Naturellement, le caractère vénérable de ces vieilleries
leur
confère sans doute une "valeur historique" digne d'encensement.
Personnellement, je ne considère que mon plaisir égoïste de mélomane en
dehors de toute considération. Pour revenir aux frère Benda, très estimables
compositeurs que je ne saurais juger ici, je ne saurais conseiller ce CD
Naxos, sauf pour les fanatiques du baroque. Dommage pour ces deux mouvement,
au lyrisme à mon avis très inspiré. Un CD cependant qui inciterait à en
connaître beaucoup plus sur ces compositeurs.
STYLE BAROQUE TARDIF
Le Cramer que j'ai (le 5 op 48) est à mon avis un des rares concertos de
l'époque qui ne
donne pas dans les facilités (à mon avis) du style galant. Vous pouvez
toujours aller
voir la critique que j'en ai faite dans mon site. J'affectionne ce petit
concerto car il ne brade pas l'acquis des clavecinistes, il donne
l'impression de passer
directement de Scarlatti à Beethoven ou Chopin sans passer par Mozart ou
Clementi. C'est un peu la même chose pour les concertos de Corette et ceux
de Benda (dans une moindre mesure) que j'évoquais dans mon message
précédent, ils ignorent le style galant. les 2 de Benda dataient de 1760,
c'est une date extraordinairement tardive pour un concerto baroque. Pourtant
ce ne sont pas des concertos passéiste, bien au contraire. Je dirais qu'ils
dépassent le style baroque en court-circuitant le classique. En effet, le
style galant peut s'interpréter comme une orientation vers un lyrisme
atténué, une virtuosité moins affirmée et une tendance au simplicisme
thématique. Le passage par le style galant n'appraît donc pas comme un
passage obligé de l'évolution qui aboutit au romantisme. Le concerto Il
favorito de l'opus 9 de Vivaldi (comme le RV 273) que j'évoquais aussi
rejoint quasiment Viotti sur le plan de l'expressivité, du jeu violonistique
avec l'élargissement du staccato et pourtant il ne porte aucune trace du
mélodisme galant. Il contient même plus de staccato que dans de nombreux
concerti de Viotti. Bien sûr, ce n'est pas le seul aspect qui intervient. Du
point de vue de l'expressivité, le RV 273 est même beaucoup "dramatique"
(pour éviter d'employer le terme de "romantique") que les concerti de style
galant (même ceux de Dittersdorf) La connaissance des autres concertos de
Cramer apporterait certianement des éléments pour combler ce "trou" qui
subsiste entre le style galant et les premières productions romantiques de
Moscheles, Ries, Beethoven, Hummel...
Contemporain de Beethoven, vous dites, il me semblait que Cramer était quand
même un peu plus âgé.
MUSIQUE TCHÈQUE
Une amie mélomane me signale ce très beau site sur la musique tchèque. On ne
risque pas de tomber sur l'apologie des grands classiques dans ce site
puisque les Intellectuels jaloux présidant au culte des "grands classiques"
n'ont jamais cru bon d'y inclure un compositeur tchèque. Le compositeur
tchèque le plus connu reste Dvorak. Malheureusement, on trouve assez peu de
traces des virtuoses-compositeurs que cette nation musicale très féconde a
engendra et qui se sont éparpillés dans toute l'Europe, notamment l'illustre
famille de violonistes Benda, dont j'évoquais quelques concertos il y a
quelques jours (Franticek et Jan Jiri). Néanmoins, on trouvera sur ce site
quelques compositeurs très peu connus qui mériteraient sans dotue d'être
visités. Tout cela nous montre l'immensité du monde musical et nous incite à
une certiane humilité, nous qui croyons avec quelques noms en saisir la
quintessence. La réalité est sans doute loin de cette simplification.
http://perso.wanadoo.fr/alain.cf/index.htm
LA CONTREBASSE DE SÜSKIND
Vous savez combien je suis admirateur de la contrebasse, ce qui m'a amené à
lire le fameux ouvrage de Süskind "la contrebasse". Dans ce monologue
burlesque, l'auteur introduit de très nombreux éléments historiques qui
prennent, on s'en doute, un relief beaucoup plus prononcé que dans un
ouvrage historiographique. On peut donc lire "la contrebasse"
avantageusement dans ce sens. L'ouvrage est sans doute plus significatif de
l'état d'esprit régnant parmi les instrumentistes d'orchestre, la hiérarchie
nécessaire entre les instruments, et donc entre les musiciens. Il traduit le
ncessaire détachement de l'artiste, considérant son activité comme une
besogne ingrate dépourvue de l'attrait qu'y trouve, de l'autre côté de la
barrière, le mélomane. Derrière le rideau, nous découvrons les petites
haines ordinaires, les vils intérêt, la petitesse humaine du milieu
artistique. L'ouvrage n'est cependant pas dépourvu de réflexions sur la
musique elle-même. Des contrebassistes-virtuoses sont cités, sans guère
d'égard sur leurs intentions artistiques: bien sûr Bottesini (le Paganini de
la contrebasse), Dragonetti, aussi Dittersdorf. Je rappellerais à ce propos
quelques oeuvres à mon avis essentielles: la Tarentlle pour contrebasse et
orchestre, le Duo concertant pour violon, contrebasse et orchestre de
Bottesini. A ces oeuvres de référence, à mon avis magistrales, il faut
ajouter le Concerto pour 2 contrebasses et orchestre, la Symphonie
concertante pour alto, contrebasse et orchestre de Dittersdorf. Je ne sais
si Dittersdorf était virtuose de l'instrument, très probablement il l'était.
On peut aussi ajouter le Concerto, que j'ai découvert récemment, de Tubin,
oeuvre pleine de sève, malheureusement dévalorisée à mon avis par des
passages rythmiques modernistes.
Voici un extrait qui est une considération générale sur l'histoire de la
musique:
"Mais, vous voyez, c'est souvent comme ça. Les meilleures choses sont
éliminées, parce que la marche du temps leur est contraire. En l'occurence,
ce sont nos classiques [Süskind est Allemand] qui ont liquidé froidement
tout ce qui n'allait pas dans leur sens. Pas consciemment. Ne me faites pas
dire ce que je n'ai pas dit..."
La révision de l'histoire n'est pas mon invention et je ne suis pas le seul
à émettre l'hypothèse d'une décantation négative réalisée par le temps par
suite de l'importance, factice à mon avis, donnée aux "grands classiques".
Si le texte de Süskind en témoigne, c'est bien que l'idée se trouve dans
l'air. D'autre part, Süskind indique bien que cette dérive historique n'est
en aucun cas assimilable à un complot ("Pas consciemment",
écrit-il).(extrait de "La contrebasse de Patrick Süskind)
"Dans toute la littérature, il existe plus de cinquante concertos pour
contrebasse, tous écrits par des compositeurs assez obscurs. A moins que
vous ne connaissiez Johan Sperger, Ou Domenico Dragonetti? Ou Bottesini? Ou
Simandl ou Koussevitcki ou Holt ou Vanhal ou Geir ou Hoffmeister... Des gens
qui, par désespoir pur et simple, se sont mis à composer. Et les concertos
sont à l'avenant. Parce que: un compositeur digne de ce nom n'écrit pas pour
la contrebasse, il a trop de goût pour ça..." (extrait de "La contrebasse de
Patrick Süskind)"
Auto-dérision de l'artiste sur les chefs-d'oeuvre de son instrument auquel je ne crois rien naturellement.
LES LIMITES DE LA CONTREBASSE!
Des limites? Comment, vous osez! Allons donc, vous savez bien que c'est le
violoncelle qui a des limites. Je ne vais pas vous développer un
monologue comme celui de l'instrumentiste dépeint par Süskind, mais enfin.
La contrebasse tire ses qualités de ses défauts, ses sons presque gutturaux,
rustiques, rocailleux, la rendent particulièrement aptes à traduire les
sentiments les plus viscéraux. Elle possède une sensualité terrienne, elle
est sympatique, amicale. Elle pénètre très loin dans les profondeurs animales de notre cerveau dont elle exprime les pulsions inavouables. Toutes qualités dont est évidemment dépourvu le
violoncelle, ce faux instrument aristocratique, triste, incolore, insipide
coïncé entre l'alto et la contrebasse. Preuve supplémentaire, voyez ce
pauvre Pablo Casals s'extasiant sur les Suites d'un certain compositeur que
je ne vous nommerai pas. J'espère qu'il n'y a pas de violoncelliste dans le
liste.
LA PHÉNOMÉNOLOGIE DE LA MUSIQUE
Il faut l'avoir vu pour le croire. Cela m'évoque l'ouvrage d'Ansermet "une
phénoménologie de la musique", un ouvrage qui date d'une période où la
notion de phénoménologie s'imposait. Un ouvrage contenant des idées
essentielles à mon avis, mais qui oublie un aspect fondamental de la
condition d'une oeuvre artistique, c'est qu'elle ne peut guère se concevoir
sans le public pour lequel elle est destinée. L'on s'aperçoit vite que le
terme de phénoménologie doit sa présence beaucoup plus à un effet d'époque
(un certain environnement philososphique) qu'à une nécessité sémantique. De même, on
peut parfaitement discourir de musique sans employer le terme d'ontologie. Mais oui, le croiriez-vous, c'st possible.
En revanche, des termes beaucoup moins employés sont peut-être plus
fondamentaux. par exemple, les terme de "génie", de "sublimité", mais ces termes incongrus choqueraient les oreilles paramétrées de ces esprits chagrins.
OEUVRES POUR ORCHESTRE DE ROCRIGO: SOLERIANA
Saura-t-on jamais chez les compositeurs contemporains jusqu'à quel point
l'imitation annoncée est réelle ou ne constitue qu'une excuse d'abonder dans
un néo-classicisme que certains considèrent comme honteux? C'est la question
qu'on pourrait se poser à propos de Soleriana de Rodrigo, une oeuvre qui se
réclame du Padre Soler et du 18e siècles espagnol. Je ne puis en juger faute
de connaître la moindre note du fameux Padre Soler, et si peu du 18e siècle
espagnol. Je souspçonnerais facilement une fausse référence permettant au
créateur du "Concerto de Aranjuez" de trouver un alibi facile afin de
s'adonner au style le plus clasisque qui se puisse concevoir. On a vu cela à
propos du fameux "Adagio" dit d'Albinoni. Soleriana, une suite pour orchestre à mon avis parfois un peu
compassée, flasque, léthargique, au manque de vitalité outrageant. Rodrigo
en rajoute même, et en cela devient presque original. En revanche, emprunt
bien réel celui-là, un motif dérivé de l'une des "Danses slaves" de Dvorak
(reprise d'un thème probablement folklorique de la part de Dvorak). C'est
d'ailleurs à peu près la seule marque rhapsodique de Soleriana (sauf le
second thème du "Passepied"). Le 3e et le 4e mouvement sont sauvés cependant,
à mon avis, par une thématique très caractérisée permettant à ces parties de
surnager au milieu de cet affadissement d'autant plus intolérable qu'il
semble constituer une recherche volontaire de la part du compositeur. Les
"Cinq pièces enfantines", quant à elles, n'ont rien d'enfantin et évoquent
plutôt le style des ballets russes. On se serait passé du "Griteria final",
bruyant et presque moderniste. Rodrigo moderne, pas croyable! Passons sur
cette pièce insignifiante et regrettable pour s'attarder plutôt sur le "Son
chicos que pasan", une évocation carnavalesque avec des effets de
percussions étonnants. C'est génial, mais très court. On pense à une danse
cosaque. Il est intéressant de
comparer cette pièce à la fameuse "parade des comédiens" de Kabalevski.
Style plus percutant chez le Russe, plus souple et enveloppé chez
l'Espagnol. C'était un CD Naxos par Asturias Symphony Orchestra (Maximiano
Valdès). Un CD que l'on pourra profitablement acquérir, tout de même. Si un
petit nombre de pièces ont un intérêt réel, les autres pièces, d'intérêt à
mon avis plus limité, peuvent s'écouter agréablement.
CONCERTO POUR PIANO DE CRAS
J'ajouterai que son concerto pour piano représente à mon avis une somme de
l'impressionnisme, un style dessinant des motifs aux contours nets, très
raffiné, qui ne sombre jamais dans l'insignifiance propre à certaines
manifestations un peu trop radicalistes de l'impressionnisme debusséen. Le
CD s'impose déjà pour cette oeuvre.
CATHÉCHISATION
Enseigner dans les petites classes la musique classique. Pourquoi pas si cela permet de découvrir. mais, après cette phase de découverte, pour moi, la vraie noblesse de cet art implique qu'on y vienne de soi-même
mû véritablement par l'Amour de l'Art. L'idée qu'on pût inculquer quoi que
ce soit sous l'étiquette de musique classique me fait frémir. Je suis
également contre l'enseignement de la littérature dans le Secondaire.
Et pour cette sensibilisation, vous avez pris l'exemple de mozart et beethoven. pourquoi bien sûr, votre choix aurait pu être pire.
Mais croyez-vous vraiment nécessaire de perpétuer le "culte
des grands classiques". A t-on vraiment besoin que cette religion soit imposée par une catéchisation aussi précoce?
Pour moi, agir en faveur de la musique classique, c'est s'opposer à tous les
détourneurs qui se l'accaparent depuis le 20e siècle et même avant, ceux qui
ont imposé un faux répertoire, un squelette de répertoire, de telle sorte
que le public est amené à fuir des oeuvres qui les ennuient ou, tout au
moins, qui ne possèdent pas les valeurs supérieures du génie et du lyrisme.
Permettre la découverte de la musique classique, n'est-ce pas souvent un
alibi à une catéchisation, non d'intention, mais de fait. Alors, je préfère
demeurer dans une attitude prudente à propos de l'enseignement de la
musique. L'enseignement technique, oui, mais l'histoire de la musique. il
faudrait d'abord la connaître cette histoire, avant de l'enseigner. Qui
pourrait y prétendre? Le meilleur moyen d'amener les gens à la musique
classique, c'est de leur proposer des oeuvres lyriques qui leur plaisent
plutôt que de mettre en exergue des oeuvres prétenduement intellectuelles
qui vont les ennuyer.
Et je ne suis pas sûr que les jeunes soient sensibles à cette incitation par
l'intermédiaire de cours. La musique qu'ils écoutent, généralement, ne leur
a jamais été proposée par ce canal. Je me demande même si le canal
pédagogique du cours n'est pas synonyme pour eux de musique ringarde, qu'il
ne faut surtout pas écouter sous peine d'être dévalorisé vis-à-vis de leurs
camarades. je crois plutôt que ce sont les médias qui peuvent (qui pourraient) influer.
INCITER À ÉCOUTER DE LA MUSIQUE CLASSIQUE
Je demeure assez sceptique sur ce mûrissement et ce conditionnement qui
seraient nécessaire pour apprécier la musique classique. Pour moi, la
compréhension de la musique exige, certes, des auditions réitérées d'une
même oeuvre, mais c'est un autre phénomène. L'oeuvre y pourvoit déjà par la
répétition des thèmes et motifs. L'incitation à un choix musical, fût-il
général et limité à la "musique classique" m'est assez étranger. Comme je
l'ai dit, c'est aux majors et aux solistes de choisir des oeuvres
susceptibles de captiver le public et non pas de suivre une quelconque
idéologie qui prétendrait élire les oeuvres supérieures, à coup sûr des
oeuvres peu enthousiasmantes pour le public, sinon franchement imbuvables
pour le répertoire moderne. La musique classique doit être capable de se
défendre elle-même par ses oeuvres, non par une incitation artificielle qui
dirait: "Ecoutez cela, c'est un chef-d'oeuvre". la plupart du temps, ce ne
sera justement pas un chef-d'oeuvre, mais une oeuvre ennuyeuse, sans valeur
musicale. On pratique l'embaumement d'oeuvres sèches, élues par le jeu de
critères extra-musicaux en prenant bien soin d'éliminer ce gêneur, le
mélomane sensible. La musique n'a rien à gagner à cette momification qui la
dessert au contraire.
FAUT-IL FAVORISER LES OEUVRES DU 20E SIÈCLE?
Bien que nous soyons au 20e siècle, une très grande partie de la musique
classique jouée et écoutée aujourd'hui se réfère aux siècles passés. C'est
un fait incontournable. Je ne suis pas opposé à ce que l'on recherche de
grandes oeuvres du 20e méconnues. J'en ai même une à vous proposer: La
Symphonie des Hébrides de Bantock.
Du reste, je ne comprends pas l'importance que vous accordez à la date de
parution d'une oeuvre. Personnellement j'écoute une oeuvre sans attacher
d'importance à sa date de création. Croyez-vous qu'il soit nécéssaire d'être
un homme du 19e siècle pour apprécier les Polonaises de Scharwenka? A mon
avis, pas plus que pour apprécier les symphonies de Beethoven qui, sauf si
je me trompe appartiennent au 19e siècle. Un concerto dans le même style que
ceux de Scharwenka est l'oeuvre pour piano et orchestre le plus joué et la
plus vendue sur la planète: le "Concerto n°1" de Tchaïkovski. Alors. Pourquoi
voulez-vous nous priver des chef-d'oeuvres du 19e siècle?
DONNANHYI, CLEMENTI, RODRIGO
Des nouveautés sans doute intéressantes. Que peut donner la musique de
Donnanhyi pour piano seul. J'avoue en être curieux bien que ses concertos me
paraissent un pur épanchement virtuose sans assise thématique. Sibelius,
bien sûr, les filles de Pojhola, symphonisme complexe dans une structure
presque arythmique, mais qui évolue "par la seule logique thématique". Les 2
autres, je ne les connais pas. Clementi, pourquoi pas ces sonates précoces.
Les sonates tardives de l'opus 50, presque romantiques, m'ont beaucoup déçu.
elles me paraissent romantiques par leur style mais aucunement par leur
esprit et totalement privées d'âme. Le négociant en piano aurait-il tué le
créateur? En revanche, de nombreuses sonates très mannheimiennes recèlent à
mon avis une grande inventivité, une émotion réelle. Rodrigo, un concerto
pour piano constitué d'accords simplistes dont je ne vois pas le sens. Quel
contraste avec le style impressionnisme si achevé de son oeuvre pour piano
seule.
MUSIQUE POUR PIANO SOLO DE BRAHMS
J'excepte la fameuse Valse n°15 qui est , poUR moi, une très belle oeuvre,
et aussi quelques autres valses, du même opus, je crois. Le cas de la
musique pour piano de Brahms me paraît refléter un phénomène consécutif du
culte des grands compositeurs. On a étendu à d'autres genres musicaux la
notoriété qu'ils avaient peut-être acquise à juste titre dans leur genre
d'élection, le Genre symphonique pour Brahms. Je crois que c'est la même
chose à propos du Concerto poUR violon de Beethoven. Et, en revanche, on va
négliger l'oeuvre pour piano d'un compositeur qui a triomphé (au 19e siècle)
dans ce genre, Scharwenka justement.
Concernant Schumann, je serais plus nuancé, ma critique était un peu sévère.
Son influence fut réelle, à cent lieue de cette pseudo-influence de Bach
(que l'on nomme sous le nom de "références" à Bach). Il suffit de considérer
le style des pièces pour piano seul de Tchaïkovsky, et il n'est pas le seul.
Ce ne sont pas les références au nom d'un compositeur qui témoignent de son
influence, mais l'existence d'idiomatismes les caractérisant que l'on décèle
dans les partitions ou à l'audition.
La musique facile pour moi, c'est celle qui abdique à
exprimer le grand lyrisme auquel les vrais mélomanes sont sensibles. Les
esprits incapables d'élévation donnent leur préférence à une musique qui n'a
pas d'ailes et obéit à des règles abstruses.
L'intériorisation n'exclut pas le lyrisme à mon avis, en tous cas une forte
charge émotionnelle. Je pourrais vous citer à ce propos le Concerto pour
piano de Novak et... l'Ouverture "Rienzo di Cola" de Sgambati, à mon avis un
chef-d'oeuvre de lyrisme intérieur.
PIÈCES POUR ALTO ET VIOLON DE VIEUXTEMPS
J'avais plusieurs raisons a priori de m'attendre à ce que ces pièces pour
alto et piano de Vieuxtemps soient nulles. D'abord, j'avais observé (à mon
avis) une certaine baisse de l'inspiration de Vieuxtemps après le "Concerto
n°4", non que les concertos postérieurs ne comportassent pas des parties d'un
niveau élevé (la "Sicilienne" du "6 "je crois et le dernier mouvement du "7", il
me semble), mais tout de même, par rapport à ces oeuvres à mon avis
exceptionnelles, que représentent le "1", le "2" et le "4", c'était assez peu.
En second lieu, la décision de Vieuxtemps de ce consacrer à partir d'un
certain âge à la musique de chambre et d'abandonner le grand concerto pour
violon et orchestre me paraissait un aveu d'impuissance. Il faut considérer
l'attaque invalidance qu'avait subie le compositeur, ce qui l'empêchait
d'aborder des oeuvres de virtuosité en tant qu'instrumentiste. Et puis,
c'est vrai, je suis impitoyable, j'ai
toujours tendance à "jeter les compositeurs à la poubelle" à partir d'un
certian âge. Peut-être est-ce chez moi une obsession liée à ma hantise de la catagénése, l'impossibilité de maintenir l'acmé d'un état idéal nécessairement voué à la dégradation, à la sénescence et à la résoption. En troisième lieu, j'avoue que l'alto en soliste, me
parassait un
instrument aux capacités limitées, un pâle substitut du violon pour les
compositeurs incapable de déployer une inspiration supérieure sur un
instrument
plus exigeant. C'était beaucoup d'a priori... et surtout sans compter avec le génie de Vieuxtemps.
J'avoue que ce CD Naxos (avec Roberto Diaz alto et Robert Koenig au piano)
c'est pour moi, avec la "Symphonie des Hébrides" de Bantock, le meilleur CD
que j'ai découvert cette année.
Quel génie. Vieuxtemps aborde la musique de chambre et l'ato sans aucune
référence à l'éthique du genre. En violoniste-compositeur qu'il est. Il
traite l'alto comme un violon et le genre pour alto et piano comme un
concerto de soliste. C'est ce qu'avait fait également Paganini avec son
quatuor pour 2 violons, alto et contrebasse. La puissance de son inspiration ne me paraît pas avoir été entamée,
même dans la "Sonate inachevée", opus posthume. Une passion exacerbée dans
son mélodisme chromatique si caractéristique avec des
plongées impressionnantes dans le grave, une densité thématique peu commune,
un déploiement de motifs qui laisse pantois. Et puis, surtout, cet aspect
"magique" comme un appel de l'âme vers les félicités d'un monde supérieur...
Vieuxtemps est sans doute un des rares à exprimer un tel lyrisme dans la
tessiture du medium, qui est généralement celle de l'alto. C'est une
particularité qu'il présentait déjà au violon, comme d'autres compositeurs
de l'école franco-belge, et comme saint-Saëns.
Un CD à mon avis indispensable et je classe sans hésiter "l'Elégie op 30"
parmi les 70 meilleures oeuvres qu'un mélomane doit absolument connaître.
QU'EST-CE QUE L'INTELLECTUALISME?
Pour moi l'intellectualité représente une activité psychique moins profonde
que celle qui mobilise l'affectivité. Une imprégnation affective par un
événement extérieur est toujours plus profonde et plus puissance qu'une
simple opération cognitive. Elle nécessite souvent une imprégnation plus longue et répétitive pour s'établir, mais demeure plus longtemps dans notre psychisme. Ce qui nous émeut et nous meut profondément relève, me
semble-t-il, de
l'affectivité.
APPROFONDISSEMENT DANS LA PERCEPTION D'UNE OEUVRE?
Je ne suis pas sûr que les schémas motiviques rebattus entraînent une
diminution de l'impression par la réitération si importante que cela. Pour
ma part, mon impression en écoutant le "casse-noisette" n'a absolument pas
varié. C'est vrai que je le connais, et que je préfère écouter des oeuves
que je connais moins, mais l'impression que je subis "au moment de l'écoute"
me paraît être exactement la même qu'il y a plusieurs dizaines d'années.
Cette observation exclut également tout approfondissement de la la
connaissance de l'oeuvre. Si je vois des "beautés nouvelles" dans une
oeuvre, j'interpète cela au fait que j'ai été inattentif en les écoutant. Le
"sens" lui-même de l'oeuvre, d'un motif précis, est à mon avis univoque, il
ne peut pas se modifier avec le temps.
MÉMORISATION ET PERCEPTION DE LA MUSIQUE
Je pense que votre hypothèse sur une partie de l'origine du plaisir musical
est fondé. La facilité de mémorisation d'un thème intervient très
probablement dans l'intérêt qu'il nous procure. Cette mémorisation est sons
doute consécutive de l'existence d'une logique interne au discours musical
qui nous est inaccessible par l'intuition. L'incohérence de la
musique atonale la rend "immémorable" (je n'ai pas pu résister à ce
barbarisme.
LES OEUVRES POUR GUITARE
Le problème des compositions pour guitare, comme vous le dites, semble
provenir de sa faible puissance sonore. C'est vrai que le genre du concerto
pour guitare et orchestre est un peu un contresens, c'est aussi mon avis,
notamment au concert. En enregistrement, on peut peut-être pallier au
différentiel sonore par la technique.
En revanche, la guitare seule, exécutée dans les conditions propices recèle
à mon avis une sonorité originale, prenante, à laquelle corespond
certainement des tours mélodiques (pour vous épargner l'expression de
"formules motiviques" que vosu semblez abbhorer). Vous savez que je suis un
grand partisan des répertoires spécifiques et des virtuoses-compositeurs qui
les ont illustrés. Malgré des déceptions répétitives pour la guitare, je
continue de temps en temps à écouter quelques compositions pour cet
instrument. Je réalise la même prospection pour la flûte, un instrument
prometteur à mon avis, mais les enregistrements ne m'ont pas non plus
apporté ce que j'espérais. J'ai souvenir notamment d'un CD de flûte du 18e
siècle avec des oeuvres de Quantz, le "grand" flûtiste-compositeur baroque.
L'ensemble m'a paru vraiment ch... au possible.
VIEUXTEMPS, BENDA, RODRIGO, LAJTHA, RHEINBERGER
Vieuxtemps, Benda (Jan Jiri et Frantisek), Rodrigo, Lajtha, Rheinberger,
telles sont les compositeurs dont j'ai découvert quelques oeuvres ce
mois-ci. Quelques mots encor bien que je me sois largement épanché sur le
sujet. Lajtha notamment, c'est à mon avis un regrettable exemple de
modernisme ultra-tonal, ce qui semble montrer que le modernisme ne se
diéfinit pas uniquement sur le rapport à l'atonalisme. Au sujet des Benda,
je crois finalement qu'ils ne sont pas frères contrairement à ce que j'ai pu
dire. Je n'y comprends plus rien dans cette famille. On n'en finirait pas de
s'étonner à propos de leur baroquisme tardif qui ferait douter de
l'universalité réelle du style galant dans les années 1770 environ. Passons
à Vieuxtemps, oeuvres pour alto, à mon avis les oeuvres indispensables qu'il
faut découvrir absolument. La véhémence fait craquer le cadre naturels de
ce genre trop étroit pour le génie de Vieuxtemps. C'est un exemple du lien à
mon avis presque indissociable entre affectivité et virtuosité, entre
profondeur de l'expression et bravoure instrumentale. Rodrigo, oeuvres
symphoniques: Soleriana. Si vous ne vous sentez pas trop un "mélomane
supérieur", vous écouterez avec intérêt ce faux pastiche d'oeuvre classique,
mais vraie oeuvre néo-classique. Reste Rheinberger. Ma première rencontre
musicale avec ce compositeur concernait le Concerto pour piano, une oeuvre à
mon avis assez décousue, mais dans laquelle saillissaient quelques thèmes bien
caractérisée. C'est un peu le même schèma qui m'apparait dans ces oeuvres
pour orgue (volume 2), des thèmes parfois très bienvenus qui ne sont
peut-être pas exploités suffisamment.
LES TITRES ET LE CONTENU - SATIE
L'amalgame entre les données extra-musicales (la biographie) et le contenu
des oeuvres est une des plus fréquentes déviations constatées dans
l'histoire. On pourrait y ajouter la différence entre l'image que le
compositeur a tendu à donner de lui-même et le contenu réel de ses oeuvres,
voire même le rapport entre le titre affecté à certaines pièces et leur
contenu. Le cas de Satie me paraît significatif. L'humour, la loufoquerie
des titres de ses pièces pour piano se trouvent-t-ils dans les partitions
elles-mêmes? C'est pourtant, me semblet-il, souvent, d'après les
caractéristiques extra-artistiques - les plus voyantes - que s'établira ou
non la notoriété d'un compositeur. On pourrait évoquer aussi l'exploitation
de la biographie pour créer l'image du compositeur.
LES OEUVRES CONCERTANTES
Les modalités d'expression permises par le concerto m'on paru très vastes,
d'après plusieurs centaines d'oeuvres qu'il m'a été donné de découvir. De la
simple démonstration de virtuosité technique comme ceux de Moszkovski (à mon
avis) jusqu'à l'expression pathétique la plus profonde représentée à mon
avis par les concertos de Tchaïkovski, on peut passer par tous les
intermédiaires et même à des expression tout à fait paradoxalement comme la
virtuosité feutrée, mystérieuse dans les concerto de Novak ou Massenet. Le
concerto de Sgambati représente par exemple un intermédiaire entre
l'expressionnisme-impressionnisme du Concerto n°2 de Rachmaninov et la
virtuosité heurtée, passionnée de Tchaïkovski. Le 3 de littolf (et le 2 dan
une certiane mesure) représentent, le brillant ostensible, mais ils sont
aussi parcourus par une tension lyrique très intense. Et ceux de Paganini me
paraissent représenter le sommet de la fulgurance lyrique, de la
transcendance. On pourrait citer aussi bien d'autres concertos dans lesquels
la partie symphonique apparaît très importante, le 2 de Reinecke notamment
que j'évoquais il y a quelques jours. D'un pathétisme moins prononcé, ceux
de Macdowell manifestent une coloration rhapsodique à mon avis admirable. On
pourrra admirer aussi le summum de la souplesse pianistique alliée à un
brillant ostensible dans les variations sur les hymnes nationaux de
Gottschalk Et ceux de Melcer sont traversés d'une tension âpre, presque
brutale, le Concerto de Kullak atteint peut-être le sommet de la virtuosité
nuancée, évanescente... Ce qui est sans doute vrai, à mon avis, et qui va
dans le sens de votre discours, c'est que l'on ne conçoit guère de concerto
sans virtuosité. Le genre concertant bannit la simplicité, la facilité. Le
genre concertant me paraît convenir particulièrement aux artistes qui ont un
sens exigeant de ce qu'est l'art et qui sont épris de sublime. D'autre part,
la difficulté technique ne tolère pas la faiblesse. En dernier lieu, il me
paraît difficile d'écrire un grand concerto quand on n'est pas un grand
symphoniste, sauf peut-être certains concertos baroques comme ceux d'Aubert,
de Tartini qui obéissent à une autre logique et d'atent d'une époque où le symphonisme était à l'état d'ébauche.
BUSONI - PFITZNER
C'est l'opinion que je formulerais sur un grand nombre de pièces pous piano
de Busoni. Dans ses oeuvres concertantes, notamment sa Fantaisie indienne et
le dernier mouvement de son concerto pour piano cette complxité semble obéir
à une logique thématique soutenue. Ecriture curieuse, d'une labilité
motivique assez incroyable, tout de même, mais dans ce cas la mémorisation
des motifs ne me paraît pas plus difficile que dans de nombreuses oeuvres de
musique concertante.
Pfitzner vient à point pour éclairer une idée de mon message précédent. Son
style dans ses concertos pour piano et pour violon me paraît inadapté au
genre. A la rigueur, il manifesterait, dans son concerto pour violon, un
mélodisme captivant (notamment dans le troisième mouvement), mais le manque
de contraste, le caractère rudimentaire de la thématique (surtout dans le
concerto pour piano) rendent ces oeuvres à mon avis indigestes.
ENQUÊTE SUR UN COMPOSITEUR: DIABELLI
Ma chronique d'octobre traitant des attributions tendancieuses citait
l'exemple des Variations d'après une valse de Diabelli par Beethoven, dans
lesquelles il était convenu de ne voir que le génie de Beethoven. M'étais-je
trompé? Je viens d'en avoir une confirmation dans cet article sur Anton
Diabelli lu dans le supplément du monde de la musique décembre 2002:
"Sans Diabelli, la litérature de piano n'aurait pas été tout à fait ce
qu'elle est... Les mélomanes les plus exigeants auraient perdu l'un des
monuments les plus abrupts et les plus fascinants de toute l'histoire de la
musique: les Variations op 120 de Beethoven.... Médiocre musicien, mais
habile éditeur, Diabelli eut aussi le mérite d'être l'éditeur de
Schubert..."
Consternant culte des "grands classiques" et mépris absolu des autres
compositeurs dont le seul mérite est de leur servir de faire-valoir en
s'effaçant.
Pour ma part, je connais très peu d'oeuvres de Diabelli et je ne me prononce
pas sur la valeur de ce compositeur. Ce que je critique dans cette assertion
du journaliste, c'est la démarche d'esprit, sur les 4 points suivants:
-il s'agit d'un jugement de valeur que le journaliste fait passer pour une
vérité objetive.
-ce jugement de valeur est émis alors que ce journaliste, très probablement,
ne connaît pas plus l'oeuvre de Diabelli que vous et moi. Nous retombons
dans le même travers consistant à juger un compositeur sans connaître ses
oeuvres ou si peu. Cause à mon avis indéfendable.
-le terme de médiocre possède une connotation très péjorative. A la limite,
dire qu'un compositeur est nul serait moins péjoratif. Il y a donc pas
seulement volonté de montrer que Diabelli est un compositeur secondaire (ce
quI n'est pas prouvé), mais volonté
de le rabaisser par rapport à Beethoven, et peut-être cela pour appuyer le
culte de Beethoven
-le fait que le thème de Diabelli ait été utilisé par Beethoven interdit
d'attribuer l'oeuvre à Beethoven uniquement, mais à Beethoven/Diabelli, que
cela faisse plaisir ou non. Si les oeuvres concernées étaient moins
anciennes que 70 ans, c'est le Droit qui interviendrait pour le signifier.
On peut légitimement penser (ce n'est pas certain, mais on peut le penser
légitimement) que la valeur du thème intervient dans une certaine mesure
dans la valeur des "Variations", d'autant plus qu'il s'agit du thème principal
de l'oeuvre. On comprend difficilement comment une oeuvre aussi "sublime"
aurait pu naître de l'utilisation d'un compositeur "médiocre". Si l'intérêt
d'une oeuvre ne vient que du traitement des thèmes, c'est à désespérer sur
la valeur profonde de la musique. Difficile, donc, si Diabelli a concourru à
l'élaboration d'une oeuvre "fascinante" de le traiter de "médiocre"
Vous faites intervenir, pour votre part, des facteurs extra-artistiques, ce
que pense la société de son temps, ce que pense même le compositeur de
lui-même. Pour moi, il n'y a qu'un moyen de formuler un jugement (subjectif) sur un compositeur, c'est de connaître ses oeuvres.
On confond comme toujours la scientia et la doxa. Qu'on puisse prétendre, au
vu de sa faible importance au 18e siècle que Diabelli a été, historiquement,
un compositeur secondaire, oui cela me paraît possible, à condition de le prouver à partir de faits historiques et non d'après ce que pensent les
uns et les autres, par exemple sur la faible diffusion de ses oeuvres, leur
présence ou on dans des bibliothèques éloignées de l'Autriche... C'est
d'ailleurs ce que je dis à propos de Bach. En revanche, qu'on affirme
péremptoirement que ce compositeur est "médiocre", cela ne me paraît pas
possible, et vous remarquerez que je ne l'ai jamais fait à propos de Bach,
même pas sous mon propre nom en tant que critique (ce qui serait
théoriquement possible).
Je viens de consulter plusieurs dictionnaires de musique en distinguant les
données factuelles (dont la doxographie) et les opinions émises. C'est un
cas d'école très intéressant. Il m'apparaît, si je considère les données
factuelles que Diabelli correspond typiquement au cas d'un compositeur dont
l'importance historique ne peut être remise en cause. Les critères que j'ai
toujours considérés comme relevant de l'importance historique est l'impact
des oeuvres d'un compositeur sur le public, objectivable, faute de mieux au
18e siècle, par la notoriété en tant que compositeur, l'existence et le
rayonnement des publications.
Voici les données factuelles ressortant du New Grove Dictionary:
"He went to Vienna, were he taught the piano and guitar, and soon became
known for his arrangements and compositions (six mass by him had been
published in Augburg in 1799); many of his works were published in Vienna."
Observons que ces éditions sont toutes antérieures à l'existence de la
société de publication dirigée par Diabelli (1818) car il ne faut pas
considérer les éditions postérieures à partir du moment où Diabelli a eu les
facilités pour s'éditer lui-même.
J'en déduis que, du point de vue historique, il s'agit d'un compositeur
d'une certiane importance, dont la notoriété cependant paraît à son époque
limitée à l'Autriche (cas de Mozart) - sous résrve que d'autres sources
indiquent d'autres publications hors Autriche.
J'observe qu'il n'existe dans le Grove aucune bibliographie d'oeuvres
musicales de Diabelli, seulement trois références de publications d'autres
compositeurs par sa maison d'édition. Son oeuvre est-elle relativement mince
quantitativement ?
J'ai ensuite consulté le Fétis. Voici ce que j'ai trouvé:
"Comme compositeur, Diabelli s'est fait remarquer par sa fécondité, si ce
n'est par le mérite de ses ouvrages. Il a écrit dans tous les genres et
presque pour tous les instruments..."
Suit une longue énumération des oeuvres de Diabelli par Fétis que je vous
épargne. je sais que Fétis n'est pas toujours sûr, mais d'ici qu'il invente toute une page bibliographique, il y a tout de même de la marge.
J'en déduis que Diabelli a beaucoup composé, ce qui corrobore l'hypothèse de
son importance en tant que compositeur indiquée par le Grove. Je remarque au
passage la proposition "si ce n'est par le mérite de ses ouvrages". Termes
ambigus qui semblent montrer une certaine désapprobation de la part de
Fétis, ou tout au moins un doute.
Revenons à la biographie du Grove. Le rédacteur du Grove a cru devoir
focaliser sa bibliographie uniquement sur l'activité d'éditeur de Diabelli,
activité qui fut effectivement importante et entre dans le cadre des sujets
que s'est fixé le Grove. Il me paraît cependant contestable de la part de ce
dictionnaire d'avoir oblitéré totalement la bibliographie des oeuvre
smusicales de Diabelli, y comprises ses productions qui sont encore
exécutées dans le domaine pédagogique. Sans alléguer un quelconque complot
(auxquel je n'ai jamais fait allusion), je constate objectivement qu'entre
le Fétis et le Grove, on semble avoir perdu la mémoire de la bibliographie
musicale de Diabelli, dont l'importance historique est pourtant soulignée,
oeuvre qui apparaît quantitativement considérable.
Continuons. J'ai consulté le Dictionnaire encyclopédique de la musique de
chambre de l'Université d'Oxford. J'y trouve des données d'ordre
doxographique très intéressantes:
"On se souvient de lui [Diabelli] principalement pour ses relations avec
Beethoven et Schubert. Riemann trouve sa musique de chambre éphémère."
Le désaveu au moins d'un musicographe envers Diabelli apparaît avec
évidence. D'autre part, il apparaît qu'on a oublié son oeuvre pour retenir
uniquement ses relations avec Beethoven et Schubert, c'est-à-dire deux grands
classiques. Qui est ce "on" sinon la suite des musicographes qui ont tendu à
éliminer Diabelli en tant que compositeur au profit de Schubert et
Beethoven. Diabelli ne vaudrait que comme faire-valoir des grands
classiques.
Une remarque supplémentaire (de ma part). Le fait que Diabelli ait consacré
une grande partie de sa vie à l'édition ne permet, à mon avis, en aucun cas
de négliger son activité de compositeur. De nombreux autres compositeurs ont
eu une activité professionnelle au cours de leur vie, par exemple Litolff
qui fut longtemps négociant en vin. Doit-on pour autant considérer que ses
concertos n'ont pas d'importance historique et ne peuvent avoir de valeur? Cas aussi de nombreux compositeurs russes du 19e siècle, notamment parmi les Cinq
Ce fut le cas aussi de littérateurs célèbres. Corneille a abandonné le théâtre pour
exercer une activité professionnelle. En dernier lieu, d'autres compositeurs
ont cessé très tôt leur carrière: Rossini, et plus encore Sibelius, qui
n'écrivit plus rien les quarante dernière années de sa vie (lu dans une
notice, mais à vérifier). Doit-on pour autant affirmer que les symphonies de Sibelius
ne peuvent avoir de valeur. Quand un compositeur ne se sent plus inspiré,
n'est-il pas préférable qu'il change d'activité plutôt que d'encombrer le
répertoire inutilement?
MYSTICISME ET MATÉRIALISME
Ce langage est assez hermétique pour moi, qui suis plutôt de tendance
matérialiste. Je comprends même que certains membres soient un peu choqués
de mon matérialiste et de mon peu de considération pour la sphère
mystico-religieuse. L'intuition est une capacité qui est reconnue
objectivement, elle intervient même pour la résolution de problèmes
mathématiques. Aucun rapport avec le mysticisme. Je ne vosi pas où vous
voulez en venir avec cette affaire de mysticisme qui ne me concerne
absolument pas. Quant au romantisme, remplacez le terme par celui
d'expressivité, beaucoup plus large.J'ai peu de goût pour le mélange du
littéraire et du musical comme affectionnaient les romantiques. Je ne suis
d'ialleurs pas un grand amateur d'opéra. J'aime aussi les oeuvres
expressionnistes, impressionnistes autant et même plus que les romantiques,
cela fait tout de même beaucoup. Un amateur de musique uniquement romantique
aimerait-t-il Debussy qui abhorrait le romantisme? Debussy, un autre
matérialiste lui aussi.
COMPARAISON D'OEUVRES DE COMPOSITEURS CONNUS ET INCONNUS
Comment voulez-vous prétendre arriver à une quelconque conclusion en
considérant uniquement la comparaison entre les concerti de Field et ceux de
Chopin. Vous oubliez, pour considérer quelques compositeurs de l'époque
Moscheles, Hummel, Kullak... Pour ma part, je compare tout de même plusieurs
centaines de concertos (connus et inconnus) et je suis amené à demeurer
prudent sur mes conclusions. Sur le plan du jugement critique (subjectif lié
à mon propre jugement), les oeuvres des virtuoses-compositeurs m'ont semblé
en général de meilleure qualité que celle des grands classiques. Chopin fut
sans doute un pianiste-compositeur plus typique que Field, la comparaison (à
mon avis à l'avantage de Chopin) me confirme plutôt dans mon opinion
générale. Pour poursuivre sur mes choix subjectifs, les concertos de
Scharwenka, Kullak, Litolff (dans l'ensemble) m'on paru de qualité largement
supérieure à ceux de Brahms ou Schumann ou Mendelssohn. Les concertos pour
violon de Locatelli, Vivaldi, Paganini, Wieniawski (dans l'ensemble) me
paraissent largement supérieurs ceux de Mozart, Haydn, Brahms, Beethoven.
Tout cela ne repose naturellement que sur mon jugement personnel. Sur un
autre plan, ne serait-ce pas somme toute assez peu suprenant que les
spécialistes d'un genre qui ont souvent consacré toute leur vie à un
instrument soient ceux qui l'ont porté à son plus haut degré. Autre
caractéristique plus objective, le caractère innovant de ces oeuvres me
paraît à l'avantage des virtuoses-compositeurs, tant sur le plan
instrumental que thématique.
Je critique justement qu'on ait considéré comme
supérieures leurs oeuvres dans un genre instrumental qui n'est pas le leur.
VARIATIONS SUR UN THÈME DE DIABELLI
Objectivement, il s'agit d'une oeuvre de Diabelli/Beethoven, qu'on le
veuille ou non. c'est un constTat objectif. En revanche, l'importance
supérieure que l'on accorde à la valeur qu'y a communiquée Beethoven plutôt
que Diabelli n'est que subjective. L'élément objectif doit primer dans
l'attribution de l'oeuvre. Si les oeuvres étaient contemporaines, un
tribunal jugerait dans ce sens car pour lui la prééminence de Beethoven en
tant que "grand compositeur" est nulle et non avenue sur le plan légal.
C'est tout ce que je voulais dire.
LISZT VIRTUOSE-COMPOSITEUR
A mon avis, Liszt n'a pas vraiment les caractéristiques d'un grand
classique. Tout d'abord il a accumulé beaucoup de "succès d'estrade" comme
on aime dire et s'est foncièrement adonné à la virtuosité transcendante.
Même en dévalorisant ses oeuvres virtuoses au profit de ses oeuvres
mystiques de sa fin de carrière comme on tend à le faire actuellement, cela
reste tout de même difficile de la faire passer pour un grand classique.
Inutile de vous dire que Jankélévitch ne se prête pas à ce genre de
manipulation visant, selon moi, à la "récupération idéologique" de Liszt.
Pour moi, les grandes oeuvres de Liszt sont bien les rhapsodies hongroises,
les Etudes transcendantes, le Totentanz et non ses pièces à la gloire de
Dieu.
DES ANTHOLOGIES ENNUYEUSES - GUITARE, ORGUE
Décidément, On ne sortira pas de la guitare en ce moment. Garrios Augustin,
CD Naxos à 8 euros. Un style à peine romantique pour ces pièces datant de
1910 à 1940 environ. Un CD qui s'écoute, faute de mieux. Des thèmes
caractérisés, mais à mon avis d'envergure limitée. Oserai-je dire que de
nombreuses oeuvres de guitare me paraissent académiques? Mis à part la
signification devenue insultante du terme, c'est bien aussi l'effet que
produit, me semble-t-il, de nombreuses anthologies pour guitare. Faute de
mieux aussi, on peut écouter sur ce CD "Un sueno en la floresta": un jeu
guitarristique proche des trémolos habituel de la mandoline. Et aussi
"Vadalita convariaciones", qui bénéficie à mon avis d'un thème principal
intéressant, mais est-ce suffisant quand le second thème en détruit les
bénéfices? Pour le reste, des gavotte, mazurka et autre madrigal, rien à mon
avis qui retienne l'attention.
Oserais-je aussi ajouter que les anthologies pour guitare me paraissent
compassées avec les inévitables pièces de Tarrega, Sor, Dyens... dont je
n'ai toujours pas vu l'intérêt. Oserais-je aussi mettre dans le même sac
d'autres anthologies, celles pour orgue avec les inévitables pièces de
Vierne, Widor, Clérambault... alors que Lefebure-Wéli a écrit à mon avis des
pièces d'une autre trempe. Les chefs-d'oeuvres existent sans doute dans ces
genres, mais il faudrait doute les dénicher derrière la poussière du dédain
et de l'oubli.
ANTHOLOGIES D'ORGUE - LEFÉBURE-WÉLI
Si, il en existe au moins une: Splendeur des grandes orgues CAJ 035 qui
regroupe Widor, Bach, Grigny, Couperin, Lozart, Langlais, Cochereau,
Dandrieu... interprétés par une dizaine de solistes dont Guillou, Houbart,
Isoir, Lefebvre. Pourquoi Clérambault et Widor seraient-ils incompatibles au
point de ne pouvoir figurer dans les mêmes sillons. Votre image de
Lefébure-Wéli ne correspond en rien à la réalité. Lefébnure-Wéli fut d'abord
un enfant prodige capable de remplacer son père à l'âge de 8 ans dans ses
fonctions d'organiste à Saint-Roch. Avant l'âge de 15 ans, il fut nommé
titulaire du grand orgue de Saint-Roch. D'après plusieurs dictionnaires, je
n'ai aucune mention de la composition de vaudeville par Lefébure-Wély, ce
qui n'exclut pas qu'il en ait composé. En revanche, il a écrit 50 études et
cent morceaux pour le piano, 3 messes avec orgue et une avec orchestre, un
quatuor et un quintette pour cordes, 3 symphonies à grand orchestre, et
naturellement une grande quantité de pièces pour orgue. Selon la grande
tradition des organistes, Lefébure-Wély improvisait. Vous avez raison, je ne
crois pas que l'on puisse considérer sur le même pied d'égalité
Lefébure-Wély et Vierne.
Sur le plan de l'opinion personnelle, je dirais que les oeuvres de
Lefébure-Wély, d'après celles que je connais, témoignent pour moi d'une très grande élévation d'esprit. C'est pour moi un grand
compositeurs du 19e siècle.
LEFÉBURE-WÉLI ET BACH
Vous avez peut-être le droit de penser ce que vous voulez de Lefébure-Wély,
mais que ce soit au moins après écouté quelques oeuvres de ce compositeur.
Colporter des jugements dévalorisants contre des compsoiteurs que l'on n'a
jamais écouté, c'est une pratique à mon avis indéfendable contre laquelle je
lutte précisément. D'autant plus que les éléments biogrphiques que vous
indiquez apportent à mon avis un éclairage plutôt partisan et contestable,
même si Lefébure-Wély a écrit (peut-être ?) des vaudevilles. D'autre part,
considérer ses talents d'improvisateur pour le déconsidérer ne me paraît pas
concevable dans la mesure où l'improvisation est une longue tradition de la
pratique organistique, vous le savez d'ailleurs mieux que personne. Bien
sûr, j'ai tout compris, c'est très simple. Quand Bach improvise, cela
témoigne d'un génie inouï, quand Lefébure-Wéli improvise, ce ne peut être
que du racolage. Ne les ayant entendu ni l'un ni l'autre improviser, je ne
me prononce pas.
OEUVRE POUR L'ÉXÉCUTANT OU POUR LE PUBLIC
On peut manifester un intérêt pour une oeuvre en tant qu'exécutant, cela je
ne le nie pas. Je vous avoue que moi-même je préférais de ce point de vue
jouer certaines oeuvres plutôt que d'autres au piano, mais une oeuvre, à mon
avis, doit fondamentalement être appréciée par le public qui l'écoute, non
par l'exécutant qui la joue, ce serait fausser sa destination. Il est vrai
que la conception de la musique comme pratique lié à un enseignement, à une
connaissance didactique, est celle qui a prévalu pendant le 16e et même 17e
siècle, c'est celle dont se prévaut Bach (d'après ses biographes). Est-ce
vraiment une conception de la musique en tant qu'art. Le musicologue Charles
Rosen nous explique que "L'art de la fugue" a été conçu comme une oeuvre qui
s'étudie en la la jouant.
OEUVRES PRÉFÉRÉES POUR FLÛTE
CRAS Quintette flûte harpe violon violoncelle
DAMASE Sonate flûte harpe
DANZI Quintettes avec flûte op 56 1, 2 et 3
DEBUSSY Sonate alto flûte harpe
FAURÉ Duo flûte harpe
IBERT Duo flûte harpe
KRUMPHOLZ Duo flûte harpe
MOZART Concerto flûte harpe
ROSSINI Duo flûte et harpe introduction et variations
SAINT-SAËNS caprice op 79 sur des airs russes et norvégiens flûte hautbois
clarinette piano
SALIERI Concerto flûte hautbois
TELEMANN Fantaisie n°12 flûte picollo
VIVALDI RV444 flûte picollo La notte op 10; Il gardellino op X
Nous voyons bien dominer comme dans les autres listes fournies le 18e
(baroque et classique), en revanche, le 20e n'est guère représenté dans ma
liste. Cras, je crois, Damase, sans doute, le Debussy (la dernière oeuvre du
compositeur). Et le 19e est tout de même représenté. Je me fournis à
moi-même un démenti de mon affirmation précédente. Les 2 oeuvres, celle de
Rossini et celle de Saint-Saëns me paraissent réellement d'inspiration
romantique, beaucoup plus d'ailleurs pour Rossini que ses ouvertures plutôt
d'inspiration classique (sur le plan de l'esprit). L'"Introduction et
variations": une oeuvre très lyrique et virtuose. Le "Caprice" de saint-Saêns,
une oeuvre romantique et impressionniste puissante, d'un lyrisme âpre,
parfois heurté, sauvage, comme souvent les oeuvres de musique de chambre de
ce compositeur. Oeuvre très virtuose dans un genre où on ne l'attend pas et
oeuvre rhapsodique (dans la volonté au moins car c'est peu sensible). Cet
anti-conformisme, par rapport aux canons académiques, se retrouve souvent
chez Saint-Saëns. Je ne crois pas à cette époque qu'il y ait eu beaucoup de
compositeurs à avoir utilisé le style nordique (à part des nordiques). Lalo
fit de même avec une de ses oeuvres symphoniques. Les oeuvres de Krumpholz
et Danzi me semblent utiliser typiquement le style galant stéréotypé.
Pourtant quelle sensibilité, quel génie (à mon avis). Le conventionnalisme stylistique ne
nuit nullement à mon avis à la richesse thématique, c'est, je pense, le cas
pour ces oeuvres. Le Salieri, une merveille (à mon avis), montrant justement
que le style galant peut aussi présenter des épisodes modulants dans une
trame thématique ultra-tonale.
ADAGIO DE BARBER
Je connais enfin l'"Adagio" de Barber et me sens déjà un mélomane un peu plus
présentable. Séduit, oui, par cette transcritpion d'après un mouvement de
quatuor du compositeur. Notamment par la très grande lenteur et la sérénité
qui se dégage de l'oeuvre. Un style sans doute (par cette lenteur) quelque
peu d'inspiration nordique ou russe, comme, finalement, bon nombre d'oeuvres
tonales qu'il m'a été récemment donné d'entendre, par exemple le concerto de
Gliere/Lyatochinski, celui de Garofalo... Je crois que le style nordique, si
décrié pourtant, a déteint sur un grand nombre d'oeuvres du 20e siècle.
Parmi les oeuvres tonales évidemment, vous ne voudriez pas que de grands
esprits tels que Boulez, Schoenberg ou Takemitsu s'abaissâssent à ce type de
musique reniée depuis Gade par l'intelligentsia progressiste. La thématique
de cette oeuvre me paraît parfois un peu hésitante et répétitive, mais cette
lenteur magique rattrappe tout. Alors, je le classe parmi les oeuvres
excellentes. Tout comme le premier mouvement du "Concerto pour violon" du même
Barber, plus classique. Une oeuvre à la virtuosité feutrée, à
l'orchestration très nuancée intervenant par ponctuations ou par des tutti
très fluide de cordes. Ce CD Classical Sony vaut à mon avis la peine d'être
découvert. En revanche, William Schuman ("The Thee old cause" et "In praise
of Shahn"), je ne sais si c'est tonal, atonal ou pseudo-tonal. Je vous
promet d'y réfléchir... si j'ai le temps. A bannir.
LA 9e DE BEETHOVEN CLASSÉE PATRIMOINE DE L'UNESCO
Cela prouve à mon avis que la reconnaissance comme patrimoine passe
essentiellement par l'importance du symbole sociétal et politique que
représente l'oeuvre. On sait la carrière que fit la 9e dans ce sens. L'hymne
(de Schiller je crois) y est sans doute pour beaucoup en situant bien
l'oeuvre comme hymne humanitaire. Est-ce vraiment sa valeur "artistique" (à
mon avis très réel, mais c'est un avis personnel) que l'on reconnaît? Si
l'on veut rester avec Beethoven, et pourquoi pas, la 5e à mon avis donne une
idée de perfection supérieure. La présence de la voix dans cette symphonie
(la 9e) en fera toujours un genre batard, même si cette innovation (?) a eu
de nombreux imitateurs. Pour moi, l'ingérance d'un organisme politique (au
sens large) dans l'attribution d'un label de valeur artistique me paraît
dangereuse. C'est à mon avis le public seul qui peut être juge de la valeur
musicale, par définition.
LA MUSIQUE ATONALE "AGRÉABLE"
Tout d'abord, il ne suffit pas que vous affirmiez une impression
(l'existence d'une thématique "agréable" compatible avec l'atonalisme) pour
que ce soit une vérité absolue. Je vous rappelle que le caractère "agréable"
ne saurait être considéré comme objectif. Pour ma part, l'idée contraire que
j'ai toujours avancée (l'incompatibilité entre l'atonalisme et une oeuvre
d'intérêt réellement musical) est relative est la très grande majorité des
mélomanes. Je voudrais revenir sur une autre idée. Il semble que les
partisans de l'atonalisme semblent se satisfaire que l'atonalisme puisse ne
pas être détestable ou même puisse être "agréable" comme vous le dites, mais
la musique classique doit avoir une autre ambition, celle de refléter le
génie, de procurer des émotions intenses, atteindre le sublime. Apparemment, ce n'est pas ce que
vous avez éprouvé.
Vous rentrez dans le bercail des gens qui n'aiment pas l'expressivité
(c'est-à-dire pour moi la musique) et cela montre bien l'analogie, la
proximité entre musique anté-baroque et atonale moderne. Egalement la
relation avec Bach (bien qu'il ait usé du tonalisme). Si Bach était
expressif autant qu'on le prétend, l'aimeriez-vous? Ne le
mépriseriez-vous pas comme vous le faites ouvertement de Lefébure-Wély.
N'est-ce pas l'aspect didactique et intellectuel de Bach qui vous plait? Dans vos commentaire,s on ne sentjamais que vous êtes transporté. le recherche du génie et de la sublimité dans l'oeuvre ne semble pas vous intéresser.
OEUVRES POUR PIANO DE HANSON
L'oeuvre pour piano de Hanson : peut-être pas un choix judicieux pour une
première rencontre avec ce compositeur, connu plutôt pour ses oeuvre
symphoniques. Ce n'est pas vraiment moi qui ai choisi, mais les majors du
disque. Pièces très classico-romantiques jusqu'en 1920 environ avec les
"Poèmes érotiques", la "Sonatine op 11". Style à mon avis parfois lourd,
surchargé d'accords, parfois d'un mélodisme ultra-simple. Période suivante :
avec notamment "For the first time" une succession de pièces figées
pseudo-impressionnistes dans le style de certaines pièces de Severac et de
pièces étonnamment modernes, mais tonales, très volubiles. Contraste
bizarre. Je préfère encore à tout cela "Slumber Song", une pièce de
jeunesse, d'un pianisme un peu plus souple et aérien que les autres pièces
de la période initiale et très mélodique. Je ne peux pas dire qu'il y ait
une absence d'idées musicales, ni que le tout soit totalement ennuyeux dans
ce CD. Ces pièces me font l'effet de celles de Sibelius pour piano. Donc, je
ne conseillerais pas franchement ce CD Naxos.
SONATES POUR FLÛTE DE BACH
Voici ce que je viens d'apprendre à propos des sonates pour flûte 1030,
1032, 1034, 1035, 1079
Commentaire établi par le magazine "Le monde de la musique" établi
probablement à partir du texte de présentation de Henrik Weise:
"Authenticité avérée et attribution douteuse se disputent un corpus d'une
dizaine d'oeuvres dont seule la moitié a été accueillie au sein de la Neue
Bach-Ausgabe. Les autres sonates sont considérées comem écrites
partiellement ou intégralement par Carl Philip Emmanuel Bach. La datation de
l'ensemble laisse encore bien des incertitudes et il n'est pas rare de lire
des commentaires contradictoires."
Ces oeuvres sont pourtant indiquées comme authentiques (sauf la 10789 qui
n'est apparemment mentionée nulle part) par le catalogue de l'université de
Montréal. Quant à la mention des oeuvres dans la Neue Bach-Ausgabe, il y a
bien longtemps que ce n'est plus un critère absolu.
La prudence continue donc de s'imposer chaque fois qu'il est question d'une
oeuvre portant le nom de Bach.
ART DE LA FUGUE
Si ma mémoire est bonne, l'Art de la Fugue demeure cependant inachevée, même
si ce n'est pas la dernière oeuvre de Bach. Il s'avère que Bach a évolué
vers une radicalisation de l'austérité musicale et de la religiosité en
refusant l'évolution musicale de son temps. Sur le plan de la syntaxe
musicale, il se restreint à la fugue et à l'écriture contrapuntique. Cette
évolution, et cette cristallisation sur une oeuvre particulière m'évoque
bien d'autres compositeurs, notamment Falla qui passa, je crois, la dernière
partie de sa vie sur "L'Atlantide". Je ne connais pas cette oeuvre, mais
d'après les commentaires que j'en ai lu, ce serait une oeuvre très austère
par rapport à la production antérieure du maître. Oserons-nous dire qu'il
pourrait s'agir d'une maladie de l'esprit, voire d'une manifestation de la
sénilité chez certains compositeurs? Chez les littérateurs, on pourrait citer Goethe qui passa une partie importante de sa vieillesse à "triturer" la seconde version de son Faust. Personnellement, je préfère le premier Faust, mais bon, j'ai peut-être le goût perverti par mes théories. On peut évoquer également Goethe qui
passa une grande partie de sa vie sur la seconde version de son "Faust", une
oeuvre à mon sens très hermétique, d'ailleurs injouable. J'avoue préférer le
premier Faust.
BACH "ROMANTISÉ"
Le 19e siècle comme l'ont montré Hennion et Fauquet a beaucoup transformé
l'image de Bach au travers de sa biographie, mais aussi de ses partitions.
La "romantisation" n'a pas atteint uniquement l'image de Bach, mais aussi
ses oeuvres qui sont alors transcrites au goût du jour. Une pratique
sacrilège pour nous qui sommes hantés par l'idée d'authenticité. La question
n'est peut-être pas aussi simple que nous le pensons aujourd'hui.
INTERPRÈTE GÉNIAL
Un fait étrange qu'on observe souvent dans les critiques des interprétations de
Bach. Tout se passe comme s'il fallait que l'interprète, par son génie
propre, pallie au manque de génie de l'oeuvre, c'est-à-dire qu'il tire de
lui-même des prodiges pour rendre agréables des oeuvres rébarbatives par
nature. On dit alors, en quelque sorte: "voyez cet artiste, il a été capable
de tirer la quintessence de cette oeuvre complexe, surhumaine, ce que seuls
les artistes supérieurs peuvent faire". Sous-entendu: "si ce fut un échec
auprès du public, c'est que l'interprétation n'était pas à la hauteur d'une
oeuvre aussi élevée". Dans cette logique, on aboutit à l'Aria de Gounod qui
a beaucoup contribué à rendre Bach populaire au 19e sicèle avec une oeuvre
présentée sous le titre "Méditation sur le 1er prélude de Bach", dont seul
l'accompagnement était de Bach. Pour que Bach devienne agréable, il faut
déformer ses oeuvres, voire les réécrire. On aboutit aussi à la Toccata et
Fugue BWV 565 qui a aussi beaucoup contribué à sa gloire, une oeuvre dont le
style est totalement opposé à l'idéal esthétique bachien pour la bonne
raison qu'elle n'est très probablement pas de lui... A propos de cet
enregistrement de Gould, on peut s'étonner de ce que l'on ait dû attendre ce
pianiste pour découvrir que les Variations Goldberg étaient géniales. Si
elles l'étaient par elle-même sans avoir à utiliser d'artifice
d'interprétation pour les rendre agréables, ne se seraient-elles pas déjà
imposées. Interprétation jazzé, dites-vous, que fait-on alors du respect de
la pensée du compositeur? En ce qui concerne les instruments,
paradoxalement, on se montre beaucoup plus rigoureux dans la recherche de
l'authenticité. Bizarre.
Je vous suis entièrement sur l'importance de l'interprétation et sur le
travail de recréation, notamment à propos de Schubert. Si je signale
rarement l'interprétation dans une oeuvre, ce n'est pas une déconsidération
de son importance, c'est simplement un effet de mon ignorance des
différentes versions. J'ai constaté parfois des différences considérables
suivant les interprétations, elles ne changent pas, à mon avis, ce que je
nommerai le "sens" de tel ou tel effet, tel ou tel motif mélodique, sinon la
composition n'aurait plus de valeur intrinsèque. C'est justement ce qui se
produit, a contrario, pour les oeuvres d'intérêt discutables où seules sont
intéressantes des "inventions interprétatives" apportées par l'interprète.
Celles-ci cependant, à mon sens, ne sauraient communiquer à l'oeuvre un
génie qui n'y est pas.
VARIATIONS SUIVANT LES INTERPRÉTATIONS
Ce que je nomme le "sens" d'un motif musical se trouve en fait au-delà de
l'empreinte affective que je nommerai "supplémentaire" qu'est par exemple le
"sentimentalisme sirupeux" ou la "neutralité émotive" que voUS évoquez. Ce
sens, il se trouve fondamentalement dans la thématique. Bien sûr, la
thématique j'y reviens toujours, c'est la base de a musique. Si un thème est
intrinsèquement "sentimental", vous pouvez accentuer son effet ou le
diminuer par une interprétation adéquate ou contre-nature, mais, si vous
suivez la partition, vous ne pouvez pas le transformer en thème "neutre". Il
y aurait donc 2 aspects réduisant le spectre des possibilités
interprétatives: le "sens" résultant de la thématique elle-même (la
partition) et la logique intuitive interdisant à l'interprète une
interprétaion erronée ou "absurde". D'autres limitations existent encore,
qui sont sans doute moins fondées: la tradition interprétative qui peut
décanter certaines pratiques. Dans l'interprétation de la "1" de Sibelius par
Bernstein que je trouve odieusement accélérée, je pense que cet interprète
n'est pas entré dans l'intimité profonde de ce compositeur, cependant je
reconnais chaque thème dans leur "sens" qui produisent en moi le même effet
fondamental, même si je ne ressens pas les même résonnances que dans
d'autres enterprétations qui me sont plus chères.
ADAGIO DE BARBER - OEUVRES DE BARRIOS POUR GUITARE
L'Adagio de barber, tout de même avec ce CD Sony, vous pouvez
découvrir avec intérêt le 1er mouvement du Concerto pour violon, un jeu
extrêmement léger au meilleur sens du terme, une utilisation des percussions
dans le sens exactement inverse de ce que font les modernes. Je ne serai pas
aussi élogieux envers William Schumann pour 2 oeuvres orchestrales dont j'ai
oublié d'ailleurs le nom. Du moderne courant, j'allais dire presque
classique, c'est-à-dire imbuvable (pour moi). Je laisse les sectataires de
ce langage se pâmer d'aise en écoutant ces stridences et ces cacophonies.
Barrios, oeuvres pour guitare 1. J'ai eu l'occasion de regretter à propos de
ce compositeur le classicisme "académique" que me paraissent revêtir nombre
de compositions pour cet instrument, dont on attendrait au contraire une
originalité en rapport avec la spécificité de son timbre et de sa technique.
On croirait que les compositeurs pour guitare, niant les capacités de leur
instrument, se
veulent plus classique que les classiques. Passons à la suite. Cras, oeuvre pour
piano, Hanson, oeuvre pour
piano. C'est à croire que le hasard réunit les semblables : du classicisme
encor, bien martelé par des accords sans saveur, une dose de
pseudo-impressionnisme, du simplicisme, mais la sauce néo-classique, cette
fois, ne prend pas. On se demande ce que pouvait
représenter pour ces auteurs leur oeuvre pour piano : simple essai préalable
de formules qui s'épanouiront plus amplement dans le genre symphonique ou
véritables oeuvres autonomes. Bref, pour moi, je ne vois rien à en tirer. Le piano,
instrument-roi du 19e serait-il devenu simplement un "laboratoire de la
pensée" ou, pis encore, un instrument que l'on taquine faute de mieux parce
qu'il est pratique, comme le faisait Wagner ou Sibelius. Quelle décadence
pour un si merveilleux instrument. Je préfère penser qu'il ne s'agit là que
d'un mauvais hasard.
Côté chronique: toujours les notices de Haëndel et Bononcini, des "faits"
curieux : bizarreries de l'historiographie musicale que mon mauvais esprit
(assurément) n'a pas manqué de remarquer dans le Grove et le Fétis.
POÈMES ÉROTIQUES DE HANSON
Si je puis me permettre, je recentrerais la discussion sur la musique par
une transition convenable en vous évoquant les "Poèmes érotiques" de Hanson,
trois pièces pour piano datant de 1917-18. Des oeuvres assez compassées à
mon avis qui ne risquent guère de déclencher chez l'auditeur des pulsions
libidineuses. N'ayez crainte, vous pouvez les écouter si cela vous dit en
toute sérénité. Le compositeur précise qu'il a voulu écrire des oeuvres
"psychologiques". Ce concept est-il compatible avec la musique. Toute oeuvre
qui évoque un sentiment peut être qualifiée a priori de "psychologique" au
sens large, mais Hanson prêtait sans doute au terme une signification plus
profonde. Peut-être voulait-il faire allusion aux phénomènes psychologiques
troubles liés à l'analyse freudienne? La musique peut-elle, mieux que les
idées métaphysiques, traduire ces sentiments très spéciaux? J'en doute
beaucoup.
SYMPHONIES CLASSIQUES?
Ce ne serait que le second après Dittersdorf à fournir des prémisses de
Beethoven, mais jusqu'à quel point. J'avais noté des beethovénismes
frappants dans quelques-unes de ses symphonies, dans les VB 130, 138, 128,
129, (la période précédente, j'imagine) mais de manière moins marquée que
chez Dittersdorf. Dans les deux cas, ces beethovénismes voisinaient avec des
archaïsmes, notamment des formules répétitives. L'évolution, chez Beethoven,
c'est à mon avis la diversité des effets, ce qui n'est pas spectaculaire,
mais sans doute fondamental. Les effets les plus "révolutionnaires" se
trouvent déjà dans Dittersdorf et vont même parfois au-delà, presque "trop
loin", à tel point que leur efficacité musicale peut être contestable.
Enfin, un voile est levé sur la genèse du style romantique beethovénien, il
n'y a pas eu que Haydn et Mozart, dans sa formation, loin de là.
L'essentiel, qu'il a pu recevoir de la part de concurrents, il ne l'a sans
doute pas avoué si facilement, préférant couvrir de louanges des
compositeurs un peu plus anciens qui font figure d'ainés et surtout qui ne
sont pas des concurrents dangereux sur le plan de la modernité et de la
paternité des effets. Et peut-être aussi que les biographes après les observateurs eux-mêmes ont aussi fait un tri "subtil" dans ses déclarations. On découvre aussi un peu plus que Haydn et Mozart
étaient des traditionnalistes. On le savait pour Mozart, moins pour Haydn.
Les nouvelles recréations font craquer de plus en plus la vielle musicologie
et les valeurs qu'elle a consacrées.
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