SOMMAIRE



MESSAGES DE LISTES 2001

MACDOWELL
Oui, le style de Macdowell me paraît aussi davantage romantique qu'Américain. En cela, il se distingue assez nettement de Dostal, Grainger, Gershwin ou encore Grofé et Gottschalk (encore que pour Gottschalk, cela dépende des oeuvres). Néanmoins, le dernier mouvement du "Concerto n°2" (de Macdowell) possède à  mon avis une certaine coloration cubaine, plus peut-être par la couleur instrumentale que par le rythme. Cette légère marque rhapsodique rapprocherait Macdowell plutôt de la grande compositrice américaine Amy Beach-Cheney (dont je ne peux manquer de conseiller ici le concerto). Pour revenir à  Macdowell, je conseillerais particulièrement le "2" pour qui veut découvrir ce compositeur. A propos d'influence romantique, j'y vois celle d'un compositeur particulier, vous ne devineriez jamais lequel, un compositeur attardé, passéiste, au style éculé, voire académique (tant qu'on y est), un certain Tchakovski Piotr Illitch, précisément les accords martelés au début du premier mouvement qui rappellent le premier mouvement du "2" (de Tchaïkovski). La musique pour piano seul de Macdowell, je ne vous en dirai rien, je n'en connais malheureusement pas une note. Je voudrais ajouter que Macdowel me semble avoir manifesté son génie symphonique particulièrement dans la "Fantaisie indienne" pour orchestre, plus encore que dans les concertos, et dans un style différent. Sa palette orchestrale est à  mon avis très subtile, jouant des demi-teintes et d'une utilisation discrète des cuivres. C'est pour moi un exemple d'excellente musique post-romantique ou pseudo-impressionniste.

INTERPRÉTATION
Je voudrais profiter de cette avalanche de critiques sur les interprétations pour introduire quelques idées plus générales sur le sujet.. Généralement, je ne formule jamais de jugement sur les interprétations. Tout d'abord, parce les problèmes liés à  l'interprétation limitent en partie la crédibilité de mes critiques sur les oeuvres (elle n'est déjà  pas très élevée!). En second lieu, je connais assez peu d'interprétations différentes concernant chaque oeuvre. Donc, j'oublie les problèmes d'interprétation car cela m'arrange, ce qui me paraît une excellente justification. Certains mauvais esprits vont dire qu'ils n'en attendaient pas moins de moi. Plus sérieusement, je pense que la critique musicale dans son ensemble souffre de deux maux: -le développement des critiques sur l'interprétation amène à  ne plus s'interroger sur la valeur des oeuvres, surtout s'il s'agit d'oeuvres consacrées. En quelque sorte, la critique des interprétations servirait de paravent pour éviter la constestation des "grands classiques", ce qui aboutirait à  figer l'électisme musical. -l'ambiguité entre la critique de l'interprétation et la critique de l'oeuvre lorsqu'il s'agit d'oeuvres relativement peu connue. Ce second point renforce le premier dans la mesure où l'on considère qu'une oeuvre peu connue peut être sujette à  la critique alors qu'une oeuvre d'un compositeur connu est considérée comme incontestable. Ce constat, s'il est avéré, n'aboutit en aucun cas à  juger secondaire la critique de l'interprétation. Les variations d'interprétation ne sont pas à  mon avis obligatoiremen des microdifférences byzantines, elles peuvent défigurer totalement une oeuvre au point de la rendre incompréhensible. Le phénomène de substitution de la critique de l'interprétation par rapport à  la critique de l'oeuvre, ce qui concourt, me semble-t-il, à  "protéger", les oeuvres consacrées et surtout les compositeurs consacrés me paraît la conséquence la plus préjudiable. Tout se passerait comme si le discours était le suivant, affirmé implicitement: "Puisque le temps a décanté positivement les oeuvres et que leur valeur est désormais incontestable, bornons-nous à  la critique des interprétations". En dernier lieu s'impose l'idée (implicite elle aussi) selon laquelle si on consacre un grand nombre d'interprétation à  une oeuvre, c'est qu'elle a une valeur. Or, le nombre d'interprétations différentes d'une oeuvre n'est pas toujours significative de son impact réel sur le public, même si elle peut l'être souvent.

GRAINGER
Grainger était un type vraiment bizarre, d'après ce que j'ai pu lire. C'était un grand virtuose et pourtant il haissait la virtuosité. Je crois qu'il n'a jamais pu résoudre cette contradiction, qui d'ailleurs est bien souvent celle de tout artiste (Liszt de même ne s'est-il pas renié). J'aime son style qui est tout sauf académique et pédant. Il décape la musique classique. C'est peut-être gràce à  cette absence de complexe qu'il a dépassé à  mon avis bien des compositeurs qui se prenaient plus au sérieux que lui. Il a presque toujours fait passer humblement ses oeuvres pour des transcriptions, je soupçonne qu'il y ait bien souvent supercherie (quoique je n'ai jamais eu le loisir de vérifier). Il a débarrassé la pulsion rythmique de tout ce qu'elle avait de vulgaire pour aboutir en fait à  un style très épuré, presque ascétique. "In Dahomey" me paraît bien caractéristique à  cet égard. De plus, il ne me paraît pas confiné dans le style de la musique américaine, quoiqu'il y excelle. "Lanber on love", peut-être une de ses plus belles pièces, montre, à  mon avis, qu'il peut rivaliser avec les plus grands compositeurs dans le style "impressionniste". Dans cette pièce, il abandonne totalement la pulsion rythmique pour nous introduire dans une méditation nocturne éclairée par une lumière sereine.

JUGEMENT SUR UNE OEUVRE OU UN COMPOSITEUR
Je ne suis pas partisan de formuler un jugement sur un composituer (quoique je le fasse, souvent par paresse d'ailleurs). En effet, fournir un jugement sur un compositeur nécessiterait de connaître l'intégrale de ses oeuvres, ce qui est rarement possible, et en tous cas quasi impossible quand il s'agit d'un compositeur peu connu. Un compositeur a pu n'écrire qu'une seule oeuvre d'envergure dans sa vie, et c'est peut-être celle que l'on ne connaît pas. Un homme, (a dit je ne sais plus qui), est plus différent de lui-même au cours de sa vie que deux hommes différents.

CAUSE DE LA NOTORIÉTÉ DES GRANDS NOMS
C'est tout le problème de la genèse des vedettes car, n'en déplaise aux Intellectuels, les "grands classiques" ne sont rien d'autre pour la musique classique que des vedettes comparables à  celles du show biz pour le pop ou la variété. La médiatisation a pu prendre des formes différentes depuis le 18e siècle, n'est-ce pas le même phénomène qui se produit? Je ne prétends pas connaître ces causes même si, en ayant lu un certain nombre d'ouvrages historiques du 19e et de la première moitié du 20e sur la musique, je pense en avoir une certaine idée. C'est d'ailleurs plus une question d'ordre sociologique que musicale. Il faut distinguer tout d'abord la célébrité acquise du vivant du compositeur et la célébrité posthume. La première, à  mon avis, a pu être acquise très souvent pour des raisons d'ordre musical (cas typique de Vivaldi ou Beethoven) alors que la seconde a pu sans doute faire intervenir des facteurs plus complexes d'ordre extra-artistique, c'est-à -dire idéologique (cas typique de Bach ou Satie). C'est la raison pour laquelle, à  mon avis, on doit être amené à  beaucoup plus de circonspection quand la notoriété est posthume sur la valeur des compositeurs concernés. Tout cela, bien sûr, n'est sans doute pas absolu. D'autre part, des événements exceptionnels, susceptibles d'avoir frappé les esprits, des circonstances particulières, ont pu jeter la lumière sur un compositeur plutôt qu'un autre. Wagner serait-il connu aujourd'hui s'il n'avait pas rencontré Louis II de Bavière? De même Mozart s'il n'avait pas été un enfant prodige montré dans toutes les cours européennes avec un sens très moderne de la médiatisation? De même Shcumann s'il n'était pas mort fou... Ce qui n'empêche pas sans doute que ces compositeurs ont écrit des oeuvres de génie. En revanche, ils ne sont peut-être pas supérieurs à  d'autres compositeurs de l'époque qui avaient aussi connu beaucoup de succès (par exemple parmi les compositeurs de l'époque de Mozart : Dittersdorf, Krauss, Cannabich, Danzi...). Maintenant, pour répondre à  la question "qui est le quelqu'un"? qui manipule tout cela. Personne évidemment, il n'y a pas de complot, selon une phrase célèbre écrite sur "classique.fr" un jour. D'une manière générale, je pense que l'ensemble de la société musicale: les sociétés de concert, les critiques, les cercles partisans, (comme les nombreuses sociétés Bach au 19e siècle par exemple), les musicographes, l'intelligensia musicale dans son ensemble a joué un rôle déterminant en infléchissant les choix vers des compositeurs représentant une certaine idéologie intellectuelle, ceci en opposition avec les choix réalisés par l'ensemble du public qui fait intervenir uniquement sa sensibilité artistique. C'est ainsi notamment qu'auraient été éliminés notamment les virtuoses-compositeurs au profit des "grands classiques". En ce cas, si l'hypothèse est valide, on peut imaginer que les compositeurs évincés sont supérieurs à  ceux qui ont été élus par cet électisme historique négatif. C'est ce qui m'apparaît souvent en tant que mélomane. Il s'agit là  bien sûr d'une opinion consécutive d'un jugement personnel subjectif.

HOMOGÉNÉITÉ DE STYLE D'UN COMPOSITEUR
Je dirais qu'il peut y avoir une grande homogénéité de style chez un compositeur, mais souvent à  l'intérieur d'une même période compositionnelle. Pour reprendre l'exemple de Bach, y a-t-il un rapport entre le virtuose de Weimar qui compose la "Passacaille en fugue en do" et le compositeur mourant qui compose l'"Art de la fugue"? En revanche toutes les parties du clavecin bien tempéré se ressemblent. Il y a parfois des exemples de compositeurs qui n'ont pas varié de style. De sa première à  sa dernière oeuvre pour piano, Medtner adopte toujours la même écriture diatonique sans qu'il y ait à  mon avis l'once d'une évolution. Vous évoquez Sgambati. Il ne me paraît guère y avoir de rapport entre son Concerto que je placerais quelque part entre Tchaïkovski et Rachmaninov et son "Quintette n°2" que je placerai plutôt dans la lignée de Schubert... et encore moins de rapport avec ses premières oeuvres pour piano seul d'une écriture dépouillée bien loin des déferlements de virtuosité du Concerto. Cependant, je voudrais évoquer une différence autre que stylistique, celle de la valeur musicale. A mon avis, la variabilité de la valeur musicale (ou d'intérêt musical si l'on préfère) est encore plus aléatoire et surprenante que les différences de style. Avis très subjectif évidemment puisqu'il est lié au jugement personnel.

COMPARAISON DE L'OEUVRE DES COMPOSITEURS CONNUS ET DES COMPOSITEURS PEU CONNUS
On se heurte à  une difficulté que nous évoquions par ailleurs, laquelle est de bien connaître l'oeuvre de compositeurs peu connus, contemporains de Mozart. Souvent, les enregistrements n'existent pas. Sur l'ensemble de l'oeuvre de Mozart, je ne peux rien affirmer, faute de connaître suffisamment d'oeuvres de ses contemporains et même faute de connaître suffisamment les oeuvres de Mozart lui-même. En fait, Mozart, qui a obtenu un réel succès public de son vivant (sans qu'il atteigne cependant le succès européen de Salieri), ne me paraît pas faire partie des compositeurs constestables. A-t-il été inégalé? Je ne crois pas si je me réfère à  quelques concertos de Dittersdorf que je connais (pour alto et contrebasse notamment), ses symphonies sur les "Métamorphoses d'Ovide" (certaines), de même si je compare par exemple à  la "Sonate pour flûte et harpe" de Krumpholz, certaines sonates pour piano de Clementi, le concerto pour flûte hautbois de Salieri... Tout cela est naturellement subjectif. Le problème est que l'on juge une oeuvre en sachant que le compositeur concerné est connu et considéré comme supérieur aux autres (ou inconnu et peu considéré), on peut donc être influencé inconsciemment. Si les oeuvres nous étaient présentées sans nom d'auteur (comme les copies d'examen), on aurait peut-être des surprises. Si Salieri était aujorud'hui connu au lieu de Mozart, peut-être vous affirmerais-je que Mozart, cet inconnu, était supérieur à  Salieri, et peut-être ne seriez-vous pas d'accord.

MOZART ET ET SES PAIRS
Vous conseillez d'écouter des oeuvres de contemporians de Mozart dont vous dites qu'elles n'atteignet pas la valeur de celles du maître de Salzbourg. Si personnellement, j'avais la conviction que le génie mozartien était considérablement supérieur à celui de ces compositeurs, j'écouterai uniquement du mozart et je ne perdrais pas mon temps à écouter ces contemporains de moindre intérêt. Là -dessus, je pense que si on parlait d'oeuvres et non pas de compositeur (ce qui me paraît pour les raisons que j'ai avancé, chimérique), je crois que l'on résoudrait de nombreux différents. Pour Vanhal, je suis d'accord qu'il ne brille pas particulièrement dans son concerto pour piano, les autres je ne les connais pas. Voici quelques oeuvres qui me paraissent atteindre à  peu près les sonate n°4 (1er mouvement Allegro con spirito) et 7 (4ème mouvement Allegro) de Mozart (que j'ai qualifié de difficilement surpassable dans un autre message)

1er mouvement symphonie concertant alto contrebasse orchestre DITTERSDORF
1er et 3e mouvement concerto 2 contrebasse orchestre DITTERSDORF
1er et 4e mouvement de la symphonie n°2 DITTERSDORF
3e mouvement sonate flûte et harpe KHRUMPHOLZ
2e mouvement concerto flûte hautbois et orchestre en do M SALIERI
3e et 4e mouvement du quintette op 56 n°2 de DANZI

Je pourrais ajouter que de nombreuses autres oeuvres, à  mon avis, comme certains quintettes de Boccherini, certaines sonates de Clementi, au moins une symphonie de Kraus pour moi surpassent largement la "Symphonie n°40, les concertos pour violon, la petite musique de nuit, les concertos pour piano, le concerto pour harpe de Mozart. Tout cela bien sûr ne repose que sur mon jugement personnel. On pourrait évoquer aussi, ce qui est plus facilement objectivable, l'apport de ces compositeurs dans l'évolution du langage musical. Sur ce point, je crois ne pas prendre beaucoup de risque en affirmant que Mozart n'a pas apporté le centième de ce qu'a pu apporter Dittersdorf (qui à  mon avis est nettement plus innovant que Kraus) d'après les oeuvres que j'ai pu écouter de ces compositeurs. Pour évaluer l'apport de Dittersdorf, il faudrait prendre un autre point de comparaison : Beethoven.

DITTERSDORF, BEETHOVEN
A propos de Dittersdorf, je vous suggère d'écouter la "Symphonie n°2" sur les "Métamorphoses d'Ovide". Sur le plan du langage musical, je la situe entre la "Symphonie n°1" et la "Symphonie n°2" de Beethoven. Et la "Symphonie n°2" des "Métamorphoses d'Ovide" de Dittersdorf a été écrite, si je me souviens bien, quelque 7 ou 10 ans avant la "Symphonie n°1" de Beethoven. L'apport de Dittersdorf dans le domaine symphonique à  mon avis ruine en grande partie le rôle novateur de Beethoven, lequel semble avoir beaucoup plus intégré en grande partie ces nouveautés pour les rendre plus efficientes. Auparavant, je pensais naïvement comme tout le monde que Beethoven avait inventé son style. De même le public croit que le style de Mozart lui appartient en propre et qu'il l'a inventé alors que (selon les spécialistes), ce style (le style galant) est né à  partir de 1830, voire 1820. En définitive, je n'ai fait qu'une petite incursion dans l'école de Mannheim que je connais encore assez mal. Ce que je découvre avec le peu d'oeuvres que j'en connais, finalement, ne m'étonne gurère car, dans le domaine des oeuvres pour piano et orchestre, j'avais observé une évolution extrêmement lente au cours de laquelle chaque conpositeur apportait un peu de nouveauté. Le caractère saltatoire de l'évolution musicale pourrait n'être souvent que l'effet de notre ignorance des maillons intermédiaires. Je soupçonne qu'il en est encore d'autres entre Kraus, Cannabich, Dittersdorf, Beethoven.

VIOTTI CONCERTO N°20
Le 20 de Viotti, voici un concerto pour violon a représenté pour moi une révélation dans la mesure où, outre son intérêt propre, il s'est révélé assez différent des autres concertos de ce maître (le 13, le 18, le 22, le 24) que je connaissais. Il se caractérise par une grande densité thématique. Le 20 est à  mon avis le plus solistique des concertos de Viotti que je connaisse et surtout il contient dans la thématique des paganinismes (ou prépaganinismes si l'on préfère). C'est la première fois que je rencontre cela dans un concerto de cette époque (en fait la liste serait courte, il faut bien le dire). Chez Giuliani (tout de même un peu plus tard), on retrouve aussi certains paganinismes, mais à  mon avis beaucoup plus dans le style général adopté que sur des motifs thématiques très précis. Quant à  la technique de Viotti, elle comporte encore beaucoup de legato. Mais on ne juge pas l'apport d'un violoniste compositeur à  l'importance du staccato. Le style, en tous cas, me paraît nettement plus évolué que chez Rolla et Fiorillo (d'après les oeuvres que je connais d'eux). Curieusement, malgré une virtuosité parfois très conséquente, Viotti ne se départit jamais d'une certaine timidité apparente (notamment les entrées du soliste), hérité du style galant, on aboutit à  une virtuosité spécifique qui passe presque inaperçue, d'une grande fluidité, comme si elle voulait se faire oublier. On retrouve la même tendance chez Giornovicchi, bien que ce dernier me semble plus proche du style galant, et surtout, les oeuvres que je connais de lui en tous cas, me paraissent thématiquement moins riches. La difficulté, pour juger l'apport respectif de ces compositeurs, c'est que les dates de composition ne représentent pas une science exacte. On ne peut que rester sur des suppositions. Quoi qu'il en soit, je recommande ce concerto de Viotti, c'est pour moi un chef-d'oeuvre qu'il faut connaître. Voici la référence : (BONGIOVANNI GB 5101-2), très bon enregistrement à  mon avis, en revanche, il est accompagné du double concerto pour piano et violon qui me paraît assez nul, mais c'est sans importance. Ceux qui ne connaissent que le 22 devraient être agréablement surpris, ce dernier concerto, je n'ai jamais pu comprendre sa fortune. Il me produit le même effet que le 3 de Vieuxtemps ou le 2 et le 4 (pour piano) de Kabalevski. Ces oeuvres me paraissent structurellement parfaites, stylistiquement originales, mais elles me semblent tout simplement privées d'âme. Cela contraste d'autant plus que pour moi le 2 et le 4 de Vieuxtemps comme le 3 de Kabalevski sont des chefs-d'oeuvre supérieurs. En revanche le 18 et le 24 de Viotti, oeuvres excellentes aussi à  mon avis, s'orientent beaucoup plus vers ce que sera le style de l'école franco-belge, si l'on considère l'importance et l'intérêt particulier de l'orchestration.

LETTRE À UN DÉTRACTEUR DE L'ADAGIO D'ALBINONI
Cher Monsieur,
Vous considérez l'Adagio d'Albinoni-Giazotto comme une oeuvre négligeable. Sans doute êtes-vous supérieur aux millions de mélomanes qui ont apprécié particulièrement l'Adagio d'Albinoni dans le monde. Pour ma part, je ne me suis jamais considéré autrement que comme un mélomane de base, avec les mêmes goûts. Mes faibles facultés musicales et intellectuelles ne sont apparemment pas à votre niveau, j'en suis désolé, croyez-le bien. J'en suis même honteux et mortifié. Je tiens à  vous remercier de la bonté que vous avez eu, du haut de votre grandeur musicale, d'avoir daigné vous adresser au misérable petit mélomane que je suis. Très sincèrement vôtre.

VIVALDI: CONCERTO POUR FLÛTE DOUCE, GLASS CONCERTO POUR VIOLON
Remise à jour de critique-musicale.com. Concertos pour flûte douce de Vivaldi, Concerto pour violon de philipp Glass. Nouveautés ce mois-ci sous le signe de Vivaldi. Par le fait du hasard, mais pas seulement. Les oeuvres de Philip Glass rencontrèrent apparemment un certain succès, il a même reçu des distinctions honorifiques. C'est un minimaliste répétitif. En cela, son concerto pour violon est visiblement inspiré de certains traits de la musique baroque vivaldienne, notamment par les rapides répétitions d'une courte cellule mélodique. Je rangerais néanmoins Glass parmi les modernes (et non les néo-classiques) car la répétitivité chez lui atteint un degré tel qu'on ne la rencontre ainsi nulle part ailleurs, (hors peut-être chez Vivaldi). Elle engendre une sorte d'hypnose particulière. Je dirais que Glass parvient à  communiquer un intérêt à  la musique répétitive minimaliste lorsqu'il sort de la répétitivité et du minimalisme, et c'est ce qu'il fait parfois, notamment gràce à  sa palette orchestrale. Vivaldi utilise parfois la répétivité d'une manière très moderne, à  l'occasion de certains soli, une répétitivité qui va atteindre l'obstination. Le compositeur communique alors l'intérêt par de subtiles variations d'intensité piano forte. Dans les concertos pour flûte douce (exécutés à  la flûte piccolo), concertos visiblement de la période de maturité, Vivaldi accumule sans aucun complexe les marches d'harmonies, parfois dans 2 soli de suite d'un mouvement de concerto (séparé tout de même par un épisode tutti), ce qui traduit bien sa volonté de rechercher l'efficacité musicale. Cette structure thématique produit toujours son effet. Je ne connais pas d'autres compositeurs que Vivaldi qui ait poussé cet effet thématique aussi loin, qui l'ait utilisé avec autant de propension et à mon avis de génie. On en trouve très rarement dans la seconde moitié du 18e siècle et plus tard, si ce n'est chez Hummel, Chopin, mais de manière beaucoup moins nette. On remarquera la qualité (à  mon avis) des mouvements lents de ces concertos, dans une écriture accumulant les accidents et parfois des apoggiatures, lesquelles fleuriront pendant l'époque de Mannheim. Ici, elles ne sentent pas encore le procédé. Ces concertos pour flûte douce me paraissent parmi les meilleures productions du maître vénitien, pourtant ils n'ont pas de numéros d'opus. Il semble que l'édition au 18e siècle devait souvent prendre les compositeurs de court et ils devaient offrir ce qu'ils avaient sous la main (pas obligatoirement le meilleur), même pour Vivaldi qui disposait au moins de 3 éditeurs parmi les plus importants à  Venise, aux Pays-Bas (Roger) et à  Paris et qui entretenait de la correspondance avec les plus grandes têtes couronnées d'Europe. A lire aussi, un commentaire sur les fantaisies pour flûte de Telemann (réunies sur le même CD Calliope), autre compositeur influencé par Vivaldi, qui pourtant affiche à  mon avis une originalité de style certaine. A lire également, un commentaire sur les sonates pour piano violon de Grieg. Ce compositeur semble pratiquer le folklorisme tous azimuth, comme bien des folkloristes d'ailleurs, qui sont, sur ce plan, moins nationaux qu'on ne le croit, par exemple Rimski dans le même esprit.

MAGAZINE CLASSICA - CONTESTATION DU MODERNISME - TRADITIONALISME DES ENREGISTREMENTS
Me voici de retour de vacances depuis quelques jours, cependant j'ai commencé d'écrire avant-hier un roman contemporain, ce qui m'a retardé quelque peu pour parler musique. Je viens de le terminer aujourd'hui, je suis donc libéré pour vous parler notamment du magazine Classica. Le dernier numéro de Classica (juillet-août 2001) présente un article sur les compositeurs révélés par la graphologie. Savez-vous que l'écriture de Tchaïkovski révèle exaltation et émotivité, celle de Mozart tendresse et sincérité. Vous ne l'auriez pas deviné. L'on demeure admiratif devant la perspicacité des graphologues. Plus sérieux, la chronique écrite pour ce numéro par Jean-François Zygel, compositeur et professeur au CNSM de Paris. Il constate qu'il est de moins en moins question de l'oeuvre artistique "en tant que telle", mais de ce qu'elle signifierait. Bref, il fustige le rôle négatif de l'idéologie en musique et ose remettre en question la musique atonale. Le vent tournerait-il? Plus loin le chef Elihu Inbal affirme qu'il "continue de penser que la musique atonale n'a pas d'avenir". Un article est consacré au néoclassique Menotti. On croit rêver. Je constate cependant de nombreuses contradictions sur l'ensemble du périodique à  moins qu'il ne s'agisse de l'expression de sensibilités différentes, plus loin une discographie commentée de Schoenberg, une "publicité" pour Ligeti. En encart du magazine est offert un CD du quatuor Renoir : le quatuor op 76 n°2 de Haydn, le quatuor n°1 op 44 de Mendelssohn. J'avoue que ces deux oeuvres me paraissent totalement dépourvues d'originalité. Comment dès lors juger de l'interprétation. Bien sûr, c'est "du Haydn", "du Mendelssohn". Ainsi, les interprètes pensent qu'ils sont à l'abri, que ces oeuvres sont obligatoirement géniales et intéressantes pour le public. Tant qu'on raisonnera ainsi, ne risquera-t-on pas de provoquer la fuite du public aussi assurément qu'avec du Berg ou du Boulez. Naturellement, tout le monde n'est pas obligé de partager mon appréciation sur les oeuvres citées. "Classica" ne pouvait-il pas promouvoir d'autres oeuvres ou d'autres compositeurs? Néanmoins, Marion Maillard, la violoncelliste est une superbe fille aux longs cheveux noirs et au teint de neige. Géniale, la fille, mais sera-ce suffisant pour rendre l'enregistrement attrayant.

ENREGISTREMENT DU KONZERTSTÜCK DE CÉCILE CHAMINADE
Je voudrais signaler une nouvelle interprétation du fameux (à  son époque) Konzertstück de Cécile Chaminade que j'ai souvent recommandé sur classique-fr. la précédente par Rosario Marciano existait à  ma connaissance uniquement sur vynil et je ne crois pas qu'il y en ait eu d'autres (sur quelque support que ce soit. Les discophiles spécialistes me confirmeront ou infirmeront. La référence est French concertos (avec les concertos de Massenet de Boïeldieu, Massenet, Pierné, Lalo, Roussel et Françaix. L'inconvénient est que l'on vous fourgue tout cela (2 CD) pour le Konzertstück. le BiIeldieu me paraît une oeuvre de style galant sans plus comme beaucoup d'oeuvres de l'époque. le Pierné et le Lalo honnêtes, le premier manquant de lisibilité thématique et l'autre de lyrisme, me semble-t-il. Françaix horriblement (à  mon avis) confus, et Roussel, je ne m'en souviens plus. J'excepte le Massenet, à  mon avis une date dans l'histoire du concertos pour piano, oeuvre définissant une virtuosité feutré, d'un lyrisme pourtant intense comme chez Novak, Taktakichvili (le 2 je crois). Un des rares concertos dont les 3 mouvements me paraissent d'une valeur supérieurs. A mon avis c'est un monument dans ce genre musical. Il est dit dans l'article de classica à  propos du Konzertstück qu'il reflète le style de Saint-Saëns, c'est aussi mon avis. Tiens Saint-Saëns aurait-il un style? Ah, mais j'y suis, c'est un style académique. J'aurais dû y penser plus tôt.

CELENO CO-AUTEUR DE LA FANTASTIQUE
Le dies irae représente le thème principal du dernier mouvement de cette symphonie. Or, dans une oeuvre, le thème principal en constitue, à  ce qu'il me semble, l'ossature, même si dans ce cas le traitement orchestral est particulièrement développé. Je considère donc comme impossible de ne pas mentionner dans l'"intitulé auteur" l'auteur du thème principal d'un des mouvements. Vous observerez d'ailleurs que j'ai présenté de même le Totentanz sous la rubrique Liszt/Celeno. Si cela avait été l'inverse, thème principal de Berlioz, développement orchestral dû à  un tiers, la présentation sous la seule rubrique de Berlioz aurait été peut-être plus envisageable. Mais réfléchissons, pourquoi cette présentation vous choque-t-elle? Vous y avez répondu vous-même. Parce que Celeno est un "obscur" moine alors que Berlioz est célèbre. La rigueur intellectuelle (dont vous vous réclamez si bien), à  mon avis, exige de faire abstraction de cette différence de notoriété. S'il s'agissait d'oeuvres contemporaines, cela serait sanctionné par un procès. Je ne pense pas que les juges se laisseraient infléchir par l'argument de la notoriété du contrevenant et de l'"obscurité" du plaignant pour justifier un emprunt. Je ne suis donc pas certain que vous fassiez toujours mieux preuve de rigueur intellectuelle que moi, quoique vous pesiez vos mots comme vous le dites. En fait, il est très difficile de retrouver l'attribution de nombreuses oeuvres et je suis loin d'y prétendre. Cela risquerait souvent d'être illusoire. J'ai voulu cependant, dans quelques cas connus, restituer la réalité pour rendre une considération minimum à  ceux qui sont oubliés. Et c'est cela qui vous indigne. Ce qui nous sépare, c'est une différence de philosophie. Le "Dies irae", repris par un très grand nombre de compositeurs, est un des thèmes les plus célèbres de toute la musique, et apparemment vous le déconsidérez puisque vous traitez son auteur avec désinvolture, sans même citer son nom. Après cela, vous me reprochez de réaliser un "travail de démolition en règle des monuments du répertoire". J'avoue ne pas comprendre. Si vous me le permettez, je vous suggèrerais de ne pas asséner vos idées de manière aussi péremptoire, cela augmenterait votre crédibilité.

MODERNE ET MODERNISME
On pourrait discuter longtemps de l'ambiguïté sémantique du mot "moderne". J'avoue l'employer généralement dans un sens franchement péjoratif (à  propos d'oeuvres qui me paraissent de faible intérêt). En toute rigueur, certaines oeuvres peuvent, me semble-t-il, se prévaloir d'une esthétique réellement "moderne" au meilleur sens du terme. Je donnerai comme exemple les célèbres "Planètes" de Holst.

LISTE DES MEILLEURES OEUVRES POUR VIOLON ET ORCHESTRE
Voici ma sélection des 10 oeuvres pour violon et orchestre que je considère les meilleures (une par compositeur et par ordre alphabétique)

GIAZOTTO Remo Adagio d'après Albinoni
HALVORSEN Johan Deux danses norvégiennes
HE Zhan-hau Concerto
KABALEVSKI Dimitri Concerto
LOCATELLI Pietro Concerto op 3 n°8
PAGANINI Nicolo Concerto n°2
SAINT-SAËNS Camille Introduction et rondo capriccioso
SARASATE Pablo de Habanera
TAKTAKISHVILI Otar Concerto n°2
VIEUXTEMPS Henri Concerto n°1
VIVALDI Antonio Les quatre saisons

J'attribue le titre de meilleure oeuvre pour violon et orchestre à  celle qui est peut-être l'oeuvre musicale la plus célèbre au monde:

Les quatre saisons (VIVALDI)

J'attribue la meilleure série d'oeuvres pour violon et orchestre à celui qui est considéré comme l'inventeur de la virtuosité

transcendante:

PAGANINI

L'ATONALISME: UN ARCHAÏSME
Vous ne pouvez savoir comme votre anti-liste d'oeuvres détestées m'agrée, moi qui éprouve une délectation suprême à  "casser du compositeur". La présence dans cette anti-liste d'oeuvres modernes et anciennes me paraît logique. Les deux époques se rejoignent par l'atonalisme (plus ou moins diffus) et l'athématisme. Comme le dit Furtwangler, "pratiquer l'atonalisme, c'est comme utiliser la malle-poste à  l'époque de l'avion à  réaction". C'est à  mon avis un archaïsme, un retour en arrière, à  une époque où la musique en tant qu'expression de la sensibilité n'existait pas vraiment.

LES RÉFÉRECES DES COMPOSITEURS À BACH
La multitude de référence à Bach de la part des compositeurs ne me convainc pas, non, car il est facile de mettre en avant un compositeur quand on a éliminé presque tous les autres de cette période. La résurrection du baroque (notamment de Vivaldi) a eu lieu près d'un siècle après celle de Bach. Bach a été favorisé par les Intellectuels et les traditionnalistes. Ce genre de manipulation historique est un argument sérieux, à  mon avis, pour remettre en cause l'intérêt réel des oeuvres de ce compositeur ou tout au moins la suspecter. On a prêté à  Bach de nombreuses oeuvres qui n'étaient que des imitations voire des transcriptions de modèles italiens. Bach n'a pas à  mon avis la stature d'un grand compositeur, mais d'un petit compositeur de province qui a su s'approprier le style des grands compositeurs de l'époque. Il le savait d'ailleurs lui-même.

LA QUALITÉ DE MÉLODISTE COMME ÉLOGE DÉSOBLIGEANT - DEBUSSY ET LE DÉVELOPPEMENT
Lorsqu'on dit qu'un compositeur est essentiellement un mélodiste, à  mon avis ce n'est pas toujours vrai, c'est comme de l'accuser d'académisme, c'est souvent un moyen de dire qu'on le méprise, c'est condescendant. Voyez Rebatet (comme d'autres) il dit que la musique de Chopin, c'est uniquement de la mélodie accompagnée. Tout le monde n'est pas d'accord cependant. Je ne sais pas pourquoi, vous vous imaginez, il me semble, que je défends une conception "mélodique" de la musique. Un wagnérien comme moi, mais vous n'y pensez pas! Vous savez que je cite les jugements de compositeurs uniquement lorsque cela m'arrange, alors voici ce qu'a dit Debussy dans un concert où l'on donnait une symphonie de Beethoven:

"Voila le développement, je vais fumer une cigarette dehors."

PASSION IDÉALISTE POUR BACH
Le témoignage de votre expérience de mélomane passionné de Bach, et fervent de sa musique religieuse, est intéressant. Je ne pense pas qu'un esprit matérialiste comme le mien puisse entrer dans les arcanes d'un tel idéalisme. Mais s'agit-il de beauté musicale? Je ne suis pas vraiment surpris que vous vous accordiez sur ma liste d'oeuvres préférées. Ne développez-vous pas parfois une conception très épicurienne de la musique. Vous avez avoué, si je ne me trompe, qu'on accorde parfois trop d'importance à  des oeuvres austères qui sont en réalité, à  l'écoute, selon votre propre terme "ch...". C'est moi justement qui ne comprends pas votre passion immodérée pour Bach. N'a-t-il pas écrit justement de nombreuses oeuvres dans cet esprit?

LISTE (ORDONNÉE) D'OEUVRES PRÉFÉRÉES POUR PIANO ET ORCHESTRE

1 TCHAIKOVSKI Piotr Illitch Concerto n°1
2 SGAMBATI Giovanni Concerto
3 SAINT-SAENS Grande fantaisie zoologique
4 CHAMINADE Cécile Konzertstück
5 CHOPIN Frédéric Andante spianato et grande polonaise brillante
6 GRIEG Edward Concerto
7 CONSTANTINESCU Pavel Concerto
8 MASSENET Jules concerto
9 SCHARWENKA Xavier Concerto n°3
10 RACHMANINOV Serguéï Concerto n°2
11 FALLA Manuel de Nuits dans els jardins d'Espagne
12 LIAPOUVOV Serguéï Fantaisie sur des thèmes ukhrainiens
13 ARENSKI/RHYABININE Fantaisie sur des thèmes de Rhyabinine
14 LISZT Franz Fantaisie hongroise
15 LITOLFF Concerto-symphonique n°3
16 KULLAK Théodor Concerto
17 MELCER Henrik Concerto n°2
18 MACDOWELL Concerto n°2
19 GOTTSCHALK Louis Moreau Fantaisie The Union
20 LIU Shi-kun Concerto Typhon

Quelques mots pour ceux qui voudraient découvrir certaines de ces oeuvres. Si vous n'aimez pas particulièrement le "Concerto n°1" de Tchaïkovski, il est probable que vous n'apprécierez pas plus le Sgambati et le Scharwenka. Si vous appréciez le "2" de Rachmaninov, sans doute apprécierez-vous le Massenet. Si vous aimez les concertos de Saint-Saëns, peut-être apprécierez-vous les deux concertos de Melcer. Tout cela n'est naturellement que dans le domaine du probable.

La meilleure oeuvre pour piano et orchetre : c'est donc pour moi le "Concerto n°1" de Tchaïkovski

La meilleure série d'oeuvres pour piano et orchestre : c'est pour moi celle de Saint-Saëns.

A défaut d'anti-liste (pour ne pas chagriner les esprits délicats), quelques oeuvres qui m'ont beaucoup déçus par rapport à  la notoriété du compositeur: les concertos de Brahms, celui de Schumann, ils me paraissent estimables, assez bon et ne me semblent pas recéler d'originalité particulière. Autre particularité de la liste, aucune oeuvre du 18e n'y figure, pas plus que dans ma sélection de 60 oeuvres excellentes pour piano et orchestre, ce qui contraste avec ma liste pour violon et orchestre. Malgré mon intérêt pour le 18e, je n'ai jamais pu y trouver une oeuvre pour piano et orchestre à  mon goût.

MÉLOMANE REDOUTABLE
Comme vous le dites, le simple fait qu'on ne retrouve dans cette liste aucun compositeur atonaliste sera sans doute suffisant pour ébouriffer le toupet de ce mélomane distingué. Pour ma part, je trouve particulièrement stimulant d'échanger avec lui. C'est un dialecticien redoutable, mais quelquefois je parviens à  l'enferrer. J'avoue que tenir au bout de ma ligne un gros poisson comme lui me procure un certain plaisir. Le mérite du pêcheur est d'autant plus grand que la prise est belle et se débat bien.

ÉLOGE ET LETTRE D'INSULTE
Cela va permettre à  certains membres de la liste d'exercer leur esprit sarcastique à  mon égard, mais je signale tout de même d'avoir reçu un lettre d'éloge pour critique-musicale.com Je ne cache pas cependant que j'ai reçu aussi quelques lettres d'injures, notamment d'un admirateur de Ravel. L'objet indiqué de son courriel était: "HONTEUX". J'aurais dû garder toutes ces lettres d'injures et les mettre dans un livre d'or, je vous assure que certaines étaient vraiment magnifiques, des modèles en matière de diatribe scatologique.

OEUVRES PRÉFÉRÉES POUR ORCHESTRE
Liste alphabétique de mes oeuvres symphoniques préférées : une par compositeur

BEETHOVEN Ludwig van Symphonie n°5
BERLIOZ/CELENO Symphonie fantastique
BRUCKNER Anton Symphonie n°4 romantishe
CHABRIER Emmanuel Ouverture de Gwendoline
DEBUSSY Claude Prélude à  l'après-midi d'un faune
DUKAS Paul L'apprenti-sorcier
DVORAK Anton Symphonie du Nouveau Monde
HALVORSEN Andante religioso HOLST Les planètes
KABALEVSKI Symphonie n°2
KHATCHATURIAN Aram Spartaccus ballet
KODALY Zoltan Galanta Dances
LISZT Franz Rhapsodie hongroise n°2 (transcription)
MAHLER Gustav Symphonie n°10
RIMSKI-KORSAKOV Nicolaï Shéhérazade
SALIERI Variations sur la Follia
SIBELIUS Jean Symphonie n°1
STRAVINSKI Igor Pétrouchka
TCHAÏKOVSKI Piotr Illitch Fatum
WAGNER Richard Ouverture Tannahauser 1ère version

La plus belle oeuvre pour piano et orchestre pour moi: 3 oeuvres à  égalité :
RIMSKI-KORSAKOV Nicolaï Shéhérazade
SIBELIUS Symphonie n°1
BERLIOZ/CELENO Symphonie fantastique

La plus belle série d'oeuvres symphoniques pour moi :
BEETHOVEN Ludwig van

INFLUENCE DE LA POLITIQUE SUR LA MUSIQUE
Je l'avais bien compris, aussi la prévention que j'exprimais ne s'adressait pas spécialement à  vous. Que certaines oeuvres aient été influencées par un régime, c'est possible, mais c'est certainement bien rare. Et sans doute les régimes communistes du 20e eurent-ils moins d'impact que les exigences de la société aristocratique et des cours princières au 18e siècle. Sur les oeuvres russes (modernes ou non d'ailleurs) que je connais, je n'en ai pas une seule qui me laisse cette impression. Souvent, les circonstances peuvent affecter la présentation extérieure, mais pas le langage musical lui-même, par exemple le fameux concerto "Typhon" dont l'argument est la lutte collective des travailleurs contre le typhon pour la construction d'un barrage, mais dont le langage et le style se réfèrent à  tout ce qu'il y a de plus bourgeois et aristocratique, notamment à Debussy, cet anarchiste aristocratique d'extrême-droite

. SOURCES, INFLUENCES CONCERNANT LES PASSIONS DE BACH
Concernant la "Passion selon Saint-Matthieu" de Bach, voici un aperçu historique que je viens de copier à  partir de l'ouvrage de "Robert Bernand" en 5 ou 6 volumes je crois (1974) chez Nathan:

"Johan Sebastiani (1622-1683) fut maître de chapelle de Frédéric-Guillaume, électeur de Brandebourg. C'est dans le domaine des passions qu'il s'est particulièrement illustré et qu'il a exercé une indéniable influence sur Bach"

"Wolfgang-Karl Briegel, maître de chapelle de Gotha puis de Darmstadt, ses cantates préparent la voie à  celles de Bach. D'autres cantates annonciatrices de celles de Bach sont signées de Nicolas Niedt et Johann Karpar Horn"

"Philipp-Henrich Erlebach (1557-1714) qui approfondit le style de Lully est un des plus importants prédécesseurs de Bach. il y a chez lui une intensité d'émotion, magnifiquement contenue et dont l'expression mesurée et précise n'altère en rien le pathétique. Cet étonnant musicien a des accents dramatique qui en font plus qu'un précurseur de Bach, un frère d'élection"

Il apparaît donc, si nous en croyons le rédacteur (Bernard ou un de ses collaborateurs), que les Passions de Bach s'insèrent dans une lignée évolutive assez vaste qu'il faudrait connaître pour juger l'apport et l'originalité du Cantor. Bach indéniablement original, oui, mais on peut l'affirmer à  condition de bien connaître la musique de l'époque, en particulier les compositeurs dont s'est inspiré Bach. Concernant l'écriture symphonique, j'ajoute cet autre extrait de l'ouvrage de Bernard:

"L'écriture du Contentus musica instrumentalis de Fux est fort curieuse et très proche de celle des 4 suites d'orchestre de Bach"

Ne connaissant aucune de ces oeuvres ( de Fux, Sebastiani, Briegel, Erlebach...), je ne puis me déterminer. D'après Handschin , la particularité générale de Bach est d'avoir appliqué le tonalisme et le thématisme aux formes anciennes comme la fugue. En effet, pendant la première moitié du 18e sicèle alors qu'était affirmée la tonalité et le thématisme, les compositeurs ont de pair abandonné les formes anciennes. Bach est un des rares, mais sans doute pas le seul, à  conserver les formes archaïques passées de mode. Sans lui attribuer effectivement l'invention de nouvelles formes musicales, de nombreux auteurs, en particulier André Pirro, ont tout de même contribué à  imposer une image de Bach novateur sur le plan du langage. C'est la musicologie moderne qui a enfin imposé une image du compositeur plus conforme à  la vérité historique. Pirro (comme les autres) avait tous les éléments pour s'apercevoir que Bach était un traditionnaliste et non pas un novateur, il a fait preuve à  mon avis d'une attitude tendancieuse visant à  parer le Cantor d'un prestique auquel il ne peut manifestement prétendre. En dernier lieu, précisons que le "Robert Bernand" n'est pas un ouvrage musicologique de référence, néanmoins il signale quelques pistes que l'on peut ensuite poursuivre en se référant à des sources musicologiques plus sérieuses.

CORELLI - LE CONCERTO GROSSO
Je sais qu'à  son époque Corelli a joui d'une immense réputation, notamment en France. Il est vrai que j'ai toujours eu tendance à  le déconsidérer, peut-être parce que je ne connais de lui aucune oeuvre qui me satisfasse sur le plan purement musical. Quel a pu être son apport? J'avoue ne pas en avoir une idée très nette. Ses oeuvres demeurent dans le domaine du concerto grosso. Pour moi, l'évolution musicale a atteint une véritable efficience musicale à  partir du concerto de soliste (vous n'avez pas fini de dire que je suis iconoclaste). J'ai écouté désespérément des quantités de concertos grosso...

STYLE ET GENRE - RAUTAVAARA, WAGNER, SIBÉLIUS
J'avoue que je suis plus que sceptique sur la musique pour piano de Rautaavara. Mais il est vrai qu'il peut y avoir une différence conséquente entre la musique pour piano et la musique symphonique d'un compositeur, par exemple les oeuvres pour piano de Sibelius. Bien que grand admirateur de ce compositeur, franchement je ne la conseillerais pas. Même remarque pour les quelques pièces pour piano qu'a commises Wagner (à  mon avis). Cela me fait dire que chaque genre possède ses références thématiques et qu'il y a souvent plus d'unité entre deux compositions appartenant à  un même genre de la part de deux compositeurs différents qu'entre deux compositions appartenant à  deux genres différents d'un même compositeur. C'est un peu compliqué, mais j'espère que vous me suivez.

LISTE OEUVRES PRÉFÉRÉES POUR CLAVIER

ALBENIZ Isaac Asturias
BACH Johann Sebastian (attribué à) Toccata et fugue BWV565
BEETHOVEN Ludwig van Lettre à  Elise
CHABRIER Emmanuel Ronde champêtre
CHOPIN Frédéric Tristesse
DAQUIN Louis-Claude Le coucou
DEBUSSY Claude The snow is dancing
DVORAK Anton Danse slave op 46 n°6
ALKAN Menuet op 39 n°6
GOTTSCHALK Louis Moreau Fantaisie El cocoye
LARA Kosma Ballade pastorale
LISZT Franz Le rossignol
MOUSSORGSKI Modeste Souvenir d'enfance n°3
RODRIGO Joaquin Seguidillas del diablo
SAINT-SAÊNS Camille Allegro op 29
SCARLATTI Domenico Toccata en ré m
TCHAÏKOVSKI Piotr Illitch Dumka

La plus belle oeuvre pour clavier pour moi:
CHOPIN Frédéric Tristesse

La plus belle série d'oeuvres pour piano:
DEBUSSY Claude

Naturellement, j'ai choisi un certain nombre de pièces très connues qui ont une signification emblématique. Quelques hésitations consécutives de la règle d'une oeuvre par compositeur:
-Beethoven: la sonate Walstein me semble dépasser la Lettre à  Elise, mais tous les mouvements de cette sonate ne me paraissent pas excellents. -La "Sonate les Adieux" me paraît excellente pour tous ses mouvements, mais aucun ne me semble absolument exceptionnel. Donc, en définitive, la "Lettre à  Elise" ne me paraît pas un mauvais choix (puisque je le choisis).
-Chopin: il aurait été à  mon avis tout aussi légitime de proposer la Polonaise brillante... et bien d'autres oeuvres.

-Tchaïkovski: sur l'intégrale, qui ne manque pourtant pas de pièces excellentes, Dumka me paraît vraiment s'imposer.

Je possède quelques intégrales d'oeuvres pour piano, voici les appréciations d'ensemble que je porte (c'est mon quart d'heure d'iconoclastie que certains apprécient particulièrement) :

Bizet : très bonne, style classico-romantique assez pur Brahms : très décevante Chabrier : excellente Cimarosa : bonne (suivant les pièces), mais courte Falla : très décevante Debussy : excellente, une des meilleures que j'aie Grainger : bonne (suivant les pièces) Granados : très décevante Moussorgski : excellente, une des meilleures, mais peu de pièces Rameau : bonne (suivant les pièces) Ravel: très décevante. Souvent, d'excellents compositeurs pour piano et orchestre sont beaucoup moins bons pour piano solo et inversement. Rodrigo : excellente, une des meilleures Saint-Saëns : excellente (bien qu'un peu encombrée de pièces didactiques) Tchaïkovski : excellente

Pour ce qui est de la meilleure série d'oeuvres, le grand perdant me paraît être Liszt (grand perdant aussi dans le domaine des oeuvres pour piano et orchestre, bien qu'il ait à  mon avis excellé sur tous les tableaux). Ce que je connais de ses oeuvres pour piano solo (une petite partie il est vrai) trahit déjà  suffisamment à  mon avis des variations d'intérêt considérables, des sommets, mais aussi des gouffres terribles. Sur l'ensemble, il compte aussi beaucoup moins de pièces célèbres que Chopin, bon candidat à  mon avis pour la meilleure intégrale, si je ne l'avais pas déjà  élu pour la meilleure pièce. Il n'y a pas chez Liszt l'équivalent de "La Révolution", la "Valse des adieux", la "Polonaise brillante", la "Polonaise héroïque, le "Nocturne n°2", "Tristesse", la "Valse du petit chien"...

SAINT-SAËNS: OEUVRES POUR PIANO SOLO
Concernant Saint-Saëns, j'ai hésité entre le fameux "allegro op 29" et une pièce célébrissime "les cloches de Las Palmas", quoiqu'on ait un peu étouffé sa célébrité par suite de la désaffection que l'on a fait subir au créateur de "Phaéton". Cette pièce est certainement celle qui fut la plus connue de Saint-Saëns, on l'entend aujourd'hui assez peu, pour ne pas dire pas du tout. On pourrait citer aussi le "Souvenir d'Italie", la "Valse mignonne", la "Chanson napolitaine", le "Scherzo op 87"... et bien d'autres pièces. La pièce la plus "phénoménale" de Saint-Saë"ns est peut-être le 1er mouvement de la 5e des Six études", malheureusement le second mouvement me paraît uniquement d'intérêt didactique. A côté de tant de "grands classiques" dont les oeuvres pour piano me paraissent assez conventionnelles, celle de Saint-Saëns ne peut en aucun cas laisser indifférent, comme le personnage lui-même. Il me semble qu'on ne peut que l'aimer ou le haïr. Vous savez ce que j'ai choisi.

SONATE ET FORME SONATE
Vous me prenez en flagrant délit d'iconoclastie pour avoir jeté la sonate aux orties. Bien sûr. Tout dépend si on considère la forme-sonate: l'utilisation de deux thèmes contrastés avec réexposition à  la dominante... Dans ce cas, la forme paraît excellente et susceptible d'engendrer une puissante expressivité à  condition qu'elle ne soit pas utilisée comme une simple formule. En ce qui concerne la sonate proprement dite, c'est-à -dire la succession de plusieurs mouvements (4 en général), je considère que cette structure n'a pas de caractéristiques suffisamment affirmée poru constituer un modèle efficace. Je suis plutôt partisan d'une formule variable laissant libre cours à l'inspiration et évitant d'imposer des parties souvent de faible inspiration, mais qui ne sont là  que pour satisfaire à la forme. Si vosu appelez de l'iconoclastie de laisser libre cours à  l'inspiration, je veux bien. D'autre part, ce sont les compositeurs du 19e qui ont concourru à  l'obsolescence de la sonate (même s'ils ont pu y recourir parfois), je ne me sens pas en mauvaise compagnie. Le destin de la sonate est proche celui de la symphonie par rapport à  la forme libre qu'a constitué par la suite le poème symphonique. Debussy ne supportait pas la symphonie par exemple. Cependant la symphonie comme sucession de plusieurs épisodes me paraît plus défendable que la sonate pour piano car l'essence de la musique symphonique est plutôt le caractère grandiose qui nécessite (ou s'accomode de) plusieurs mouvements alors que l'essence de la pièce pour piano, c'est plutôt une certaine brièveté. Cela dit, rien n'est absolu. J'en reviens à  la formule qui a d'ailleurs le plus séduit les compositeurs, le recueil. Cela laisse la liberté à  l'interprète de choisir une pièce séparément s'il le souhaite. Je pourrais vous citer aussi une liste de sonates, mais le problème c'est que très peu de ces sonates me satisfairaient entièrement car dans l'une le premier mouvement me paraitrait plus faible, dans l'autre ce serait le second, dans une autre encore ce serait le dernier... Vous voyez où se situe un des inconvénient de la sonate. Je suis d'accord avec le "relativement" que vous ajoutez à  votre appréciation, mais c'est justement le problème.

KABALEVSKY
C'est un compositeur que je trouve très profondément russe comme Tchaïkovski dans le sens où il exprime un expressionniste viscéral absolument irréductible à  toute rationalité, à  toute notion de musique policée.

VIVALDI FACILE D'ACCÈS
A mon avis, Vivaldi ne fait pas partie des compositeurs les plus faciles à  saisir en raison, je présume, de la complexité thématique introduite par la virtuosité. Qu'il soit d'un accès facile, c'est là  à  mon avis une idée introduite par les Intellecteuls comme celle de penser que les oeuvres "mélodiques" sont plus simples et plus faciles à  saisir que les oeuvres à  structure harmonique complexe. Les idées ont cependant évolué là -dessus, certains musicologues (comme par exemple Charles Rosen) font maintenant de l'analyse mélodique, exercice beaucoup plus périlleux que l'analyse harmonique. Pour en revenir à  Vivaldi, il est vrai que cela dépend des oeuvres, certaines oeuvres de ce compositeur peuvent apparaître parfois un peu bàclées, mais finalement à  mon avis pas tant qu'on le croit. Et puis, sans doute aucun rapport sur le plan de la facilité d'accès entre le charmant et simple Concerto pour mandoline et le Concerto "Il favorito" très virtuose et, conséquemment à la structure thématique très complexe.

LES "PETITS MAÎTRES"
Vous en tenez donc toujours pour la distinction traditionnelle entre les petits maîtres et les grands. C'est ce que déclarait Richard Strauss revendiquant la "considération pour les petits maîtres". Mais peut-être parlait-il pour lui! (pour ma part je n'en sais rien et je ne me mêlerais pas de le juger). Mais comme je vous dis, les grands pour les uns sont les petits pour les autres et inversement. Alors je ne crois pas qu'on puisse valider cette définition. L'idée peut être discutée il est vrai. Ce qui me choque en fait, c'est plus le mot que l'idée, le terme de "petit maître" implique une connotation péjorative, voire méprisante, qui justifie au moins à  mon avis l'emploi d'un autre terme. Je pourrais dire très facilement que Bach est un "petit maître" par exemple, je ne crois pas l'avoir écrit un jour. Vous aurez la bonté de ne pas rechercher dans les archives. C'est un sport assez vain que nous préférons laisser à un certain mélomane qui en est le spécialiste sur une autre liste).

PETITS MAÎTRES ET GRANDS COMPOSITEURS
J'apprécie votre prudence concernant le terme de "petit maître" et l'effort que vous faites pour éviter de froisser inutilement, ce qui semble bien indiquer que le terme de "petit maître" doive plutôt être évité ou bien utilisé avec circonspection. Selon vous, et assez justement à  mon avis, le terme de "petit maître" caractériserait les "artisans sincères et talentueux". Je pense aussi qu'il pourrait caractériser idéalement un compositeur qui n'a pas la prétention d'égaler les grands compositeurs de son époque et qui passe une partie importante de son temps à  les recopier avec humilité, qui utilise dans ses propres compositions de nombreux thèmes qu'il a puisé chez eux, qui demeure plutôt traditionnaliste dans son style et évite les formes modernes pour lesquelles il se sent pas suffisamment d'envergure. Mais, même pour un tel compositeur, si jamais il existait, n'appliquons donc pas ce terme dévalorisant. Tout cela d'ailleurs ne repose que sur le jugement de valeur, en conséquence il est toujurs difficile d'affirmer qu'un compostieur est un "petit maître". Par exemple, je pense pour ma part que Saint-Georges n'a pas atteint d'après ce que je connais de lui une inspiration aussi élevée que Mozart, mais je pense aussi que Haydn, dans le domaine des oeuvres pour piano solo n'a pas atteint d'après ce que je connais de lui une inspiration aussi élevée que Pleyel, et pourtant je connais vraiment très peu d'oeuvres de Pleyel. Pour autant, je ne traiterais pas Haydn de "petit maître", là  encore, inutile de froisser inutilement. Si on n'aime pas entendre traiter de peitit maître les compositeurs que l'on apprécie, il ne faut pas utiliser le terme pour les compositeurs qu'apprécient les autres. Cela n'empêche pas de témoigner de ce que l'on pense avec d'autres termes d'une oeuvre ou d'un compositeur, ce qui ne peut pas toujours plaire. Vous observerez aussi que je demeure prudent dans cet exemple. Comment affirmer qu'un compositeur n'a pas atteint le même sommet d'inspiration qu'un autre si on ne connaît pas toutes ses oeuvres, sinon par une synedoque hasardeuse, or justement on connaît généralement peu d'oeuvres lorsqu'il s'agit d'un compositeur peu connu. Paradoxalement, il est plus concevable d'affirmer qu'un compositeur connu est un "petit maître", le cas échéant, car dans ce cas on dispose d'un grand nombre d'oeuvres, voire parfois de l'intégrale, pour pouvoir affirmer une opinion générale sur ce compositeur.

LA CONSIDÉRATION DE BACH AU COURS DE L'HISTOIRE
Sur les listes de diffusion, j'ai rencontré des cinglés de bach qui faisaient une crise dès que leur idole était égratignée. J' ai rencontré cependant quelques contestataires sur certains sites et sur Delphi, mais dans l'ensemble les sceptiques sont très peu nombreux, Il en tout autrement au niveau historique. Le XVIIIe siècle a connu une contestation très importante de Bach pour les quelques mélomanes qui le connaissaient dans sa province et pire une indifférence profonde pour la grande majorité du public, Bach étant considéré à son époque selon l'expression d'un musicologue "tout au plus comme un bon praticien, mais médiocre compositeur" (citation), si bien qu'il était certainement inutile de le contester. La "contestation" de Scheibe tient d'ailleurs plus de la moquerie que de l'attaque virulente. Il y a donc un siècle qui conteste Bach et un autre qui l'admire. Pourquoi considérerions-nous que nous détenons au 20e siècle la vérité? Pourquoi serions-nous supérieurs aux mélomanes du 18e siècle? En second lieu, après la résurgence de Bach, un autre type de contestation est venue de la musicologie. Le principal contestataire de Bach au 20e semble être Handschin, considéré comme un grand spécialiste du 18e, quoiqu'il se soit contenté de donner quelques coups de patte ici et là contre le cantor sans trop alerter les adulateurs de l'idole. Pincherle (autre grand spécialiste du 18e), de son côté, semble demeurer prudent, prudent à mon avis non sur son opinion concernant Bach, mais sur le caractère très délicat pour un musicologue de s'opposer franchement au culte existant d'un compositeur. Ce que je constate à mon sujet me montre qu'il n'avait sans doute pas tort. Le problème de la contestation de Bach, c'est qu'en raison du culte de ce compositeur, personne n'ose le critiquer, c'est la loi du silence qui règne. Et naturellement se sont greffés sur sa notoriété des intérêt, même financiers, et l'impossibilité pour les mélomanes et professionnels de la musique de renier leur jugement, sous peine de se déconsidérer. De même, au Moyen-Age soumis au fondamentalisme judéo-chrétien, les esprits libres ne s'exprimaient pas. La plupart des arguments permettant de contester Bach proviennent de chercheurs et experts (comme Peter Williams par exemple) qui n'ont réellement aucune opinion critique. Sur le plan de la critique elle-même, il est vrai que la contestation, peut-être pour la même raison que j'ai indiquée (existence du culte Bach) est quasi-inexistante. Nous avons au moins l'exemple de la célèbre phrase de Christian Lambert: "Bach machine à  coudre" (sewing-machine) qui a fait fortune. De son côté, Jankélévitch affirme son jugement négatif sur Bach en évitant totalement d'évoquer ou même de citer ce compositeur.

LES VARIATIONS GOLDBERG, SHÉHÉRAZADE GRANDS SUCCÈS DE LA MUSIQUE?
Je ne pense pas que les variations Goldberg fasse partie des grands succès de la musique au même titre que Schéhérazade, surtout si l'on se place dans une perspective historique. Il ne faut jamais oublier que notre époque contemporaine ne représente qu'une petite partie du temps historique et que ce serait singulièrement orgueilleux de notre part de considérer notre jugement actuel comme défénitif et plus véridique que celui des époques passées. Schéhérazade a été un grand succès depuis sa création alors que les Variations Goldberg n'ont même pas été jugés dignes d'être éditées en leur temps. Leur émergence au niveau du répertoire a nécessité (par l'intermédiaire de la notoriété de Bach) un relais considérable d'associations partisanes, d'écrits musicographiques depuis le 18e siècle (écrits d'ailleurs dont les erreurs sur le plan strictement musicologique ont été avérées concernant les données d'ordre objectif). Rien de tel n'a été fait pour promouvoir Schéhérazade puisque Rimski-Korsakov a vite été catalogué comme un compositeur secondaire. Le jeu est donc faussé, à  mon avis, pour déterminer la popularité actuelle des deux oeuvres. J'ajouterai, d'après les chiffres donnés par un de nos membres concernant le nombre comparé d'enregistrement que le déséquilibre désavantage considérablement Schéhérazade. Dans ces conditions, seul à  mon avis le jugement spontané des auditeurs contemporains à  la création des oeuvres possède une quelconque signification qui ne soit pas entâchée par la partialité et les manupulations. Les Intellectuels ont obtenu ce qu'il voulaient, "altérer l'histoire" au prix de beaucoup d'efforts" selon les termes du musicologue Eckhardt van den Hoogen. C'est pour moi un exemple typique.

HISTOIRE DE LA MUSIQUE OU LÉGENDE?
L'Histoire de la musique, telle qu'on la trouve développée dans les ouvrages de référence, consittue un ensemble de repéres, à  mon avis fortement influencé par l'idéologie, un peu comme les moeurs des Gaulois vues par les historiens du 19e siècle (de la pure fantaisie idéologique plus proche de la légende). On pourrrait sans doute réécrire une histoire de la musique en remplaçant tous les noms connus par d'autres et elle ne serait pas plus fausse - ou tout autant. Mais faire admettre cette idée, c'est encore difficile, la plupart des mélomanes n'y sont pas préparés. Ils croient que que les historiens de la musique sont omniscients et que les compositeurs les plus célèbres aujourd'hui sont assurément les plus grands. Cette déformation idéologique a été celle de l'Histoire avant l'avènement des méthodes de recherches historiques modernes. Comme l'a dit un grand historien, une histoire du Moyen Age écrite au 19e siècle en apprend plus sur le 19e siècle que sur le Moyen Age. De même on pourrit dire: l'histoire de la musique du 18e siècle estplus caractéristique de l'idéologie du 19e siècle que de la réalité de la musique baroque ou classique. Or, c'est au 19e siècle que ce s'est établie la notoriété des grands classiques du 18e siècle, notamment Bach et Mozart.

INTERVENTION POLICIÈRE SUR LA LISTE
Vous considérez ma dernière intervention pour défendre les compositeurs méprisés comme policière. Sachez que je compte bientôt établir un système d'amende: 20 euros pour qui dénigrera un virtuose-compositeur, 40 euros pour qui trouvera la musique de Grieg superficielle et 100 euros pour qui traitera Saint-Saëns de compositeur académique.

LES GOÛTS AFFIRMÉS ET LES GOÛTS RÉELS
Vous avez sans doute raison. Il y a aussi un hiatus entre ce qu'apprécient réellement les gens et ce qu'ils déclarent. Les gens n'avouent pas toujours ce qu'ils aiment réellement et ils n'ont souvent peut-être même pas conscience. Ainsi en est-il des "tonaux de placard" qui déclarent apprécier Schokhausen et Boulez mais qui écoutent en réalité Brahms et Mozart. Si on dit qu'on écoute Bach, cela vous classe mmédiatement parmi les mélomanes supérieurs. Si vous dites au contraire que vous préférez écouter Vivaldi, vous risquez d'engendrer une attitude condescendante chez votre interlocuteur.

BACH SUPRA-HUMAIN!
L'objet indiqué de ce courriel "Bach est grand" m'évoque une citation de l'histoire de la musique de Robert Bernard (Nathan 1974), grand admirateur de Bach:

"Les adeptes du déséquilibre mystico-sentimental, ceux de l'académisme le plus réactionnaire, ceux de l'atonalité et de toutes les sectes intolérantes du "modernisme" accaparent Bach avec la même candeur et la même ferveur. N'est-ce pas le signe d'une supériorité qui est proprement supra-humaine".

Après la philologie, passons à  l'analyse de vocabulaire. Les quelques textes que j'ai réuni évoquant Bach utilisent souvent un vocabulaire hagiographique (ici supra-humain). Je n'en déduis pas la supériorité de Bach comme le fait paradoxalement Robert Bernard, ni d'ailleurs son infériorité, mais plutôt que Bach est devenu un mythe, ce qui explique aussi l'adoption de Bach par tous les sectaires et mystiques comme le remarque Robert Bernand lui-même. Ce fait demeure indépendante de tout jugement de valeur que l'on peut affirmer par ailleurs sur le Cantor, mais peut amener à  considérer d'un oeil critique les hyperboles de ce discours grandiloquent.

DIFFICULTÉ DE LA CRITIQUE
J'ai toujours précisé que je ne m'excluais pas moi-mêmedu phénomène de l'illusion durkeimienne. Cela dit, j'essaie d'effectuer mon travail de critique avec une conscience quasi-professionnelle comme si les jugements que je portais pouvaient avoir des conséquences graves. C'est souvent l'absence de conséquences qui rend nos jugements irresponsables et le fait que nous pouvons les exercer en toute impunité. Lorsque j'hésite à  attribuer par exemple deux ou bien trois étoiles, j'ai plutôt tendance à  avantager les compositeurs que je n'aime pas de peur d'être partial et à  me montrer plus sévère pour mes compositeurs préférés. Cela dit, on ne peut évacuer les singularités de son goût ni certains préjugés qui nous imprègnent. Là -dessus, je viens d'écouter (5 auditions) la 2ème symphonie de Tchaïkovski et je suis bien obligé de constater que cette symphonie ne m'émeut pas. Je ne vois pas comment un préjugé pourrait me la rendre attachante. D'autre part, j'ai bien été obligé de constater que pour moi "Pétrouchka" était une des plus belles oeuvres symphoniques, pourtant j'abhorre Stravinsky et le reste de son oeuvre.

VARIABILITÉ DE VALEUR DES OEUVRES CHEZ UN COMPOSITEUR
Certaines oeuvres écrites par un compositeur n'ont peut-être pas d'intérêt pour le mélomane, mais peuvent représenter une étape indispensable de maturation pour ce compositeur. Par exemple, certains traits de la "Symphonie n°3" de Tchaïkovski se retrouvent dans le "Casse-Noisette" où ils prennent à  mon avis toute leur signification. Mais je n'ai pas vérifié les dates, mon hypothèse est peut-être complètement fausse. D'autres oeuvres peuvent avoir un intérêt didactique, pédagogique, bien que la frontière entre les oeuvres pédagogiques et les oeuvres "artistiques" soit très floue. Le manque d'inspiration reste à mon avis l'hypothèse la plus probable. D'autres exemples font sans doute intervenir une explication qui ne nous est pas accessible. Je me suis toujours demandé pourquoi la "12e étude transcendante" de Serguéi Mikhaïlovitch Liapounov était (à  mon avis) en même temps la plus lisztienne, la plus virtuose et la plus vide de thématique alors que la plupart des pièces de ce recueil me paraissent atteindre ce qu'il y a de meilleur et de plus raffiné en matière de style pré-impressionniste.

SUBJECTIVITÉ ET JUGEMENT ESTHÉTIQUE
Si vous refusez la consubstantialité du subjectivisme et du jugement esthétique, vous admettez de facto à  mon avis que le jugement musical s'établit à  partir de criteriums, en ce cas vous déniez l'importance de l'émotion comme qualité d'une oeuvre. Votre dialectique me paraît très acrobatique et votre position désespérée.

CONCEPTION BIOLOGIQUE DE L'OEUVRE MUSICALE
On peut aborder l'étude de l'effet musical en terme de biologie, l'oeuvre étant le stimulus, le cerveau étant le récepteur.

LA RENOMMÉE DE TCHAÏKOVSKY
Envoyer au goulag ceux qui n'apprécient pas Tchaïkovsky, cela ferait beaucoup de monde parmi les Intellectuels, c'est certain, mais sans doute moins qu'il y a une cinquantaine d'années, époque à  laquelle Tchaïkovski était cordialement méprisé par l'intelligentsia musicale bien-pensante, notamment sous le qualificatif infâmant de "sentimental" et le sobriquet de "vieux pleurnichard". Cette dernière expression a disparu du Honneger depuis des années (je n'ai plus la date exacte), c'est le signe qu'une évoution s'est produite. Elle ne s'est pas produite par hasard naturellement. J'aimerais croire que seul le succès de Tchaïkovski auprès du public en fût la cause, mais ce serait étonnant que les Intellectuels en fissent grand cas. C'est probablement une autre cause d'ordre idéologique qui a pu s'opposer à l'idéologie préexistente. C'est à  mon avis le rôle important joué par les grands solistes russes et les efforts évidents du gouvernement soviétique russe pour imposer ce compositeur comme le plus représentatif de l'âme russe. Il y a eu aussi le courant néo-classique russe qui se réclamait en partie de Tchaïkovski. Ce serait donc le nationalisme et l'importance de l'appareil professionnel musical en Russie soviétique qui serait le résultat de l'importance acquise par Tchaïkovski. Tout le monde sait très bien qu'en Russie soviétique, tout ce qui était issu de la Sainte Russie était sacré. Et d'autre part, comme je l'ai déjà dit, les Soviétiques ont toujours eu une vision très aristocratique de la culture en favorisant la musique classique, la danse classique et en s'opposant à  la musique pop et au rock. Non pas seulement parce que ces manifestations étaient d'obédience occidentale, mais peut-être surtout parce qu'elles s'opposaient dans leur esprit à  la civilisation disciplinaire et spartiate du socialisme. Les Intellectuels, qui à mon avis sont des gens sans consistance, ont suivi, parfois la main un peu forcée, mais ils ont suivi dans une certaine mesure. La valeur musicale réelle, la reconnaissance du génie, hélas, interviennent sans doute bien peu dans la renommée des compositeurs.

COMPLOTS - IMPRÉGNATION IDÉOLOGIQUE
Je pense comme vous que le rôle des complots (c'est-à -dire les cabales essentiellement) est très secondaires dans la mesure o๠leur nuisance est ponctuelle, occasionnelle. Nous sommes donc d'accord sur ce point. Le facteur dominant me paraît être l'orientation idéologique qui imprègne une époque ou un certain milieu. Le rôle des grands chefs, et d'une manière générale, de l'appareil musical (conservatoires, écoles musicales, associations musicales, sociétés de concert, lettrés...) me paraît primordial. C'est à  mon avis par ce relais qu'agit essentiellement l'idéologie dominante. Néanmoins, l'importance de l'appareil musical dans un pays, indépendamment de son orientation idéologique) et sa renommée internationale pèsent sans doute d'un certain poids dans la reconnaissance des compositeurs de ce pays. Certes, on peut trouver des exemples ponctuels infirmant cette idée, mais ils ne représentent pas à  mon avis la généralité. Si en France l'appareil musical s'était efforcé de présenter Saint-Saënns comme un grand génie à  la hauteur du succès public qu'il avait obtenu, il ne serait certainement pas considéré aujourd'hui comme un compositeur secondaire. Il faut comprendre qu'imposer un compositeur comme "grand compositeur" n'est pas un événement qui se produit sans un travail en profondeur de longue haleine. On n'obtient rien sans rien. Cela ne se produit pas par le simple fait que les oeuvres dudit compositeur sont géniales et qu'elles enchantent le public. On n'impose pas une idée au public sans un investissement considérable.

LISTE D'OEUVRES PRÉFÉRÉES DE SAINT-SAËNS

Le rouet d'Omphale orchestre
Allegro op 29 piano
Six études n°5 piano
Chanson napolitaine piano
Souvenir d'Italie piano
Scherzo op 87 piano
les cloches du soir piano
Carnaval des animaux 1886 piano orchestre
Concerto n°2 1868 piano orchestre
Concerto n°5 1895 piano orchestre
Trio n°2 1892 avec piano
Septuor op 65 1880
Introduction et rondo capriccioso violon orchestre

Le Rouet d'Omphale m'apparaît comme une excellente oeuvre, mais non pas supérieure. Je la signale cependant dans cette sélection car elle représente à  mon avis un style très personnel dont Saint-Saëns est, je pense, l'"inventeur". On le retrouve en partie dans "La jeunesse d'hercule" du même auteur, mais aussi dans les ballets de Tchaïkovski. Ce style évoque à  mon avis une atmosphère mystérieuse de légende particulièrement envoûtante qui serait le pendant du wagnérisme. Cette nouveauté est passée presqu'inaperà§ue (dans les commentaires précisons) alors que pour moi elle est aussi importante que les noveautés apportées par Wagner. L'originalité du style de Saint-Saëns dans ces oeuvres (La jeunesse d'Hercule, le rouet d'ophale), m'apparaît plus évidente que dans la symphonie n°3, composite du point de vue influence.Cela dit, l'orchestration de saint-Saens, pour excellent qu'il soit à  mon avis, (et qui m'apparaît supérieure à  celle de Tchaïkovski sur l'ensemble des oeuvres), est à  mon sens inférieure à  celle de Rimski, de Holst, compositeurs comptant pour moi parmi les meilleurs symphonistes, les plus subtils. C'est surtout sur le plan de la nouveauté que l'oeuvre orchestrale de Saint-Saëns me paraît fondamentale, sinon je pense qu'elle manque parfosi de finesse. Sur le plan pianistique, l'originialité de Saint-Saëns, dans la lignée de Liszt me paraît d'avoir poussé plus loin encore la pugnacité jusqu'à  atteindre parfois une certaine sauvagerie expressionniste. Et je crois qu'il atteint dans les compositeions pianistiques une finesse supérieure, atteinte aussi par son ennemi personnel Massenet (qui n'est pourtant pas principalement un pianiste). D'autre part, maintes oeuvres témoignent à  mon avis d'une avancée dans le sens d'un certain impressionnisme sans référence précise à  Liszt (Les cloches du soir). D'une manière générale, le style de Saint-Saëns se caractérise à  mon sens par l'expression d'une véhémence presque brutale qui atteint souvent l'excès. Son originalité n'est sans doute pas toujours heureuse. Il a peut-être trop ignoré -malgré ses déclarations - certaines contraintes d'ordre formelles inhérentes à  la musique et le souci d'une certaine mesure. Je pense cependant qu'il compte parmi les compositeurs qui ont le plus accumulé de succès et composé le plus d'oeuvres de haute qualité, que je n'ai même pas pas signalées dans ma sélections (le déluge par exemple et bien d'autres). Je placerai Saint-Saëns en tête des compositeurs les plus performants sur le plan de la régularité de l'inspiration (mais chacun le pense poru son héros bien sûr) et je pense qu'il a atteint l'excellence dans presque tous les genre. Il est aussi celui qui a été le plus dénigré, ce dont dont il se serait bien passé. Qu'il ait survécu à  une telle campagne de pmépris est presque miraculeux. Cette sélection est établie sur une partie seulement de l'oeuvre de Saint-Saëns, j'ignore notamment son oeuvre pour orgue qui est considérable et son oeuvre opératique. en importance.

QU'EST-CE QUE LA "MUSIQUE IMPRESSIONNISTE"?
Vous me demandez ce que j'entends par le terme de "musique impressionniste". Remarque très intéressante. J'ai beaucoup réfléchi à  cette définition, aussi vous ne me prenez pas au dépourvu, quoique je flaire un piège dans votre invitation à  m'expliquer là -dessus, voire une contestation sous-entendue du terme. Jankélévitch, qui a beaucoup écrit sur la musique dite "impressionniste", refusait ce terme. Il l'a cependant employé une ou deux fois dans "La musique et l'ineffable", cela a dû lui échapper. L'habitude (que j'ai suivie ici) est d'appeler impressionniste les compositeurs qui ont développé un style dans lequel la trame thématique se dissolvait ou devenait allusive. C'est donc une musique suggestive, "diffluente" (selon le terme du philosophe sus-cité), amphibologique (quoique toute musique le soit plus ou moins). Les compositeurs classiquement mentionnés sont notamment Albeniz, Debussy, Ravel, Liadov, Falla, Déodat de Séverac... principalement. Pesonnellement, j'emploierais le terme d'impressionnisme ou de pseudo-impressionnisme à  propos des compositeurs de l'école de Bélaïev (Liapounov et Arenski justement) qui ont développé le style lisztien dans le sens d'une souplesse pianistique (par le chromatisme) à  un point extrême. Plus audacieusement, j'étendrais ce terme à  tout style de musique lorsque la complexité de la trame thématique perd son caractère récitatif, sa netteté pour devenir plus ambiguë et permettre l'évocation de sentiments musicaux très labiles et subtils, ineffables (et non pas indicible!) pour suivre encore le créateur de la philosophie du "presque-rien" et du "je ne sais quoi". Précisément, l'impressionnisme, c'est justement cela, ce qui ne peut se définir, le "presque-rien". Ainsi, par extention, les traits virtuoses chez Vivaldi atteingnent parfois me semble-t-il un impressionnisme spécifique car la trame thématique se trouve métamorphosée, élevée au second degré. Elle créé une sorte de "halo sonore" engendrant une euphorie que l'on peut ressentir, mais qui est "inintelligible" au sens classique de l'intellection musicale. Ce sont par exemple les effets d'écho et les traits fulgurants, répétitifs qui ne peuvent être décomposés selon l'analyse habituelle de l'esprit. L'ensemble d'un tel solo forme un amalgame indécomposable, une quasi-simultanéité (dans sa signification musicale). Harnoncourt a très bien compris comment ils devaient être interprétés. Il en témoigne dans son ouvrage "Le discours musical", précisant que ces soli devaient produire une sorte d'effet vibratoire et que pour cela ils était préférable qu'ils fussent joués dans les conditions originelles, c'est-à -dire dans une église (afin que l'écho mêlât les notes pour former un ensemble homogène presqu'indistinct). Selon cette extention, il y a impressionnisme lorsque l'on atteint le degré supérieur de la musique au cours d'une oeuvre, et selon moi il y a un "passage" nécessaire. C'est la raison pour laquelle je pense que les oeuvres qui se veulent totalement impressionnistes de bout en bout ne sont généralement pas valides. Un compositeur ne peut pas dire "Je vais créer une oeuvre impressionniste" et la créer effectivement.Il ne peut atteindre l'impressionnisme (efficient) que dans une disposition de l'âme supérieure. L'impressionnisme dans ce sens là  doit être "introduit" peu à  peu au cours de l'oeuvre, il ne peut être atteint qu'à  l'acmé de l'oeuvre. Ainsi, pour moi, les meilleurs oeuvres "impressionnistes" de Debussy sont celles où existent une trame thématique suffisamment solide au départ. Je donnerai comme exemple "L'île joyeuse" "The snow is dancing" ou la "Petite suite" contenant à  mon avis des pièces toutes excellentes (je ne me souviens plus des noms de toutes ces picèes, il y a je crois "En bateau", pour moi la sublime). En revanche, "Des pas dans la neige, "La cathédrale engloutie" me paraissent des échecs pour la raison expliquée ci-dessus. A vouloir trop être "impressionnistes, ces pièces ne le sont plus. Le passage entre l'extase supérieure atteinte par l'impressionnisme et le rien, semble extrêmement ténu. La plénitude se mue vite en vacuité dès que l'inspiration n'est plsu présente. Les recherches post-expressionnistes de Liadov, et parfois de debussy lui-même, sont certainement les pages les plus navrantes qui aient été écrites. L'impressionnisme se dissout alors dans sa propre insignifiance.

INTERPRÉTATIONS DE MICKAËL PONTI
Je peux vous dire quelques mots sur Ponti que vosu venez d'évoquer et sur l'interprétation des oeuvres que vous citez. Ponti est un des pianistes qui a le plus enregistré de concertos rares. Il a notamment joué le Bronsart, l'"Allegro de concert" de Chopin, le Dvorak, la "Fantaisie" de Liapounov, "Malédiction" de Liszt, le "Concerto-symphonique n°3" de Litolff, le "3" de Moschelès, le "Concerto" de Raff, le "1" de Reinecke, le "Concerto" de Rimski, le "2" de Scharwenka, le "Concerto" de Scriabine, le "2" de Franck, le "3" de Tchaikovski (un essai avorté de ce compositeur)... et presque tous les classiques du répertoire. Il est doué d'une mémoire phénoménale. A mon avis, son jeu est particulièrement brillant et dynamique. Il met bien en relief le style "démonstratif" de Tchaïkovski dans le "1". En revanche, il n'évoque peut-être pas la tension pathétique au niveau supérieur propre à cette oeuvre. L'oeuvre qui lui convient le mieux est peut-être le "3" de Litolff.

SÉRIE HYPÉRION DES OEUVRES POUR PIANO ET ORCHESTRE, POUR VIOLON ET ORCHESTRE
Il me semble qu'une certaine dérive est apparue car l'ambition affichée au départ - sauf si je me trompe - était d'éditer les virtuoses-compositeurs. Qu'on édite Saint-Saëns dans la série des concertos romantiques pour piano me paraît bienvenu dans la mesure où il était un pianiste-compositeur (non pas comme ceux du début du siècle, mais tout de même il en était un) et où il était romantique. On aurait peut-être même dû l'éditer depuis bien plus longtemps dans cette série. Qu'on l'édite au début d'une série consacrée aux concertos romantiques pour violon, cela me paraît déjà  un peu plus étonnant. Commencer une série sur les concertos pour violon par un pianiste-compositeur, c'est un peu osé à  mon goût. Mais ce qui me paraît encore plus curieux c'est la présence à  ce niveau de la parution du concerto de Walton. Pour moi, c'est un moderne, pour vous sans doute pas, mais en tous cas ce n'est pas un romantique. Peut-être l'appellation de concerto "romantique" a-t-elle été aussi abandonnée. Que reste-t-il alors de cette série dénaturée?

OEUVRE ROMANTIQUE?
Si, si, Brahms me paraît tout à  fait romantique, même si son romantisme est un peu émoussé. J'espère que le Concerto de Stanford est aussi romantique. Je vous le dirai sans doute dans quelques temps. Il pourrait être intéressant d'approfondir l'emploi qui est généralement fait du terme de romantique. Les compositions qualifiées de romantiques expriment-elles toujours un sentiment romantique? Le vocable est à  mon avis plus souvent utilisé pour caractériser le langage musical du 19e siècle en général. Mendelssohn est-il romantique dans ses concertos pour piano par exemple?

ROMANTISME CHEZ SAINT-SAËNS ET MENDELSSOHN
S'il y a deux compositeurs qui me paraissent opposés, ce sont bien ces deux-là . Chez Saint-Saëns, à  mon avis, le romantisme prend souvent la forme de l'expressionnisme ou de l'impressionnisme, c'est-à -dire qu'il est outrepassé alors que chez Mendelssohn il me paraît plutôt tempéré. ce dont Saint-saëns me paraît toujours avoir été incapable, c'est, me semble-t-il, de faire de la composition "classique" dans l'esprit. Son symphonisme, son pianisme, sa musique de chambre sont à  mon avis totalement hétérodoxes. Sans aller très loin, on peut prendre comme exemple la "Symphonie n°3" totalement atypique, et je dirais même totalement azimutée, le "Concerto n°2", lui aussi atypique, et les trios exprimant une virtuosité qu'on ne rencontre guère dans la musique de chambre traditionnelle.

CONCERTOS DE SAINT-SAËNS ET DE MELNDELSSOHN
Après avoir insisté sur le romantisme des concertos de Mendelssohn comme le fait ce chroniqueur, il ne reste plus qu'à  ajouter que les concertos de Saint-Sans sont académiques et l'on aura réussi l'opération de détournement de l'art, le remplacement des chefs-d'oeuvres par des oeuvres médiocres, c'est-à -dire faire passer pour dépourvues de lyrisme les oeuvres véritablement lyriques et accorder cette qualité aux oeuvres qui en sont dépourvues. Cette dialectique est parfaitement rodée, elle a déjà  fonctionné. A mon avis, les concertos pour piano de Mendelssohn ne sont ni romantiques d'esprit ni de forme. Appréciation qui me semble moins vraie pour d'autres oeuvres de Mendelssohn, notamment ses deux concertos pour violon.

LA CLARTÉ ET LA TEMPÉRANCE CHEZ SAINT-SAËNS?
Saint-Saêns, clair, tiré au cordeau, selon une forme impeccable, cela, c'est ce que l'on peut lire dans les ouvrages, surtout ceux qui sont anciens et c'est contre cette idée que je m'élève dans une entreprise de totale reconsidération de la musique Saint-Saëns. Je pense que ce compositeur n'a jamais été capable de tempérer une quelconque idée, il s'exprime très souvent abruptement à  la manière de Liszt et plus que lui. Berlioz le reconnaît comme "un maître pianiste foudroyant". Le goût de la clarté est à  mon avis une invention car on a voulu présenter Saint-Saëns (et il s'est présenté lui-même) comme typique du goût français. J'ai là -dessus des documents très significatifs (d'après Bonnerot son exécuteur testamentaire) notamment sur un discours qui a été prononcé lors de son enterrement. A mon avis, Saint-Saëns n'est pas plus clair ni moins clair que n'importe quel compositeur, tout cela c'est de l'idéologie.

LISTE D'OEUVRE SPRÉFÉRÉES SUR TCHAÏKOVSKY

1 Concerto n°1 piano orchestre
2 Concerto n°2 piano orchestre
3 Dumka piano
4 Casse-noisette orchestre
5 Six pièces op 51 piano
6 Symphonie n°3
7 Fatum
8 Le voïévode
9 Symphonie n°6

Défendre Tchaïkovski est sans doute une entreprise difficile qui oblige à  quelques concessions, notamment à propos de sa musique symphonique. La meilleure partie de son oeuvre est constituée pour moi par son oeuvre pour piano et orchestre et par son oeuvre pour piano, et dans une moindre mesure, certaines oeuvres orchestrales. Il faut signaler aussi le concerto pour violon dont le premier mouvement nous révèle, me semble-t-il, un compositeur qui a un sens inné de la transcendance solistique et qui en atteint le plus haut sommet. Malheureusement le autres mouvements de cette oeuvre sont à  mon avis moins marquants et m'interdisent de la faire figurer dans la sélection. Je ne dirais rien des oeuvres de musique de chambre, faute de les connaître suffisamment. Ayant découvert récemment quelques oeuvres symphoniques qui me manquaient, je me livrerais à  quelques remarques sur l'oeuvre de Tchaïkovski dans ce genre. Dans un courriel précédent, j'avais affirmé imprudemment que les symphonies antérieures à  la 6 n'avaient pour moi qu'un minime intérêt. J'avais hâtivement extrapolé à  partir des symphonies que je connaissais, la 1, la 4, un peu la 2. Contre toute attente, la 3, qui est la plus dédaignée, me paraît la meilleure, la 5 également me paraît d'un grand intérêt, elle est cependant plus jouée que la 3, moins peut-être que la 4. Ne croyez pas que j'ai cité "Fatum", le "Voïévode", et même la "3" pour me distinguer parce que ces oeuvres sont assez peu connues, non, elles m'ont réellement enthousiasmé, je ne comprends pas du reste pourquoi elles ne se sont pas mieux imposées. L'intégrale de Berstein ne les comprend pas et nous assène l'insipide "Hamlet" (insipide pour moi). Tout ceci ne remet pas en cause mon appréciation générale sur le symphonisme de Tchaïkovski, souvent à  mon avis un style assez grossier voisin du symphonisme de la première moitié du 19e siècle. Aucun rapport avec l'orchestique si élaboré de Rimski. La notice du CD, (que j'ai tout de même lue), précise que les Cinq et Tchaïkovski "poursuivaient le même but", "avaient une conception très proche". Quand je pense qu'il y a quelques décennies il était de bon ton d'opposer les Cinq à  Tchaïkovski, cela me fait sourire. C'est comme pour Chopin, il y a quelques décennies, on le trouvait efféminé, aujourd'hui il faut absolument le trouver viril. Naturellement, dans chaque cas on trouve toujours des citations à  l'appui, des exemples. Tout cela me laisse froid, quelle importance! Les oeuvres d'une plus grande "maturité", témoignant d'un symphonisme plus subtil, ne sont pas d'après ce qu'il me semble obligatoirement les plus tardives. La 4 me paraît d'un symphonisme assez primaire par rapport à  la 3. Même dans ses meilleures oeuvres où se révèle un colorisme original (Casse-noisette), Tchaïkovski me semble loin d'atteindre la profonde poésie et la finesse orchestrale supérieure de Rimski (mais aussi de Glazounov, Liapounov et de bien d'autres). Tchaïkovski, lui, n'a jamais eu aucun sens du sentiment poétique, ni de la perfection stylistique contrairement à  Chopin ou Rimski, en revanche il atteint parfois des moments "magiques" comme dans le début de l'"Ouverture 1812", oeuvre à  mon avis thématiquement excellente, mais au symhonisme vraiment rudimentaire. Le pathétisme de Tchaïkovski, parfois d'une sincérité bouleversante, tombe aussi parfois dans une rhétorique gratuite comme dans "Hamlet" ou "Francesca da Rimini", oeuvres dans lesquelles, à  mon avis, le compositeur aligne tranquillement des notes dépourvues du moindre intérêt musical, mais il n'est pas le seul à  le faire... En définitive, pour revenir aux symphonies elles-mêmes, le bilan n'est pas si mauvais que je pensais. La meilleure serait peut-être la "3", si Tchaïkovski n'y avait pas ajouté un cinquième mouvement, une sorte de fanfare fatigante qui à  mon avis déprécie l'oeuvre. L'opposition entre le style des ballets et celui des symphonies n'est pas aussi net que je l'imaginais, c'est une idée que je suis dans l'obligation de réviser. Le second mouvement de la 3 évoquant "Casse-noisette" en témoigne par exemple. De même l'opposition entre les poèmes symphoniques et les symphonies ne me paraît plus certaine. Concernant un bilan général sur Tchaïkovski (en excluant la musique de chambre et l'oeuvre opératique), je considère qu'il est un des compositeurs qui a enregistré le plus de succès mérités (à  mon avis) comme Saint-Saëns: le "Concerto n°1", le "Casse-noisette" par exemple sont peut-être ses plus grands succès et ses meilleures oeuvres. Tchaïkovski a montré son aptitude supérieure dans deux genres souvent incompatibles, l'oeuvre concertante pour piano et l'oeuvre concertante pour violon (même si cette dernière oeuvre est pour moi à  moitié ratée). Son originalité, y compris et surtout sur le plan symphonique me paraît évidente, de même ses tours stylistiques très reconnaissables dans ses oeuvres symphoniques et ses oeuvres concertantes pour piano.

REBATET
Là -dessus, je pense que vous aurez beaucoup de difficultés à  convaincre les membres de cette liste. C'est un ouvrage qui a beaucoup vieilli, je pense qu'il faut l'admettre. Personnellement, je pense que l'ouvrage de Rebatet ne rend pas du tout compte des oeuvres marquantes, au contraire il contribue surtout à  les éliminer et proférant contre certains compositeurs des injures grossières.

LISTE D'OEUVRES PRÉFÉRÉES DE VIVALDI

Concerto en do M RV 444 flûte douce orchestre
Concerto La notte RV439 flûte orchestre
Concerto in due cori n°3 RV585 flûte orgue violon 2 choeurs d'orchestre
Concerto sol M 2 mandolines orchestre
Concerto op 8 n°1 à  4 Les quatre saisons violon orchestre
Concerto op 11 n°2 Il favorito violon orchestre
Concerto RV583 in due cori n°2 violon 2 choeurs d'orchestre
Concerto RV564 violon violoncelle orchestre
Concerto op 12 n°6 violon orchestre
Concerto op 7 n°12 violon orchestre
Concerto RV537 2 trompettes orchestre

Défendre Vivaldi nécessite sans doute comme pour Tchaïkovski d'admettre certaines concessions. Que ce compositeur puisse prétendre dominer la période baroque, sur le plan de la transcendance des oeuvres comme sur le plan de la nouveauté, cela me paraît possible, quoiqu'il ne faille pas notamment sur ce dernier plan sous-estimer les mérites d'un Scarlatti, à  l'origine de presque toute la technique pianistique et aussi les autres grands violonistes compositeurs comme Locatelli et Tartini. Mais là  où l'on doit admettre quelques concessions me paraît être la comparaison avec les oeuvres du 19e siècle. Si Vivaldi nous a légué une certaine pré-conception du poème symphonique avec une dizaine de concertos à  programme d'un contenu véritablement pathétique (à mon avis), il n'empêche qu'il demeure tributaire de la forme du concerto (comme Dittersdorf le sera de la forme symphonique avec ses poèmes symphoniques sur la "Métamorphose d'Ovid" par exemple). il reste donc un pas à  franchir. Sur le plan du symphonisme, même si la plupart des musicologues ont considéré que Vivaldi était le promoteur de cette forme (en tant que langage) un hiatus considérable demeure entre ses essais symphoniques et les symphonies de Pleyel, Dittersdorf, Cannabich... sur le plan de l'instrumentation et de la thématique. Si dans l'esprit il a pu (à  mon avis) dépasser le pathétisme d'un Pleyel ou d'un Cannabich (d'après les oeuvres que je connais de ces compsositeurs), il n'en demeure pas moins qu'il est limité par un certain caractère systématique du développement thématique lié au baroquisme lui-même. C'est en ce qui concerne les tutti de concertos que cette limitation devient problématique et où il faut admettre souvent la limitation de nombreuses oeuvres, certaines cependant y échappent. En revanche, sur le plan de la thématique violonistique (les soli de concerto), il faudra à  mon avis attendre le développement de l'école de violon moderne avec Viotti. En revanche, je ne connais aucune oeuvre de la période classique qui puisse sur le plan de la transcendance violonistique (thématiquement parlant évidemment) rivaliser avec le violonisme vivladien (ceci naturellement est une opinion). Malgré, une fois de plus, la limitation par rapport à  l'école de violon moderne représentée par Viotti notamment, il me semble que l'opus 11 et 12 (notamment par le concerto "Il favorito") recèle une évolution de Vivaldi vers un autre type de lyrisme, tout en demeurant assujéti, comme pour la symphonie, à  certains procédés baroques. Sur un point cependant, il me semble que l'on peut reconnaître la transcendance vivaldienne à égalité avec les grandes oeuvres du 19e siècle, c'est dans l'aboutissement de la virtuosité baroque avec un ensemble de procédés à  mon avis très aboutis dérivant parfois vers une conception impressionniste-moderne qui n'a guère d'équivalent. Voilà  en définitive pour moi ce qui fait la limitation et la grandeur des oeuvres vivaldiennes. Précisons que ce commentaire est uniquement afférent à l'oeuvre instrumantale du maître vénitien.

SIBÉLIUS
La découverte de Sibéliuss a été pour moi une grande révélation. Je suis ébloui par l'originalité de son style au rhapsodisme très intégré, son exploitation de la lenteur, son sens des longues progressions musicales ("Lemminkaïnen in tuonela" en est une immense). Si on considère que le sens du discours musical est une relation entre un ensemble de sons, Sibelius atteint l'apogée car il établit ce lien relationnel sur un nombre de mesures considérable entre lesquelles est entretenue une tension maximale, une "suspension". Il évoque plus que tout autre l'"étrangeté" impressionniste, par une fusion remarquable de la couleur instrumentale et de la thématique. En écoutant Sibelius, j'ai toujours l'impression de "voir", "sentir" un univers hors du réel comme si on s'éveillait "ailleurs" dans un monde de noblesse, de beauté pure. Le dernier mouvement de la Symphonie n°1 me semble atteindre presque un absolu. Plus que tout autre compositeur, Sibelius a élaboré une harmonie de l'"immobilité musicale" où la musique devient presque "peinture".

ROMANTISME DANS LES SYMPPHONIES DE BEETHOVEN
La pastorale, la 5e, pas romantiques. là, je ne vous suis pas.Pour moi, elles sont romantiques dans l'esprit (et la 5 me paraît plus romantique que la 3). Et même la 2. Pour la 1, cela pourrait se discuter. Je crois qu'on a confondu le romantisme dans l'orchestration de Beethoven et dans l'esprit. S'il est vrai que par rapport à  'orchestre mannheimien, il n'y a guère d'évolution dans le symphonisme de Beethoven, en revanche dans l'esprit, le symphonies de Beethoven me paraissent pleinement romantiques. Les oeuvres symphoniques de Borodine ou Rimski-Korsakov par exemple, nettement plus évoluées que celles de Beethoven sur le plan de l'instrumentation et du langage, n'en sont pas pour autant plus romantiques, elles le sont même moins. Le langage mannheimien me paraît amplement suffisant pour traduire la pensée romantique dans ce qu'elle a de romantique.

PETITESSE DE LA MUSIQUE CLASSIQUE - LIMITATION DE LA MUSIQUE BAROQUE
D'une manière générale, je ressens moi aussi il est vrai de l'horripilation pour la musique classique, une musique qui donne l'impression d'autosatisfaction, qui cultive l'évidence tonale la plus pauvre, se complait dans l'utilisation de formules mécaniques (notamment les résolutions mélodiques), une musique d'une sensualité béate et superficielle, une musique qui évite toute effusion trop lyrique susceptible de déranger sa petitesse... Mais, cela, c'est, je le répète, d'une "manière générale". A propos de la musique baroque "en général" (finalement les généralités sont assez commodes), il est vrai qu'elle est moins horripilante que la classique, je dirai même qu'elle est sympatique. Il faut sans doute y déplorer l'existence de formules mécaniques, la rigidité... Il n'y a que des baroqueux pour prétendre que "Les symphonies pour le Souper du Roy" représentent une grande oeuvre. Je pense que l'on accorde une importance "historique" à  ces oeuvres, notions d'ordre "muséographique" à  laquelle je suis opposé car, en cela, on oublie l'expressivité (au sens fort du terme). Vous savez, l'apophtegme de Sulzer. Je voudrais introduire une idée a contrario. Est-ce que dans le répertoire romantique, toutes proportions gardées, on peut s'épargner l'économie d'une sélection? Une oeuvre romantique peu inspirée vaut-elle mieux qu'une oeuvre homologue baroque ou classique. C'est peut-être pire car une oeuvre romantique non inspirée rate son objectif, elle devient ennuyeuse alors qu'une oeuvre baroque non inspirée peut conserver un certain attrait décoratif.

QU'EST-CE QU'UNE OEUVRE EXPRESSIVE?
Il est toujours délicat de définir l'expressivité car nous avons tous tendance à  prêter cette qualité aux oeuvres que nous aimons et à  la dénier à  celles que nous n'aimons pas. Je pourrais vous dire que pour moi Tchaïkovski ou Vivaldi ont produit des oeuvres beaucoup plus expressives que Bach ou Mendelssohn. Ce à  quoi quelqu'un me répondra exactement l'inverse et l'on aura pas avancé sur le problème. Pour moi, le terme d'expressivité concerne beaucoup plus la mélodie. Une harmonie subtile peut induire un pathos profond, mais on n'utilisera peut-être pas le terme d'expressivité pour le caractériser. Pour autant, l'expressivité n'est pas synomyme de la récitativité. La cadence pianistique du "Concerto n°1" de Tchaïkovski est moins récitative que le mouvement lent de l'"hiver" des "Quatre saisons" et pourtant sans doute cette cadence est plus expressive encore.

LA FORME
Selon le musicologue Handschin, une des causes du culte de Bach au 19e siècle est que l'on croyait ce compositeur affranchi des contraintes classiques. Il passait donc pur un partisan de la liberté de la forme. On s'est aperçu ensuite que ses oeuvres obéissaient à  des contraintes encore plus rigides, celles de la musique polyphonique du 17e siècle. C'est une théorie. Y a-t-il eu des critères formels dans la musique baroque? Ce n'est pas sûr. La musique baroque telle qu'elle a été développée par les violonistes compositeurs ne me semble obéir à  aucune contrainte formelle complexe, gratuite, indépendante de la nécessité musicale. Il s'agit de:
-la ssuccession tutti soli dans le concerto
-le concerto tripartite (avec un mouvement lent au centre) et encore pas dans tous les cas
On ne peut pas dire qu'il s'agit là  de contraintes très rigides. D'ailleurs celle du concerto tripartie avec mouvement lent central persistera durant toute la période romantique. Quant à  la succession tutti-soli, elle ne me paraît pas forcée, mais naturelle, elle survivra de manière atténuée dans le concerto romantique qui introduit il est vrai une plus grande diversité formelle de ce point de vue. L'enfermement dans des règles rigides (et à  mon avis souvent abstruses) est le fait de la polyphonie (avec la fugue notamment) avant le 18e siècle et de l'époque classique. il semble cependant que la forme à l'époque classique n'a pas été aussi bien suivi par les compositeurs qu'on voulu le croire certains intellectuels.

HARMONIE ET MÉLODIE CHEZ VIVALDI - LES UNISSONS
J'en profite pour vous livrer une petite analyse d'un collaborateur de F Robert dans sa grande encyclopédie de la musique:

"Il [Vivaldi] a pu encourir le mépris condescendant des musicologues qui, sans trop le publier, le tenaient pour un amateur ... et pour des raisons très proches de ce qui a valu un même mépris à  Moussorgski" "L'harmonie de Vivaldi est parfois pauvre, rudimentaire, son langage piétine, ses périodes mélodiques sont ou trop longues ou trop brèves, elles ne respectent pas les symétries accréditées; après les accords les plus somptueux, les coloris les plus rutilants, il oppose des unissons oÙ les clercs distinguent l'impuissance ou l'insuffisance du métier"

Je rectifierais : harmonie cultivant parfois volontairement l'évidence tonale, ce qui est la tendance des précurseurs de l'école de Mannheim. Les deux citations à  mon avis s'éclairent l'une l'autre. Moussorgski a cultivé aussi dans ses pièces pour piano les unissons voisinant avec des harmonies également "somptueuses". On rencontre les unissons dans la musique "impressionniste" et "expressionniste, par exemple un des thèmes de la "Danse villageoise" de Chabrier (dans les "Pièces pittoresques"), un thème du mouvement lent du "Concerto" de Constantinescu, la pièce "Malaguena" d'Albeniz cultive aussi ce genre d'unisson farouche qui prend aux tripes. En conclusion, je dirais que lA théorie classique de la scholastique ne permet pas de rendre compte de l'élaboration d'une pièce musicale, ni même de sa valeur harmonique (si la notion a un sens). En revanche, je reprocherais à  Vivaldi, comme je l'ai déjà  dit, de nombreux tutti souvent un peu sommaire thématiquement, en dehors de toute espèce de critère harmonique. Pourquoi toujours analyser avec le critère harmonique? Le "manque de métier", dans son cas, ce serait assez grave, après avoir écrit plusieurs centaines de concertos, sans parler du reste.

"il lui arrive d'être ennuyeux et de ne pas songer à  dissimuler une certaine vacuité de l'imagination"

Si Vivaldi manque d'imagination, je ne sais pas quel compositeur est doué de cette qualité. Je pense qu'il est plus rarement ennuyeux que d'autres compositeurs, mais c'est une opinion personnelle. Je pense plutôt qu'il préfère utiliser parfois des formules effectivement efficace (en se répétant) plutôt que des traits plus fades afin de satisfaire des commandes. Il est certain cependant qu'il y a un certain déchet, mais peut-être pas obligatoirement plus que d'autres compositeurs de l'époque baroque... et même romantique.

PIÈCES SIMPLES DU RÉPERTOIRE CLASSIQUE
"Le classique et le baroque, c'est bien à  condition d'en sortir" avais-je écrit. Comme personne ne me conteste, je le fais moi-même. Il faut que j'aie l'esprit de contradiction à  un point vraiment élevé pour en arriver à  me répondre à  moi-même. J'avais donc indiqué 2 développements selon moi du style baroque qui permettaient d'atteindre un niveau musical comparable à  celui des oeuvres romantiques: -les oeuvres de virtuosité des violonistes-compositeurs -les oeuvres dramatiques "à  programme" Il s'agit de tendance aboutissant à  une effusion lyrique comparable à  celle du romantisme Or, je pense qu'il existe également un courant proprement galant obéissant aux canons du genre qui permettent d'obtenir des oeuvres d'un haut niveau d'inspiration; Je donnerai comme exemple les duos pour guitare et piano de Mertz et de Diabelli. Ces deux compositeurs autrichiens me paraissent avoir atteint le génie par une thématique presque réductionniste où s'affirme toute la saveur de la musique galante, naïve, voire surranée et même simpliste. On pourrait citer également de nombreuses pièces très connues qui figurent dans le premier cahier des "Classiques favoris" que les jeunes pianiste connaissent bien: des pièces caractéristiques de Kulhau (le 3e mvt de la Sonatine en ut notamment, Landler de Steibelt, un rondo de Clementi, l'"Ariette" de Cramer, celle de Mozart, la "Romance" de Kozeluch. Je crois que l'on aurait tort de mépriser ces pièces et de les considérer comme des oeuvrettes. Je ne suis pas sûr que les grandes sonates préromantiques de l'opus 50 de Clementi présentent un intérêt musical supérieur à  certaines de ses petites pièces lorsqu'il affectionnait encore le style galant. Victor Hocquard dans son très bon bouquin sur Mozart cite des pièces de ce genre et pense qu'elles tiennent une place importante dans son oeuvre. Je me mets à  l'abri derrière lui pour éviter la volée de bois vert.

LISTE D'OEUVRES PRÉFÉRÉES DE MUSIQUE DE CHAMBRE

BOCCHERINI Luigi Quintetto terzo G 415
DANZI Franz Quintet op 56 n°2 (FLàûTE, HAUTBOIS, CLARINETTE, BASSON)
DEBUSSY Claude Trio Sonate 1915 (ALTO FLàûTE, HARPE)
FAURÉ Gabriel duo Berceuse op 16 (FLàûTE HARPE)
GRIEG Edvard DUO PIANO VIOLONCELLE Sonate op 36
IBERT Jacques FLàûTE HARPE Entr'acte
KRUMPHOLZ Johann Batist Duo FLàûTE HARPE Sonate en F M
PAGANINI Nicolo (1781-1840) Quatuor
ROSSINI Giaccomo (1792-1868)Duo FLàûTE HARPE Introduction et variations
SAINT-SAËNS Camille Septuor op 65
SARASATE Pablo de Duo VIOLON PIANO Huit danses espagnoles
SCHUBERT Franz Quatuor n°14 la jeune fille et la mort
SGAMBATI Giovanni Quintette n°2 op 5 ( avec piano)
SMETANA Bedrich (1824-1888) Quatuor n°1 en mi m "de ma vie"

Je dois avouer cependant que cette liste est établie sur un nombre d'oeuvres assez restreint et ne prétend donc pas représenter, même par rapport à  mon propre goût, les oeuvres essentielles dans le genre. Des listes certainement bien plus autorisées ont été proposées par d'autres membres, cependant peut-être certaines de ses oeuvres pourront être remarquées. D'unem anière générale, certaines oeuvres de musique de chambre peuvent représenter une tendance vers la virtuosité même si ce n'est pas en principe l'éthique du genre. C'est le cas des trios de saint-Saëns et même du sextuor, du quatuor de Paganini naturellement.

ÉVOLUTION DE VIVALDI
Je voudrais commenter un article de Roger-Claude Travers sur Classica présentant un enregistrement des derniers concertos de Vivaldi. Je n'ai pas encore acquis ces oeuvres, aussi mon commentaire s'orientera sur l'évolution de Vivaldi postérieurement à  l'opus 8 par rapport à  ce qu'en dit ce critique: Voici quelques extraits:

"Cet enregistrement stupéfiant vient bouleverser les idées reçues et laisse imaginer vers quels horizons stylistiques se dirigeait le potentiel créatif vivaldien en ses dernières années", vers une sorte d'emfindsamer bien personnel..." "Explosions dynamiques imprévues et spontanées, tempos fluctuants, exigence étourdissante dans la technique d'archet..."

L'évolution qu'évoque Travers, dont j'ai témoigné largement sur critique-musicale.com ne me paraît pas concerner uniquement les derniers concertos (que je ne connais pas sauf un extrait fourni par le magazine), mais certaines oeuvres de l'opus 9 et de l'opus 12. Cette évolution ne suit pas à  mon avis la succession chronologique car de nombreux concertos de ces deux opus témoignent aussi bien (pour certaines oeuvres) d'une tendance plus classique vers le style galant en bradant une grande partie de l'acquis baroque alors que d'autres témoignent réellement d'une tendance vers un nouveau langage, aussi éloigné du style galant que du style baroque. Aucune référence postérieure (Locatelli, Nardini, Viotti) ne permet d'observer d'ailleurs une filiation de ce style "très personnel" comme le dit Travers. J'aurais sans doute l'occasion de reprendre ce commentaire après avoir entendu les oeuvres, mais peut-être quelqu'un d'autre les connaît-il déjà  et pourra nous en dire quelques mots. Voici la référence discographique: Giuliano Carmignola Venice baroque orchestra, Andrea Marcon Sony classical SK89362 (en France au prix prohibitif de 165 F) Le magazine a privilégié cette annonce en fournissant un extrait sur un CD d'accompagnement de la revue (comportant une dizaine d'extraits de différents autres CD). Pour une fois que les quatre saisons ne sont pas choisies! Espérons que cette initiative bienvenue permettra au public délargir sa connaissance de l'oeuvre du Prete rosso.

BRAHMS, GLAZOUNOV, ROMBERG, TORELLI, VIOTTI
Que dire des pièces qu'il m'a été donné d'écouter ce mois-ci? Rien sans doute qui ne permette de généraliser. De Brahms un quatuor et un quintette à  mon avis pas franchement inspirés. Ces oeuvres ne sont pas, semble-t-il, significative de sa musique de chambre, si j'en crois les éloges qu'on m'en a fait. De Glazounov (La mer, Fantaisie orientale), que dire sinon que ces oeuvres d'inspiration très variable, outre des effets typiques de musique russe et un raffinement symphonique très poussé, ne rejoignent pas les chefs-d'oeuvre de ce compositeur (à  ce qu'il me semble). Romberg (3 quintettes pour flûte), pièces à  mon avis signant typiquement la musique galante sans relief. Je m'arrêterais sur Torelli car ces oeuvres (de l'opus 8) représentent (d'après les spécialistes) les premiers concertos pour soliste dE l'histoire. L'on y ressent effectivement un lyrisme particulier dans lequel Vivaldi a pu puiser. On doit avoir un certain respect et une certaine admiration pour la capacité de novation de Torelli, mais franchement, à  part l'intérêt historique, peut-on s'éclater en écoutant ces oeuvres? Si certains le prétendent, moi je veux bien. Il reste Viotti (le concerto "23" et la "Symphonie concertante pour 2 violons n°1"). A mon avis deux grandes oeuvres, même si elles n'atteignent pas le "20" ou même le "24". Le lyrisme et la virtuosité de Viotti, jamais fulgurants, toujours empreints d'une certaine timidité, demeurent très spécifiques. Un parallèle avec Chopin à  mon avis s'impose, si l'on y ajoute aussi certains faits biographiques. Viotti, de caractère discret, a fui les planches à  partir d'une certaine époque de sa carrière. Il n'aimait pas les manifestations de la foule. Il s'est heurté à  de nombreuses difficultés pendant la Révolution, mouvement peu compatible avec son tempérament aristocratique. Ce qui domine chez lui, à  mon sens, c'est la distinction. Je ne m'explique toujours pas comment ce chef d'école a pu être ignoré comme il l'est aujourd'hui. Sa maîtrise violoniste et symphoniques me paraissent évidents. Son sens de l'invention, la qualité de son inspiration aussi, quoiqu'il reste tributaire de certaines banalités propres à  la musique galante. Je ne vois pas quel autre compositeur a pu faire évoluer le genre violonistique tombé su bas à  la fin du 18e siècle. J'insisterai particulièrement sur le rôle de Viotti dans le développement de la partie symphonique et des effets d'accompagnement du soliste. Tout de même, quel génie, quel renouvellement d'inspiration d'une oeuvre à  l'autre.

ROBERT BERNARD
Je viens de terminer enfin l'analyse des 4 tomes (1480 pages sans compter l'index qui atteint 170 p.). Naturellement, je n'ai pas tout lu, mais j'ai recueilli suffisamment pour dresser un aperçu de la pensée de Robert dans cet ouvrage. C'est ce que je vous propose en quelques messages. Pour en finir avec Bernard Robert. Tout d'abord, les titres de l'auteur qu'il faut mettre en relation avec les quelques extraits que vous avez eu l'insigne avantage de lire par mon entremise.

-compositeur français
-professeur de piano
-maître de conférence à  la Schola cantorum de Paris
-Directeur de la vie musicale à  Paris
-Directeur de l'informtion musicale
-membre du jury du CNS de Paris, de la Radiodiffusion et de nombreux conservatoires et concours internationaux
-pianiste de concert
-chef d'orchestre
-conférencier : 2000 conférences dans toute l'Europe
-ses oeuvres sont jouées par toutes les grandes associations de presque tous les pays du monde
-éditées à  Paris, en Amérique et d'autres capitales européennes, plusieurs festivals consacrés à  ses oeuvres
-critique: au Temps, Paris-Soir, Rempart, Chantecler, nombreux quotidiens, périodiques
-auteurs: plusieurs ouvrages: Roussel, Louis Aubert, Tendances de la musique française contemporaine, la musique des origines à  nos jours : la musique contemporaine, Histoire de la Musique (4 tomes)
-auteur en collaboration : plusieurs dictionnaires, encyclopédies de divers pays
-direction de collections : La musique dans la civilisation
-fondateur et directeur: Ecole de Musique Française de paris
-Professeur au Conservatoire international
-Maître de chapelle de l'Eglise du Saint-Esprit
-délégué général au président de nombreuses sociétés notamment: Société internationale des Amis de la musique française Groupement des compositeurs de Paris Amis d'Albert Roussel Concerts de la Revue musicale Association de la Critique Etrangère en France Section franà§aise de la Simc Diapason etc

Naturellement, ce n'est qu'un aperçu de ses titres, non une liste exhaustive. On me fait observer parfois que j'exagère l'importance des Intellectuels sur l'idéologie musicale et la notoriété des compositeurs. On voit ici qu'une telle sommité (et il n'est pas le seul) bénéficie d'une tribune tout de même large soit par les revues, soit par les conférences, soit par les ouvrages, les critiques et tout simplement par les multiples rapports directs de relations humaines , ce qui est certainement loin d'être négligeable. On comprends dés lors que sa philosophie anti-virtuosité et sa haine des virtuoses-compositeurs ait pu imprégner la vie musicale. Certes, un pourcentage très restreint de mélomanes a assisté à  l'une de ses quelques 2000 conférences, mais ce musicographe, intervenant privilégié de la vie musicale, a pu constituer un relais, une tête de pont susceptible, avec d'autres, de "donner le ton" ou tout simplement est-il un exemple emblématique. Toute l'intelligentia est d'ailleurs pénétrée de son idéologie, il n'a fait qu'appuyer le mouvement général, lequel existait avant lui. Sur un plan il l'a radicalisé, sur un autre, il a relevé certaines incohérences méthodologiques de l'histoire traditionnelle de la musique et a apporté des idées à  mon avis intéressantes et neuves (peut-être, à  moins qu'il ne les ait reprises?). Nous envisagerons dans le message suivant sa philosophie musicale qu'il convient de ne pas outrancièrement caricaturer. Et par la suite quelques extraits. Que l'on établisse pas cependant la confusion, malgré tous ses titres qui en font une sommité du monde musical, Robert Bernard n'est pas un musicologue, il ne possède pas les titres universitaires requis pour mériter une telle dénomination. Contrairement à de nombreux ouvrages, Robert Bernard a éliminé de son discours les données communes trop souvent répétées dans les notices (notamment les données biographiques) pour les remplacer par un discours critique. Son commentaire atteint ainsi une forte personnalisation et contient assurément une réflexion sur les styles, les compositeurs, la genèse de l'histoire de la musique. Néanmoins, Robert Bernard affirme un certain nombre d'idées force issues de l'élargissement du répertoire et de la redécouverte de nombreuses oeuvres du 18e et 19e siècle notamment. Ainsi, selon lui les compositeurs considérés comme des "grands génies" n'ont pas eu l'importance historique qu'on leur prête, l'évolution musicale est due à  un nombre important de compositeurs. Il prétend rectifier par souci de vérité et de justice l'exagération liée à  la notoriété des grands noms. Cette profession de foi est développée dans l'Avant-propos qui atteint une trentaine de pages. On y ajoutera l'idée, importante, (à  mon avis) selon laquelle l'historien de la musique prend obligatoirement parti et ne peut s'affranchir d'un jugement esthétique, lequel se concrétise par la place plus ou moins importante accordée aux différents compositeurs. Même losque l'historien s'abstient d'introduire la moindre notion critique, et même justement dans ce cas, il exerce la plus hypocrite des censures par le seul fait qu'il élimine certains noms et développe inconsidérément la notice de certains autres. Pourtant, malgré cette profession de foi admirable, dans le cours de l'ouvrage, Robert Bernard n'a de cesse d'éreinter les novateurs, de rabaisser les "petits" compositeurs, de mépriser les virtuoses-compositeurs comme Viotti, Littolf. Il affirme notamment la supérmatie de Bach ainsi que le caractère novateur de son oeuvre, ce dont ont pourtant renoncé nombre de ses collègues contemporains devant l'accumulation de faits musicologiques incontournables. Dans sa philosophie, ce discours illustre toute la hargne des intellectuels contre les compositeurs qui ont su gagner l'estime du public. Cette contradiction entre une philosophie favorable aux compositeurs peu connus et la réalité d'une attitude foncièrement attachée au culte des personnalités est une constante que j'ai souvent rencontrée. On me saura gré au moins, en ce qui me concerne, d'avoir appliqué dans les faits (je veux dire dans le jugement sur les oeuvres) la philosophie que je défends.
Voici quelques extraits des belles envolées de l'avant-propos:
"Le lecteur (par ces ouvrages d'histoire de la musique écrits avant Robert bernard) se touve exposé à  accorder une importance démesurée à  certains noms, à  les isoler d'un mouvement général auquel ils appartiennent, à  leur sacrifier et toute gratuité d'autres noms que la plsu élémentaire justice nous fait un devoir de connaître et d'honorer et surtout, ce uqi est le plus grave, cette vue déformée des réalités artistiques nous obscurcit le sens même du message et de l'apport des génies qui bénéficient de ce régime d'exception. p 11" "Nous verrons que le but primordial que nous nous sommes assignés dans ce livre est précisément d'essayer de sortir de ce cercle vicieux, de combattre les inconvénients inhérents au culte exclusif des vedettes [...], d'apporter une contribution, si humble soit-elle, à  la réparation d'injustices parfois inévitables... p 12" "Bach, Mozart ou debussy sont connus, appréciés et aimés au titre de représentants d'un certain stade de l'évolution du style, de la syntaxe et des usages mussicaux. Au lieu de considérer Bach, Mozart ou Debussy par rapport à  ce moment historique et de s'efforcer de délimiter non seulement leur apport dans un ensemble de créateurs, mais aussi et surtout les raisons profondes poru lesquelles ils se différentient du troupeau, le dominent, le guident et, à  certians égards, s'y opposent, on leur sacrifie purement et simplement la collectivité d'artistes laquelle ils appartiennent. Il s'ensuit une singulière erreur d'optique qui fait que, par exemple, on tient pour des imitateurs de tels maîtres ceux qu'ils ont précisément imités. p 13" "On attache trop d'importance aux noms, aux auteurs et pas suffisamment aux oeuvres. On a fait la remarque que la page la plus insipide, présentée sous un nom célèbre obtient un certain succès et qu'une page d'un des maîtres le splus universellement admirés, présenté sous un nom inconnu n'en obtient aucun. (qu'on se souvienne de l'aventure de Willaert à  la Chapelle Sixtine et celle de Valses nobles et sentimentales de Ravel p 14" "En outre il ne faut jamais perdre de vue que ce choral ou cette fugue de Bach, par exemple, qui est l'objet de notre dévotieuse admiration, ressemble à  s'y méprendre, à  un nombre incroyable d'autres chorals et d'autres fugues qui leur sont antérieurs ou contemporains, que Bach peut avoir connus ou non, dont il a pu s'inspirer. p 14" "Tel sujet de fugue qui nous émerveille dans l'ouevre de Bach est une simple citation empruntée à  un autre musicien, tel choral, parmi les plus admirables et qui symbolise pour maint mélomane le génie même de Bach lui est antérieur d'un siècle sinon davantage et il s'est borné à  en modifier l'harmonisation. p 14"
Mais voilà , dans la notice consacrée à  Bach, on trouve:

"Tout est extraordinaire, unique et merveilleux chez Bach p 381"

"Et c'est ainsi qu'Yves Nat a pu prononcer ce mot, qui n'est pas simplement spirituel, à  quelqu'un qui, comme il lui demandait quel était son musicien préféré, répondit: -Je ne vous demande pas ça... parmi les autres? Cette boutade est l'expression d'une vérité objective p 383"

"Les adeptes du déséquilibre mystico-sentimental, ceux de l'académisme le plsu réactionnaire, ceux de l'atonalité, de la polytonalité et de toutes les sectes intolérantes du "modernisme" accaparent Bach avec la même candeur et la même ferveur. n'est-ce pas le signe d'une supériorité qui est proprement surpa-humaine... p 390"

Enfin, je vous livre une perle. Il y a sur cette liste des esthètes qui sauront l'apprécier.

"Il n'est pas inutile de se demander parfois ce qu'il resterait de la gloire de glinka, de Dvorak ou de Grieg si un destin malicieux les avait condamné à  vivre dans le temps et le même lieu que Bach, Beethoven et Wagner. Ils en auraient été littéralement pulvérisés pourtant, leur oeuvre ne vaudrait ni plus ni moins p 409"

Qu'ajouter après cela?.

RÉFÉRENCES D'HISTOIRES DE LA MUSIQUE
C'est avec plaisir que je vous donnerais une référence. Mais pourquoi "de Bach à  nos jours"? Bach ne représente pas une fracture stylistique dans l'histoire de la musique. Je ne vois aucune raison d'utiliser Bach pour définir un espace temporel. L'ouvrage que je vous conseillerais est l'"Histoire de la Musique" de la collection "La pléiade" Gallimard. C'est à  mon avis le seule qui accorde quelque égard aux grands virtuoses-compositeurs qui ont façonné l'histoire de la musique. C'est un ouvrage important: 2 tomes de plus 1000 pages. il contient des articles de Handschin, Pincherle notamment. Si vous voulez un ouvrage pédagogique de niveau élémentaire, je conseillerais : "De la musique pour tous" de Parmentier Bernage. Remarquable à  mon avis, mais j'ai peur qu'il soit introuvable, il date de 1966. Vous avez aussi un classique "De Rameau à  Ravel" de Pierre Lalo (le fils du compositeur) chez Albin Michel 1947. Vous y trouverez des protraits saisissants des compositeurs qui étaient les intimes de son père). Cet ouvrage est partial, mais au moins d'une partialité délibérée. Lalo possède à  mon avis le mérite de ne pas donner systématiquement dans les lieux communs des Intellectuels. (Vous remarquerez déjà  qu'il a su éviter le titre "De Bach à  Ravel", de "Rameau à  Ravel", cela a tout de même un peu plus de lustre. On a l'impression de respirer un peu.) Si vous voulez un dictionnaire, le mieux me paraît être le Laffont-Bonpiani (qui est pourtant un dictionnaire de littérature essentiellement).

GERMANOPHOBIE MUSICALE EN FRANCE - PROMOTEURS DE BACH Pas forcément évident, votre remarque car Pierre Lalo fait l'apologie de Wagner, or la connotation germanophile concernant Wagner est beaucoup plus évidente que celle liée au nom de Bach. On s'en rend compte notamment dans les écrits de Saint-Saëns (mais pas en l'écoutant). La germanophobie du milieu musical français à  diverses époques, notamment au début du 20e se cristallise sur Wagner et aussi Brahms, mais jamais, à  ma connaissance, sur Bach. En revanche, historiquement, les promoteurs de Bach au début du 19e siècle en Allemagne alléguaient l'argument nationaliste pour promouvoir ce compositeur, notamment par rapport à  l'esprit "welsch" (ils croyaient à  cette époque que la musique de Bach en était exempte). il suffit de lire Forkel pour s'en apercevoir. La conception d'un Bach purement germanique a duré jusqu'à  ce qu'on ne puisse plus nier l'influence italienne dans son oeuvre. A ce moment, volte face extraordinaire des partisans de Bach (là  c'est vraiment génial), ils soutiennent que le génie de Bach, c'est justement qu'il a été le créateur de la grande synthèse de la musique allemande, française et italienne. C'est ce qu'on trouve notamment chez André Pirro.

LE PERSONNAGE DE RAMEAU
Et sans renier l'importance de son oeuvre pour clavier solo, il faut reconnaître que le meilleur de Rameau et ce qui l'a rendu célèbre se retrouve en opéra. Effectivement. Et Nikolaus Harnoncourt a écrit dans un de ses ouvrages un pladoyer fervent en faveur de l'opéra de Rameau qu'il considère comme très en avance par rapport à  son époque. Le personnage de Rameau lui-même a été très contesté par les affidés de Rousseau et de la musique italienne (en revanche les compositeurs italiens eux-mêmes n'ont jamais rien eu contre lui). Ce fut une querelle purement franco-française dont notre pays a seul le secret. Tout d'abord Rameau était, paraît-il d'un caractère imbuvable. Il a refusé de jouer aux orgues de Clermont-Ferrand dont il fut pourtant une époque titulaire. Diderot trace de lui un portrait peu flatteur. Je crois qu'il faut dissocier l'homme et sa musique et surtout, comme je le disais, dissocier le théoricien du compositeur. D'un autre côté aussi, son contemporain Vivaldi, ne s'était pas fait que des amis dans la ville des Doges. Ce n'est pas le même style de personnage, mais je ne sais lequel des deux valait le mieux dans le genre.

QUELQUES CRITIQUES DE ROBERT BERNARD SUR SIBÉLIUS, TCHAÏKOVSKY, SARASATE
Le festival continue. Aujourd'hui Sibelius, Tchaïkovski, Sarasate
sur Sibelius :

"Les premières symphonies ne se dégagent guère du romantisme et du lyrisme un peu flasque et douceureux de Tchaîkovski" p1153

On se demande parfois si certains auteurs écoutent les oeuvres qu'ils critiquent. Mais s'ils les ont écoutées, c'est encore pire, à  tout prendre, il vaut mieux penser qu'ils ne les ont pas écoutées. Je veux bien admettre que les opinions soient divergentes sur la qualité esthétique des oeuvres, mais sur la définition des styles, une plus grande convergence devrait apparaître. Confoncre l'impressionnisme si particulier de Sibelius au style très purement romantique (hors quelques effets sporadiques) de Tchaïkovski ne me paraît pas très sérieux. Il semble que Bernard confonde la lenteur "wagnérienne" de Sibelius avec le caractère qu'il nomme "douceureux" chez Tchaïkovski. Enfin, chacun en jugera. Autrement, dit, cela signifie que la musique de Sibelius commence à  devenir intéressante à  partir du moment où il devient moderne. Tout le mnde aura compris le parti-pris qui se cache derrière cette assersion. On sait que le public abandonnera Sibelius lorsque celui-ci se lance dans l'atonalité. Naturellement, c'est le public qui se trompe. Pourquoi écris-je ce truisme? On remarquera au passage l'opinion particulièrement laudative à l'égard de Tchaïkovski. Passons justement à  ce compositeur.

"L'art de Tchaîkovski correspond très exactement aux aspirations de ce public moyen qui est effarouché par l'exceptionnalité de l'esthétique du langage et de toutes conceptions dénommées, faute de mieux, géniales." p 1149

Donc, Tchaîkovski n'a aucun génie. On en attendait pas moins de Bernard. Cela dit, ce serait une opinion légitime si elle n'était pas affirmé d'une manière aussi doctorale. On voit très bien l'image du musicographe qui se dégage de ces lignes. Il représente l'initié, comprend la musique, dominant la foule des mélomanes incapables de discernement et adonnés au clinquant et à la guimauve sentimentale. C'est exactement la conception de Rebatet. Quels compositeurs représentent l'exceptionnalité du langage, sans doute Bach, Mozart, Haydn. L'ennui, c'est que ces compositeurs ont été des suiveurs et non des précurseurs, Bernard le reconnaît lui-même. Alors, où est-elle l'exceptionnalité du langage? Bernard, un esprit sagace, fait parfois des remarques intéressantes (à  mon avis) : sur Tchaïkovski:

"A plusieurs titres, la situation de Tchaïkovski ressemble à  celle de Saint-Saëns, non seulement parce qu'il y a de nombreux points communs entre eux, maintes analogies entre leur esthétique et leur technique, leurs qualités et leurs défauts, mais aussi par l'instabilité de nos jugements à  leur endroit." p1149

Voyons un jugement sur Sarasate:

"Malheureusement sa conception de l'ibérisme musical, d'un pittoresque conventionnel et touristique, ne fait guère illusion" p 1075

Oserons-nous dire que c'est le jugement de Bernard sur Sarasate qui est conventionnel plus que la musique de ce compositeur?

DIATRIBE DE ROBER BERNARD CONTRE VIOTTI
Et pour terminer, voici le clou, l'apothéose:

"Avec Viotti s'instaure le règne du Concerto, dans la plus regrettable et arbitraire acception du terme : il s'agit d'un solo de violon, utilisant le maximum d'effets de virtuosité, alternant avec des phrases mélodiques d'un lyrisme effrontément conventionnel dont le dessein n'est pas de l'ordre de l'invention musicale et qui a pour mission de faire valoir la beauté, la pureté, le charme, l'intensité de son du virtuose. L'orchestre est confiné au rôle d'accompagnateur, conception beaucoup plus contraire à la dignité même de la musique lorsqu'il s'agit du violon [] l'indignité du genre apparaît de façon bien plus flagrante dans les ritournelles de l'orchestre, dans l'exposition des thèmes : ceux-ci peuvent faire illusion quand ils sont confiés au soliste, précisément en ce qu'ils sont conçus pour le faire briller, mais quand c'est l'orchestre qui s'en empare, rien ne dissimule plus leur platitude, leur vulgarité, leur incurable niaiserie... [] Dès le premier concert qu'il donna le succès fut éclatant..." Bernard, Robert, histoire de la musique - Nathan, Paris, 1974 - pp 1026-1027

Et l'on se demande pourquoi Robert Bernard prend tant de peine pour finir d'enterrer Viotti, suffisamment discrédité par plusieurs générations de musicographes jaloux. Viotti qui est devenu un inconnu aujourd'hui par suite de cette campagne éhontée. Fascinant, il faut l'avoir lu pour le croire.

GADE, VIVALDI, SPOHR
Gade, Vivaldi. Contrairement au mois précédent, je puis vous suggérer deux CD contenant quelques chefs-d'oeuvre à  mon avis essentiels (ce doit être l'influence du Père Noël). Pour une fois, le CD de Sony avec Carmignola me semble digne de l'effet de presse qu'il avait suscité en ce qui concerne les oeuvres présentées sinon pour l'interprétation. Tous ces concertos ne sont pas à  mon avis des chefs-d'oeuvre, mais je vois au moins un concerto exceptionnel (le RV 273) et plusieurs mouvements excellents dans 3 autres concertos. On ne peut rien reprocher à  l'interprétation très lyrique du virtuose italien, d'autant plus qu'il l'a réalisée sur violon baroque, sinon que malgré sans doute les prouesses de la prise de son, la sonorité paraît insuffisante dans certains traits. Ce fait dommageable aurait sans doute pu être évité tout simplement en employant un violon moderne. Plus contestable me paraît la révision des partitions par Marcon qui a accordé à  la basse continue une importance inusitée. Il s'en explique dans la notice en considération de traités instrumentaux d'époque. C'est ainsi qu'il a adjoint un second clavecin, un orgue et même un archiluth suivant les oeuvres (ne me demandez pas ce dont il peut s'agir, c'est la première fois que je vois évoquer un tel instrument, mais peu importe). Marcon à  mon avis oublie cependant qu'en 1730 ou 40, les jours de la basse continue sont comptés. Il paraît pour le moins curieux d'augmenter l'importance de la basse continue dans les oeuvres tardives d'un compositeur qui se piquait de devancer son époque. On se heurte également à  une contradiction d'où l'on peut sortir difficilement : si le compositeur avait pensé que la basse continue dût revêtir une réelle importance, que ne l'aurait-il composée avec exactitude. A mon, sens, la basse continue doit demeurer un fond sonore assez indifférencié dans l'ombre des autres parties, évitant momentanément le vide occasionné dans certains passages. Si ces concertos sont réellement représentatifs d'une maturité de langage étonnante, à  mon avis ils ne dépassent pas sur certains plans cet équilibre exceptionnel qu'avait atteint le Prêtre Roux dans l'opus 8. Ce qui frappe cependant, c'est la capacité de Vivaldi de passer par-dessus l'époque classique (époque caractérisée notamment par une virtuosité tempérée, des résolutions souvent ultratonales, une thématique très récitative) pour rejoindre directement l'époque post-classique. On peut remarquer en particulier que le jeu violonistique de Vivaldi dans ces oeuvres comporte beaucoup plus de staccato que les concertos, même tardifs de Viotti. "On est loin du style baroque machine à  coudre" nous dit dans la notice Benjamin Folkman qui a eu la délicatesse dans ce propos de ne citer aucun nom. Vivaldi, menacé dans sa notoriété par des compositeurs napolitains à  la fin de sa vie, aurait voulu reprendre la prééminence. Qui sont ces compositeurs napolitains dont fait allusion Folkman, personnellement je ne les connais pas, sinon dans le domaine opératique. Fiorillo, peut-être, mais, d'après ce que je connais de lui, il peut reprendre son violon s'il veut rivaliser ne serait-ce qu'avec le Vivaldi de l'opus 8 et même 4. Que dire de la "Symphonie n°1", de l'ouvertue "Echo d'Ossian" de Gade (Chandos Orchestre national danois dirigé par Kitajenko), sinon que c'est à  mon avis tout simplement génial. Je subodorais le génie dans un duo du même compositeur, maintenant je l'ai rencontré et je soupçonne des oeuvres d'un niveau encore supérieur dans les symphonies suivantes. L'incompatibilité foncière entre la musique nordique et la musique allemande apparaît ici pleinement, bien avant la rupture spectaculaire réalisée par Grieg. Aucune trace de Mendelssohn ou Schumann dans ces pages. Cela me conforte dans ma thèse selon laquelle Wagner a puisé dans la musique nordique pour forger son style, moins révolutionnaire à  mon avis que celui révélé ici par Gade. Mais cela, qui voudra l'admettre? Il reste pour terminer cette remise à  jour quelques concertos de Spohr, un Spohr bien pâle, aucun rapport avec le compositeur du "Concerto n°8" au chromatisme si suave.

FIN MESSAGES 2001

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