MESSAGES DE LISTES 2000
DISCOGRAPHIE COMPARÉE DE TSAR SALTAN DE RIMSKI ET DES VARIATIONS GOLDBERG DE BACH
La disparition de "Tsar Saltan" chez les éditeurs semblerait bien montrer que de grands succès peuvent être vite oubliés, et c'est inquiétant surtout si on compare cette disparition à l'amoncellement des quelque 20 ou plus version des "Variations
Goldberg", si j'ai bien lu sur un de vos messages. "Skasska", qui est aussi à mon avis, une oeuvre sublime, a-t-il bénéficié en son temps du même succès que "Tsar saltan", je n'en
sais rien. J'ai l'impression qu'il n'y a vraiment que les fanas de Rimski
comme moi qui apprécient cette oeuvre bien oubliée.
"La suite d'orchestre est à l'opéra ce qu'est le titre au roman.", dites-vous. Je dirai
au
contraire, d'une manière générale, que la suite d'orchestre est à l'opéra ce
qu'est le concentré Liebig au bouillon dilué, si vous me permettez cette image culinaire.
HIÉRARCHIE DES COMPOSITEURS
Il me semble qu'il est toujours facile de croire que nous sommes au-dessus
de ce qu'on nous impose. Pour ma part, je ne prétend qu'essayer de m'en
dégager. Je pense qu'en réalité, nous sommes tous imprégnés des archétypes
définis par notre civilisation, notamment la hiérarchie des valeurs. Toute
remise en cause est interprétée comme une agression vis-à-vis d'un système
sécurisant dans lequel tout individu se retrouve. Qui d'entre nous
accepterait une totale remise en cause de la hiérarchie des compositeurs qui
a été établie par "l'élite" ou par la tradition?
COMPRÉHENSION DE LA MUSIQUE ET CULTURE MUSICALE
Le bagage théorique est-il nécessaire à la compréhension de la musique?
Mon hypothèse est que non seulement le bagage théorique est superflu, mais
il risque d'occulter la sensibilité.
Une personne trop douée de sens pratique ou de sens intellectuel risque de
voir s'oblitérer sa sensibilité car le cerveau risque de privilégier une
opération plutôt qu'une autre. c'est peut-être un certain équilibre de nos
activités psychiques, de nos désirs qui permet de les exprimer.
TRAVAIL DE L'INTERPRÉTATION ET VALEUR ARTISTIQUE
Vous m'évoquez un travail d'interprétation en tant que musicien et non de
mélomane. Là-dessus, je ne me prononce pas. C'est
purement l'affaire de l'interprète ou du compositeur, c'est l'auditeur qui
jugera du résultat. Si votre recherche est efficace, elle doit se traduire à
mon avis en terme de "plaisir musical" pour l'auditeur. Il ne me paraît en
aucun cas crédible que ce dernier entre dans les arcanes du travail que vous
avez fait en tant que musicien. Dans un théâtre, les trappes, les poulies
doivent rester en dehors du regard des spectateurs sinon la magie ne s'opére
plus. Ne pas considérer ce qui est extérieur à l'effet vous paraît limitatif, c'est pourtant ce que je prétend, en tous cas cela correspond à ma
"compréhension" de la musique. Pour cela, je ne déconsidère pas les
recherches afférentes à la musique (je ne suis pas masoschiste), mais je
considère qu'il ne s'agit que de connaissance didactique. Je ne vois pas de
relation entre la connaissance des lois de l'harmonie et le sentiment de
consonnance que procure un accord par exemple. Ne confondons pas, je crois,
inversement, à un réel rapport entre les lois physiques de l'harmonie et le
sentiment de consonnance, mais je ne crois pas à une relation entre la
connaissance intellectuelle de ces lois et la perception intuitive
correspondante. Faut-il consentir un effort intellectuel pour apprécier une oeuvre?
Il faut à mon avis plutôt consentir l'effort d'auditionner plusieurs fois
une même oeuvre avant qu'elle nous pénètre et qu'elle nous dévoile ses richesses. Mais ce terme
d'"effort" me paraît suspect. Ne suggère-t-on pas implicvitement
qu'il faut faire des efforts pour supporter une musique ennuyeuse que l'on
doit "s'efforcer" de trouver géniale. Il faut "s'efforcer" d'écouter une
musique détestable...
UNE ÉLITE PEUT-ELLE DÉTERMINER LA VALEUR DES OEUVRES MUSICALES?
Tout paradigme risque d'être voué à l'échec en raison de la complexité du
Réel. Je pense d'abord qu'il faut approfondir les notions d'élite et de
public. Par définition même, ceux qui sont capables de déterminer
la valeur des oeuvres appartiennent (de ce point de vue) à une élite, mais
ceux qui prétendent à cette connaissance la possèdent-ils véritablement et
représentent-ils l'élite? Il ne suffit pas de s'autoproclamer membre d'une
élite pour que cette assertion soit vérité. Personne ne peut prouver la
vérité de ses choix, c'est la raison pour laquelle j'ai toujours affirmé
qu'on devait les présenter comme des opinions ou utiliser des formules
dubitatives. C'est d'ailleurs, il me semble, la tendance actuelle de
l'historiographie musicale et même de la critique. La philosophie dont vous
témoignez est, me semble-t-il, celle du 19e siècle et de la première
moitié du 20e, on la retrouve notamment chez des auteurs comme Eugène
Rapin ou Giuseppe Piccoli. Les musicologues contemporains, en général, sont
beaucoup plus
humbles et réservés quant à leur capacité à déterminer la valeur des oeuvres musicales, leurs travaux à
mon avis
ont une valeur scientifique (au sens large du terme) plus
élevée. Si vous avez lu cela chez un auteur récent, à mon avis, il n'est pas
dans le profil de notre époque. Comme j'ai dû le dire déjà sur ce forum, la
musique classique (malheureusement) concerne une fraction restreinte de la
population, on peut considérer (c'est une simple possibilité) qu'il s'agisse
d'une élite. D'autres considèrent que l'élite, ce n'est pas ce public, mais
quelques intellectuels qui donnent le ton, mais d'ailleurs n'est-ce pas de
l'autoproclamation. On pourrait considérer comme élite ceux qui ont une
sensibilité supérieure et non pas un intellect supérieurement développé,
sans que l'on puisse affirmer, évidemment qui appartient à cette élite...
AUTHENTICITÉ DE LA MUSIQUE RHAPSODIQUE - FALLA, JANACEK, KODALY, DVORAK
Falla par exemple y a prétendu, au moins implicitement. Il a fait dans le
même esprit l'éloge du rhapsodisme ibérique de Debussy qu'il trouve
"authentique" ! Ce que vous dites me paraît la première évidence, seule la
musique
folklorique peut prétendre à une certaine authenticité, s'il y a lieu.
Il me semble qu'on peut considérer plutôt l'authenticité de L'inspiration en
opposition à l'utilisation facile de recettes retranscrites sans
réutilisation personnelle. C'est peut-être ce qu'ont entendu par là les
partisans de l'authenticité: authenticité du sentiment et non pas du texte
musical par rapport à sa source, notions qui sont justement
antithétiques.L'utilisation la plus
"authentique" du rhapsodisme ne concernerait justement pas les oeuvres
rhapsodiques par leur dénomination, mais celles appelées banalement
concerto,
symphonie... dans lesquelles le compositeur, sans intention "rhapsodique"
s'exprime naturellement dans la "langue rhapsodique" qui est sa langue
naturelle. Falla est-il authentique lorsqu'il écrit "Les bateliers de la
Volga" pour piano, transcription assez terne à mon avis et qui apporte peu? Ketelbey, pourquoi pas, il me plait assez, même s'il est à cent lieues de la
musique perse. Janacek, d'après les oeuvres que
je connais au moins, ne me paraît pas avoir l'âme rhapsodique, mais sait-on jamais. Je ne suis
pas sûr qu'il aime beaucoup la couleur instrumentale. Oui, l'intérêt, de mon
point de vue, du travail de folkloriste d'un Kodaly, c'est de permettre de
découvrir des effets nouveaux, ce que n'a pas su faire, je pense, Bartok (ne
vous inquiétez pas, c'est une petite pointe qui m'est coutumière contre les
modernes).
Je reviens sur le "Quatuor américain" de Dvorak pour vous dire que notre
différence d'appréciation n'était due qu'à une confusion. Je l'ai confondu
avec un autre quatuor de Dvorak que j'avais entendu en concert. Il se trouve
qu'en revoyant mes notes critiques, je suis tombé sur le "Quatuor
américain", le vrai que j'avais emprunté à la médiathèque et j'avais noté à
son propos : "Bien qu'effectivement rhapsodique, cette oeuvre ne tire pas le
parti qu'elle pourrait de la musique américaine. Les thèmes ne
m'apparaissent pas marquants..." Cela dit, je n'ai aucun souvenir de cette
oeuvre. Malheureusement, ma mémoire est déficiente, cela se ressent pour les
oeuvres qui ne m'ont pas particulièreement marqué. Peut-être cette oeuvre
vous a-t-elle marqué... et notre différent est encore plus important!
LA "COULEUR" RHAPSODIQUE - GLINKA
Définir avec des mots la couleur rhapsodique, cela me paraît difficile. Le
mieux me paraît être de prendre des exemples. Je vous en donne 2 qui me
viennent àl'esprit si vous connaissez ces oeuvres : "Karaminskaïa" de
Glinka, je dirais: pas ou très peu rhapsodique, "Nuit à Madrid" du même
compositeur, je dirais: nettement rhapsodique.
Sur Janacek, je n'ai rien d'autre à ajouter que ce que j'ai dit, se référant
aux seules oeuvres que je connais.
APPORT DE LA CONNAISSANCE THÉORIQUE
Je ne peux pas me mettre à la place d'une personne qui n'a aucune
connaissance théorique, effectivement, mais cette connaissance - limitée
d'ailleurs en ce qui me concerne - je ne vois pas ce qu'elle m'apporte en
tant que mélomane. Qu'apporte, sur le plan de l'appréciation de l'oeuvre, le
fait de savoir qu'à tel endroit il y a des accords de septième de dominante
ou de neuvième? D'autre part, il ne faut pas oublier qu'auncune
étude théorique, à mon avis, comme l'a dit un sociologue de la musique, "n'a
jamais été capable de démontrer pourquoi une partition était plus
intéressante artistiquement plus qu'une autre". Il me semble que les
connaissances théoriques sont en réalité très limitées, notamment en ce qui
concerne l'étude de la mélodie, ce qui signifie, à mon avis, que la
perception intellectuelle ne peut exister, du moins dans l'état actuel de nos connaissances. Cela dit, je ne conteste pas
l'intérêt
didactique de ces études, tout le travail réalisé par les théoriciens me
paraît éminemment respectable.
ÉVOLUTION DE LISZT
J'ai lu avec beaucoup intérêt votre long commentaire très documenté sur
l'évolution de Liszt. Vous savez que je ne suis pas partisan de l'optique
traditionnelle selon laquelle les meilleures oeuvres d'un compositeur sont
celles dans lesquelles il renonce à la virtuosité superficielle pour "écrire
de la musique plus profonde", ce qui me semble transparaître dans votre
analyse, mais peut-être ne faites-vous que refléter ce que liszt disait
lui-même, ce qui corespond effectivement à l'évoulution de sa philosophie
de la musique comme le suggère l'extrait ci-dessus de votre message.
D'une manière générale, je ne suis pas convaincu que l'évolution de la
plupart des compositeurs soit positive, en particulier à la fin de leur
carrière, idée personnelle évidemment. Par
exemple, la meilleure symphonie de Sibelius pour moi est la première. Je
pense que certains compositeurs, qui furent d'authentiques génies à mon
avis, ont évolué négativement vers la fin de leur vie: je citerai Scriabine,
Bach, Liszt, et peut-être même Rimski-Korsakov. On se demande si
certains
compositeurs ne se sont pas musicalement autodétruits. Le procès que je fais
à Bach, c'est peut-être tout simplement un problème de développement de la
personnalité qui lui est commun avec un grand nombre de compositeurs. Peut-on
exiger d'un artiste qu'il soit génial toute sa vie?
En ce qui concerne Liszt, il est vrai, comme vous me le faisiez remarquer
dans un précédent message, que ses différents styles ne sont pas aussi
marqués qu'on peut le penser en fonction de la période compositionnelle, néanmoins certaines oeuvres que je connais de sa dernière
période (je présume), me semblent d'un intérêt mineur et même peu lisztienne
comme les "Deux légendes", la "Bénédiction de Dieu dans la solitude". Un
détail me paraît amusant. Candé remarque que Saint-Saëns a dédicacé sa "3ème
symphonie" "A la mémoire de Liszt", et dit-il on écrit "à la mémoire" lorsque
le compositeur est mort, or Liszt était encore vivant. Il mourut quelque temps plus tard, je
crois. Que voulait dire Sains-Saëns ? Peut-on penser qu'il ait été aussi
féroce à l'égard d'un compositeur qu'il vénérait ? Le saura-t-on jamais ?
Encore une fois, bravo pour cette brillante analyse et croyez que
je partage votre admiration pour un compositeur tel que Liszt . Soutenir
ainsi un grand pianiste-compositeur (je serais plutôt tenté de dire
compositeur-pianiste), c'est une initiative
que je ne peux qu'encourager. C'est assez rare, je ne crois pas qu'il y ait
eu dans l'histoire autant d'association Liszt (s'il en a existé?) que
d'association Bach pour le
promouvoir.
INTÉRIORITÉ OU EXTÉRIORITÉ CHEZ GOTTSCHALK
Selon vous, Gottschalk n'aurait développé, selon la formule consacré que "les côtés extérieur de la musique".C'est un fait, me dites-vouss. Vous êtes bien affirmatif. Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer comme un
fait votre propre appréciation? Pour ma part, je considère qu'il y a de
l'intériorité chez Gottschalk, mais je le présente comme une opinion.
D'autre part, comment pouvez-vous formuler que ces caractéristiques sur
Gottschalk ne sont pas alléguées comme accusation. Il me paraît bien évident que le manque d'intériorité, la tendance à l'extériorité, risque fort d'être considéré comem la marque d'un esprit faible, surtout si on ne garde fort de le faire remarquer.
REGRESSION DES COMPOSITEURS AVEC L'ÂGE - LISZT
La virtuosité n'est pas compatible, je pense, avec l'absence d'effort, c'est
au contraire une école d'exigence. Liszt, plus que tout autre, l'a prouvé il
me semble et lui a donné toutes ses lettres de noblesse. Un autre facteur
intervient en réalité à
mon avis dans la dégradation des capacités en fonction de l'âge chez
certains compositeurs, c'est tout simplement l'épuisement des possibilités
inventives, le manque d'inspiration. Certains, qui ont eu conscience de leur
stérilité ont cessé de composer, Rossini en est un exemple célèbre (à moins
qu'on allègue d'autres causes à son sujet), il me semble que Sibelius a
fait encore mieux (ou pire si l'on veut). Scharwenka n'est-il pas à bout de
souffle dans son "Concerto n°4", où toute substance musicale n'est cependant
pas absente à mon avis. Une des regressions les plus
courantes intervenant avec l'âge me semble être la tendance à un mysticisme
excessif qui atteint la paranoïa. On la rencontre chez des écrivains comme
Holderlïn (mais assez tôt chez lui), Gogol... Scriabine me paraît avoir été
atteint de ce syndrome.
Quel contraste entre son "Concerto" pour piano très chopinien (si vous me
permettez ce terme un peu curieux) et son "Prométhée" ! Bref, Liszt n'est
pas le seul. Ce que je considère d'un oeil plus critique, c'est que l'on ait
un peu trop tendance aujourd'hui à nous présenter les productions de sa
sénilité
(enfin selon moi et beaucoup d'après ce que vous m'avez appris) comme les
oeuvres les plus géniales qu'il ait écrites, en
vertu de cette philosophie intellectualiste qui fait dénigrer la virtuosité,
le lyrisme et rechercher une prétendue "spiritualité".
TCHAÏKOVSKY - VARIABILITÉ DANS L'INSPIRATION D'UN COMPOSITEUR
Pourtant, j'avoue que Tchaïkovski, dans certaines oeuvres, me paraît présenter des faiblesses. L'ouverture 1812, c'est à mon avis loin d'être son chef-d'oeuvre
symphonique. Je suis vraiment étonné que
certains
grands symphonistes puissent d'une oeuvre à l'autre atteindre des sommets de
subtilité ou des sommets d'indigence, enfin selon mon jugement. Autant
Wagner me paraît sublime dans l'ouverture de Tannhauser (la première je
précise) autant il me paraît inexistant dans celle des "Maîtres chanteurs".
Avec sa symphonie pour alto, Berlioz à mon avis ne renouvelle pas l'exploit
de sa "Fantastique". La scène de brigand me semble un simulacre bien
pâle de la scène de sabbat. En définitive, je me demande si on peut
véritablement formuler un jugement sur un compositeur, (bien que je l'ai eu
fait des quantités de fois) sans compter qu'il faudrait connaître
l'intégralité de ses oeuvres.
Votre intérêt pour la pathétique me ravit, nous
sommes d'ailleurs des centaines de milliers dans le monde à aimer cette
oeuvre. L'orchestration
m'y paraît bien d'une grande originalité. le plus estimable dans cette
oeuvre est peut-être la sincérité et l'intensité bouleversante des
sentiments exprimés. Je ne serais pas élogieux
pour tous les mouvements, mais cela l'intérêt supérieur de certaines parties. Si dans une symphonie il y a au moins un mouvement qui est
excellent, c'est déjà une grande symphonie, me semble-t-il.
LE PUBLIC EST-IL NATURELLEMENT PLUS PORTÉ VERS BACH QUE VERS TCHAÏKOVSKY?
Je ne pense pas que vous puissiez nous faire croire que le public de
lui-même se tourne vers Bach au détriment de Tchaïkovski. Bach n'a jamais eu
de succès aussi éclatants que Tchaïkovski avec son
"Concerto n°1" ou le "Casse-noisette. Je crois plutôt que ce
sont les musicographes qui ont entraîné le discrédit de Tchaïkovski auprès
des snobs, par l'intermédiaire des notices discographiques qui servent
souvent de courroie de transmission à leur idéologie.
Il me
semble que les mélomanes qui ont apprécié l'"Adagio d'Albinoni", le "Concerto
n°1" de Tchaîkovski, les "Quatre saisons" de Vivaldi sont beaucoup plus
nombreux que ceux qui ont été amenés à la musique par les "Variations
Godberg" ou les concertos brandebourgeois. On pourrait éventuellement
considérer les mélomanes potentiels, s'il en est, qui se sont
détournés de la "musique classique" à cause du caractère rébarbatif (à mon
avis) de
nombreuses oeuvres de Bach et de l'image peu engageante qu'il
donne, me semble-t-il, de la musique classique auprès du public! Bach ne
porte peut-être pas uniquement ombrage à Tchaïkovski ! J'ai bien peur qu'il
soit un porte-étendard un peu vermoulu qui gagnerait à être remplacé si l'on
veut redorer le blason de la musique classique, lui conférer un caractère
plus attrayant et augmenter son audience.
Ce qui me paraît également incontestable,
c'est l'existence du culte de Bach dont on a vu des exemples jusque sur
notre forum de la part de membres occasionnels. Vous qui avez consulté
toutes les
archives, vous pourriez relever quelques interventions significatives. Il
n'existe pas, que je sache
de culte Tchaïkovski ou Vivaldi, en tous cas pas en France. La "vivaldite"
qui s'est emparée de la musique il y a quelques décennies était le fait du
public, non des intellectuels de la musique, même si le point de départ
était une étude musicologique très sérieuse, mais de la vraie musicologie
moderne. Le culte de
Tchaïkovski en URSS s'est appuyé sur le succès public considérable de
ce compositeur, de son vivant même, sa base me paraît donc beaucoup plus
crédible historiquement.
CONTESTATION DE BACH
Sans vouloir faire l'historique de la contestation envers Bach, ce dont je
serais incapable, je puis néanmoins vous dire qu'elle est relativement
ancienne et importante puisqu'elle remonte à Scheibe du vivant de Bach. Longtemps restée ignorée des dictionnaires et
ouvrages courants, sans doute pour cause de culte, cette contestation vient d'être admise
dans les dernières éditions du Petit Robert noms propre. Je ne suis donc pas seul à contester ce compositeur.
CONSIDÉRATIONS PERSONNELLES
Sans doute êtes-vous, comme vous le dites, plus utile Sulek qu'à Bach. Malheureusement, j'ai peur que les mots n'aient parfois plus d'influence que
les notes, et il nous faut bien en tenir compte.
Je suis peut-être trop ambitieux dans mes démonstrations, d'autant plus que
je sens que
mes capacités de travail et de concentration sont en baisse, je fais
beaucoup de confusion et d'interversions, je
ne me souviens même plus de ce que j'ai écrit. Je suis aussi de tempérament
trop passionné pour mener le travail rigoureux de musicologie que je
voudrais faire, je pense que
d'autres le feront mieux que moi. Si je peux être utile à quelqu'un qui
voudrait faire un travail approfondi sur le thème de l'influence des médias
sur la musique, cela me suffirait. Et puis, je suis souvent fatigué. En fin
de compte, je me dis, est-ce que tout cela vaut bien la peine, ce qui compte
dans l'existence, c'est de se faire plaisir et de faire plaisir aux autres.
Vous avez raison,
il faut être plus humble, c'est la sagesse. Mais l'humilité, c'est peut-être
aussi de considérer que le goût de milliers de personnes qui préfèrent
l'"Adagio" d'Albinoni à l'"Art de la
fugue" doit être considéré et par conséquent accepter la révision de
certaines hiérarchies musicales, modifier notre philosophie. C'est aussi ce
que j'ai essayé de faire
dans ma réflexion personnelle en évitant de rester enfermé dans la
marginalisation intellectuelle.
CONSIDÉRATIONS PERSONNELLES
Je comprends qu'une révision fondamentale de la musique puisse être
cruelle sur le plan sentimental. Cette révolution, si toutefois elle est
justifiée, s'est produite avec la redécouverte du baroque qui a suivi celle
de Bach et tous les travaux tant musicologiques que sociologiques qui ont
été réalisés. Elle n'affecte d'ailleurs pas uniquement le baroque. On n'a
bien sûr
aucune certitude et je ne voudrais pas
présenter ces nouvelles tendances, qui ne sont pas obligatoirement toutes
concordantes d'ailleurs (et dont je n'ai en fait qu'une connaissance
partielle et superficielle), comme
des vérités inéluctables. Je ne pense pas qu'elles
aboutissent à la faillite totale de la forteresse Bach, (en tous cas ce
n'est
pas ce que je souhaite), mais tout de même à une
révision obligatoire, au moins, de son importance historique dans
l'évolution de la musique. D'un autre point de vue, au 18e siècle, une
génération entière de violonistes-compositeurs vouent leur existence à
l'expression musicale violonistique, au concerto de soliste en particulier
qu'ils essaient de porter au plus haut degré, Bach l'organiste arrive, il
écrit quelques concertos pour violon (dont l'authenticité est d'ailleurs contestée par les experts) et on déclare que ces concertos sont
supérieurs à ce que tous les autres ont fait. Croyez-vous que ce ne soit pas
choquant et extrêmement bizarre. Est-ce impossible d'admettre qu'en
matière violonistique, il existe peut-être d'autres chefs-d'oeuvre du 18e siècle qui soit
supérieurs aux concertos que par incadvertance Bach a écrit (ou recopié ou transcrit?). Ceci exclut-il un attachement sentimental, lequel n'est pas
obligatoirement en rapport avec la valeur intrinsèque de l'oeuvre.
Cet attachement à Bach vous est-il si indispensable.
VARIABILITÉ DE LA VALEUR DES OEUVRES
Pour ne pas sortir des statitiques (tant que nous y sommes), à quel pourcentage des oeuvres d'un compositeur peut-on évaluer celles
qui sont dignes d'intérêt, si cette question a un sens. Berlioz l'évalue à
moins de 20%, d'après sa fameuse citation (la
musique des virtuoses-compositeurs est mauvaise à 80%, celle des non
virtuoses est encore plus mauvaise)? Sur mes propres appréciations, je
l'évalue environ à un quart. Je suis tout de même meilleur public que Berlioz.
CONCERTOS POUR VIOLON DU 18e SIÈCLE
Jarnovic, oui, un violoniste à moitié fou, comme son collègue Lolli, si je
me souviens bien, ce qui n'exclut pas le génie. Je n'ai rien de lui.
Copncernant la fin du 18e siècle, j'ai souvenir de quelques concertos de Fiorillo, d'un
certain caractère, mais je ne les classerai pas parmi les oeuvres mémorables,
à mon avis il égale à peine Mozart dans ses oeuvres concertantes. De cette
période, c'est Dittersdorf (mais c'est
peut-être un peu avant) qui me frappe le plus, il me paraît considérablement
supérieur à Mozart dans ses concertos pour violon. Il l'a supplanté à mon
avis par son élégance, son raffinement, sa délicatesse et une certaine idée
de l'innocence qui ne dérive jamais vers la naïveté ou le simplisme... En
revanche, son
concerto pour piano (le premier) me paraît d'un ennui mortel.
UTILITÉ DES DÉBATS SUR LA MUSIQUE
Les débats à mon avis font évoluer les mentalités, même si les adversaires
sont en apparence irréconciliables. Il y a un travail intérieur qui se
réalise. Nous sommes influencés, je crois, même par les positions que nous
combattons le plus, et parfois nous combattons contre nous-même. Je ne
voudrais pas rappeler les principes de la philosophie hégélienne, mais je
pense qu'il a bien mis en lumière cette évolution des idées au niveau
historique par la forme du "combat dialectique". C'est de la confrontation
de la thèse
et
de l'antithèse que naît la synthèse.
Vous pensez que les polémiques sont dans l'esprit latin. Là, vous m'étonnez, en tous cas pas en ce qui concerne la musique.
Peut-être plutôt dans l'esprit gaulois, ce qui est bien connu (voir
Astérix). Il est intéressant à ce sujet d'évoquer les principales querelles
musicales. La querelle des bouffons a pour sujet la différence entre la
musique italienne et la musique française, or d'après les quelques ouvrages
que j'ai lu, elle s'est développée presque uniquement en France. Même les
artistes italiens concernés directement ne sont pas intervenus dans la
polémique. Rousseau, cet esprit délicat, en est arrivé, paraît-il, à des
insultes, il n'a pas été le seul. La grande polémique Wagner qui a secoué
l'Europe s'est beaucoup développée, il me semble, en France. Verdi, principal concurrent de
Wagner, aurait pu être un des principaux protagonistes de cette querelle, il
n'est justement pas intervenu dans ce sens, si j'en crois les quelques
ouvrages que j'ai lu. Fétis, en Belgique, oui, à propos de wagner, justement, des articles chauffés à blanc.
TANÉÏEV
Ce n'est pas que j'en veuille à Tanéïev d'avoir d'avoir orchestré le
"Concerto n°3" de Tchaïkovski comme il l'a fait, mais je trouve son style
symphonique très impersonnel, insipide et d'une grande inuformité rythmique
notamment. Je dis cela de la "Symphonie n°2", "L'oracle d'Apollon", mais
comme quelquefois, les meilleures symphonies peuvent être les premières,
peut-être que sa "Symphonie n°1" est-elle son chef-d'oeuvre.
GLAZOUNOV
Je ne peux qu'approuver votre enthousiasme pour Glazounov.
Avant de découvrir ses symphonies, je ne peux que louer le concerto pour
violon. Il dévoile à mon avis une facette différente de ce compositeur par
rapport à l'"Hommage à Gogol" ou "Scène de ballet", peut-être moins raffinée,
mais plus lyrique. Je retiendrai un passage de ce concerto où l'exploitation
des extrêmes-aigues est particulièrement poussée. Il est vrai que les 2
concerti pour piano me laissent totalement froid. N'est-ce pas rare à mon avis
qu'un compositeur s'exprime aussi bien dans le genre concertiste poru piano
et pour violon. D'une manière générale, il me
semble que
les symphonistes ont plus d'affinités avec les violonistes.
ACADÉMISME
Avez-vous remarqué qu'il existe aujourd'hui beaucoup de distorsion de
vocabulaire, certains mots ont changé de sens. Avant de donner un petit
lexique à la liste, pour votre gouverne personnelle, je voudrais au moins
donner la signification moderne d'un mot :
"académique" : se dit aujourd'hui d'une oeuvre d'une certaine dimension
lyrique, souvent colorée, se signalant par le fait qu'elle est
totalement exempte de l'utilisation scholastique de procédés classiques.
COOPTATION ENTRE PAIRS
Cela vous paraît plus important que Bach ait été entendu par Mozart, Beethoven et Mendelssohn plutôt qu'il ait enregistré des succès publics.
Ne retombe-t-on pas en circuit fermé dans le culte des présumés
"grands" compositeurs et ne considères-t-on pas que le public pour lequel est écrit
la musique est un négligeable. On reste dans la famille, c'est plus
commode. Entre "grands classiques". Et nous n'avons qu'à nous aplatir devant ces "grands" qui pratiquent la cooptation entre pair.
ACADÉMISME - APPORT DE SCHUMANN
Je ne crois pas que l'académisme soit lié au fait lui-même de la
réutilisation d'un style antérieur. Il ne viendrait à l'esprit de personne
de dire que Mozart est académique, pourtant il a utilisé le style galant,
mais c'était pour lui une utilisation naturelle. Au 18e siècle, je ne
pense pas que la notion d'académisme existait, c'est à mon avis une
invention des modernes. Mis à part les modernes, les oeuvres que vous me
citez (de Schumann, Schubert) ne me
paraissent guère contenir d'originalité. Dans le domaine pianistique, le
rôle de Schumann me paraît avoir été exagéré notamment en considération de
l'apport de Litolff.
STAR SYSTEM - IMPORTANCE EXAGÉRÉE ACCORDÉE À L'INTERPRÈTE
Oui, c'est bien mon avis (humble aussi). Un des dangers de la focalisation
excessive des critiques sur l'interprétation me paraît être l'absence d'une
critique véritable sur l'oeuvre elle-même. C'est, dans un sens, une facilité
arrangeante, me semble-t-il. Dans cette dérive vers le star system, la
musique classique rejoint par ses caractéristiques sociologiques la variété
ou le rock. Je me souviens des pochettes de 33 tours qui fleurissaient il y
a quelques dizaines d'années où le nom de l'interprète s'étalait en
caractères énormes alors que le nom du compositeur était mentionné en tout
petit. Il semble que cette tendance ait regressé, tout au moins
n'appraît-elle pas de manière aussi ostentatoire. Je n'exclus naturellement
pas l'importance de l'interprétation qui peut dévoiler ou occulter l'oeuvre
dans ce qu'elle a de plus fondamental, il suffit cependant que la hiérarchie
soit respectée.
MUSIQUE ALBANAISE
Voici quelques éléments de critique concernant le CD de musique albanaise
dont un de nos membres nous avait donné la référence.
Je dois avouer que c'est un des enregistrements qui m'a le plus impressionné
depuis bien longtemps. Je l'ai maintes fois écouté et je crois cela
nécessaire pour en saisir toute la saveur et toute la profondeur.
Ces oeuvres, pour la plupart m'apparaissent fortement originales,
puissamment lyrique et empreintes d'une marque folklorique particulièrement
nette. Les éléments rhapsodiques ressortissent sans doute de la musique
folklorique albanaise que je ne connais pas, et je ne puis en juger.
Extérieurement, ces éléments sont très proches voire identiques à ceux du
folklore ibérique, à moins q'il ne s'agisse d'éléments inspirées de
compositeurs espagnols comme Albeniz. La marque de ce compositeur me paraît
parfois évidence, bien qu'il soit difficile de l'affirmer, de même on y
discerne, peut-être par l'intermédiaire de ce dernier des procédés
lisztiens (effets de trémolos). En revanche, je vois très peu d'éléments de
folklore slave, sauf
peut-être dans les "Variations" de Zadeja. Plus nettement, il me semble que
la marque de Moussorgski apparaît dans "Marche" d'Ibrahimi, la "Miniature
danse" de Lara.
Quelques compsiteurs, représentés par un certain nombre de pièces, peuvent
être traités plus en détail.
Ibrahimi a développé des effets d'une extraordinaire pugnacité et
originalité dans la lignée de Liszt et Albeniz, avec une grande richesse
harmonique aboutissant à des sonorités parfois fascinantes. Sa "Toccata" me
paraît la pièce la plus moderne, dans le bon sens du terme. Pour être
absolument honnête, je dois avouer qu'Ibrahimi,
dans ces quelques pièces, en modernité et originalité, dépasse Liszt
et Albeniz, mais il appartient sans doute à une génération postérieure.
Peut-être moins moderne, Lara se distingue, à mon avis, par une recherche
d'impressionnisme particulièrement poussée, là aussi par des sonorités
parfois hallucinantes. Il atteint certainement dans quelques pièces les
chefs d'oeuvre de
Debussy et Rodrigo dans ce genre. On notera chez lui, mais aussi chez
Ibrahimi et Zadeja une exploitation des graves prodigieuse ainsi que des
unissons, une prédilection pour les suites d'accords martelés.
Harapi, qui appartient peut-être à une génération précédente (fin 19e ou début 20e? (le CD n'est pas très locace sur les compositeurs, on ne sait
même pas leurs prénoms!) se distingue plutôt par son classicisme allié à un
certain
brillant et une grande clarté. Ses pièces, non rhapsodiques ici, sont
peut-être moins remarquables, mais "Miniature La joie revient" se
caractérise par une assise thématique très solide.
En définitive, cet enregistrement me paraît recéler beaucoup plus de
chefs-d'oeuvre que la plupart des enregistrements d'oeuvres de "classiques
reconnus" qui inondent le marché parce qu'ils ont un "nom" acquis souvent, à
mon avis, de manière bien contestable. Ce CD malheureusement, à ce qu'il me
semble, n'est pas distribué, ce qui me paraît fortement dommageable pour les
compositeurs concernés, mais plus encore pour la musique en général.
Ermira Zyrakja, l'interprète de ces oeuvres, est une sublime fille blonde
aux yeux bleus. Elle a commencé sa carrière de soliste à 12 ans. C'est un
être exceptionnel par sa beauté et ses dons musicaux. Elle a, à mon avis,
remarquablement servi ces compositeurs, dans un jeu où pourtant dominent,
comme chez Albeniz, les effets de force, ce qui n'est peut-être pas évident
pour une femme.
PENDERECKI ET LUTOSLAWSKY
Car vous trouvez Penderecki conservateur! peut-être comparé à Lutoslawski,
mais tout de même. Personnellement, je ne trouve ni l'un ni l'autre
fréquentables. Mais un Polonais que je trouve très fréquentable de mon point
de vue est Melcer. Je recommande ses deux concertos pour piano de style
totalement en rupture avec la scholastique moderne, ni romantiques, ni
impressionnistes, ni rhapsodiques, ni néoclassiques, bref indéfinissables.
Ce sont des oeuvres hors de leur temps pour lesquelles je ne saurais donner
aucun point de repère.
SIBÉLIUS - MUSIQUE NORDIQUE
Que l'on reconnaisse enfin Sibélius comme un grand compositeur nordique plutôt que comme un sous-produit du romantisme allemand, voilà qui m'enchante, moi qui ait toujours reconnu
la spécificité des écoles nordiques par rapport aux écoles traditionnelles.
S'ils n'ont pas consommé la rupture comme les "Cinq" en Russie, les
compositeurs nordiques n'en étaient peut-être pas loin, au moins dans
l'esprit. Il n'est que de se rappeler (d'après ce que disent les biographes)
le ressentiment, la rancoeur du jeune Grieg au retour de Leipzig, qui se
jure de ne jamais écrire de la musique comme on lui a appris. Ceci n'exclut
pas des influences positives, Beethoven pour Sibelius à mon avis, Wagner
pour Berwald... On pourrait citer également la réprobation que dut subir Gade en Allemagne pour avoir introduit des éléments de rhapsodisme danois dans ses premières oeuvres. La partialité que vous évoquez va peut-être au-delà d'un
simple problème d'interprétation, elle montre à mon avis l'influence
exagérée des écoles traditionnelles établies, leur mépris à mon avis
indécent, envers les nouvelles tendances qui se dessinent sur les marges de
l'Europe en dehors des foyers consacrés. La nouvelle rhétorique du
"modernisme", qui à mon avis n'est qu'un avatar du traditionalisme, leur
premettra, me semble-t-il, de surenchérir ce mépris sous les catégories du
"néoclassicisme" ou de "floklorisme"...
MONIUZKO ET MARIA SZYMANOWSKA - PIZETTI, SGAMBATI
Moniuszko, je ne lui trouve guère d'originalité dans les oeuvres que je
connais de lui. Je préfère Maria Szymanowka (polonaise je crois, mais je
n'ai pas vérifié). Son style me paraît d'une grande simpplicité, sans
prétention, mais recélant parfois une certaine teneur musicale.
Pizzetti, pas fréquentable non plus pour moi. Petit à petit, vous finirez
par savoir quelle est la limite de ce que je considère comme "fréquentable"
!!! Je rejette tout autant les "modernes" qui conservent l'apparence du
classique comme Prokofiev ou von Einem. Ils sont tonaux dans l'ensemble,
mais leur discours musical, souvent, n'a pas de structure thématique. Il me
semble que c'est un peu le cas du concerto de Pizzetti, mais je n'en ai
guère de souvenir il est vrai. Merci tout de même pour la référence,
Pizzetti fut peut-être plus inspiré dans le domaine symphonique.
Vous l'évoquez comme successeur de Sgambati, mais pour moi il existe déjà :
c'est Rachmaninov. Qu'il soit Italien ou pas n'a pour moi rigoureusement
aucune importance, d'autant plus que le Sgambati a plutôt, il me semble, une
légère coloration slave, en tous cas son style à mon avis fait référence à
des oeuvres nordiques ou russes (Grieg, Tchaïkovski...), mais pas
italiennes, en tous cas pas que je connaisse. Et sur le plan symphonique, chez lui, la marque wagnérienne domine, quoique cela nous ramène peut-être à des éléments nordiques véhiculés par Wagner.
KRAFT DUOS POUR VIOLON ET VIOLONCELLE
Je ne sais s'il a été question jusqu'à présent d'Anton Kraft sur ce forum,
en tous cas je voudrais dire quelques mots de ses duos concertants pour
violon et violoncelle (3 duos de l'opus 3) qui m'ont particulièrement
impressionnés.
Ces oeuvres du début du 19e siècle sont à mon avis traversées par un
souffle romantique certain, le premier duo est peut-être plus pathétique, le
second plus classique, le troisième plus original dans ses effets, plus
"moderne" si l'on peut dire. Kraft manifeste une grande volubilité dans son
écriture violonistique et plus encore curieusement en ce qui concerne le
violoncelle, bien qu'il ne recherche jamais des effets de virtuosité. Ce qui
me paraît étonnant, c'est l'utilisation de la tessiture plutôt grave ou
tout au moins le medium pour le violon et souvent l'utilisation de la
tessiture aigüe pour le violoncelle. L'aigu, d'ailleurs, pour ce dernier
instrument me paraît posséder une saveur très particulière, en revanche
Kraft, pour ce même instrument,
exploite rarement la tessiture grave.
Cette particularité me rappelle la "Tarentelle" pour contrebasse et
orchestre de Bottesini où ce dernier utilise surtout, magistralement à mon
avis, la tessiture aiguë du soliste. Je ne vois guère de référence
pour définir le style de Kraft. Si le premier duo présente quelques légères
réminiscences beethovéniennes et le troisième paganiniennes dans la
thématique et si l'on retrouve parfois quelques effets de notes redoublées
qui évoquent Viotti, Kraft me paraît nettement se différentier de ces
compositeurs. Un seul motif est nettement rhapsodique, dans le second duo.
Les meilleures parties me paraissent le 1er mouvement du "Duo n°1" et le
premier mouvement du "Duo n°3".
Voilà pour ceux qui auraient l'intention de découvrir ces oeuvres, ce en
quoi je les encourage vivement, à moins qu'ils ne les connaissent déjà.
TEMPI DANS LA MUSIQUE BAROQUE
Il me semble, qu'indépendemment de la réalité historique sur le tempo (que
l'on ne connaitra jamais), il existe des limites induites par la partition
elle-même dans sa "logique musicale", un tempo "sui
generis" émanant de l'oeuvre elle-même. J'appuie cette idée sur la
comparaison des tempi adopté
respectivement pour les oeuvres de Bach, Albinoni, Tartini, Vivaldi,
relativement
lent pour le premier, assez rapide pour les suivants, beaucoup plus rapide
pour le
dernier. Dans l'ensemble, tous les interprètes respectent ces différences
dans le même sens. Forcer le tempi dans un sens ou dans l'autre aboutirait à
mon avis à une incohérence telle que l'interprète de lui-même ne
l'essaierait pas, ou tout au moins dans l'ensemble un certain tempi
particulier s'est imposé pour Bach, Albinoni, Vivaldi ou d'autres. Je
considère là les mouvements rapides des concertos pour violon respectifs de
ces compositeurs. En revanche, une
oeuvre comme les "Variations Goldberg" peut certainement supporter des tempi
très différents pour certaines parties.
LE JEU HACHÉ DANS LES COMPOSITIONS BAROQUES
Je me demande parfois si ces sons saccadés ou hachés ne sont pas un moyen de
briser une certaine uniformité de la partition. J'avoue que toutes les
oeuvres qui présentent cette particularité me paraissent très sommaire. Il
me semble qu'il s'agit plutôt des oeuvres de la première période baroque et
plutôt les oeuvres françaises qu'italiennes comme celles de Delalande,
Marais et même certaines oeuvres de Rameau. Là encore, il me semble que
toute partition baroque ne se prête pas naturellement à ce type de jeu. Je
n'imagine pas qu'on puisse jouer Locatelli de cette manière, mais sait-on
jamais! Ce que je puis dire en tant que mélomane, c'est que le jeu haché
me paraît désagréable.
RIMSKI-KORSAKOV
Pourquoi ne pas comparer l'intérêt des oeuvres de Rimski comme si on lui faisait passer un examen. A ceux qui trouverez cela incongru, je répondrais qu'un compositeur doit toujours, à mon avis, se plier au jugement du public. Il existe suffisammment de compositeurs qui se prétendent géniaux sans l'avis (et même contre l'avis) du public. naturellement, il ne s'agit là que d'introduire un peu d'humour.
Pour Shéhérazade, Tsar Saltan, Skasska, je dis reçu mention excellent, mention très bon pour "Le coq d'or", le "Capriccio espagnol", "Sadko", la "Symphonie n°3". Mention tout juste passable pour "La grande Paques russe", recalé pour "Kiteje", la "Sinfonietta", qui me paraît dériver vers la musique facile, et pour "Mlada" qui me paraît vraiment de la musique écrite avec beaucoup de négligence.
Je distinguerais "Schéhérazade" où, à mon avis, Rimski atteint les effets les plus percutants qui aient été jamais imaginés et "Tsar Saltan" où il me paraît atteindre plutôt une poésie troublante, plus fine et plus subtile, surtout dans "La tsarine au milieu des flots", une de mes oeuvres fétiches que j'ai déjà évoqué. Skasska contient peut-être les effets les plus originaux, les plus étonnants tandis que la "Symphonie n°3" correspond peut-être à une écriture plus classique. Je remarque que le "Cappriccio espagnol" que j'ai placé avant "la grande Paques russe" a obtenu beaucoup plus de succès. Si je conteste d'une manière générale le bien-fondé de la notorité des compositeurs, en revanche, je crois assez à la notoriété des oeuvres. C'est ainsi qu'il existe des oeuvres très célèbres de compositeurs relativement peu connus.
LE SUCCÈS PUBLIC ET LES COMPOSITEURS
Le public est variable dans le temps et l'espace. Il me semble y voir
cependant une constante par rapport aux professionnels du système musical.
Le public est sensible aux "effets musicaux" indépendemment de toute
approche idéologique ou théorique. Pour cette raison, son jugement
correspond mieux à mon avis à la vérité musicale.
Il me semble que Carmen a bénéficié en raison de son succès d'un nombre de
représentations record lors de sa création. Le succès du vivant du
compositeur me paraît beaucoup une garantie de valeur. Lorsqu'un compositeur
qui n'a jamais prouvé l'intérêt de ses oeuvres lors de son vivant est
présenté par la postérité comme un génie, on peut suspecter à mon avis une
certaine manipulation de la part du système (bien que selon une réplique
célèbre sur cette liste il n'y ait jamais de complot). Je pense notamment à
l'impact des
associations de soutien qui pour moi ont souvent induit des effets
artificiels. Pensez au rôle des "Associations X" en remplaçant X par qui
vous savez. Les derniers quatuors de Beethoven,
personnellement, ils me paraissent d'intérêt très inégal, mais je n'en
connais que quelques-uns. Je pense qu'un véritable "grand compositeur", si
cela a un sens, possède au moins un certain nombre d'oeuvres qui sont des
succès pour établir sa notoriété.
L'impact d'une oeuvre au 19e siècle par exemple, sur le plan historique,
peut être jugé par des témoignages, le nombre de représentations, de
spectateurs, le nombre d'éditions, la présence d'exemplaires en différents
lieux, le nombre de citations dans la presse... Au 20e siècle, c'est sans
doute plus compliqué, c'est là qu'il faut faire appel aux corrélations selon
la méthode moderne des statistiques, à mon avis le rapport nombre de vente
d'enregistrement/importance accordée au compositeur dans les ouvrages, ou
nombre de suffrages par sondage/importance accordée au compositeur dans les
ouvrages peut être révélateur.
Selon vous, certains créateurs auraient eu raison de ne pas sacrifier aux désirs de leurs épigones et de résister au succès public.
Cela signifierait que pour eux le but de l'oeuvre n'est pas de
plaire au public. Dans leur tour d'ivoire, ils considèrent qu'eux seuls ont
raison, qu'ils sont au-dessus du public, ce qui me paraît déraisonnable, présomptueux et
peu crédible.
SUCCÈS AUPRÈS DU PUBLIC
Pour moi, le public de la musique classique est très
spécifique. Par exemple, le succès du "rondo veneziano" n'a aucune raison
d'être évoqué dans notre discussion car nous sortons du domaine de la musique classique. J'introduis
cependant une certaine relativité. Je conçois que les oeuvres pour piano de
Debussy contiennent des subtilités qui ne les rendent pas propices à un
succès comparable aux symphonies de Beethoven par exemple, mais elles ont
cependant leur public. D'une manière générale, je
pense qu'un "grand compositeur", même s'il écrit des oeuvres d'un abord
moins "populaire" possède généralement des oeuvres plus "populaires" qui
obtiennent
les suffrage d'un public plus large, par exemple le "Prélude
à l'après-midi d'un faune" du même Debussy. Les oeuvres qui me paraissent
n'avoir aucune valeur correspondent pour moi à celles qui n'ont pas
"réellement de
public", hors quelques intellectuels.
REMISE EN CAUSE DE LA MUSIQUE ATONALE
Si cela me gène
personnellement (je l'avoue) que vous aimiez Webern, c'est effectivement que
je remets en cause votre jugement, on ne peut pas échapper à cette
conséquence, c'est là-dessus que vous vous appuyez en alléguant le droit de
chacun d'aimer ou non telle musique. Je le dis tranquillement, et ce n'est
pas nouveau, je pense que les partisans de la musique atonale soutiennent
une idéologie à leur insu en se donnant l'illusion de trouver un intérêt
musical dans ces oeuvres. Cet "intérêt" me paraît beaucoup plus d'ordre
intellectuel. c'est naturellement une opinion, que vous pouvez d'ailleurs
parfaitement retourner contre moi-même. Plutôt que de continuer une
confrontation inutile, essayons peut-être d'analyser. Croyez-vous que la
sensation ou l'émotion selon vous que vous trouvez dans les oeuvres de
Webern soit de même nature que celle que vous pouvez trouver dans la
"symphonie n°5" de Beethoven par exemple, notamment le fameux thème du destin
bien connu pour prendre un exemple thématique précis. Je me demande si la
musique atonale fait vraiment partie de la musique au sens où on l'entend
jusqu'à la fin du 19e siècle. On peut sans doute trouver belle une oeuvre
de Webern comme on trouve belle une démonstration mathématique subtile, mais
alors il ne s'agit plus du même art, s'il toutefois il s'agit d'un art.
EXISTENCE HISTORIQUE DE LA MUSIQUE ATONALE
Si l'on considére le phénomène musical sur le plan historique,
un mouvement artistique qui n'a pas de public minimum n'existe pas historiquement,
qu'il soit tonal ou non d'ailleurs, bon ou mauvais. La musique atonale qui n'a jamais eu de public n'existe donc as historiquement (à part le
"Sacre" en tant que fait de scandale). Cette absence de "réalité historique", à mon
sens, de la musique atonale, a été oblitéré au maximum par une certaine
intelligentsia qui a développé toute une mythologie par mimétisme dans
l'édition, les concerts, tous les secteurs de la vie musicale et a utilisé
en le spoliant la considération acquise par la musique tonale pendant deux
siècles.
CARMEN: UN FOUR OU UN SUCCÈS?
Vous considérez que Carmen a été un "four" dès sa représentation.
Carmen est resté à l'affiche très longtemps, dès sa création, Candé nous
précise : "le rideau est tombé après la 31ème représentation de Carmen."
C'est peu du vivant de l'auteur pour la raison bien simple que Bizet est
mort la même année, ce que vous avez oublié de signaler. D'autre part,
l'effet de scandale, comme vous l'indiquez justement, est dû au sujet du
livret et non à la musique. Candé nous dit que
le premier acte "souleva l'enthousiasme", je ne sais pas quelle sont ses
sources. Il précise "Il est donc injuste d'exagérer l'échec de carmen". Il
semble que l'on ait des témoignages très divergents sur cette première et
que l'on ne sache pas vraiment ce qui s'est passé. De toute manière, si cela
avait été un four, on n'aurait certainement pas eu 31 représentations. Nous
avons un autre
témoin du succès, précisément, de la musique de Carmen, indépendamment du
livret, ce sont les transcriptions, je ne crois pas que celle de Sarasate
soit postérieure à 1883, mais je n'en sais rien, et il y eu certainement
bien d'autres transcriptions.
Que penser alors de l'insucces de la damnation de Faust de Berlioz lors
de sa creation?
C'est encore un "opéra". Si Berlioz n'a pas connu le même succès avec "La
damnation de Faust" qu'avec la "Fantastique", c'est peut-être que l'oeuvre n'a
pas le même intérêt.
SUCCÈS DU VIVANT DE L'AUTEUR ET VALEUR DE L'OEUVRE - SCHARWENKA
Il est vrai que des anciens succès ont pu êtr erapidement oubliés.
Je pense justement qu'ils peuvent révéler d'excellentes oeuvres, c'est dont je me suis aperçu (selon mon
jugement) en ce qui concerne de nombreuses oeuvres pour piano et orchestre
de Scharwenka, Moschelès, Ries... c'est précisément de cette constataion que
j'ai établi ma philosophie. Ces oeuvres ont pu être oubliées pour
différentes raisons historiques, et aussi par suite de l'action négative de
l'appareil musical souvent prompt à dénigrer tout oeuvre véritabliement
géniale et à imposer des oeuvres insipides.
Et vous avez raison, il faut tenir compte des modes et des idéologies, elles
priment souvent dans les décrets des musicographes, des professionnels à mon
avis, beaucoup moins dans la réaction spontanée du public.
La relation entre valeur de l'oeuvre et succès public n'est sans doute pas absolue en raison du
nombre de facteurs considérables qui a pu intervenir. néanmoins, je
pense que l'on peut "plus souvent" (mais pas toujours) trouver des
chefs-d'oeuvre parmi les oeuvres qui eurent du succès du vivant du
compositeur plutôt que parmi celles qui n'en eurent pas. Je donnerais un exemple de
ces multiples facteurs. Scharwenka a obtenu un succès considérable lors de
son "Concerto n°4" d'après ce que j'ai lu, bien supérieur sans doute à celui
qu'il a obtenu pour son "Concerto n°1". Ce concerto me semble cependant de
qualité supérieure, mais au terme de sa carrière, Scharwenka avait acquis un
prestige important qui a retenti sur ses dernières créations comme une sorte
de consécration, ce qui explique sans doute le phénomène. il ne s'agit naturellement que d'une hypothèse.
QU'EST-CE QU'UN INTELLECTUEL?
C'est une question redoutable que vous me posez en me demandant de définir un Intellectuel.
Pour moi, un intellectuel est un individu chez lequel le raisonnement prime
sur la réceptivité et la sensibilité, voire la sensorialité. Chez tout
individu, il existe probablement un équilibre entre les deux fonctions, mais
l'une peut primer sur l'autre. Je distingue ces activités de la passion, laquelle
peut être commune aux tempéraments intellectuel et sensible. Je ne crois pas
que les "intellectuels" soient dépourvus de sensibilité, mais elle se trouve
chez eux étouffée par l'intellect. L'intellectuel exerce généralement son ascendant sur l'intuitif ou le sensible. Il tente toujours de ramener ce qui est afférent à la sphère intuitive à celle du raisonnement logique, ce qui lui permet d'assoir sa domination.
CULTE DE L'ÉVOLUTIONNISME
Poulenc n'a-t-il pas aussi exploré un cul-de-sac?
Personnellement, je refuse cette notion (pour n'importe quel compositeur et n'importe quelle esthétique)
car elle traduit une vision évolutionniste de la musique selon laquelle ce
qui est important ce n'est pas qu'une oeuvre soit intéressante en elle-même,
mais qu'elle s'inscrive dans une évolution. Le culte de l'"évolutionnisme",
à mon avis, a joué beaucoup en faveur de la musique "moderne" atonale.
DIFFÉRENTS TYPES DE MUSIQUE ATONALE
C'est volontairement que je ne distingue pas les différentes modalités de
l'atonalisme car elles n'ont pour moi aucune signification et ne représentent que des byzantinismes développés par une secte marginalisée. Je ne distingue
même pas le sérialisme de la musique modale qui s'est développée pendant le
Moyen Âge jusqu'au 16e siècle. Pour moi, la terme de musique est synonyme
de tonalité. Comme l'a dit le musicologue Bertouille, "Nous sommes coincés
entre la tonalité et le bruit".
LES OEUVRES BAROQUES
D'une manière générale, d'après les oeuvres que je connais, il me semble que
la variété stylistique est beaucoup plus étroite à l'époque baroque qu'à
l'époque romantique et l'éventail thématique souffre souvent d'une certaine
monotonie, l'expression y est souvent très sommaire, voire absente. Les
chefs-d'oeuvre
de cette période proviennent peut-être de compositeurs qui ont su
occasionnellement élargir les possibilité du baroque au-delà du style
courant. Je ne connais pas spécialement les oeuvres que vous citez à part
certaines oeuvres symphoniques de Rameau. Il me semble cependant que les
meilleures oeuvres se trouvent parmi celles des virtuoses du violon ou des
virtuoses du clavecin plutôt que dans les oeuvres orchestrales ou les
oeuvres de musique de chambre qui m'ont souvent déçu. Je citerai par
exemple les clavecinistes Royer et Balbastre qui me paraissent remarquables,
Rameau également comme Scarlatti, mais il n'y a pas que Scarlatti et les
fameuses "hardiesses" qu'on y trouve, à mon avis, se rencontrent chez bien
d'autres.
POULENC
Poulenc, ce n'est pas pour moi toujours du néo-classique, pas dans sa
"Rhapsodie nègre" en tous cas, dans le "Concerto pour piano", peut-être. Tout
dépend quelle oeuvre vous considérez. Mais, si votre esprit post-webernien
condescent à trouver quelques grâces à Poulenc, il y a un progrès.
Persistez, vous pouvez encore mieux faire, vous verrez qu'un jour vous
apprécierez
Orff et Rodrigo.
MUSIQUE MODALE MÉDIÉVALE
Le système de la musique modale médiévale me paraît le plus
absurde qu'ait inventé la théorisation musicale. En effet, en mode de ré on
conserve les degrés tels qu'il se présentent dans le mode d'ut, mais en
partant du ré au lieu d'ajouter des altérations rectificatrices comme lors
d'une transposition du mode d'ut, ce qui ne peut prétendre, me semble-t-il,
à aucune justification. En revanche, le mode d'ut dans ses intervalles se
trouve dans la nature (les lois de la vibration d'un corps solide). On
remarquera cependant que dans tous les cas de musique modale, sauf dans le
mode de si, la dominante est respectée. La musique modale médiévale écrite en mode d'ut
est-elle cependant de la musique tonale? A mon avis non, il ne suffit pas
d'utiliser les degrés du mode d'ut pour engendrer de la musique tonale. Ce
qui caractérise la musique tonale, c'est à mon avis une hiérarchie entre les
degrés, notamment l'importance de la tonique et du balancier
tonique-dominante de sorte qu'une mélodie très chromatique qui satisfait à
ce critère demeure tonale.
JUGEMENT SUBJECTIF ET VALEUR DE L'OEUVRE
Je n'ai jamais dit que je n'aimais pas la "Damnation de Faust" pour
l'excellente raison, je crois, que je ne l'ai jamais entendue de ma vie. En
appliquant ma philosophie, c'est-à-dire en considérant son moindre impact sur
le public, je peux supposer, ou supputer sous toute réserve qu'elle a
peut-être moins d'intérêt
que la fantastique. En revanche, ce que je puis affirmer, c'est sa moindre
importance historique. Cela n'a aucun rapport avec mon propre jugement de
mélomane,
qui est d'ailleurs subjectif et que j'affirmerais, en tant que jugement
personnel, lorsque j'aurais écouté cette oeuvre.
OTAR TAKTAKICHVILI
Il s'agit du Concerto n°2 pour violon (ne confondez pas avec le 1, très
différent, qui me paraît totalement insipide) de Taktakichvili. Je crois que vous aimerez
cette oeuvre de style expressionniste qui possède à mon avis une dimention
"métaphysique" non pas par le biais de l'intellect, mais par l'émotion très puissante
qu'elle engendre, à mon avis. Elle fut écrite très tardivement, dans les
années 1960 je crois. En revanche, je vous conseillerais aussi le "Concerto
pour piano n°1" (le 2 je ne le connais pas) du même compositeur, mais il est
peut-être moins sûr qu'il vous plaise. C'est une oeuvre, à mon avis, d'une
grande densité pianistique et d'un dynamisme ryhthmique assez rare alliée à
une dimension expressionniste sans pour cela s'apparenter au style
outrancier des "Six" ou de Chostakovitch dans certaines oeuvres. Il rappelle
beaucoup le "Concerto" de Constantinescu.
TONALITÉ ET ATONALITÉ
Vous ne pouvez pas nier que la tonalité est un phénomène inscrit dans la
nature alors que les autres théories sont des inventions gratuites. C'est
ce qui justifie, je pense, le distinguo que j'établis entre la tonalité d'une
part et d'autre part
toute théorie non-tonale. En second lieu, comment pouvez-vous imaginer qu'un
système qui n'a
pas de base physique puisse influer directement sur la sensibilité de
l'auditeur sans passer par l'intellect. Il vous faut donc admettre que la
connaissance préalable de la théorie est nécessaire à la "compréhension" des
oeuvres établies sur ces théories et que cette compréhension est purement
intellectuelle. Je vois difficilement comment vous pourriez sortir de cette
contradiction, mais il est vrai que vous avez un talent de dialecticien
tellement extraordinaire...
LES MODES MÉDIÉVAUX
L'établissement des modes médiévaux me paraît absurde par le procédé parfaitement
gratuit sur lequel, à mon avis, ils sont établis, c'est-à-dire créer un mode en
prenant comme tonique un degré quelconque du mode d'ut et obtenir des
intervalles purement "fortuit". Cela dit, comme je le remarquais, tous ces
modes sont assez proches de la tonalité dans le sens où l'on retrouve une
dominante correcte comme dans le mode d'ut (sauf pour le mode de si). Dans
le mode andalou dont vous parlez, si mes souvenirs sont bons, la
caractéristique essentielle de ce mode est l'intervalle de seconde
correspondant à un demi-ton au lieu d'un ton, mais il me semble que la
dominante est respectée, ce mode ne correspondrait pas exactement au mode de
si, mais plutôt au mode de mi, à moins qu'il ne corresponde à aucun des
deux (cela sous toute réserve). Pour le mode
tzigane, je ne crois pas non plus qu'on le retrouve exactement dans une
tonalité modale. De toute manière, le procédé lui-même de la théorie modale
me paraît tout à fait puéril et sans intérêt sur le plan musical. Cela
m'étonne assez
peu, car il n'est pas rare historiquement que des théories du passé soient
bâties sur
des "jeux d'écriture" assez systématiques et gratuits sans rapport avec la
réalité musicale.
D'autre part, il me paraît symptomatique que ce soit des esprits académiques
qui se sont
intéressés à ces modes, notamment Reicha. Ce théoricien me paraît tout à
fait significatif de la convergence entre atonalisme moderne et atonalisme
médiéval, ainsi ce passéiste, à mon avis, est peut-être le plus grand
pionnier du
"modernisme" musical.
STYLE BAROQUE ET STYLE CLASSIQUE
Ma chère, je n'ai pas du tout pensé à la dénotation du terme
"style" que j'aurais été incapable de fournir précisément. Peut-être un
autre mot aurait-il été plus seyant, mais vous comprenez sans doute ce que
j'ai voulu signifier.
Je pense tout de même que l'écriture musicale possède un caractère plus
systématique pendant la période baroque que pendant la période romantique.
En revanche, je ne suis pas certain que les possibilités expressives du
style mannheimien et galant de la seconde moitié du dix-huitième siècle soient très
supérieures à celles de la période baroque, si toutefois on considère les
meilleures productions baroques, à mon avis celles des
clavecinistes-virtuoses et celles des violonistes-virtuoses. Dans la
seconde moitié du XVIIIème siècle, à mon avis, on est sorti d'un procédé
d'écriture pour entrer dans un autre, souvent beaucoup plus simpliste. Je
pense que les virtuoses de l'époque baroque, plus que ceux de l'époque du
style galant d'ailleurs, ont ouvert une brêche dans le caractère assez
guindé de l'écriture musicale. Je résumerais en disant que le baroque, c'est
bien... à condition d'en sortir.
Ma chère, ne me faites surtout pas un chapitre sur la notion "d'écriture
musicale" que j'emploie à la place du mot "style", faute de trouver un terme
adéquat, épargnez-moi!!!
TONALITÉ ET DISSONANCES
Il me
semble qu'il faut inclure dans la tonalité tous les accidents chromatiques,
les dissonances car elles ne peuvent s'interpréter que par rapport à l'ordre
tonal. Et l'on doit pouvoir définir la tonalité uniquement à partir de l'écriture horizontale car une oeuvre peut être constituée uniquement d'une partie mélodique alors qu'un accompagnement harmonique ne saurait se suffire à lui-même. Pour moi, la notion de dissonance n'existe pas dans la musique
atonale. C'est la raison pour laquelle les oeuvres qui multiplient
subtilement les dissonances comme certaines oeuvres de Debussy n'ont à mon
avis aucun rapport avec l'atonalisme. En revanche, Tournemire, qui au
contraire évolue dans l'atonalisme en frôlant la tonalité et en s'en
éloignant chaque fois qu'il pourrait l'atteindre - comme s'il y était
allergique - demeure un compositeur atonal typique.
ATONALISME CHES LES PEUPLES "PRIMITIFS"
Chez ces peuples, l'atonalisme n'est pas obligatoirement théorisé. Il me semble simplement
qu'ils n'ont pas découvert la tonalité contrairement à nous et qu'ils
utilisent les sons sans ordonnancement supérieur. Chez de nombreux peuples, le rythme et la couleur instrumentale constitue peut-être le principal intérêt "musical". Pour obtenir de la musique
atonale, il n'est pas nécessaire d'établir un ordre. Laissez courir votre
chat
sur le clavier de votre piano et vous aurez de la musique atonale. Et ce
sera peut-être aussi beau que du Webern.
ORDRE NATUREL ET ORDRE ARTISTIQUE - EXEMPLE DE L'ARCHITECTURE
Selon vous, la ligne droite n'est pas dans la nature, elle constitue cependant un élément important de l'architecture, ce qui signifierait qu'une notion étrangère à la nature puisse être constitutive de l'art. Ce raisonnement de votre part, naturellement, vise à justifier les règles abstruses et artificielles de ce que l'on nomme pompeusement entre spécialiste la "série".
Je pense que la ligne droite existe dans la nature, mais qu'elle n'est
jamais parfaite, l'architecture me paraît avoir su tirer l'essence de la ligne
droite ) partir des lignes approxiamatives de la nature. Plus précisément,
un des premiers éléments architecturaux est la colonne, or celle-ci dérive
naturellement de l'arbre. Les temples ioniens ont été qualifiés de "forêts de
colonnes" et sans doute représentent-ils-ils la reconstitution symbolique
d'une forêt. D'une manière plus générale, il me semble que l'architecture,
surtout primitive, se déduit logiquement de la loi de la gravité et qu'elle
satisfait intuitivement et réellement aux lois fondamentales de la
mécanique.
ASPECTS SENSUELS ET INTELLECTUELS CHEZ WAGNER
L'attitude des mélomanes à l'égard de Wagner me semble paradoxale et
bivalente. Il a été accusé d'avoir développé une sensualité outrancière, de
provoquer la pâmoison de la gent féminine... Nietszche évoque même
une expression "sexuelle" malsaine à son sujet. Il s'agit donc là d'un
rapport totalement opposé à l'intellectualisme. Lui-même, Wagner, est un
sensuel
invétéré, je ne rappellerais pas les circonstances de sa mort dans un palais vénitien. D'autre part, il est
évident que Wagner, par suite de toute la rhétorique idéologique
qu'il a développée, a cristallisé l'intérêt des intellectuels. Cet
intellectualisme se trouve-t-il dans sa musique? Pour ma part, je demeure
insensible à son discours car j'ai toujours considéré que la musique devait
être appréhendée en elle-même indépendamment de tout élément extra-musical.
Il me paraît certain que Wagner a développé une sensualité particulière du
son pour lui-même et c'est là sans doute la nouveauté fondamentale qu'il a
apportée à la musique (s'il en est bien l'initiateur), laquelle sera exploitée selon diverses colorations
par les compositeurs dits "impressionnistes". La métaphysique, on peut à mon
avis l'oublier, de même que le vent de polémique que Wagner a suscité
pendant
près d'un demi-siècle en Europe.
MUSICOGRAPHE ET MUSICOLOGUE
A mon avis, Pincherle est un
musicologue, mais Forkel n'est qu'un musicographe. Non pas parce que le
premier a traité d'un certain compositeur que je n'apprécie pas et le second d'un certain autre
compositeur que j'apprécie mieux, mais parce que le premier contrairement au second a vécu à
l'époque moderne et qu'il a utilisé les méthodes objectives de
l'historiographie musicale.
PERCEPTION DE LA MUSIQUE ACQUISE OU INNÉE
Considérer la culture comme élément prépondérant dans l'la perception musicale est une théorie cohérente, mais les travaux actuels sur le langage
pourraient montrer que son apparition chez l'enfant correspond à un mécanisme inné.
C'est ce que prétend en tous cas un élève de Chomski, ce
gauchiste universitaire hors du commun. On peut
imaginer que la perception de la musique obéit de même à un mécanisme inné.
C'est une simple supposition. En revanche, je pense que le jugement musical,
qui me paraît souvent
indépendant de la perception réelle, se trouve considérablement modifié par
le contexte culturel. C'est ce hiatus entre perception réelle et jugement
exprimé qui pourrait expliquer en partie les différences de jugement d'un
individu à
l'autre.
TONALITÉ ET MUSIQUE MODALE
Personnellement, en me fiant à
l'impression de consonnance ressentie, j'élargis la tonalité à un grand
nombre de modes traditionnels comme le mode tzigane, le mode hispanique, le
mode (ou les modes?) de la musique chinoise... Il me paraît difficile de
dire par exemple que les Marossek dances de Kodaly ou Asturias d'Albeniz,
voire "La sirène" de Wu Tsu-chiang n'appartiennent pas à la musique tonale (lato sensu).
Selon une
discussion que
nous avions eue il y a quelques mois, il semblait ressortir que le mode
chinois était relativement proche du mode d'ut, sauf si j'ai mal interprété.
Le mode grec (ou un des modes grecs), si j'en juge à quelques pièces comme
l'Hymne à Séleukos" qui j'ai pu entendre (seules pièces rescapées du grand
naufrage de la musique antique) me donne une certaine impression de
consonnance.
LEXIQUE À L'USAGE DU MÉLOMANE AVERTI
Afin de continuer le petit lexique des termes modernes que j'avais commencé
avec le mot "académique", voici la définition du terme "rétrograde":
Est qualifié de rétrograde un compositeur manifestant une certaine
dimension lyrique et romantique, termes considérés aujourd'hui comme
des injures. Le terme de rétrograde se justifie d'autant plus que le
compositeur auquel on l'applique a apporté de réelles nouveautés, mais qu'il
a résisté à l'atonalisme. Si toutefois le compositeur atteint une émotion et
une profondeur supérieures, le terme devient insuffisant et l'injure suprême
Voilà pour la gouverne personnelle des mélomanes fréquentant ce forum.
LE STYLE DES VIOLONISTES-COMPOSITEURS DE L'ÉPOQUE BAROQUE
Après la voix que vous avez évoquée, je veux bien participer à cette réponse destinée à montrer la richesse de la musique baroque. Et je choisirais le domaine concernant les violonistes-compositeurs de cette époque, qui ne représentent pas toute la musique
baroque, mais une certaine partie. J'ai déjà produit un long message sur
l'évolution stylistique de Vivaldi qui n'a guère suscité d'intérêt, bien
que
j'ai engagé quelques violonistes plus sépcialistes que moi dans ce domaine
à donner leur avis. C'est à croire que dans les conservatoires, dans le
répertoire baroque, on n'étudie pas Vivaldi, ce qui m'étonnerais à peine.
Mais alors qui étudie-t-on? J'essaierais de donner quelques points de
comparaison
entre la thématique baroque (Vivaldi, Locatelli, Galuppi, Leclair,
Tartini,
Albinoni...) et la
thématique romantique ou préromantique dans le domaine violonistique(Viotti, Paganini, Vieuxtemps,
Kupkovic, Wieniawski, de
Bériot...).
La thématique baroque me paraît reposer sur un certain nombre d'effets assez
précis, moins variés que la thématique romantique, surtout rythmiquement,
d'une virtuosité moins poussée, mais qui n'en ont pas moins, à mon avis, un
attrait
remarquable et possèdent une spécificité marquée. Un solo de concerto
baroque est
souvent constitué d'une succession rapide ou ultra-rapide de cellules
courtes (2 ou 3 cellules différentes répétées 5 à 8 fois séparés par des
passages de transition), évoluant parfois en marche d'harmonie. La cellule
comporte
souvent un appui rythmique au début ou à la fin du motif, appuis qui
constituent parfois un motif ou la marche d'harmonie, le reste constituant
une sorte de figuration sonore accessoire.Les bariolages permettent
également ce type de thématique.
La succession des contrastes forte pianissimo, développé parfois en écho
accentue ces effets thématiques (par opposition au crescendo de l'époque romantique). Les grands écarts sont généralement exclus
au profit de la densité. Il faut ajouter des effets de batteries très
électrisant, les successions de glissandi rapides ascendant ou descendant
(mais déjà chez Biber au 17e siècle). L'extrême-aigu est exploité beaucoup plus
que le grave (très peu exploité à ma connaissance), le medium est assez
rarement utilisé. Il le sera de
manière systématique bien après Paganini chez les compositeurs de l'école
franco-belge chez lesquels il constitue la tessiture de base. Tous ces
effets baroques, lorsqu'ils sont poussés à l'extrême
peuvent engendrer parfois un style que je qualifierais de moderne et parfois
impressionniste, bien différent du mélodisme plus récitatif, plus proprement
mélodique de l'époque romantique issu du style galant. Sur le plan
expressif, le pathétisme, la marque sentimentale est beaucoup moins affirmée
qu'à l'époque romantique, on le conçoit, celle-ci s'exprime plus souvent
dans les mouvements lents, empreints parfois d'une angoisse indéfinissable
comme chez Vivaldi, et quelquefois par le jeu des doubles cordes. Le
sentiment général résultant de la thématique baroque me paraît un lyrisme
euphorisant, sous-tendu par une alacrité rythmique plus ou moins prononcée.
Afin d'illustrer
ceci, je citerai les concertos n°8 et 9 de "L'arte del violino" de
Locatelli,
les concertos D96, D56 de Tartini et pour Vivaldi le Concerto "Per la San
lingua di SA" qui contient une cadence autographe à mon avis très
caractéristique de la virtuosité baroque. Je rappelle que, n'ayant étudié
que le piano, je connais mal la technique du violon, mais j'ai voulu
témoigner moi-même en l'évoquant très approximativement - de mon intérêt pour
les oeuvres violonistiques du baroque.
THÈMES RÉCURRENTS ET ENLISEMENT ARGUMENTAIRE
Vous abordez ici le point fondamental du débat, à mon avis, que j'évoquais
dans votre message précédent.
Mais il me semble que vous assujettissez votre démonstration à votre jugement
personnel sur le concerto de Goldmark, ce qui en invalide la conclusion. Vous
savez que je n'apprécie pas beaucoup cettt oeuvre, à part quelques
passages, en revanche, j'apprécie particulièrement le Concerto Glazounov pour violon, beaucoup plus virtuose. Ainsi, si je considère mon jugement
personnel sur ces deux oeuvres, j'aboutis à la conclusion inverse de la
vôtre, conclusion qui n'a évidemment pas plus de validité, pour la même
raison. Nous pouvons accumuler des tartines
argumentaires sans résoudre la difficulté. Ce thème rejoint celui, corrélatif, du progrès en art,
thème récurrent dans lequel nous risquons de nous enliser encore plus...
PUBLIC
Le public, si on pouvait l'oublier cet empêcheur de musicographier en rond, ce
serait si pratique. L'autoconsécration, c'est tout de même beaucoup mieux.
EXÉGÈSE DE L'OEUVRE PAR LE COMPOSITEUR
Faut-il que le compositeur explique son oeuvre, comme vous le pensez.
Lorsqu'une oeuvre n'est pas capable de se défendre elle-même par son
contenu, mais qu'elle nécessite des explications, une exégèse, comme une béquille nécessaire à la soutenir, ne peut-on pas être
dubitatif quant à son intérêt réel. Mozart n'a jamais éprouvé le besoin
d'expliquer ses oeuvres pour les faire apprécier, il en eût sans doute été bien incapable.
"LES PLANÈTES" DE HOLST
Moi de même, je considère "Les planètes" comme un exemple parfait
d'esthétique moderne sans que ce soit pour cela une oeuvre atonale, c'est
justement ce qui est, à mon sens, difficile à réaliser. Trouver de
l'originalité à notre époque avec une écriture tonale nécessite, me
semble-t-il, une certaine dose de génie. Holst me paraît un orchestrateur
hors pair qui a su développer l'utilisation des cuivres, des percussions
(parfois à nu comme dans Mercure, le magicien) sans tomber dans des effets
bruyants et en atteingnant une subtilité rare. Le sentiment réellement
"cosmique" évoquée par cette oeuvre me paraît bouleversant, notamment dans
"Pluton" où l'on a l'impression d'entendre des voix et des échos de
l'infini.
WEISS
Apparemment la troisième (ou quatrième?) guerre sur l'atonalisme est
terminée, la guerre entre le baroque et le romantisme s'ssouffle. Je profite
de cette accalmie pour dire quelques mots sur
un enregistrement de Weiss qui me fut conseillé par un membre de ce forum et que je viens d'écouter
(une dixième d'auditions environ) : Sonates pour 2 luth en la M, do M, si b M,
ré M.
Je ne suis pas entièrement convaincu par Weiss, cependant ces oeuvres me
paraissent possèder un contenu musical suffisamment intéressant pour que je
n'ai pas à regretter mon achat, loin de là. Une analyse plus détaillée peut
seule exprimer mon opinion.
Un certain nombre de mouvements, notamment les 2 premiers de la "Sonate en La
M" sont à mon avis dépréciés par un rythme régulier engendrant un continuum
parfois un peu fastidieux. Certaines pièces me paraissent dépréciées
également par une longueur excessive par rapport à leur contenu thématique,
par exemple l'"Allegro assai" de la "Sonate en Ré M".
Sur l'ensemble, la thématique me paraît toujours nettement caractérisée,
(même si à mon goût elle est parfois limitée), cela me paraît
incontestablement le point le fort de ces oeuvres. Les meilleures parties me
semblent l'"Andante" de la "Sonate en Do M" et le "Un poco andante" de "Sonate en
ré M". Sur le plan harmonique, ces oeuvres
présentent à mon avis une grande richesse: on notera de nombreuses
dissonances (les accords arpégés du "Largo" de la "Sonate en La m" notamment et
le "Un poco andante" de la "Sonate en Ré M") et de nombreux passages modulants
(l'"Allegro" de la "Sonate en Do M" notamment). La présence de dissonances et de
modulations n'est d'ailleurs en rien exceptionnelle à l'époque baroque.
Il s'agit donc pour moi d'oeuvres de qualité certaine, même si elles
n'atteignent pas à mon avis l'excellence.
Je rappelle la référence car je ne peux que conseiller ces sonates aux
autres membres qui ne les auraient pas acquises, peut-être sauront-ils mieux
que moi en saisir toutes les beautés que je n'ai pas perçues. Je
ne peux qu'encourager à la reconnaissance de ce grand luthiste qu'était
Weiss.
Sylvius Leopold WEISS
Sonate per 2 liuti
Barto et Schröder
Symphonia SY 98159
Je manque un peu de comparaison dans ce répertoire pour caractériser Weiss.
Les oeuvres de Dowland (fin 16e siècle je crois?), qui ne comportent
aucune trace de thématique baroque, me paraissent d'une maturité de langage
exceptionnelle et d'une virtuosité supérieure, ce qui les rapproche de
l'époque romantique, cependant l'intérêt thématique m'y paraît, dans les
pièces que je connais, extrémement limitée. Parmi les instruments voisins du
luth, les oeuvres de Guerau (pour guitare) (fin 17e je crois) me
paraissent assez virtuoses, mais d'intérêt thématique également limité, sauf
exception. Curieusement, les études de Sor pour guitare (début 19e), très
prisées des
guitaristes, me paraissent dépourvues de toute virtuosité (je n'ai pas dit
difficulté technique) et assez banales musicalement. Toutes ces oeuvres me
paraissent bien inférieures aux sonates pour 2 luth de Weiss et
personnellement, je ne les conseillerais pas. Ce sont encore les 2 concertos
pour mandoline de Vivaldi qui me paraissent les plus intéressants avec le Concerto pour mandoline de Hummel, détant du début du 19e siècle, sauf erreur. Le
concerto pour une mandoline de Vivaldi, agréable, exploite des formules thématiques que
le compositeur a puisé un peu facilement à mon avis dans son répertoire
personnel, mais le "Concerto pour 2 mandolines" me paraît nettement plus
lyrique et d'un contenu musical plus affirmé. La virtuosité y est parfois
impressionnante sur une thématique très dense et il vaut à mon avis surtout
pour son remarquable mouvement
lent très poétique. Quant au concerto pour mandoline de Hummel, c'est une merveille de musique galante qui me réconcilierait presque avec ce style qui m'horripile habituellement. Le compositeur, pourtant dans une manière rétrograde pour l'époque, me paraît réussir beaucoup mieux que dans ses insipides concertos pour piano et orchestre (à mon avis).
SUCCÈS DE REGER - BRAHMS ET REGER
Le succès de Reger?
Il y a peut-être une légère différence quantitative entre le succès d'une
part de "Carmina burana", celui du "Concerto de Aranjuez" et d'autre part de
l'oeuvre la plus connue de Reger, laquelle oeuvre d'ailleurs?
J'avoue que je ne vois guère de rapport entre le style à mon avis clair,
d'un lyrisme mesuré, intériorisé de Brahms dans ses symphonies
par exemple et celui de Reger, assez insipide à mon goût dans son Concerto
pour piano et son Concerto pour violon. Je me demande toujours, cher ami, comment vous
parvenez à discerner de la grandeur dans les oeuvres qui me paraissent
soporifique, mais peut-être vous posez-vous la même question en sens inverse
à mon propos.
MUSIQUE SOVIÉTIQUE, CHOSTAKOVITCH ET KABALEVSKY
Ne croyez-vous pas qu'en considérant la musique à travers les lunettes
déformantes de l'idéologie politique nous ne risquons pas de commettre des
erreurs grossières. Personnellement, je considère, comme je l'ai dit maintes
fois que Kabalevski est un des plus grands génies de la seconde moitié du
20e siècle. Il a été Président de la Société des Artistes du peuple, mais
quelle importance. Cela ne m'empêche pas non plus d'aimer Orf en dépit de ce
qu'il a fait ou pas fait d'ailleurs sur le plan politique.
Les Soviétiques, qui n'en étaient pas à une contradiction près, ont
développé à mon avis une conception très aristocratique de la culture en
privilégiant notamment la danse classique, le grand opéra, la musique
classique tonale (avec la musique "bourgeoise" de
Tchaïkovski)... pendant que l'Occident privilégiait par le biais de son
système la culture populacière d'une part et d'autre part l'avant-gardisme
des "modernes". Je crois qu'au-delà de l'idéologie politique, les Russes ont
bien compris grâce à leur intuition où se trouvait la bonne musique.
RÉGLES DE COMPOSITION
J'irais plus loin. Lorsque des compositeurs s'avisent de devenir théoricien,
il y a souvent un hiatus important entre leurs oeuvres et leurs théories.
Par exemple, Busoni allait jusqu'à déclarer que la musique pouvait être
faite pour l'oeil plus que pour l'oreille. Heureusement, il nous a donné sa
"Fantaisie indienne", superbe à mon avis, et bien pour l'oreille et la
sensibilité. De même, d'Indy s'est astreint à codifier des règles de
compositions complexes qu'il a enseignées, mais qu'il n'a sans doute pas
appliquées pour lui-même, a remarqué un historiographe. Et l'on ne retrouve pas dans les pièces pour clavecin de Rameau, si libre et épanouies la sécheresse du théoricien.
CHANTS D'OISEAUX ET COMPOSITION MUSICALE
Je me souviens des chants
d'oiseaux intégrés dans une oeuvre de Respighi (Les Pins de Rome
peut-être), je n'ai rien contre ce type d'effet en soi. Il se trouve que je
n'apprécie guère les poèmes symphoniques de Resphigi, je peux donc
difficiment juger
de l'effet. Quant à Messiean, je dirais cruellement que ses oeuvres qui
"imitent" les chants d'oiseaux me paraissent moins bonnes que les véritables
chants d'oiseaux. Les chants d'oiseaux ont été d'abord imités si j'ai bon
souvenir dans ce qu'on appelle la musique d'imitation datant du 15e ou 16e
siècle? Je n'ai d'ailleurs jamais entendu d'oeuvre de ce type.
LES OEUVRES DONT ON PARLE ET CELLES QUE L'ON ÉCOUTE
Schöenberg a dit en substance:
"Il y a les oeuvres dont on parle et les oeuvres que l'on écoute"
Dans quelle catégorie rangerait-il aujourd'hui ses propres oeuvres?
DICTATURE ET CRÉATION MUSICALE
Des exemples de compositeurs qui ont pu s'exprimer dans un climat dictatorial? Oui, Carl Orf et Rodrigo, dans le climat dictatorial de l'avant-gardisme atonal qui
a sévi en Occident, ils ont réussi à se faire connaître. Ne leur fallût-il pas affirmer un courage remarquable?
L'ÉMOTION CHEZ SATIE ET SAINT-SAËNS
De l'émotion dans les Gymnopédies, j'avoue que je ne parviens pas à vous
comprendre. D'ailleurs, Satie a-t-il voulu en mettre. C'est curieux, notre
époque trouve Saint-Saëns froid et académique et elle trouve (ou plutôt à
mon avis prétends trouver) de l'émotion chez Satie. Est-ce que notre époque
ne réalise pas une inversion un peu malsaine des valeurs?
Pour ce qui est de l'humour dans les titres choisis par Satie poru ses pièces, oui, mais cela est à mon avis extra-musical. Et n'est-ce pas un peu superficiel.
Que Satie ait appelé ses oeuvres en habit de cheval ne m'intéresse pas pour
les juger.
ACADÉMISME: TCHAÏKOVSKY, BERWALD
L'aspect dogmatique, voire scholastique au sens le plus
étroit du terme, ne me paraît pas exempt de certaines oeuvres de Tchaïkovki,
comme le "Trio à la mémoire" de Rubinstein. Cette même oeuvre contient en
finale, lors du retour du thème d'introduction, un passage à mon avis
sublime qui est l'antithèse de la forme académique de la variation adopté
par le compositeur dans la partie centrale. J'évoquais déjà dans un autre
message les "incertitudes esthétiques" de Tchaïkovski, ce qui lui a été
d'ailleurs quelquefois reproché. Mais cet aspect domine-t-il chez Tchaïkovsky plus que chez n'importe quel compositeur qui a intégré par ses études le dogmatisme ambiant des consrvatoires. La "Singulière" de Berwald, qui est pour moi
une très bonne symphonie, me paraît effectivement moins libérée que les
suivantes. Dans ce style symphonique un peu trop bien tracé au cordeau, je
verrai aussi les symphonies de Magnard, bien que je n'en nie pas aussi
certaines
qualités.
CONCERTO POUR PIANO ET ORCHESTRE DE KHATCHATURIAN
C'est curieux, personnellement, j'ai toujours imaginé en écoutant le 2nd
mouvement du "Concerto pour piano" de Khatchaturian, (cette musique si
profondément expressionniste qu'elle fut une de mes plus grandes
révélations) un paysage d'été, une nuit, dans le parc d'une datcha dans les
environs de Talinn au moment où, après un long hiver, les forces de la
nature permettent une formidable explosion de sensualité aboutissant à une
sentiment de communion dyonisiaque avec la nature. J'entends le bruissement
des arbres, le fracas du torrent qui brise ses embâcles, je vois les oiseaux
se pâmant dans l'ivresse de leur vol... Bien sûr, quelqu'un (Simon par
exemple qui est sans pitié pour moi) ne manquera pas de me révéler que
Khatchaturian a eu l'idée de cette oeuvre sur la côte d'azur un jour
en plein midi! Ce que je voudrais dire, c'est que si cette oeuvre engendre
en moi cette évocation, je ne crois pas que l'intérêt que je lui porte en
soit réellement tributaire. Je pense que le formidable pouvoir évocateur de
l'oeuvre
aurait pu se traduire par d'autres suggestions, selon d'autres modalités.
CULTE DES COMPOSITEURS RÉALITÉ OU IMAGINATION?
Pour renenir à notre sujet, lorsque je fais part de mon regret de voir
certains compositeurs,à mon avis, négligés dans les ouvrages ou la pédagogie
par rapport à l'audience réelle de leur oeuvre alors que d'autres se voient concéder de larges espaces, la réponse est toujours la
même. En substance, on me dit: "mais non, vous rêvez, ce n'est pas vrai, le
culte X , cela n'a jamais existé et Y n'a jamais été méprisé comme vous dites..." et l'on a toujours d'excellents
exemples à me proposer. Le névropathe aigri que je suis dois être victime
d'illusion, le syndrome de Durkeim, sans doute.
> Au moins, j'aurais appris aujourd'hui que Jankelevitch n'était pas un
> intellectuel, c'est déjà un élément positif.
Tout dépend de la conception que l'on a de l'intellectuel. J'en ai déjà
donné une définition sur la liste, je crois, dont je ne me souviens plus. Je
préfère donc m'abstenir d'une seconde qui risquerait d'être en contradiction
avec la première, ce que vous ne manqueriez pas de me faire observer.
NOTION ÉLASTIQUE DE SUCCÈS
Je n'ai pas d'éléments pour vous répondre concernant le succès de Petersson. Je pense cependant que
pour vous de succès public est un peu élastique
à votre convenance. Le "succès "de la meilleure oeuvre de Reger" (j'attends
toujours son nom), celui des "Gymnopédies" et peut-être celui de Malher au
début du siècle a-t-il un quelconque rapport quantitatif avec celui de
l'Adagio d'Albinoni/Giazotto par exemple? Y a-t-il même aujourd'hui un
motif musical de Malher qui se trouve dans toutes les têtes de mélomanes?
C'est vrai, bien sûr, nous retombons dans l'argument du thème sifflotable...
ANATHÈMES?
Quelques différences fondamentales entre les anathèmes que je profère et celles des musicographes:
1)Celles des musicographes concernent généralement des compositeurs tandis que les miennes sont relatives sur mon site à des oeuvres.
2)j'affirme toujours un jugemnet personnels sous mon nom tandis que les musicographes énoncent des jugements péremptoires dans l'aboslu.
3)le musicographes s'attaquent aux "petits"
compositeurs et compositeurs régulièrement méprisés alors que je m'attaque souvent à ceux qui sont le plus considérés ou le plus à la mode.
J'aimerais savoir, donc, pourquoi vous me reprochez mes anathèmes alors que celles des musicographes semblent parfaitement à votre convenance. Lorsque vous aurez condamné les anathèmes des musicographes contre les compositeurs méprisés, vous pourrez vous permettre de me reprocher les miennes contre les "grands classique".
MA MÉTHODE DE CRITIQUE MUSICALE
Vous évoquez plusieurs aspects de la critique. Tout d'abord la brièveté, qui est effectivement préjudiciable, surtout si l'on considère la peine qu'a prise le compositeur pour écrire une oeuvre, que l'on apprécie ou non. Certains ouvrages émettent des critiques ou des analyses (?) encore plus brèves que les miennes, y compris pour des oeuvres très connues. En ce qui ne concerne, la briéveté de la critique n'est pas significative du temps que j'ai accordé à l'oeuvre, lequel consiste principalement à l'écouter, ce qui est à mon avis plus fondamental que le temps passé à la rédaction. Il faut considérer aussi le temps passé à la réflexion. D'une manière générale, je n'émet pas un jugement après un nombre minimum de cinq auditions. Toutes les oeuvres sont ainsi traitées de la même manière. Si je ne me sens pas déterminé, je prolonge les auditions.
Je dois également ajouter que pour moi l'essentiel de la critique n'est pas le commentaire, mais le nombre d'étoiles attribuées, de sorte que j'ai attribué parfois 3 étoiles (excellent) à une oeuvre sur laquelle je n'ai fait aucun commentaire.
Vous parlez de critique fondée. Dans la mesure où j'établis mes critiques sur l'émotion engendrée par l'oeuvre, cette notion pour moi ne revêt plus aucun sens. La contrepartie - que j'accepte - est que ma critique n'a aucune valeur universelle, ce que je précise presque à chaque phrase par une formule telle que "à mon avis" ou "selon moi". Tout me paraît donc bien clair. Quant à l'intérêt d'une critique personnalisée pour le public, je m'en suis expliqué dans l'"Avant-propos".
En dernier lieu, vous semblez interdire la critique négative à un mélomane (comme je l'ai déjà précisé j'écris des critiques uniquement en tant que mélomane). C'est tout de même limiter la liberté d'expression, me semble-t-il. Lorsque l'on refuse d'admettre la possibilité d'une critique personnelle, n'est-ce pas refuser que l'autre ne puisse pas penser différemment de soi, c'est donc, me semble-t-il, ne pas respecter le jugement d'autrui?
VIENXTEMPS
J'ajouterais que Vieuxtemps me paraît un orchestrateur prodigieux, bien
supérieur
à Brahms. Je ne qualifierais cependant pas
l'orchestration de Brahms de "plaisante", mais de très bonne, quoique plus
classique et peu colorée. Je suis donc moins négatif à l'égard de Brahms que
notre ami à l'égard de Vieuxtemps, il n'empêche que l'on va considérer mon
jugement comme plus excessif! Pour moi, Vieuxtemps, c'est le
premier romantisme représenté par la soif d'un idéal inaccessible, loin des
contingences terrestres, la recherche d'une consolation, c'est
la conscience magique fuyant les tristes réalités du monde pour une
lopintaine Arcadie de l'esprit, Vieuxtemps, c'est l'âme dans sa candeur
primitive...
Il se trouve que j'ai
réécouté il y a quelques jours le 1er mvt du "Concerto n°2" et j'ai été frappé par
sa densité, l'absence de transition inutile, l'existence d'une tension
lyrique permanente avec des thèmes et motifs renouvelés, des effets
orchestraux d'une profonde expressivité, un épanchement émotionnel
absolument bouleversant, des contrastes saisissants.
Que dire du dernier mouvement
qui contient pour moi un des thèmes les plus inoubliables qu'il m'ait été donné d'écouter. Par comparaison, il y a
tellement d'oeuvres, à mon avis, dans lesquelles un thème excellent alterne
avec un moins bon ou avec un passage de transition plus faible. Je me garderai naturellement de nommer aucun nom de ces oeuvres plus faibles afin de ne pas chagriner les esprits délicats.
OEUVRES NÉGLIGÉES
J'ai
rencontré sous une forme un peu différente de telles "inconsciences", à mon
avis, dans de nombreux ouvrages. De nombreux auteurs, souvent des
compilateurs et des divulgateurs croient durs comme fer que la valeur d'un compositeur est exactement proportionnelle à sa renommée. Ils
considèrent l'"électisme de l'époque actuelle comme définitif et irrévocable
comme si nous étions supérieurs à nos ancêtres, eux qui justement avaient
créé ces oeuvres et les avaient appréciées. Ils considèrent également que
les aléas historiques sont inexistants et surtout que les facteurs
idéologiques ont été sans conséquence. Reconnaissons cependant qu'il existe
aujourd'hui des auteurs, à mon avis plus clairvoyants, (des sociologues
notamment) qui commencent à remettre en cause cet ensemble d'artefacts que
constitue à mon sens l'histoire de la musique actuelle. Nous avons peut-être
aujourd'hui une vision plus objective grâce à l'apport de musicologues à
l'esprit plus rationnel et plus "scientifique". Il reste néanmoins que les
traces du passé subsistent et que la sacralisation réalisée sur quelques
noms n'a pas pu être évacuée et ne le sera sans doute jamais.
Le problème ne consiste-t-il pas à faire prendre conscience que la
considération
excessive des "grands compositeurs" ne correspond à aucune réalité objective, si toutefois cette idée que j'avance s'appuie
sur quelque fondement?
MÉTHODE DE CRITIQUE MUSICALE
Tout d'abord, il ne faut pas exagérer le nombre d'oeuvres rares que je
connais. Je cite souvent les mêmes et d'autre part de nombreux membres de
classiques-fr en connaissent beaucoup plus que moi, à commencer par
vous-mêmes. Mais là ne me paraît pas l'essentiel. La
différence réside peut-être dans le fait qu'ils n'accordent - à tort ou à raison - pas la
même importance et la même valeur aux opeuvre srares d'une manière générale
que moi par rapport aux oeuvres des compositeurs renommés. Pour ce qui est
de votre second argument, je ne vous en apporte pas un démenti, ce que vous
avez dû ressentir d'ailleurs dans mes messages antérieurs. Je ne considère
pas ma méthode comme excellente, si méthode il y a. En ce qui concerne plus précisément
les critiques à l'égard de critique-musicale.com (et non mes messages polémiques sur classique-fr),
mon approche est différente. Comme je l'ai indiqué dans l'Avant-propos, je
considère les oeuvres comme si elles étaient signées X sans considération
préalable de leur notoriété. Je ne vois pas que l'on puisse faire une
critique honnête sans satisfaire à ce principe. En revanche, il me paraît
possible d'adopter une forme et une manière qui évite de heurter le lecteur
sans rien concéder sur le fond; de ce point de vue, j'admets que certaines
de mes critiques puissent être améliorées et je pourrais envisager
éventuellement de les modifier dans ce sens. Ce que je refuserais toujours catégoriquement, c'est qu'on
admette la désinvolture à l'égard des "petits" et qu'elle scandalise
lorsqu'elle concerne les "grands". Mais je récuse votre propos m'éccusant d'éreinter considérablement Bach, Brahms et Mozart et je pense qu'il est totalement
étranger avec le principe d'honnêteté rigoureuse de la critique que je me
suis fixé, à savoir que j'écoute au départ toute oeuvre avec un préjugé
positif sans aucune considération du nom du compositeur et de son
esthétique. Encore une fois, il ne faut pas confondre les critiques sur les
oeuvres dans mon
site et les propos polémiques que je peux tenir par ailleurs. Vous trouverez
peut-être quelques propos polémiques dans mes critiques sur mon site, mais
rarement. Par ailleurs, sur les 3 noms que vous citez, Bach, Mozart et
Brahms, vous
remarquerez justement qu'ils figurent tous les 3 dans ma listes d'oeuvres
excellentes, Brahms avec 6 oeuvres, Mozart avec 7 oeuvres, Bach avec 3
oeuvres. Ce dernier compositeur, que je décrie beaucoup, figure tout de même
comme Mozart dans les oeuvres exceptionnelles et même la sélection
restreinte de
60 oeuvres pour une discothèque idéale. naturellement, si vous affirmez qu'il
apparaît un certain hiatus entre mon discours et d'autre part mes "critiques
objectives", je serais peut-être plus embarrassé pour vous répondre, quoique
j'ai tout de même quelques arguments en réserve. En ce qui concerne mes
critiques, je remplacerais le terme de "condamnation" que vous leru appliquez par
le terme de "constestation". Relativement à ma prose polémique,
le terme de condamnation, que je ne récuse pas, ne vise pas les
compositeurs, mais plutôt ceux qui, à mon sens, en entretiennent le culte exagéré. Je préférerais encore le terme de "dénonciation". Je voudrais dénoncer
certaines attitudes qui ne me paraissent pas toujours adoptées en toute innocence.
Il s'agit justement de faire prendre conscience au mélomanes que le "grand répertoire" (selon la dénomination que vous lui appliquez)n'est grand que de nom et qu'il n'existe aucune raison objective de lui accorder une importance primordiale. Au contraire même, il existerait plutôt une raison morale de sanctionner une médiatisation qui les trompe et les manipule. Je ne vois aucune raison majeure de connaître plus particulièrement les symphonies de Mahler que celes de Reinecke. Seuls les esprits faibles courbent l'échine et acceptent l'aliénation morale que leur impose la pression sociale.
La remise en
cause que je réalise des "grands classiques", c'est une constatation a
posteriori de l'audition de leurs oeuvres, subjective sans doute, mais j'assume mes propres inclinations. En tant que critique, je n'ai aucune raison particulière de ménager ni de dévaloriser les "grands classiques", sauf de déroger à mon impartialité. Je n'ai pas de ces "grands
classiques" une connaissance approfondie, mais
pour la partie que je connais, statistiquement il ne me semble pas que le
pourcentage d'oeuvres excellentes chez ces "grands classiques" soit
supérieures à ce qu'elle est chez les compositeurs méconnus. En revanche, j'observe
qu'elle est supérieure à mon avis chez des virtuoses compositeurs, tout
cela reposant évidemment sur mon propre jugement. Une idée plus exacte de la
valeur relative des compositeurs connus et des inconnus ne pourrait être
réalisée que sur des intégrales, or il est impossible humainement de
connaître une telle quantité d'oeuvres, même pour des compositeurs connus, sans compter les difficultés de disponibilité concernant les oeuvres..
Prenons un exemple. Hubert Léonard, dont vous savez que j'ai fait l'éloge
pour en fait un seul concerto que je connais de lui. Il a peut-être écrit
dans sa vie
moins d'oeuvre excellentes que Bach que je décrie sans cesse. Néanmoins,
dans les rares cas où je peux connaître une partie conséquente des oeuvres
d'un virtuose-compositeur, elles m'apparaissent souvent supérieures à celles
des grands classiques, par exemple les 7 concertos et quelques autres
oeuvres de Vieuxtemps. Je ne vois guère de
grands classiques qui ait écrit une série d'oeuvres concertantes violonistiques aussi
excellentes
Naturellement, je rappelle que tout ceci ne repose que sur mon jugement
personnel. Sur un plan historique, il m'apparaît que les
virtuoses compositeurs sont des compositeurs
ont été déconsidérés. J'observe donc sur le plan historique
un
faisceau de présomption qui appuie mes jugements personnels.
VIEUX GROGNON
Vous me traitez de vieux grognon. Pour ce qui est du "vieux", je dois
être comme a dit un critique à propos de Saint-Saëns: "Nul doute que
Monsieur Saint-Saëns ne soit né à un âge avancé". Et comme a écrit un autre historien
de la musique à propos de Tchaïkovski : "vieux pleurnichard". Vous voyez que
je m'acoquine avec qui me ressemble. Vous avez raison, l'âge
réel n'y fait rien.
LA FOI, LA RAISON, LA SENSATION... ET LA MUSIQUE
"L' homme entre au monde avec la foi; elle précède de beaucoup le
raisonnement et la connaissance. Pour comprendre, il faut d'abord croire; la foi est la base fondamentale sur laquelle la faible raison plante son premier jalon. La raison n'est autre que la foi analysée."
Cette pensée que vous citez, tirée du Schubert par Bourgault-Ducoudray me rappelle curieusement un certain Pascal, mais le fondamentalisme ne m'inspire guère. Je crois qu'au départ avant-tout nous sentons. La
sensation n'est-elle pas le postulat de la
Connaissance? je sens, donc je vis. Etablir la raison sur la foi me semble une négation de la
raison, cela me paraît une impossiblité. En musique, je pense que
ni la
raison ni la foi ne doivent et ne peuvent intervenir.
PENSÉES PHILOSOPHIQUES ET MUSICALES
Selon Bourgault-Ducoudray, vous me citez encore:
"Il n'y a qu'un pas de l'inspiration la plus haute au ridicule le plus
complet, de la sagesse la plus parfaite à la sottise la plus honteuse"
C'est terrible et certainement vrai.
Et de même la roche Tarpéïenne est proche du Capitole, dit-on.
Et vous me citez enfin, du même auteur:
"...La douleur aiguise l'intelligence et fortifie l'âme; la joie au
contraire rend égoïste et frivole"
Je préfère plutôt la pensée de Nietszche: "L'homme qui s'éjouit ne connaît
pas le Malin", mais Schopenhauer a dit aussi : "Si nous ne ressentions pas
de douleur, nous n'aurions pas conscience." Comme exemple d'oeuvres
musicales enfantées par la douleur, y en a-t-il de meilleur que celles de
Tchaïkovski et la "Pathétique" en particulier? La joie aussi a peut-être enfanté de belles
oeuvres, Salieri, Mozart, Dittersdorf, Danzi...
ÉLOGES DÉPRÉCIANTS
Sans doute n'avez-vous jamais émis de termes trop directement dépréciants à l'égard de Vieuxtemps, l'esprit rafinné que vous êtes use d'épithètes plus subtilement dépréciants sans que vous paraissiez vous commettre.
N'est-ce pas vous qui avez dit que Vieuxtemps était "plaisant" ou "aimable". Voici la gradation des épithètes du moins dépréciant au plus dépréciant:
moyen, passable, médiocre, mauvais, nul, exécrable, plaisant, aimable.
C'était pour continuer le petit lexique de vocabulaire musical à l'usage du mélomane, mais je
vois, cher ami, que vous êtes rompus avec ces subtilités de langage.
Loin de moi l'idée de vous y initier, vous qui êtes un maître en la matière.
DÉCOUPAGE DES OEUVRES EN MORCEAUX
D'après ce que j'ai pu lire, il était courant au XIXème de ne jouer qu'un
mouvement de symphonie. On remarquera aussi que les transcritptions
d'oeuvres célèbres font de même. Pour ce qui est des concertos, il ne me
paraît pas incongru de faire Se succéder 2 mouvements rapides car cette
caractéristique existe pour un certain nombre de concertos hétérodoxes. par
exemple pour
au moins un concerto pour piano de "l'obscur
compositeur académique", la transgression de la règle étant une preuve
supplémentaire de son académisme, sans doute.
Personnellement, je suis très partisan de jouer séparément les mouvements
d'une oeuvree car je pense qu'un compositeur est rarement inspiré pour tous
les mouvements, ce qui justifie à mon avis un choix, mais voilà lequel
réaliser?
L'exemple le plus célèbre d'oeuvre communément tronquée est la fameuse
"Marche turque" de Mozart, les autres mouvements de la sonate considérée
sont peu joués.
Personnellement, je me réalise des compilations en dépoupant impitoyablement
symphonies et concertos. Certains vont dire que j'y trouve un certain
plaisir iconoclaste ! Cela fait partie, il me semble, du droit
imprescriptible de l'auditeur
d'écouter ce qu'il aime et surtout de ne pas écouter ce qu'il n'aime pas. Le "Scherzo" du
concerto symphonique no 4 de Litolff, seul connu et enregistré séparément des autres mouvements, me dites-vous.
Oui, je n'ai d'abord connu que ce premier mouvement du Concerto-symphonique
n°4 de
Litolff. C'est un peu dommage pour le "Final impetuoso", en revanche, de
moi-même, j'aurais facilement supprimé les 2 mouvements intermédiaires. Il y a au moins les poèmes symphoniques qui devraient
exiger qu'on les entendît en entier de manière à ce que la logique du récit
soit respectée. Mais sans aucun égard à cette logique, je me permets également de les découper sans pitié selon mon bon vouloir.
Je
ne supporte pas de m'ennuyer plus de 5 minutes en écoutant de la musique
contrairement l'un de nos membres qui est d'un stoïcisme extraordinaire pour écouter de la
musique plate... et même qui semble y trouver du plaisir.
LE BOLÉRO
Le Bolero, oui pourquoi pas. Si un thème est excellent, je pense qu'il peut
supporter un nombre de réexpositions très élevé, ce qui est, je crois, le
cas
dans cette oeuvre. Et remarquons que ce thème est très long, il peut être divisé en
plusieurs sections, 2 principales, il me semble. L'ostinato rythmique qui
sous-tend imperturbablement l'oeuvre du pianissimo au fortissimo me paraît
très
impressionnant.
Merci de me demander mon appréciation sur cette oeuvre. Quant au titre que vous me prétez de "roi de la critique", il est
peut-être ambigu, enfin l'avantage, c'est que chacun peut le comprendre
comme il veut. A tout prendre, je me demande si je ne préfère pas celui de
"vieux grognon".
APPROCHE SOCIALE DE LA MUSIQUE
L'approche sociale que vous proposez pose à mon avis un problème de méthodologie dans la mesure où
on observe (ou on croit observer) le contenu de cette musique en connaissant
à l'avance l'époque et la société
dont elle est le produit, les conditions dans lesquelles le compositeur l'a
créée... Qu'en serait-il si on ignorait le nom du compositeur, l'époque et
son contexte? N'est-ce pas pourtant là que la musique prendrait sa
véritable et seule signification, indépendante de tout contexte. D'autre
part, je remarque que la musique de l'époque galante évoque plutôt un
sentiment de gaieté ou d'insouciance alors que la musique romantique est
plus empreinte de pathos, sans que ce soit absolu, pourtant les hommes, et
notamment les compositeurs, ont souffert autant à une époque qu'à l'autre.
N'est-ce pas plutôt l'évolution thématique par elle-même qui a engendré un
éthos qui lui est associé, par exemple à l'époque mannheimienne l'évidence
tonale de la mélodie qui par elle-même engendre équilibre, absence de
souffrance. La dissonance par elle-même engendre au contraire le
déséquilibre, une affectivité plus marquée. Cependant, la réponse se trouve
peut-être dans l'évolution de la pensée, considérée comme autonome,
l'idéologie au sens large puisqu'on observe la même évolution dans les
autres arts et en littérature, cette évolution peut aussi représenter la
conséquence de l'évolution de la société, au niveau des élites artistiques et les milieux de l'aristocratie sensibles aux manifestations artistiques. Nous voilà revenu au départ. Comme
a dit un certain philosophe: "je sais que je ne sais rien..."
CONCERTO POUR FLÛTE, HAUTBOIS ET ORCHESTRE DE SALIERI
Après le baroque, le classique, je vous propose une petite incursion dans cet art très typé avec le "Concerto pour flûte, hautbois et orchestre" d'Antonio Salieri. Cet art, il me semble, est rarement évoqué sur ce forum. J'ai longtemps méprisé ce style musical trop enfermé à mon goût dans l'utilisation de recettes faciles: l'évidence tonale, l'abus des formules compassées, les résolutions mélodiques simplistes, une certaine frilosité sur le plan de la virtuosité... Si j'en juge par les oeuvres concertantes pour piano et orchestre et même pour violon et orchestre que je connais, pas une oeuvre n'échappe à cette facilité de l'écriture un peu superficielle, sauf peut-être le petit concerto pour piano de J.B. Cramer, plus proche d'ailleurs de l'art des clavecinistes de la première moitié du 18e siècle. C'est naturellement une opinion personnelle. Il en est sans doute tout autrement des pièces pour piano et des concertos pour instruments divers, le genre concertant pour piano ou pour violon, qui implique un certain épanchement lyrique, me paraît moins convenir au style classique qu'au style romantique ou même au style baroque (en ce qui concerne les oeuvres concertantes pour violon).
Le concerto de Salieri me frappe dès l'abord par son dynamisme et son originalité. Rien n'est moins compassé que cette oeuvre. Tout en demeurant foncièrement dans le style mannheimien, la thématique fait à mon avis preuve d'un réel renouvellement. Malgré les nombreuses modulations, passages en mode mineur, agrégations qui confèrent à cette oeuvre une certaine tension lyrique, il est remarquable que la gaieté radieuse qui se dégage de l'ensemble ne s'en trouve pas amoindrie. Salieri exploite particulièrement à mon avis les contrastes aussi bien d'intensité, de thématique que de couleur instrumentale. Le thème principal du premier mouvement qui se réduit principalement à un agrément répété à la flûte est bien caractéristique de l'originalité saisissante de cette oeuvre. Ce thème sera répété en fin de mouvement à des intervalles réduits. Ce qui me paraît également remarquable dans ce concerto, c'est la constante égalité d'intérêt sur les trois mouvements, caractéritiques rares il me semble, dans ce genre.
Cette oeuvre injustement oubliée à mon avis me paraît largement supérieure à la plupart des oeuvres concertantes de Mozart. Il paraît que Salieri était un type vraiment sympa dans la vie, (pas le genre Steibelt ni Stravinski), d'une joie communicative extraordinaire, généreux et pas du tout prétentieux ni jaloux comme Mozart, ceci malgré tous les honneurs qu'il a récolté de la part des têtes couronnées, un brave type. Il adorait les friandises, sa musique n'est cependant pas trop sucrée à mon goût. (renseignements biographiques d'après Fétis).
Voici la référence:
Concerto pour flûte et hautbois (Antonio SALIERI)
Clémentine Hoogendoorn (flûte)
Pietro Borbonovo (hautbois)
I solisti veneti
dirigés par le Révérend Père Claudio Scimone, Grand Prêtre du baroque en Italie, s'il en est. Il me fait irrésistiblement penser à un écclésiastique - ce qui n'exclut pas la chaleur et le sens de la sensualité (ou peut-être même l'évoque dans le contexte vénitien). De ce point de vue, d'après le Président de Brosses, les couvents vénitiens au 18e siècle étaient des lieux de divertissements assez joyeux. Dans ces conditions-là, j'accepterais facilement la tonsure !
L'enregistrement est couplé avec un concerto (à mon avis de moindre intérêt) de Francesco Salieri.
MIKROKOSMOS DE BARTOK
Ce que j'ai découvert dans Mikrokosmos pour piano, ce sont les effets de
rythme parfois intéressants, je dois l'avouer, mais à mon avis, qui tentent
de compenser la pauvreté thématique ( et pour cause) de ces partitions.
Etablir l'intérêt d'une oeuvre sur les seuls effets rythmiques me paraît une
impossibilité. C'est la seule chose que pouvait tenter Bartok et il l'a
réalisée effectivement au maximum. A mon avis on ne peut aller plsu loin
poru communiuer un minimum d'intér^pet de la musique atonale. Bref, je ne
suis pas convaincu. Je remarque d'autre part que dans es oeuvres
concertantes (piano, violon) Bartok n'abandonne jamais la tonalité, est-ce
un aveu d'impuissance ? non pas liée à l'incapacité musicale de Bartok mais au type de musique qu'il
utilise.
CONSIDÉRATION DE L'ARTISTE DANS L'HISTOIRE DE LA MUSIQUE
Vous pensez que l'autonomie économique des compositeurs est la cause de la considération dont ils jouissaient en tant qu'artiste élevés au rang d'individus exceptionnels.
Je crois qu'il y a d'autres causes d'ordre idéologique. Au 19e, dans
l'idéal romantique, avec le développement de l'égotisme, le compositeur est
considéré comme un homme hors du commun. En même temps se développe une
prise
de conscience de l'importance de l'Art et de la culture. L'artiste est
devenu le médiateur de la foule, il exprime le souffle de l'Esprit. Tout ce
qu'il écrit devient divin, marqué du sceau du génie supérieur. Au 18e
siècle, le compositeur était consiéré comme un divertisseur -sans doute à
tort, au 19e il est considéré comme un démiurge. L'époque n'est plus où
il mangeait à la table des laquais. Comme vous le remarquez, les
virtuoses-compositeurs ont contribué aussi à cette nouvelle
perception de l'Art et de l'artiste. La virtuosité elle-même est devenue une
capacité "surnaturelle" qui plaçait l'artiste au-dessus du commun des
mortels. Plus que les autres, ces virtuoses ont été adulés par le public. Ce
qui me paraît regrettable, c'est que les Intellectuels, qui devraient être
plsu sages que les autres, ont aussi manifesté à mon avis ce même esprit de
sacralisation et de culte de la personnalité mais non à l'égard des
virtuoses-compositeurs qu'ils poursuivaient de leurs anathèmes (j'en ai une
belle collection) mais à l'égard d'autres compositeurs et je peux vous dire en
connaissance de cause que la sacralisation outracière manifestée par les Intellectuels dépasse de loin celle du public (j'ai aussi une belle
collection de citations, mais je le réserve pour plus tard). Entre Appia,
Vuillermoz, Pirro, Piccoli, Rebatet (que vous connaissez), Rapin, Louvier,
Bragard... c'est à qui
écrira les formules les plus péremptoires, les plus dépréciantes, comminatoires interdisant le moindre doute chez le lecteur. De même, ils
sont encore plus sensibles que le public au phénomène de mode, eux qui
devraient par leur sagesse être capable de s'élever au-dessus de ce
phénomène superficiel.
RAWSTHORNE ROMANTIQUE!
Rawsthorne romantique? J'ai l'impression que l'on établit une
confusion. Ce n'est pas parce qu'une oeuvre contemporaine est tonale qu'elle
est obligatoirement romantique. Ne confond-on pas néo-classicisme et romantisme?
UNE APPROCHE D'ALKAN
Personnellement, je conseillerais le fameux "Festin d'Esope", et la 1ère des
"Trois petites fantaisies" notamment. Alkan semble avoir supassé Liszt par
l'impériosité de certains effets, quelquefois il faut l'avouer à mon goût un epu
outrés (mais ceux de liszt ne le sont-ils pas aussi). Il a dépassé Liszt aussi par
l'exploitation des extrême-grave qui représentent un des aspects important de son art. En
revanche, ses pièces, plutôt dans la lignée de l'art des clavecinistes du
18e siècle, avec des effets de rythme très marqués comme dans "Le
chemin de fer", ont, me semble-t-il, beaucoup moins d'ampleur lyrique, moins
de "luminosisté", l'exploitation des extrême-aigus y est faible.
OEUVRES MODERNES ACCESSIBLES!
Cela me plonge toujours dans la perplexité lorsque l'on parle de pièces modernes
"accessibles". Cela signifie-t-il donc que ces compositeurs sont d'une
intelligence tellement supérieure qu'ils ne sont pas "accessibles" pour nous,
les petits cerveaux que nous sommes, tout juste bons pour comprendre Mozart
et Beethoven. On a toujours l'impression que l'on veut condescendre
vis-à-vis du pauvre pékin auquel on s'adresse quand on emploie cette formule.
Mais, disait Debussy, en substance: lorsqu'on dit que la musique devient
difficile, c'est bien souventqu'il n'y a pas de musique du tout.
LA TONALITÉ DANS "MIKROKOSMOS" DE BARTOK
Il y a tout de même une certaine différence, il me semble, entre la
réalité des chants populaires d'Europe Centrale et Mokrokosmos, du point de
vue tonal. Difficile de croire qu'il s'agit là de musique rhapsodique. La
tonalité est déterminée par l'existence du rapport tonique dominante dans
l'oeuvre considérée. L'écoute des "Mikorkosmos" me suggère que ce rapport
n'existe pas et que cette écriture n'est donc pas modale (les modes d'Europe
centrale respectent la dominante). Je serais étonné que l'analyse fît
apparaître beaucoup de signatures tonales dans ces oeuvres, tout au moins
celles que je connais car les Mikrokosmos", me semble-t-il, regroupent une
quantité de pièces fort importante. Etes-vous sûr que vous ne confondez pas
Bartok avec son collègue Kodaly.
NORME POLITIQUE CONTEMPORAINE
L'attitude politique de Berlioz, qui fut, selon vos termes, un ardent réactionnaire, vous choque.
Cela pourrrait être dit aussi de Debussy qui fut le type même de
l'anarchiste d'extrême-droite. Cependant devons-nous juger les opinions
politiques des compositeurs d'après l'idéologie politique dominante de notre
époque et devons-nous considérer que nous détenons obligatoirement la vérité?
CHOSTAKOVITCH ET MALHER
Je ne vois guère de rapport entre le concerto pour
violon n°2 et les symphonies de Mahler. Pour moi ces deux oeuvres appartiennent
à un univers différent. cela dit, il n'est pas rare que des compositeurs
contemporains passent au cours de leur existence par un grand nombre
d'esthétiques, j'ai même vu le cas d'une oeuvre exprimant plusieurs
esthétiques simultanées assez différentes, comme par exwemple le petit
Concerto pour piano d'Eisbrenner, la labilité esthétique étant à mon avis
une des caractéristiques des modernes par rapport aux compositeurs des
époques antérieures. C'est vrai aussi à mon avis de Nielsen si on compare
par exemple" Pan et Syrinx" et ses symphonies au moins la "5" et la "7", toutes
oeuvres pourtant néo-classiques. Pour ce qui de quelques autres oeuvres de
Chostakovitch
que je connais, effectivement on peut y voir quelques affinités avec le style bouffon de Mahler, maisje les ferais plutôt dériver du style du "Groupe des Six",
exploité de manière outrancière et provoquante. Plus de matuvuisme chez Chostakovitch et plus d'histrionisme chez Mahler. Aujourd'hui, je déteste
moins Chostakovitch (l'homme je précise) depuis que je me suis aperçu (en
consultant quelques biographies) que ce style qu'il a adopté
est peut-être beaucoup plus la marque d'une certaine irresponsabilité et
inconséquence de sa part, à mon avis, qu'une véritable profession de foi
esthétique.
POMPIER
En lisant une de vos "épître musicales" , je me suis avisé qu'il fallait que j'ajoute
un addendum à mon petit lexique de vocabulaire à l'usage des mélomanes:
pompier : (fém. : pompière) se dit d'une oeuvre musicale présentant un
caractère très lyrique.
BAROQUE, ROMANTIQUE, MODENRE QUATRE SAISONS" DE VIVALDI, "CONCERTO A LA MÉMOIRE D'UN ANGE" DE BERG
Pour prendre un exemple bien connu,
je pense que "les quatre saisons" de Vivaldi, en plus d'une empreinte
baroque évidente, présente des éléments stylistiques impressionniastes (dans
certains soli), voire moderne, beaucoup plus que romantiques. On peut trouver aussi
des effets modernes dans certaines sonates de Scarlatti, mais pas obligatoirement
romantiques. Il y a à mon avis moins de distance entre le baroque et le
moderne qu'entre le baroque et le romantique. Je vois cependant une oeuvre
qui présente en même temps les caractéristiques de romantique,
impressionniste et moderne, ce sont certains "Caprices" de Paganini.
Je ne ressens aucune émotion et aucun lyrisme en écoutant "A la mémoire d'un ange". S'il n'y avait pas le titre et l'argument de l'oeuvre, je me
demande combien de personnes le trouveraient aussi émouvant. Si elle est "moderne", pour moi au sens négatif du terme, cette oeuvre ne contient pas une once de romantisme."A la mémoire d'un ange""A la mémoire d'un ange"
BERWALD ET BERLIOZ
Berwald, proche de Berlioz. Là, je ne vous suis pas vraiment. Berwald a manifesté à mon avis, notamment
dans sa toisième symphonie un sens de la couleur, de l'impétuosité, de la
mobilité thématique et instrumentale certain, qui ne permet pas pour autant à mon avis de le rapprocher de Berlioz. Et ce rapprochement me paraît moins évident encore pour ses 2
premières symphonies. Et même dans la
troisième, je vois beaucoup plus l'influence de Wagner, notamment un motif
lent du premier mouvement.
INFLUENCE DE BERLIOZ: TCHAÏKOVSKY ET VIEUXTEMPS
A cette liste de compositeurs influencés par Berlioz, sinon par l'esprit romantique imprégnant ses oeuvres, du moins par le traitement symphonique qui les caractérise, vous pourriez rajouter tout simplement Tchaïkovski, notamment dans "Francesca
da rimini" ou même la Pathétique, en particulier le dernier mouvement qui
comporte des sections de cordes divisées rappelant étrangement celles de
"Scène aux champs" (je crois). Je voudrais rappeler une fois de plus que
Vieuxtemps a peut-être été un des premiers compositeurs à adopter dans ses
concertos l'orchestration berliozienne, non
pas en l'amoindrissant, mais en approfondissant ses effets, sur le plan de
l'orchestique, mais surtout en ce qui concerne l'expression du sentiment
romantique. Dommage encore qu'il n'y ait pas l'équivalent du Panthéon à
Bruxelles, sinon il faudrait y transférer les cendres de ce compositeur pour réparer l'injustice qui lui est faite. A cette liste compositeurs influencés par berlioz et spécialement par l'orchestique de la "Fantastique", ajoutons Bruckner dont la 4ème symphonie est certainement très berliozienne, notamment par l'exploitation des cuivres, plus
berliozienne que wagnérienne contrairement aux autres symphonies du maître.
COMPLEXITÉ DU CONTENU MUSICAL
Certains compositeurs peuvent-ils se prévaloir d'avoir introduit une complexité suprériure dans leur oeuvre, complexité qui relèverait de l'intellectualisme?
Je pense qu contraire que lorsqu'un compositeur a mis dans son oeuvre du
lyrisme et de la beauté, il y a mis intuitivement une complexité plus
grande, plus élaborée que celle qu'il a pu (ou plus exactement cru) y mettre
lorsqu'il a voulu
consciemment y ajouter de la complexité (intellectuelle). C'est la raison pour laquelle des
thèmes très simples en apparence, mais efficaces musicalement, me paraissent
en réalité plus complexes que les fugues les plus compliquées qui puissent
être composées. La complexité interne qui rend une mélodie efficace
musicalement se trouve à mon avis nettement au-dessus de nos possibilités
d'analyse.
"EFFETS WAGNÉRIENS" DANS LA "SINGULIÈRE" DE BERWALD
Observer que cet effet "wagnérien" dans la Singulière de Berwald ne peut s'expliquer par une imitation d'après Wagner, lequel n'avait pas écrit ses premières oeuvres singificatives incline à penser
que les "effets wagnériens" ne sont en fait que des
procédés d'origine diverse que Wagner aurait pu reprendre, notamment de la musique nordique. J'avais souvent
observé ce phénomène en ce qui concerne l'évolution des oeuvres pour piano
et orchestre où je comparais systématiquement les dates de composition,
c'est-à-dire que cette évolution se serait réalisée de manière très
progressive et que l'on avait prêté à certains compositeurs des nouveautés
provenant en fait d'oeuvres antérieures dues à d'autres compositeurs moins
connus. Pour ce qui est du fameux thème "wagnérien" de la 3ème symphonie de
Berwald, il
me paraît absolument caractéristique et reconnaissable. C'est un thème lent,
il intervient très exactement au début et à la fin du second mouvement ainsi
que dans le 3ème mouvement cette fois confié à la flûte. Je le signale pour
ceux qui auraient la curiosité d'écouter (ou de réécouter) cette symphonie à
mon avis sublime, et ce thème précisément me paraît un sommet.
Cette remarque à propos de la "Singulière" de Berwald ne permet-il pas de déboulonner une nouvelle idole, Wagner!
BACH ÉVOQUE-T-IL L'ABSENCE D'IDÉALISME OU L'ABSOLU? - PASCAL
Pour moi, certaines oeuvres de Bach, par leur régularité rythmique, leur
monotonie, leur austérité, leur absence de chaleur (quoiqu'on ait déployé
une réthorique impressionnante pour le montrer chaleureux, poétique...),
leur sécheresse... illustrent justement le phénomène d'oubli de la
conscience, non pas par les passions
et le divertissement, mais par l'idée de religiosité qu'elle véhicule : le
refus de toute transcendance, de toute sensibilité, la négation de l'Art et
de la Beauté, le culte de la scholastique, de l'intellectualisme, de
l'hermétisme, deS règles abstruses. Je n'étends pas ce jugement à toutes les
oeuvres de Bach, dois-je préciser. Sur un plan plus général, et tout en
respectant les convictions de chacun, j'ajouterai qu'il est notoire sur le
plan historique que la religion a beaucoup plus contribué à détourner les
foules des valeurs positives et de la consicence que le divertissement. Je
suis moins catégorique et plus respectueux envers les autres que Pascal qui
n'hésite pas à employer les termes de "bas" de "vices" pour caractériser les
passions des autres qu'il n'approuve pas. C'est bien connu, les passions des
autres sont risibles.
LA MUSIQUE: DIVERTISSEMENT PASCALIEN?
J'avoue avoir toujours été un anti-pascalien farouche. Pascal est un fondamentaliste niant toute
valeur positive au sens antique et nietszchèen. Il s'est ridiculisé à
vouloir démontrer d'une manière quasi-scientifique l'existence de Dieu et s'est déconsidéré en adoptant l'éthique d'un fondamentalisme étroit. Sur
le plan musical, la musique négative est selon moi celle qui prétend
véhiculer la spiritualité et non pas le lyrisme, celle
de d'Indy par exemple. Etant plutôt influencé par Jankélévitch , je rejette l'austérité qui
pour moi représente l'antithèse de la Beauté,
laquelle ne peut s'épanouir que dans une conception épicurienne de
l'existence. Comparez Bach et Vivaldi par exemple et vous avez les deux
termes de l'opposition. La musique ne me semble pas un divertissement au
sens pascalien, activité qui nous éloignerait de la
lucidité et de la conscience. L'oubli de la conscience serait
plutôt engendrée par l'idée janséniste d'un Dieu
monolithique, austère, idée pour moi "remplie
de bassesse, de vanité, de légèreté, d'orgueil,
et d'une infinité d'autres vices" . Ne correspond-elle pas à "un fantôme et
à une illusion". La musique en tant qu'art ne s'est pas établie à
partir de la musique religieuse, mais contre elle, comme tout art toute
culture et tout essai d'élévation vers la conscience. La Renaissance en est
l'illustration.
VIEUXTEMPS - WIENIAWSKY
Je ne puis naturellement laisser passer votre commentaire sur Vieuxtemps
sans intervenir, mais n'attendez-vous pas évidemment ma réponse. J'aurais tout
d'abord une remarque préliminaire à formuler. Il semble que vous
appuyez votre mésestime (relative il est vrai) pour un
compositeur au fait que vous rencontrez dans une ou plusieurs de ses oeuvres
des passages
plus faibles, voire formels. Or, personnellement, en ce qui concerne
Vieuxtemps, son "Concerto n°5" me paraît de faible intérêt quasiment du début
à la fin, il n'empêche que sur l'ensemble de ses oeuvres Vieuxtemps me
paraît un génie exceptionnel. Je me réfère à la moyenne générale (selon mon
jugement) d'après laquelle environ une oeuvre sur 5 d'un compositeur est
estimable, que ce compositeur soit connu ou inconnu. Croyez-vous que chez
les Brahms, Bach et autres Bruckner que vous admirez il n'y ait pas de
passages fastidieux encore plus longs et encore plus d'oeuvres sans intérêt?
Je suis toujours étonné que l'on soit très exigeant envers les
compositeurs peu connus, les virtuoses-compositeurs alors qu'on l'est bien
peu devant les faiblesses des "grands classiques". En second lieu, il me
semble que vous désapprouvez certains effets car vous les avez déjà entendus
et qu'ils constituent pour vous en quelque sorte des "clichés" de l'écriture
romantique, des banalités. Je ne vous approuve pas dans ce jugement, (si
toutefois
je ne déforme pas votre pensée), car ces effets, même répétés, ont à mon avis
un intérêt
intrinsèque et une réelle efficacité. Il ne faut pas oublier également la
logique d'ensemble (intuitive évidemment) selon laquelle s'organisent ces
effets, laquelle procède, j'ensuis convaincu, d'une originalité indéniable chez Vieuxtemps. N'oubliez pas, l'art est fait de 99% de conventionnalisme et de un
pour cent d'originalité, c'est à mon avis dans la manière dont un artiste
sait agencer ces éléments "formels" (selon votre appréciation) qui font une oeuvre géniale. Je ne crois
pas d'ailleurs que Vieuxtemps ait voulu faire du formalisme, mais plutôt
qu'il a voulu "réutiliser" des formules dont il avait perçu l'efficacité
dans
d'autres oeuvres en se les appropriant suffisamment. Et croyez-vous que lels classiques reconnus n'utilisent pas plus encore de formules convenus sans leur communiquer le degré d'originalité qui les transcende. D'autre part, je vous avoue que dans de nombreuses
oeuvres de style galant, l'utilisation des formules schématiques me paraît
engendrer des oeuvres sans intérêt, mais qulquefois ces même effets créent
une oeuvre géniale sans que l'on puisse comprendre quelle est l'origine de
la différence, probablement parce que ces effets arrivent au moment où il
faut
selon une logique psychologique appropriée, je ne sais.
Vieuxtemps est effectivement joué dans les conservatoires car les
violonistes ont conservé leur répertoire spécifique comprenant notamment de
soeuvres de Sarasate, Viotti, Paganini... de la même manière les jeunes
pianistes jouent Clementi, Kozeluch, Khulau, Cramer... mais croyez-vous que
les chefs d'orchestre et même les solistes à leur maturité se bousculent pour enregistrer
ces compositeurs.
Pour reprendre votre revue des oeuvres de Vieuxtemps, (je précise que je ne
connais pas le 6 qui est vraiment très peu joué) le 5, je le trouve de très faible intérêt, le 3 d'intérêt
relativement limité, le 7 d'intérêt très variable, en revanche, le 2, le 1,
le 4 me paraissent des chefs-d'oeuvre. Il faudrait évidemment considérer
chaque mouvement précisément. Evoquer un concerto dans son ensemble ne me paraît pas revêtir une grande signification. La "Fantasia appasionata" est aussi à mon avis une grande oeuvre, peut-être la plus purement romantique et peut-être de ce fait pour vous la plus conventionnelle. pour celui qui ne vibre pas au souffle du romantisme et n'en perçoit pas la magie, les "effets romantiques" ne sont que des résidus morts sans originalité. Le
"Konzerstück" une oeuvre d'intérêt moins soutenu, certianement près de cette page enflammée qu'est la "Fantasia appassionata". Sur le total des oeuvres concertantes de Vieuxtemps, et même si les derniers concertos laissent apparaître un certain essoufflement, à par chez
Paganini, je ne vois pas une série aussi impressionnante de concertos du 19e ou du 20e siècle. Je vois déjà très peu de compositeurs qui
aient composé au moins 2 grands concertos pour
violon dans lesquels il y a au moins un mouvement de haute valeur. Il me
semble que vous ne pouvez pas juger Vieuxtemps sur le 5, le 6, le 7 sur
lesquels vous semblez vous appesantir. Apparemment, son inspiration commence
à faiblir à partir du 5, ses dernières oeuvres, plus courtes (sauf peut-être
le 6?), me paraissent
un peu bâclées pour une raison que j'ignore. A propos de Wieniawski, que
vous évoquez,
pour ses 2 concertos,
je ne sauverais qu'un seul mouvement (le premier du 1), mais il faut ajouter
il est vrai le fameux "Concert-polonaise", particulièrement flamboyant, mais à mon avis ni le
"Scherzo-tarentelle", ni le "Souvenir de Moscou", ni le reste ne relèvent
l'ensemble. Il est vrai, c'est déjà beaucoup, et à mon avis je ne vois pas
quel "grand classique" puisse prétendre s'aligner déjà sur Wieniawski. On ne
peut considérer à mon avis sur un même pied d'égalité les oeuvres pour
violon plaisantes, aimables d'un Mendelssohn, d'un Beethoven, d'un Brahms,
d'un Schumann... avec celles de Vieuxtemps manifestant une recherche de
transcendance d'un niveau supérieur.
"LE BANJO" DE GOTTSCHALK
A mon avis, cette pièce, trop touffue et à la régularité rythmique trop accusée, comme de nombreuses pièces inspirées du folklore
afro-cubain de ce compositeur, n'évoque pas véritablement la transcendance gottschalkienne. N'y a-t-il aussi des oeuvres qu'il aurait pu s'abstenir de composer. Je
citerai plutôt les pièces dans lesquelles Gottschalk réalise à mon sens la
parfaite fusion de Liszt et de Chopin : "Suis-moi", "Ô ma charmante" et surout "El
cocoye", peut-être son chef-d'oeuvre, sans compter, évidemment, les fantaisies sur les hymnes nationaux.
MISE AU POINT AU SUJET DE VIEUXTEMPS
Merci de vous adresser à moi, très chère mélomane, notre ami commun voulait tant que je dialogue avec vous,
et il avait raison, son sentiment partait d'un sincère désir de favoriser entre les membres une communication susceptible de déclencher une généreuse empathie. Je vous avouerais que si j'ai peu réagi à
vos messages jusque là, c'est que vous évoquiez très souvent des oeuvres que je
ne connaissais pas. Apparemment, vous connaissez mieux les oeuvres de mon
répertoire que je ne connais les vôtres et c'est grâce à votre immense culture qu'une relation enfin s'établit entre nous.
Tout d'abord, à propos de l'emploi des qualificatifs
"aimable" ou "plaisant", sachez que je les ai relevés moi-même dans certaines critiques formulées à l'égard de Vieuxtemps, ce qui me fournît l'idée d'en gratifier à mon tour les grands classiques. Comme il est navrant que ces éloges très particuliers rejaillissent contre ceux qui les ont proférés. Vous m'en voyez sincèrement affligé. Mais cet épisode regrettable m'a permis au moins d'ajouter un
petit addendum à mon lexique de vocabulaire à l'intention du mélomane distingué, catégoe à laquelle naturellement je vous inclus, eu égard à votre incontestable sensibilité musicale.
Comment se mène une recherche de transcendance dans l'acte de composition
musicale, me demandez-vous? N'étant pas compositeur, je n'en ai aucune idée. Je ne juge que
le résultat. Je veux bien tenter cependant d'approter quelques éléments de réponse. Personnellement, je suis
poète, sans doute médiocre, mais cela me donne une petite idée de la
conception d'une oeuvre (ce qui est peut-être un grand mot pour les insignifiantes productions commises par mon esprit misérable). Il me semble qu'une idée élevée crée un effet émotif puissant
lorsqu'elle apparaît dans notre esprit. Cette émotion est sans doute la même que celle ressentie par le
lecteur lorsu'il découvre l'idée.
En quelque sorte, le créateur assisterait en spectateur à ce qui se produit
dans son esprit.
Pour le reste, tout d'abord, j'ignorais que Vieuxtemps appréciait
particulièrement le
concerto de Beethoven, quoique j'ai un ouvrage assez précis et assez rare
sur Vieuxtemps, il est curieux qu'il n'en fasse aucune référence. j'en déduis que cet éloge à propos de beethoven n'a jamais revêti pour lui une importance notable. Vous savez
sans doute ce que je pense des jugements de compositeurs. Il n'ont pas
contribué, me semble-t-il, à un meilleur jugement de la musique, mais plutôt
l'inverse. Je pense qu'un compositeur possède une optique trop personnelle
et trop biaisée sur la musique pour que son jugement puisse être considéré
comme objectif.
Trop de facteurs extra-musicaux interviennent à mon avis, surtout à propos de Beethoven, mythe obligé auquel tout compositeur est quasi dans l'obligation de se référer. Ce que je dirais
en revanche
de l'art de Vieuxtemps, c'est l'omniprésence de Paganini dans son
inspiration. Et pour soutenir mon assersion, je n'ai pas uniquement quelque vague propos invérifiable (d'un de ses contemporians sans doute) relevé parmi les déclarations d'un compositeur, mais l'existence d'une composition de Vieuxtemps intitulée "Hommage à Paganini", référence scripturale incontestable, et je ne vois aucun équivalent qui puisse constituer un comparable hommage de Vieuxtemps à l'égard de Beethoven.
COMPLOT CONTRE VIEUXTEMPS?
Vous oubliez
l'image de Vieuxtemps véhiculée par les ouvrages. Je pourrais vous fournir
des quantités de citations montrant qu'il y a une convergence très nette à
déconsidérer les violonistes-compositeurs. Que l'on appelle cela un complot,
une convergence objective, une campagne bien orchestrée n'a guère
d'importance à mon avis, c'est une question de vocabulaire. Le résultat est
le même. Je peux aussi vous fournir des chiffres de représentativité dans
les ouvrages. Le petit scandale provoqué
par ma statistique du "Guide de la musique" d'Ulrich Michels (un des ouvrages
de
vulgarisation les plus répandus en Europe, aucun rapport avec les ouvrages
confidentiels sur Sibelius ou Rodrigo), n'a-t-il pas suffi? Je signale aussi que
la corrélation entre la
relative présence de Vieuxtemps dans les enregistrements et sa quasi-absence
dans les ouvrages me paraît hautement significative, et en matière de
statistique ce sont essentiellement les corrélations qu'il faut considérer.
CAUSE DE LA DÉSAFFECTION À L'ÉGARD DES COMPOSITEURS DÉCONSIDÉRÉS
Pourquoi n'y a-t-il de même qu'un concerto d'Englund enregistré? Croyez bien que je le regrette aussi. Oui, ce n'est pas à cause de Vieuxtemps qu'Englund est négligé, ni, du reste, d'Englund que
Vieuxtemps est négligé, A cause de qui sont-ils tous les deux négligés. Alors, vous m'épargnerez de citer ceux qui sont responsable de l'évition d'Englund et de Vieuxtemps, ceux qui prennent toute la place avec votre bénédiction et que vous vous empressez de défendre pathétiquement par tous les moyens, tout en compatissant au sort malheureux qui est réservé à ce pauvre Englund comme à ce pauvre Vieuxtemps.
VIRTUOSES-COMPOSITEURS DANS L'HISTOIRE DE LA MUSIQUE
Il y a,je crois, 2 types de compositeurs, ceux qui ont illustré presque tous
les genres, mais essentiellement le genre symphonique et d'autre part ceux
qui se sont attachés à un instrument comme viruoses. L'Histoire de la
musique, à mon avis, a essentiellement considéré l'évolution de
l'orchestique d'où ont émergé les "grands classiques". Les apports des
virtuoses-compositeurs ont été à mon avis souvent négligés. Par exemple,
l'histoire de l'école franco-belge dans une histoire de la musique est
traitée au mieux en quelques lignes alors que l'école viennoise est traitée
en quelque 50 à 60 pages. On remarque également une différence entre les
pianistes-compositeurs et les violonistes-compositeurs du 19e siècle réputés en leur temps. Alors que parmi les
premiers, quelques-uns ont obtenu une considération très honorable (Liszt,
Chopin), aucun violoniste-compositeur n'a acquis une telle considération. Si certains survivent encore au niveau des concerts et enregistrements, il est significatifs qu'ils soeint systématiquement ignorés dans els hostoire de la musique, eux dont les nouveautés ont justement été souvent majeures. Par exemple paganini pour l'avènement de la virtuosité transcendante. Un paradoxe dont les concepteurs de ces ouvrages ne sont pas avisés.
TRIPLE CONCERTO DE BEETHOVEN
Je n'ai pas la même vision que vous de cette oeuvre et je considère que ce
triple concerto est une des rares oeuvres à ne pas mettre en péril l'esprit
de solisme malgré la présence simultanée de 3 instruments pas facilement
compatibles à mon avis. Bien qu'inégale, l'oeuvre me paraît d'une grande
vigueur et ne sacrifie nullement à la bravoure instrumentale gratuite.
L'orchestration n'y est certes pas toujours parfaite, surtout dans le
dernier mouvement un peu compassé. A mon avis, c'est tout de même une grande
oeuvre. Vous la trouvez "agréable", décidément après "aimable" ou
"plaisante", vous avez un art consommé des éloges qui dévalorisent un oeuvre. Vous êtes un virtuose, mon cher, je vous admire.
MISE AU MOINT CONCERNANT LES POLÉMIQUES
Je faisais allusion à nos joutes polémiques que que l'un de nos ami commun sur cette liste n'apprécie pas
toujours. Je voulais singifier simplement que l'esprit polémique n'était pas toujours compatible avec
la profondeur, mais je n'ai jamais pensé qu'il était proportionnel à la
longueur. Pour vous faire plaisir je vais vous raconter une anecdote que
j'apprécie particulièrement concernant Pascal. Un jour qu'il avait écrit une
lettre à la hâte, il termina par la formule : "Excusez-moi de ne pas avoir
eu le temps de faire plus court". Elégant tout de même.
SYMPHONISME DE VERDI
Personnellement, je formulerais un avis sur le symphonisme de Verdi à partir
de ses ouvertures, que je connais mieux que les opéras eux-mêmes. Je dois
avouer que ce symphonisme me paraît extrêmement sommaire, usant d'effets,
sinon vulgaires, du moins faciles. J'excepterais l'ouverture de la "Force du
destin" qui me paraît au contraire d'un style en même temps intense et
raffiné. Comment expliquer cette différence, si toutefois mon jugement
correspond à une certaine réalité. Je ne sais. Je dois avouer que Wagner ne
me paraît pas toujours inspiré comme symphoniste bien que dans l'ensemble
son orchestration me semble très supérieure à celle de Verdi. Cependant, et
toujours inexplicablement pour moi, l'ouverture des "Maîtres chanteurs" me
paraît autant bruyante et creuse que celle de Tannahauser me paraît sublime
et d'une puissante originalité.
GIULIANI ET PAGANINI
Je n'ai jamais dit que Giuliani était précurseur de Paganini, ni même qu'il
atteignait dans le domaine de la virtuosité transcendante le niveau de Paganini, mais qu'il aurait peut-être intégré
l'apport de Paganini (en tout cas une partie conséquente) avant de nombreux autres compositeurs, de sorte que
Paganini n'aurait pas eu un demi-siècle d'avance comme j'ai pu le lire. L'oeuvre sur laquelle je m'appuie
est la "Sonata" qui est un duo pour guitare et orchestre. C'est essentiellement le
premier mouvement "maestoso" qui m'a marqué. Concernant Paganini, je rappelle que j'ai émis sur cette liste
plusieurs fois l'hypothèse selon laquelle le chromatisme de Paganini dans
la mélodie pourrrait avoir pour origine les concertos de Spohr. Qui est le
précurseur de l'autre, je ne sais, les dates de création sont voisines et
de toute manière elles ne sont pas fiables dans le cas de Paganini.
CRITIQUE DE BEETHOVEN PAR VUILLERMOZ
Il me semble que vous minimisez la critique de Beethoven réalisée par
Vuillermoz, même si on la considère dans sa globalité. Je pense qu'il y
transparaît beaucoup de mépris, que les parties que je n'ai pas citées ne
peuvent rattrapper. Plusieurs pages d'éloges ne peuvent effacer une seule
remarque méprisante. En plus, il faut lire
entre les lignes. A mon
avis, si Vuillermoz ne dénigre pas totalement Beethoven, c'est pour ne pas
trop
s'éloigner du jugement établi. C'est à mon avis son manque de
courage et son manque d'indépendance à l'égard du jugement établi
qui donne l'illusion de la nuance. Puisque vous connaissez l'ouvrage,
vous pouvez aller un peu plus loin voir ce que cet auteur écrit au sujet de
Berlioz. Sentant la proie plus facile sans doute, Vuillermoz ne prend cette
fois-ci
aucune précaution rhétorique pour éreinter l'auteur de la "Fantastique". Il
faut le lire pour le croire. Comme toujours, les musicographes s'en prennent
préférentiellement aux compositeurs déjà fragilisés pour finir de les
déconsidérer.
Certes, Vuillermoz a le droit de penser et d'écrire ce qu'il veut. Je ferais
remarquer cependant
qu'il n'écrit pas à la première personne,
donc il considère son jugement comme universel. En second lieu, son ouvrage
n'est pas un ouvrage de critique musicale, mais une histoire de la musique,
fait qui possède une importance considérable à mes yeux. Un critique en tant
que critique peut formuler le jugement de valeur r qu'il veut sur un compositeur, mais pas à mon avis un rédacteur d'une histoire de la musique.
ÉTAT D'ESPRIT DES MUSICOGRAPHES - VUILLERMOZ
Davantage instructif sur Vuillermoz que sur Beethoven, dites-vous.
Oui, et j'ajouterai, davantage instructif sur l'état d'esprit de nombreux
musicographes de son époque et des époques antérieures (car des citations
comme celles-ci, je peux en
fournir des quantités). Si l'on songe que ce sont eux qui ont en grande
partie
établi la notoriété des "grands classiques", on peut avoir une idée du peu
de crédit, à
mon avis, que l'on doit accorder à l'émergence de certains noms et la
déconsidération des autres; lorsque l'impact du public n'a pas été
initialement déterminant.
CONCERTI GROSSI DE MANFREDINI - VIVALDI, BIBER
Le concerto grosso, j'avoue que cela ne m'a jamais porté aux nues, mais
puisque c'est vous, ma chère, qui le conseillez! Alors, j'ai commandé ces
fameux concerti grossi.
Pour ce qui est du style vivaldien, je dirais comme à propos de Wagner:
qu'est-ce qui nous prouve que les effets vivaldiens ont été inventés par
lui, au moins en partie de ce qu'on lui impute? Dans une des partitas de Biber, il y a des gammes descendantes altérées
rappelant de manière très nette un certains passage de "l'Eté" des quatre
saisons (mesure 10 du 3ème mouvement précisément). Je ne pense pas que ce
soit un hasard. Il ne me semble pas
totalement
impossible, par ailleurs, que Vivaldi, lié avec de nombreux compositeurs
allemands, ait entendu cette oeuvre écrite pourtant un demi-siècle plus tôt
au minimum, à moins qu'il n'existe un ou plusieurs intermédiaires que nous
ignorons.
BEETHOVEN FONDAMENTALEMENT CLASSIQUE OU ROMANTIQUE
Vous semblez considérer comme rhédibitoire qu'il existe des faiblesses chez
un compositeur, et notamment qu'une symphonie ne soit pas parfaite d'un bout
à l'autre, c'est peut-être ce qui nous sépare principalement.
Personnellement, l'existence de mouvements plus faibles me semble la règle
générale même dans les meilleures symphonies, et je citerai précisément la
"Pathétique" de Tchaïkovski. Pour ce qui est de la 7ème, je considère
qu'elle contient deux mouvements absolument sublimes (le 2ème et le 3ème) et
deux autres mouvements plus faibles. Pour moi, une symphonie contenant un
seul mouvement excellent représente déjà une très grande oeuvre. D'autre
part, l'existence de lourdeurs, voire de "vulgarités" parfois chez Beethoven
me paraît dans la normalité par rapport à tous les "grands compositeurs".
Sur un plan plus général, et contrairement à ce que pense d'autres membres de cette liste, je crois
que l'art beethovénien possède une dimension romantique et même moderne,
dans son langage même. Il y a quelques décennies, Beethoven était considéré
pleinement comme un compositeur romantique. On s'avisa ensuite que son
langage était celui d'un classique et de nombreux ouvrages le présentent
comme une sorte d'intermédiaire entre l'époque classique et romantique. Il semble qu'on se plaise aujourd'hui à vouloir le considérer comme un classique pour mieux renier et dénigrer l'enthousiasme romantique primitif qu'on y admirait quelques décennies plus tôt. Etrange revirement du snobisme qui trouve une jouissance particulière à se renier lui-même. A moins qu'on ne veuille mieux faire apparaître comme ringard les ignorants qui en sont restés à l'ancienne appréciation et, partant, mieux se positionner soi-même à la pointe du progrès en matière de jugement. Je
refuse radicalement cette nouvelle optique. L'existence de procédés
classique ne fait pas de doute, mais ils coexistent à mon avis avec des
effets purement romantiques et des effets que je qualifierais de modernes,
lesquels me paraissent largement prédominants. Prenons le 1er mouvement de
la 8ème. Sur le plan de la structure, qui s'appuie sur l'opposition entre un
thème rythmique et un thème mélodique, on peut affirmer que l'oeuvre demeure
classique. Cette structure dérive de la sonate bithématique, cependant une
analyse plus affinée révèle à mon avis une dissolution de la thématique très
poussée. D'autre part, la simple opposition thématique se charge d'une
signification ignorée des classiques en évoque une lutte pathétique et
grandiose.
Concernant la modernité de l'art beethovénien (selon moi), j'évoquerai, en
ce qui me concerne, la découverte que je fis de Sibelius beaucoup plus tard.
Suite à cette découverte, j'ai réécouté les symphonies de Beethoven avec une
toute autre oreille. Je ne dis pas que je les ai appréciées différemment, ni
plus, mais l'optique que je pouvais avoir du symphonisme beethovénien (sur
le plan strictement analytique) a été pour moi trrasformée. Même dans la
4ème par exemple, je vois des tournures qui me paraissent autant de germe du
symphonisme sibélien. Il y a donc pour moi une originalité
beethovénienne qui va très au-delà de la syntaxe romantique elle-même, et
dont Sibelius a tiré la quintescence, mutatis mutandis, dans le style, en
éliminant les
derniers aspects
classiques.
RHÉTORIQUE FALLACIEUSE - LE DÉVELOPPEMENT OU LES VARIATIONS SUR UN THÈME
Je pense que l'on veut toujours trop facilement considérer comme supérieur
les compositeurs (les grands classiques)qui sont moins brillants pour inventer des thèmes dans le cadre de l'évocation oeuvres en forme de variation sur un thème. Pour cela, on prétend qu'ils ont développé un génie supérieur en tirant "tant d'effets d'un thème aussi faible" et on transforme leur faiblesse en qualité. Si par hasard ce thème est emprunté à un compositeur moins connu que l'on aime pas (par hasard un virtuose-compositeur très imaginatif), celui-ci se trouve d'autant plus rabaissé que le grand classique est réhaussé. Sur le plan rhétorique, le procédé est tellement extraordinaire qu'on se surprendrait à l'admirer.
INTERPRÉTATION VARIABLE DES ÉPITHÈTES
L'épithète d'honnête que j'utilise à propos de symphonies de Mendelssohn, Schumann et Brahms vous paraît méprisant.
"Honnête" n'est péjoratif que dans la mesure où l'on considère Mendelssohn par exemple
comme un génie supérieur que l'on n'a pas le droit de critiquer, et c'est
justement ce que je conteste. La preuve de ceci, c'est que si j'avais
employé le terme d'"honnête" à propos des concertos de Vieuxtemps ou
de Winiawski, personne n'aurait trouvé que c'était méprisable.
LA "PATHÉTIQUE" DE TCHAÏKOVSKY
Les mouvements qui me paraissent d'un intérêt nettement moins soutenu dans cette symphonie sont le second et le trosième par opposition au premier et au dernier. Dans une
certaine mesure, je me demande - dans cette symphonie au programme connu du
compositeur seul - si Tchaïkovski n'a pas volontairement développée des
mouvements (notamment le second) de style répétitif, fades, monotones pour évoquer l'ennui métaphysique ou un état d'insensibilité
préfigurant la mort, l'oubli de soi au point le plus extrême de la douleur.
Quoi qu'il en soit, cette interprétation, tout à fait personnelle et
gratuite d'ailleurs, n'augmente pas pour autant, à mon avis, l'intérêt de
ces mouvements. Mais peut-être s'agit-il plutôt de la manifestation des fameuses
incertitudes esthétiques qui sont contumières à Tchaïkovski et que l'on
pourrait qualifier d'"académisme" (n'est-ce pas vous qui utilisâtes cet épithète). Toutes
les hypothèses sont permises.
CRITIQUE MÉPRISANTE DE VUILLERMOZ
Ce qui intervient me semble être essentiellement la manière. Vuillermoz
introduit de la déconsidération et du mépris même lorsqu'il fait l'éloge de
Beethoven. On a l'impression qu'il n'ose pas trop avouer ce qu'il pense,
mais sa véritable pensée transparaît. Il n'a pas le courage de ses opinions.
Cela me semble de la critique un peu
malsaine, tout au moins ambiguë. A propos de Bach,
j'affirme au contraire clairement mon opinion en considérant une grande partie de ses oeuvres comme ennuyeuses et d'intérêt très restreint. Egalement, sur Vuillermoz par rapport à mes critiques,
vous ne prenez toujours pas en considération
le fait, à mes yeux très important, que mes jugements sont éditées en tant
que critiques, non en tant qu'essai historique sur la musique.
GÉNIE SYMPHONIQUE, MÉLODIQUE, HARMONIQUE DE GLAZOUNOV
Je m'appuie sur une dizaine d'oeuvres (ballets et poèmes
symphoniques notamment), qui ne me paraissent d'ailleurs pas toujours
géniaux. Vous me dites que ses 10 symphonies (que
je ne connais pas) n'ont pas un intérêt majeur, je veux bien vous croire.
Même si elles étaient nulles, cela ne changerait guère mon opinion, Je pense, d'après ce que je connais de Glazounov, qu'il a écrit au
moins 3 ou 4
oeuvres symphoniques majeures montrant son sens harmonique supérieur, c'est
suffisant pour moi, e'oublions pas les parties symphoniques de ses concertos. De nombreux compositeurs, à mon avis, réussissent dans
le
poème symphonique alors que leurs symphonies sont souvent de faible
intérêt. D'autre part, le génie de Glazounov ne me paraît pas
plus mélodique que celui de n'importe quel compositeur. On ne peut nier, il
me semble, qu'il est un grand orchestrateur, or, par définition, je ne
conçoit pas que l'on puisse être un grand symphoniste sans avoir un sens
supérieur de l'harmonie. D'autre part, je ne vois pas
l'intérêt que vous trouvez toujours à distinguer des compositeurs qui ont le
génie mélodique et non le génie harmonique ou l'inverse. Cela me rappelle
notre différent à propos de Sgambati. Je ne trace pas personnellement de
barrière infrangible entre la mélodie et l'harmonie. Les meilleurs
mélodistes ont toutes les chances d'être les meilleurs harmonistes et
réciproquement. Je prendrais comme exemple Grieg et Moussorgski. Pour
revenir au développement, il faut savoir qu'à l'époque de Glazounov, il y a
longtemps que le développement est devenu un procédé jugé caduque. C'est Liszt qui, à mon avis, est allé le plus loin
dans cette voie, notmment dans ses concertos (que par ailleurs je n'apprécie
pas outre mesure) en traitant l'oeuvre comme une suite d'ffets saisissants,
un kaléidoscope de moments musicaux où tout développement, voire toute transition, volontairement,
se trouve banni. On retrouve ce procédé impressionniste dans les "Nuits dans les
jardins d'Espagne" de Falla où toute transition entre les moments musicaux
est volontairement éludée, procédé moderne qui peut être, à mon avis,
quelquefois contestable. Il s'agit donc d'un choix esthétique.
HARMONIE ET CONTREPOINT - INVERSION DES VALEURS
Le génie harmonique ne se résume pas au contrepoint, il me semble et faut-il qu'un compositeur se prête à cet exercice scholastique fastidieux pour qu'on veuille le considérer comme un grand harmoniste? Conclusion d'autant plus absurde que le contrepoint, moins encore que la mélodie accompagnée, ne concerne l'harmonie. Je me
demande même si l'utilisation supérieure de l'harmonie n'est pas en
opposition avec cette forme d'écriture. On a trop tendance à considérer, me
semble-t-il, que les épaisseurs polyphoniques représentent un intérêt sur le
plan harmonique. Un compositeur comme Debussy a créé
à mon sens, des effets harmoniques supérieurs sans utiliser nécessairement
le contrepoint. Je vous ferais
remarquer que les compositeurs les plus audacieux sur le plan
harmonique, par exemple Scarlatti en son temps, utilisaient très peu le
contrepoint. Il y a une logique à cela, ce sont plutôt les traditionnalistes
qui sont portés au contrepoint. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui on veut nous
faire croire que les classiques sont modernes et que les modernes sont
classiques. On fait tout pour nous présenter les traditionnalistes comme de
grands novateurs. Notre époque pratique beaucoup le renversement des
valeurs. On
trouve du lyrisme dans l'"Art de la fugue" et on considère les concertos de
Saint-Saëns comme académiques! On n'est pas loin de nous faire croire que
Bach est plus révolutionnaire que Vivaldi. Cette optique n'est à mon avis
qu'une
entreprise de destruction et de négation de la musique s'inscrivant dans la
décadence générale de notre civilisation. Il me semble que l'on tend à
remplacer les
véritables grands compositeurs par des compositeurs secondaires tels que
Bach ou Reger jusqu'à ce que le public peu à peu se détourne de la musique
classique. Pour revenir
à Glazounov, il me semble
bien supérieur à Bach et Reger sur le plan harmonique. Ce n'est pas
parce
qu'on est abscond, touffu, voire confus qu'on est pour autant un génie
harmonique. D'autre part, des quantités de
compositeurs ont étudié
brillamment le contrepoint et ne l'ont jamais ou rarement utilisé dans leurs
compositions. C'est à mon avis beaucoup plus une question de choix
esthétique que de
capacité, comme en ce qui concerne le développement.
ÉVITER DE CRITIQUER LES "GRANDS" POUR MIEUX PROMOUVOIR LES "PETITS"
Je me place sur le plan de l'analyse sociologique et historique. Ainsi, je tente de rechercher
les facteurs qui ont pu entraîner l'émergence des "grands". De nombreux indices
semblent indiquer qu'elle est très souvent indépendante de l'intérêt réel
manifesté par le public. Que cette analyse
soit plus ou mois crédible pour entraîner la reconnaissance des petits
compositeurs est une considération qui n'a pas à intervenir dans le sujet
que je me propose.
eT Sur le plan de la critique musicale, je dis honnêtement ce que je pense des
oeuvres et des compositeurs, "petits" OU "grands". Si je conteste l'importance, à mes yeux
excessive, de certains compositeurs, c'est parce que cela me semble une
vérité (de mon point de vue). Je ne détermine pas mon discours en
terme d'efficacité (je ne suis pas un politicien), mais en terme de
recherche de ce que je crois être la vérité.
PROMOUVOIR BOULEZ OU VIVALDI
Anne-Sophie Mutter devrait, à votre sens, plutôt permettre la promotion de Boulez que d'interpréter la ènième version des "Quatre saisons". Je ne suis pas très partisan d'une telle prestation comme je l'ai déjà dit, même si j'adore les "Quatre saisons" et même si je n'adore pas moins cette chère Anne-Sophie. Je pense que le but de la firme a été plutôt de ratisser large en dehors ou à la marge du public habituel de la musique classique. C'est contestable et cela traduit peut-être surtout le manque d'imagination et daudace car, sans aller dénicher des concertos rares, il aurait été facile d'en profiter pour promouvoir des oeuvres de Vivaldi lui-même comme le Concerto "il favorito" ou les concerti "in due cori". Je ne suis pas sûr que les firmes soient très clairvoyantes ni sur le plan musical, ni sur le plan promotionnel. Quand aux oeuvres de Boulez, il me semble qu'à son propos toute promotion ne peut conduire qu'à un échec et surtout, ce qui est plus grave, concourrir à dégoûter le public de la musique classique.
MAGIE DES GRANDS NOMS
L'influence des éléments extra-musicaux peut être
essentielle non seulement dans le jugement formulé sur l'oeuvre, mais même
sur l'émotion ressentie (par effet d'auto-suggestion). Si l'oeuvre dont il est question n'était pas signée
Bach, mais par celui d'un inconnu, je pense que la plupart de ceux qui la
jugent supérieure ne daigneraient même pas la considérer.
ÉVOLUTION NÉGATIVE DE BACH ET DE QUELQUES AUTRES COMPOSITEURS
Quelles oeuvres me paraissent d'un faible intérêt chez Bach?
Presque toutes ses oeuvres instrumentales, sauf certaines parties des
"Suites", la grande Toccata et fugue BWV 465 (je crois) la "Passacaille en
do", les partitas poru violon. Si vous voulez une oeuvre précise pour moi
bien caractéristique de l'abscondité stérile de Bach à la fin de sa vie,
c'est "L'art de la fugue". Cela dit, il n'est pas le seul à avoir évolué
dans ce sens, et même des compositeurs qui sont mes favoris. Bach n'est pas pour moi un cas particulier, je me demande même
s'il ne représente pas le cas général, mais d'une manière très caricaturale.
Je
ne suis pas sûr que Vivaldi vaille mieux à la fin de sa vie (pour prendre un
contemporain de Bach) lorsque, par parti-pris de progressisme, il se
conforme au nouveau style galant en bradant tout l'acquis du style baroque
qu'il avait contribué lui-même à enrichir. Lui qui avait été en avance toute
sa vie, et le restait, pourquoi éprouva-t-il la nécessité de se conformer à un nouveau style qui n'ajoutait rien à son génie propre. Et vers la fin de leur vie, et même bien avant pour Sibelius,
Rimski-Korsakov, Falla, Scriabine, Stravinski, Liszt... Peut-on être un
grand compositeur toute sa vie?
HARMONIE ET MÉLODIE
Je n'ai jamais affirmé que la complexité harmonique ne participait pas à la
valeur d'une oeuvre, même si l'élément thématique me paraît essentiel.
La valeur d'une oeuvre à mon avis réside dans la globalité de ses
caractéristiques qui se recouvrent: thématique, mélodique, harmonique,
couleur instrumentale, texture du discours musical... Comment distinguer par exemple
la lecture horizontale et verticale dans une série d'arpéges ou une basse
d'Alberti... Je voudrais insister sur le fait que dans la musique
post-romantique particulièrement, ces caractéristiques apparaissent de moins
en moins dissociables, de sorte que distinguer des compositeurs qui ont le
génie mélodique sans le génie harmonique à cette époque me paraît difficile, et notamment à propos de Glazounov.
DÉVALORISATION DE CERTAINS COMPOSITEURS
On a voulu dévaloriser certains compositeurs
en leur prêtant des qualités mélodiques (que l'on considére avec un certain
mépris) et en leur refusant le génie harmonique, réservé aux grosseS têtes,
évidemment. Je conteste justement cette conception. A mon avis, l'erreur est
double :
-En premier lieu, ces compositeurs prétendus mélodiques n'ont pas que des
qualités mélodiques. Je donnerai comme exemple Grieg et bien
d'autres...
-Le qualité de mélodisme ne me paraît pas une qualité inférieure par rapport
à celle d'harmonisme
J'ajouterais que les qualités de mélodisme et d'harmonisme ne m'apparaissent
pas s'exclure. Souvent les meilleurs harmoniques sont à mon avis les
meilleurs mélodismes. Et j'ajouterais en dernier lieu que l'on prête facilement la qualité de grand
harmoniste à des compositeurs qui bien souvent n'ont pratiqué (à mon avis) que
de la surcharge harmonique stérile ou du contrepoint. Il n'est pas
nécessaire, je suppose, que je vous fournisse des exemples.
QUELQUES BELLES PIÈCES POUR LE CLAVECIN
Pour rester dans le domaine du clavecin, je citerai par exemple "l'Aimable",
la "Marche des Scythes" de Pancrace Royer. Ces pièces pour moi valent
beaucoup mieux
que les principales oeuvres qu'à écrites Bach dans ce genre instrumental.
Elles ont également à mon sens un intérêt supérieur sur le plan de la
nouveauté stylistique. Mais il n'est pas obligatoire de citer des oeuvres
peu connues, pour moi la plus belle pièce pour clavecin dans le style
baroque est "le coucou" de Daquin. on pourrait aussi citer bien d'autres pièces de Scarlatti...
ALLEGEANCE AU GROUPE - LE CULTE DE BACH
Avez-vous intérêt quelconque à soutenir le culte de Bach? Oui, car c'est un indice sociologique qui permet à un individu d'affirmer son appartenance à un groupe ou une caste. Si vous ne le faites pas, vous vous marginalisez. Vous ne recevez plus les intérêt réels, et parfois concrètement financiers, consécutifs de votre intégration au groupe. Votre déni serait - peut-être à juste titre - comme un déni de l'existence du groupe, une menace, une agression même. L'affirmation de votre culte de Bach est considéré comme une allégeance au groupe. Si vous ne l'acceptez pas, vous en êtes exclu.
Comme tout mélomane vous approuvez d'une manière générale les
grands choix esthétiques de votre époque, justifiés ou non. Un individu demeure isolé et peut
être rejeté s'il ne partage pas un corpus de choix moraux, religieux,
esthétiques avec les membres de la société dans laquelle il évolue. Nous ne
sommes plus dans une société holiste, il est vrai, de sorte que les choix
religieux sont assez libres, mais la société musicale est peut-être quelque
part restée primitive. Chacun de nous porte la marque de la civilisation et de la classe à
laquelle il appartient.
VARIATIONS SUBTILES DE JUGEMENT SUR LES OEUVRES DE BACH
Vous alléguer de légères différences de jugement sur telle ou telle oeuvre de Bach pour en conclure que votre jugement n'est pas si monolithique que cela et n'est pas commandé par un encensement obligatoire et insincère.
Néanmoins, vous ne m'avez jamais cité d'oeuvre de Bach que vous trouviez franchement
mauvaise, il ne s'agit donc que de nuances qui n'entament pas la
considération globale que vous avez envers Bach et qui ne renverse pas le dogme de
l'infaillibilité du compositeur.
Dans la mesure où vous ne remettez pas en cause la supériorité globale du
génie du Cantor, ces petites variations de jugement appuient au contraire la
sincérité de votre perception vis-à-vis de vous-même et des autres et
confortent l'évidence de la supériorité de Bach, car elle donne mieux
l'illusion que vos jugements s'appuient sur une perception réelle. Tout cela
se produit bien sûr inconsciemment.
"LES QUATRE SAISONS" "LE CASSE-NOISETTE" "L'ART DE LA FUGUE" DIFFÉRENCES ET AFFINITÉS SECRÈTES
Je voudrais poser une autre question sur laquelle j'aimerais, sans
polémique, avoir votre sentiment. Ne croyez-vous pas - sans que vous ayez à
renier
la valeur de l'"art de la fugue" - que "les quatre saisons" et "Le casse-noisette" appartiennent à un type de musique très différent. Et, bien que
les "Quatre saisons" soient de la musique baroque, cette oeuvre ne
ressemble-t-elle pas
plus à la pathétique qu'a l'"Art de la fugue". Le
point commun c'est à mon avis que ces deux oeuvres cherchent à produire des
"effets musicaux" alors que l'"Art de la fugue" ne le cherche pas.
ÉCRITURE SAVANTE D'ALBRECHSBERGER
Que vous trouviez un plaisir "vicieux" (dites-vous), intellectuel, à admirer l'écriture savante d'Albrechstberger ne me choque pas. Ce que je conteste, ce sont les affirmations de ceux qui
prétendent trouver de la poésie et du lyrisme dans des partitions de ce type chez Bach.
BACH A UN STYLE
Bach a un style, dites-vous.
C'est possible, mais pas certain. Et jusqu'à quel point? Ce style, s'il
existe, engendre-t-il un réel intérêt musical? Il faudrait bien connaître
la musique de la fin du 17e siècle pour savoir si celle de Bach s'en
différentie beaucoup. Le style de Bach se différentie très bien de la
musique de la première moitié du 18e siècle, peut-être non pas parce
que Bach est original, mais parce que son style réfère à des
caractéristiques
du 17e siècle que les autres compositeurs ont abandonnées. il aurait réalisé un synthèse entre le vieux style contrapuntique et nouveau style de la monodie accompagnée. C'est ce que remarque Handschin, mais est-il le seul à s'être complu en cette première moitié du 18e siècle à cette chimère contre nature?
Ce qui pourrait caractérisiser le mieux Bach, à mon avis, ne tient ni à
l'harmonie, ni à la mélodie, mais au rythme, cette espèce de pulsion
régulière hypnotisante qui semble issue de la musique religieuse du 17e
siècle. Ces remarques ne s'appliquent pas à toutes les oeuvres de Bach, dont
certaines sont proches de la production baroque de l'époque, par exemple le
concerto italien, mais dans ces oeuvres, Bach a-t-il un style très
spécifique? Et peut-on y différentier ce qui tient de son inspiration propre de la multitude d'emprunts qu'il à coutume de faire. Toutes ces hypothèses sont naturellement hypothétique de ma part dans la mesure où je connais fort mal la musique du 17e siècle et même du 18e.
ORIGINALITÉ OU AFFIRMATION NORMATIVE
Personnellement, je ne présente aucun caractère d'originalité dans mes goûts
puisque justement ils correspondent à ceux de la grande majorité du public :
les oeuvres que je préfère sont en général celles qui eurent le plus de
succès et qui sont devenues célèbres. Je citai d'ailleurs récemment "le
coucou" de Daquin comme la meilleure oeuvre pour clavecin selon mon goût par
opposition à l'Art de la fugue. Ce sont les Intellectuels qui veulent se
distinguer et se croient au-dessus du public. Ils ont à mon avis créé une
norme idéologique.
OEUVRE CONNUE ET COMPOSITEUR CONNU
Vous citez l'exemple de l'"Apprenti sorcier" de Dukas. Quand le nom du compositeur n'est pas très connu et, malgré tout, son oeuvre parvient à être réellement très connu (pas uniquement de nom), c'est la preuve que seul l'intérêt propre de l'oeuvre par lui-même est intevenu dans son succès. Et non pas un compositeur par la seule influence
de son nom. Et le "Concerto pour violon" de Barber, que je viens enfin d'écouter me paraît effectivement se ramener à ce cas de figure (quoiqu'il soit moins célèbre que l'"Apprenti sorcier"). Pour Boulez, c'est l'inverse, tout le monde connaît son nom,
mais quasiment personne n'est capable de se rémémorer un fragment d'une de ses oeuvres.
COMPLOT CONTRE BOULEZ
Y aurait-il un complot contre Boulez? Y aurait-il une idéologie
ambiante partisane du néo-classicisme contre les modernes. Non, à l'époque,
je n'avais pas encore fondé ma secte satanique contre Boulez. Boulez avait
tous les atouts de notoriété pour réussir à imposer un chef-d'oeuvre, s'il
en avait composé un. Il en a été incapable.
Delius aussi bien que Messiaen me paraissent le plus souvent atonaux (et en
particulier le "Réveil des oiseaux", mais certainement pas les mouvements lents du
"Quatuor pour le fin du Temps"). Pour Delius, d'après ce que je connais de
lui, il me paraît surtout incohérent, confus, de sorte que le caractère tonal ou atonal de son discours musical ne me paraît pas revêtir une importance extrême.
La notion de tonalité, en plus de l'existence des pôles
d'attration tonique dominante sous-entend, à mon sens, un minimum de cohérence du
discours musical, notion il est vrai intuitive et subjective. Vous me
classez apparemment parmi les personnes séniles, voire même me
considérez-vous comme un spécimen d'une génération d'outre-tombe. Non, je ne suis pas encore un vieillard cacochyme arborant une vénérable la barbe fleurie à la manière du vieux Nestor et si je ne me sépare pas de ma canne au pommeau verni, c'est uniquement pas souci d'aritocratisme.
KEPLER ET BACH
Kepler s'est placé dans l'hypothèse suivante : de quoi aurait l'air le
mouvement de la Terre par rapport au mouvement apparent du Soleil, si nous
observions la Terre et le Soleil depuis la planète Mars ? Un observateur
aurait un calendrier solaire différent, dont le cyle de base - l'année
martienne - présente un rapport spécifique avec l'année terrestre. A
première vue, ce genre de changement hypothétique du lieu de l'action est
analogue à une modulation ou un renversement en musique. Kepler était tout à
fait conscient de al parenté de sa méthode avec les dialogues de Platon et
le principe polyphonique de la musique.
Une chorale doit chanter comme une voie unique. A l'inverse, la polyphonie
instrumentale ou chorale n'est rien d'autre qu'une extension autosimilaire
du principe polyphonique inhérent à une voie humaine qui chante le bel canto
avec ses différentiations caractéristiques de registre. C'est exactement
cette conception qui est implicite chez Kepler quand il a dérivé des
intervalles musicaux et des gammes par une division harmonique du cercle et
de la sphère...
Ces compositions (de Bach) expriment une découverte fondamentale intégrant
les modes majeur-mineur du système bien tempéré dans un nouveau principe de
composition...
Vous avez deviné que ce salmigondis astronomico-musical n'était pas de mon
cru. Ce sont quelques extraits de l'article sur
Bach et Kepler
de la revue
"fusion". Cette poudre aux yeux sientifico-idéaliste propre à intimider les ignorants n'a pour but que de transformer le traditonaliste Bach en chantre génial de la nouveauté.
STRAVINSKY ET PICASSO - MUSIQUE ET PEINTURE
A mon sens, l'atonalisme correspondrait en peinture à
l'abstraction pure, par exemple Kandinski, qui a été je crois le premier
peintre totalement abstrait. Picasso est toujours demeuré un semi-figuratif,
il me semble. Sur ce plan, mais uniquement sur celui-ci, je le comparerais à
Debussy. Mais je ne sais si ces correspondances picturo-musicales ont
vraiment une signification car le langage musical, hors le cas particulier
de la musique à programme, est un langage abstrait alors que par essence la
peinture est un art de la représentation.
ÉCHEC (PARFOIS) DE BEETHOVEN ET ÉCLIPSE DE MOZART - OUVERTURE LÉNORE DE BEETHOVEN
J'avoue que l'ouverture Leonore ne m'a jamais séduite contrairement aux
autres ouvertures de Beethoven. Quand l'oeuvre est ratée au départ... Un
compositeur n'a jamais que des succès publics. S'il en était ainsi, ce
serait suspect. Mozart également a subi une éclipse assez sévère au cours de
sa carrière. Cela étonne Pestelli (un musicologue du 20e). Son raisonnement est le suivant: comment peut-on
admettre qu'un génie comme Mozart subisse une période d'éclipse? Il ne lui
vient pas à l'idée que Mozart ait pu avoir une période de moindre
inspiration et que parfois un Cannabich ou un Martin y Soler puissent avoir
peut-être quelques mérites à faire valoir auprès de lui! Ne pose-t-il pas un postulat, d'une telle évidence pour lui, qu'il ne s'en aperçoit pas.
MESSIANISME ET CULTE DU PROGRESSISME
A son époque, nous rapportent Forkel et Pirro, Bach était incompris de ses
contemporains. Etais-ce vrai ou déjà le début d'une légende? Ce qui est certain, c'est que Bach était contesté, de son vivant même.
Composer pour le futur procède d'un messianisme qui est
apparu, il me semble, au 19e siècle, effectivement. La profession de foi progressiste est
sans doute la conséquence des multiples batailles des Anciens contre les
Modernes, notamment en littérature. Cela débute au 17e siècle par le renvoi au vestiaire du vieux Corneille avec ses vertus ringardes d'honneur et de grandeur tandis que triomphe Racine, auréolé par les passions sulfureuses. Et cela se poursuit
par la bataille d'Hernani qui ridiculise les vieilles barbes défendant la règle des trois unités. Composer pour le "futur" comme Beethoven, oui, mais certains attendent le futur depuis plus de 80 ans. N'est-ce pas un peu long? Sans doute ont-ils été oubliés par les Destins impénétrables.
CODIFICATION DES RÈGLES DE COMPOSITION
On peut sans doute classer les compositeurs en intuitifs et intellectuels ou
en plutôt intuitifs et plutôt intellectuels poru ne pas ériger de barrière
trop rigide. La codification de régles de composition très poussée n'est pas
une spécificité des sérialistes. La rigidité des règles du contrepoint et de
la fugue au XVIIème siècle procède à mon avis du même type de démarche. On
pourrrait aussi évoquer le système de Reicha et aussi d'indy qui établit une
codification très complexes des modulations... qu'il n'appliquait d'ailleurs
même pas pour lui-même, paraît-il.
COLLAGES MUSICAUX - STRAVINSKY, PICASSO, MATISSE, LISZT
Matisse a fait aussi beaucoup de collage et je le trouve d'ailleurs plus
stravinskien.
Il faut tout de même signaler qu'il n'est pas (Stravinsky), à ce qu'il me
semble, l'inventeur du procédé. Un des premiers à l'avoir exploité est
peut-être Liszt dans ses fantaisies pour piano et orchestre: en particulier
la "Fantaisie d'après Lelio" et aussi dans ses concertos. Le procédé est
saisissant dans ces dernières compositions où toute transition est bannie.
Pour être particulièrement audacieux, ce type de structure ne me satisfait
pas entièrement.
Je précise que je ne rappelle pas l'antériorité de Liszt sur Stravinsky uniquement
parce que j'abhorre Stravinsky, quoique... Je pense que ce dernier
compositeur a
manifesté du génie au début de sa carrière et qu'il s'est desséché ensuite.
C'est ce que pense aussi Landowski dans son excellent ouvrage "La musique
n'adoucit pas les moeurs". Et à mon avis il a tellement raison (sur
Stravinsky et aussi sur le titre de son ouvrage).
ENGLUND
La "Symphonie n°4 d'Englund" ne vous paraît pas une grande symphonie.
Ni la "2" non plus, à mon avis. J'y vois des effets orchestraux un peu faciles
voisinant avec des effets modernes. Pour moi, Englund, bien que se situant à
la lisière et malgré des allusions à Holst, peut-être Nielsen et Sibelius,
dans ces oeuvres, me paraît plus proche de l'atonalisme (je précise que je n'ai
vérifié aucune date pour ces rapporchements).
MODERNISME MODÉRÉ ET MODERNISME RADICAL
De nombreuses personnes, dites-vous, condamnnent aussi bien les oeuvres au modernisme modéré que les oeuvres radicalement modernistes.
J'avoue que c'est mon cas.
Je n'apprécie pas mieux les oeuvres d'un modernisme modéré
que les oeuvres très modernes ou celles relevant du sérialisme, c'est la
raison pour laquelle je ne fais aucun procès
particulier au sérialisme. Encore une fois, il me semble que je suis le plus
proche du grand public, sans affirmer pour antant que cela justifie mes
jugements. Je pense que la cause du rejet (je préférerais employer le terme
de non-sensibilité) est plus profonde et ne correspond pas à une volonté
de choix esthétique.
INFLUENCE DE LA MUSIQUE ALLEMANDE SUR LES OEUVRES CONCERTANTE POUR PIANO DE SAINT-SAËNS
Votre remarque concernant l'influence de la musique allemande sur les oeuvres concertantes pour piano de Saint-Saêns m'étonne.
Passons en revue quelques-unes de ces oeuvres de musique allemande, si toutefois elles ont une coloration spécifique relative à la nationalé, ce qui ne me paraît pas d'une évidence absolue.
Schumann: rien ne me paraît plus à l'opposé de la musique concertante de Schumann, mesurée et relativement simple, que
celle de Saint-Saëns, recherchant la virtuosité foudroyante ou les effets
pseudo-impressionnistes de colorisme, et déjà dans le "Concerto n°1".
Hummel, Ries: Hummel est dans la lignée de Chopin avec Moscheles et dans une certaine mesure Ries et Field. Pour moi totalement exclu de rapprocher le style évanescent, flou du style, certes souple de saint-Saëns, mais très contrasté.
Henselt, Hiller
Style assez lyrique mais à mon avis heurté sans souplesse. Aucun rapport avec
la limpidité du "1" de Saint-Saëns.
Mendelssohn, Weber:
rien à mon avis chez Saint-Saëns ne rappelle le continuum rythmique, ni le
reste d'ailleurs, des concertos de Mendelssohn. Weber, peut-être un peu
mieux, mais vraiment trop classique.
Steibelt,
je ne puis en juger. D'après ses pièces pour piano, il me paraît tout de
même plus proche du style galant du XVIIIème siècle.
Taubert: peut-être plus proche de Saint-Saêns que Henselt ou Hiller, mais je n'y
crois pas sérieusement
Beethoven : si Saint-Saëns s'est souvenu de ses symphonies, il ne me paraît guère
s'être souvenu de ses concertos. On ne retrouve aucun effet de puissance
sonore coutumier à Beethoven, mais plutôt une recherche de virtuosité
limpide, de colorisme, de souplesse. En ce qui concerne les pièces pour
piano, c'est
peut-être un peu différent, il y a au moins une composition inspirée de
Beethoven, l'"Allegro" si j'ai bonne mémoire, mais à mon avis essentiellement
sur le plan thématique, peu sur le plan stylistique.
Parmi les autres compositeurs d'autres nationalités ayant pu influencer
Saint-Saêns à l'époque :
Littolff: pas du tout impossible, mais il faudrait en avoir une preuve.
C'est peut-être d'ailleurs Littolf qui a écrit le premier concerto
romantique français de grande ampleur avant Saint-Saëns.
Herz (qui a sans doute écrit plusieurs concertos pour piano avant le 1 de
Saint-Saëns). Je ne peux en juger directement.
Dreyschock, c'est un peu comme Taubert, mais pourquoi pas à la limite, avec un peu d'imagination.
Nous en venons naturellement à l'influence de Liszt, ce qui est reconnu et
je suis assez d'accord, mais précisément dans le "1" de Saint-Saëns, cela ne me paraît pas
particulièrement évident, beaucoup moins que dans les concertos ultérieurs.
Les rapports importants entre Liszt et
Saint-Saëns ont été déjà soulignés sur cette liste. Ce que Saint-Saëns
emprunte à Liszt, c'est le caractère impérieux, frénétique, de la
virtuosité, il y ajoute de la souplesse et élimine certains effets bruyants propre au premier 19e siècle.
J'ajouterai l'influence de Mozart que Saint-Saëns affectionnait
particulièrement et jouait souvent lui-même en
concert. Cette dernière influence me paraît dans une certaine mesure
transparaître dans le Concerto n°1", mais elle est sans doute plus proche de
ce que seront les
"mozartianismes" de Fauré dans sa "Ballade", c'est-à-dire qu'il s'agit d'une
réutilisation dans un esprit nouveau, une sorte d'effet "retro". Et ces effets caractéristiques du style galant ne sont pas allemands par essence, même pas spécifiques de la musique viennoise. Le
voisinage de certains
effets assez modernes avec ces mozartianisme créent à mon avis un style
particulièrement curieux. On trouve cela aussi dans le "1" d'Albeniz (3ème
mouvement). Je me demande parfois si dans le "1" de Saint-Saëns il n'y a pas
déjà en germe
des effets impressionnistes que l'on verra fleurir plus tard ou même qui
resteront spécifiques à Saint-Saëns. A mon avis, on a beaucoup oblitéré la
dimension impressionniste de l'oeuvre de Saint-Saëns concernant des effets
qui n'ont peut-être rien de commun avec ceux de Liszt et ces effets ne
concernent pas spécialement ses dernières oeuvres concertantes, il sont
présents dés les premières comme le "1". Ils apparaitront mieux dans le "3", le
"5" et dans la Fantaisie zoologique. Et aussi dans la fameuse pièce pour piano "Les cloches de las Palmas" que l'on ne serait oublier. On a suffisamment enterré l'oeuvre pour piano solo de Saint-Saëns pour qu'au moins on n'oublie pas cette pièce célébrissime.
INFLUENCE DE SAINT-SAËNS
Puisque vous m'accordez généreusement le droit de protester, j'en use. Parmi les oeuvres qui pourraient présenter une influence de saint-Saëns dans le domaine concertant pour piano en France, je
citerai au
moins le "Concerto" de Massenet qui pour moi est une oeuvre fondamentale, la
"Ballade" pour
piano et orchestre de Fauré, la "Fantaisie pour piano et orchestre" de Cécile
Chaminade, le "Concerto en sol" de Ravel, et sans doute d'autres que je n'ai pas en
tête. Concernant la
"Fantaisie" de Chaminade, j'y vois justement des accents rappelant
Saint-Saëns comme dans le "Concerto en sol" de Ravel. Sur ces oeuvres 2 au
moins ont acquis une certaine notoriété. Pour Cras, il faut tricher un peu.
Milhaud, Poulenc, comme Lancen, leur style est à l'opposé de celui de
Saint-Saëns. Quant à Roussel et Jolivet, pour moi, c'est faire injure à
Saint-Saëns. On pourrait aussi revenir au Sgambati en s'éloignant des
concertos français, mais plutôt pour l'orchestration, notamment l'entrée
somptueuse au cor et le premier thème orchestral.
LIBÉRATION DE LA FORME DU CONCERTO TRIPARTITE - SAINT-SAËNS
Sortir de la forme préétablie en 3 mouvements du concerto, effectivement. Cette volonté est également le propre de Saint-Saëns lui-même
si on considère l'ensemble de ses oeuvres concertantes (concertos souvent
hétérodoxes, fantaisies, caprices...). On peut établir la même remarque dans
le genre symphonique en constatant la prédilection pour les genres annexes
de la symphonie (poème symphonique, suite d'orchestre) ou des symphonies
atypiques, prédilection qui concerne aussi Saint-Saëns au premier chef. Ce
qui me fait dire que l'"homme du monde qui sait le mieux la musique"
(Debussy dixit) a été un grand libérateur de la
forme et qu'il a concourru à l'obsolescence des genres et formes classiques,
ce qui lui a valu l'opposition farouche des instances acédémiques - qui
avaient également bien d'autres raisons de le désavouer... en le traitant
d'esprit académique. L'a-t-il fait avec une volonté consciente de
réformateur ou simplement en suivant son
tempérament naturel? La seconde hypothèse me semble la plus probable.
Cette évolution n'a pas été uniquement française, elle a concerné aussi et
autant les compositeurs de l'Europe de l'Est, notamment Liszt (et avant
Saint-Saëns), mais aussi Rimski...
J'ai omis une possible relation concernant Saint-Saëns, tout simplement avec
Tchaïkovski. Historiquement, une influence, dans les deux sens, demeure très
possible car les deux compositeurs avaient des relations et s'étaient
rencontré. Sur le plan musical, la "rencontre" ne me paraît pas impensable
tant du point de vue pianistique que symphonique pour certaines oeuvres. Il
faudrait analyser plus finement les convergences en considérant les dates de
composition de toutes les oeuvres concernées.
LES CONCERTOS DE SAINT-SAËNS
Une personnalité plus affirmée dans le "2" et le "4"? Ceci ne me convainc pas. Vous savez que je recours au critère du
jugement par le public uniquement lorsque cela m'arrange.
Cela dit, d'après les témoignages que l'on a, d'une manière générale,
Saint-Saëns était aimé du public (à défaut de l'être des autorités musicales
de l'époque). Ses oeuvres concertantes, mais aussi sa musique de chambre,
ont connu des succès répétés. Il ressort effectivement que certaines oeuvres
ont acquis plus de nototiété que d'autres aujourd'hui. Dans le genre pour
piano et
orchestre, je citerais essentiellement la "Fantaisie zoologique" bien sûr et
le "2". Ce qui est certain, c'est que le "1" et le "3" sont un peu oubliés. A mon
avis, ils ont peut-être plus de caractère car ils me paraissent exploiter
différemment les possibilités pianistiques en dehors des chemins plus
habituels de la virtuosité transcendante qu'a illustré Saint-Saëns lui-même
avec le "2". Le "4" est-il plus connu que le "5"? cela ne me paraît pas certain.
Le fait qu'il existe une
transcription de Saint-Saëns lui-même pour piano seul du 3ème mouvement du "5"
semble indiquer un succès à l'époque plutôt qu'une prédilection du
compositeur. En effet, S§aint-Saëns rejouait plus souvent le "4" en concert
(d'après Bonnerot). Personnellement, celui qui me fascine le plus est le "3"
car j'y vois des effets impressionnistes que je n'ai rencontrés nulle part
ailleurs, mais le plus parfait est peut-être le "2". En tous cas, chacune de
ces oeuvres me paraît revêtir un style différent et original, même le "4" qui
me semble accuser certaines faiblesses. En définitive, je dirais
que la série des oeuvres pour piano et orchestre de Saint-Saëns me paraît la
plus belle qui ait jamais été écrite, exprimant les multiples
facettes de son génie.
WAGNER ET TCHAÎKOVSKY
Tchaîkovsky présent à Beyreuth. Par hasard sans doute. Et il s'y est beaucoup ennuyé, d'après un témoignage rapporté par Hofman,
biographe de Tchaïkovski. Il a même déclaré en substance qu'il ne pouvait
même pas concevoir que l'on pût écrire une telle musique aussi peu musicale.
Tchaïkovski n'a jamais rien compris à Wagner et cela n'apparaît pas très étonnant, eu égard aux différences stylistiques entre les deux compositeurs. En
revanche, je vois des "wagnérismes" dans la "Symphonies n°3" de Saint-Saêns malgré ses
professions de foi antiwagnériennes tapageuses.
SUR UN COMMENTAIRE CONCERNANT MONPOU
J'ai lu des commentaires dithyrambiques sur ce minimaliste qui me paraît
encore pire que Satie et Liadov réunis. Pour aimer ces imitations
ininterrompues de sons de cloche, il faut à mon avis une dose
d'auto-suggestion assez extraordinaire.
CONCERTOS POUR PIANO DE BRAHMS
Les concertos de Brahms, de
facture classique (ce n'est pas une injure, je précise) me paraissent
exprimer un lyrisme tempéré, plutôt intériorisé comme ses symphonies, mais
je n'y trouve toujours pas l'intérêt thématique de ces dernières.
L'orchestration également me paraît moins originale que dans les
symphonies. Le "2" me semble de meilleure qualité, surtout le dernier
mouvement. C'est pour moi un assez bon concerto, mais sans plus. Si vous voulez plus de détails.
LE CAS CLEDERMAN
Le cas Clederman me paraît particulièrement intéressant à analyser car il
montre ce que produit l'adaptation d'oeuvres classiques destinées à un
public qui n'est pas celui de la musique classique. La tendance me paraît
être à l'affadissement, à l'élimination de tout ce qui peut être original :
adoption d'un rythme uniforme, suppression des nuances, notamment des
crescendos, refus de la virtuosité. C'est à mon avis idéalement de la
musique bourgeoise, non dérangeante, qui évite l'émotion. Le critique et
compositeur Alberto Savinio pense que c'est aussi ce que recherche le public
dans la musique ancienne, et même baroque! Le débat est ouvert. Un problème
de droit se pose aussi: rien n'interdit de déformer Beethoven, Vivaldi...
pourvu évidemment qu'on le signale. Est-ce admissible? La réponse n'est pas
évidente en raison de ses implications.
On a critiqué au contraire les virtuoses-compositeurs de vouloir épater le
public par des acrobaties gratuites, il faut croire qu'ils ne s'adressaient
pas au même public que celui de Clederman.
SYMPHONIES DE BRAHMS
Oui, pour moi, la 1, la 3 et la 4, peut-être surtout la 4, sont de grandes
symphonies, seule la 2 me paraît un peu dépourvue de feu. Dans son lyrisme,
Brahms me paraît posséder la caractéristique de ne jamais exprimer la
passion jusqu'au paroxysme, de ne jamais pousser les effets au-delà d'une
certaine limite. C'est peut-être sa grande qualité et son défaut. Bien sûr,
mon tempérament me pousse à préférer les effets "outranciers" de Berlioz,
Rimski ou Tchaïkovski, mais je reconnais la qualité particulière de Brahms
et la chaleur que sa tempérance permet d'exprimer. Je dois avouer cependant que ce n'est pas ma conception du génie.
CHALLENGE D'OEUVRES SOPORIFIQUES
je vous admire pour avoir retenu et reconnu ce thème. Je vous avoue
que la "symphonie cévénole" de d'Indy m'a toujours paru soporifique au point que toute
thématique semble s'y dissoudre dans l'inexistence. Je mettrais cette oeuvre
au challenge-parade des oeuvres les plus ennuyeuses avec les pièces pour piano de Monpou, le concerto pour violon de Karlovitch, à moins que
celui de Conus ne le surpasse.
BRAHMS ÉPAIS!
J'ai déjà vu cette critique de Brahms dans les critiques de Dukas notamment,
mais aussi dans d'autres ouvrages. Je pense au contraire que l'orchestration de Brahms est parfaitement limpide et
nerveuse, plus que celle de Beethoven. Il est vrai que l'orchestration s'est épurée au milieu du siècle par rapport à l'époque de Beethoven. Je ne sais pourquoi s'est développée
cette légende d'un Brahms lourd et épais, enfin pour moi c'est une légende
créée de toutes pièces comme celle de trouver Saint-Saëns académique. Je
pense que les facteurs extra-musicaux d'ordre idéologique ont beaucoup
contribué à accréditer ces légendes.
RÉDUIRE LES SYMPHONIES À DES TRANSCRIPTIONS POUR INSTRUMENJT SOLO
Les oeuvres pour lesquelles on pourrait supprimer l'orchestration sont
peut-être celles dans lesquelles cette orchestration n'est pas utilisée dans
un sens
coloriste et selon toutes ses ressources spécifiques,
et donc on pourrait juger cette orchestration insuffisante et l'on pourrait considérer qu'il manque une dimension à ces oeuvres. Par exemple, on
peut transcrire facilement la "Petite musique de nuit" de Mozart pour le
violon, mais on transcrirait plus difficilement, et c'est peut-être même
impossible, une symphonie de Sibelius dont le symphonisme est plus complexe.
On peut défendre aussi la thèse
opposée en remarquant que les oeuvres symphoniques qui admettent la
transcription sont celles qui possèdent une structure thématique
suffisamment solide. Voilà de quoi contenter tout le monde... ou peut-être
personne!
Il me semble que les plus grands symphonistes sont tout de même ceux ont
manifesté au plus haut degré des dons de "coloriste", sinon ce n'est pas la
peine de s'exprimer dans ce genre musical, je pense bien sûr à Rimski, c'est
même là que je voulais en arriver.
SHOBERT, MOZART, SALIERI
Schobert, toujours d'après sa musique de chambre (une partie tout au moins : duos,
trios, quatuor), je ne l'apprécie guère, mais c'est
sans doute le juger hâtivement. Comme musique aussi raffinée (et même plus)
que celle de Mozart, je proposerais plutôt Dittersdorf, notamment ses concertos pour diverses combinaisons
instrumentales et aussi Salieri qui me paraît plus coloriste que Mozart,
plus original dans ses effets et allie un génie mélodique égal à un génie
harmonique à mon avis vraiment supérieur à celui du viennois. Je ne le juge
que sur un concerto que j'ai présenté il y a quelque temps, mais pour moi
quelle
oeuvre!
3e SYMPHONIE DE SAINT-SAËNS, "FINALE" DE LA "FANTASTIQUE DE BERLIOZ
Je ne crois pas que la 3ème de Saint-Saëns (dans le dernier mouvement) en
fasse plus, elle le fait surtout, à mon avis, d'une manière moins cohérente
et avec moins d'unité (ce qui peut faire paraître qu'elle en fait plus en
effet) que dans la scène de Sabbat de la "Fantastique". Je vois aussi une
autre oeuvre dans laquelle de très nombreux thèmes très courts se succèdent
de manière étourdissante dans un rythme effréné, le dernier mouvement du
"Concerto n°4" de Vieuxtemps et aussi, dans un genre et un style plus proche
de Berlioz, le dernier mouvement de "Schéhérazade" de Rimski-Korsakov. Pour
moi c'est ce qui différentie ces génies supérieurs de compositeurs comme
Brahms qui restent tout de même plus limités sur le plan de la densité
thématique et n'atteignent jamais une telle originalité dans les effets. Je
comprends que c'est un avis que tout le monde ne partagera pas. J'ai
peut-être une conception esthétique qui privilégie le génie dyonisiaque sur
le génie
apollinien! Certes, on pourra objecter que ce compositeur préfère volontairement
recourir à des
moyens plus limités, des effets moins "extériorisés", moins "excessifs", ce
qui est une qualité comme l'a dit Simon et comme je l'ai dit moi-même. Je
remarque cependant qu'il a la plus grande difficulté (selon moi) à maintenir
l'intérêt musical de bout en bout d'un mouvement de symphonie, même parmi
ses meilleurs (à mon avis bien sûr). Dans mes critiques, j'ai mis la mention
excellent à certains de ses mouvements, mais j'ai toujours dû
"faire un certain effort" pour faire abstraction d'intermèdes ou de motifs
transitoires dans lesquels la tension baisse pendant trente seconde à une mi
nute sur
l'ensemble d'un mouvement.
MÉMOIRE ET INTÉRÊT D'UNE OEUVRE
Je ne crois pas que la mémorisation soit la cause de l'impression favorable,
mais plutôt l'inverse. Personnellement, je peux toujours réussir (malgré ma
mauvaise mémoire) à mémoriser quasi-entièrement une oeuvre que je n'apprécie
pas, je l'ai fait
pour quelques unes. Cela ne me réconciliera jamais avec elles, au contraire.
En revanche, je retiendrai beaucoup plus facilement une pièce qui m'aura
impressionné, ceci pour 2 raisons je pense, d'abord parce que l'émotion est
un puissant
stimuli de la mémoire et en second lieu parce que je serais amené à la
réécouter un plus grand nombre de fois. Certes, pour que la "compréhension"
puisse se réaliser, une mémorisation préalable est nécessaire, elle ne me
paraît jamais un facteur limitatif si on prend la précaution de réécouter
plusieurs fois l'oeuvre.
Concernant les oeuvres de virtuosité, certains motifs, de par leur
complexité, leur densité, sont très difficiles à retenir. Si je les
apprécie,
cette difficulté à les mémoriser ne me paraît en aucun cas un obstacle à
leur
compréhension car on peut au moins les reconnaître. Les oeuvres les plus
complexes et sans doute les plus
difficiles à mémoriser me paraissent être les oeuvres que je nommerais
"pseudo-thématique" dans lesquelles la thématique subit une perpétuelle
transformation qui la complexifie sans cesse. Je citerai parmi ces oeuvres
l'"Introdutione et variazioni sur "Non piu mesta" de Paganini.
SÉVERAC
Séverac me paraît lui aussi donner dangereusement dans le
minimalisme avec notamment "En vacances", recueil assez schumanien à mon
avis. La "Suite" me semble plus dense musicalement, en particulier "A cheval
dans la prairie". Séverac se situe à mon sens un peu à mi-chemin entre
Debussy et Satie, deux styles diamétralement opposés.
L'AVENIR DE LA MUSIQUE CLASSIQUE
Pour moi, la musique classique n'a aucun avenir car elle est finie. C'est
une idée à laquelle il faut peut-être s'habituer. Cela n'empêche pas, il me
semble, d'apprécier les oeuvres qui ont été produites pendant 3 siècles. La
seule chose qui reste à faire, c'est de redécouvrir ce qui a été écrit, et
peut-être surtout trouver des méthodes permettant de sélectionner les
oeuvres susceptibles d'intéresser réellement le public. Et il y a de quoi faire.
INTÉRÊT POUR LES "PETITS MAÎTRES"
L'intérêt pour les oeuvres peu connues sur cette liste, oui, mais quand il s'agit de
déclarer que telle oeuvre peu connue est aussi importante que "L'Art de la
fugue" ou la "Symphonie n°5" de Mahler par exemple, il n'y a plus beaucoup de
monde.
Mais pourquoi les
appelez-vous des "petits maîtres"? Entérinez-vous leur infériorité ou
témoignez-vous simplement de la déconsidération dont ils sont l'objet?
THÉORIE DE LA DÉPERSONNALISATION - BUENZOD, BUCHET
Merci de cette très intéressante citation, ce qui montre que
l'on peut utilement s'interroger sur ce sujet. Dans cet extrait, Buenzod
développe la théorie de la "dépersonnalisation" de l'artiste émise pour la
première fois (à ma connaissance) par Edmond Buchet en 1942. Buchet remarque
que de nombreux compositeurs ne sont pas obligatoirement des intellectuels,
et qu'ils sont soumis dans leur quotidienneté à des passions dérisoires (les
démélés de Beethoven avec sa cuisinière, ceux de Haydn avec son épouse, ceux
de Bach avec ses patrons...). c'est en particulier avéré pour Mozart qui
avait la passion des jeux de société les plus triviaux. Ce que dit Buenzod
de Schubert pourrait être plus ou moins vrai de nombreux génie musicaux et
peut-être pour tous. Non qu'il y ait eu des compositeurs érudits et cultivés
(Saint-Saëns d'ailleurs), mais leurs oeuvres ne seraient pas le produit de
leur érudition ni de leur activité intellectuelle. C'est peut-être notre
déformation d'intellectuel et la place prépondérante qu'a pris
l'intellectualisme dans notre civilisation qui nous a conduit inconsciemment
à considérer que les oeuvres d'art étaient le produit de l'intellect. En
revanche Proust remarque l'infériorité de l'intelligence sur l'intuition,
mais cette infériorité de l'intelligence, dit-il, c'est tout de même à
l'intelligence de l'établir. Buenzod pose aussi le problème du jugement du
compositeur sur ses propre oeuvres...
HISTOIRES DE LA MUSIQUE
Plutôt que l'"Histoire de la musique occidentale" qui est pour moi une
fausse interprétation monopolistique et tendancieuse ignorant la réalité
musicale, je conseillerais "L'histoire de la musique"
éditée par la collection "La pléïade". On y trouve des articles notamment de
Pincherle sur les virtuoses-compositeurs, un article de Saussine sur
Paganini qui montre pour la première fois l'importance historique de ce
compositeur et un article de Handsick, très critique - et courageux - sur
Bach. Tout cela,
ce n'est plus la vieille musicographie idéologique que transmet
Rebatet et même l'histoire de la musique occidentale (bien que réalisée par des musicologues), dans une révision plus
présentable où l'on retrouve les mêmes poncifs sous l'habillage intimidant
d'une certaine prétendue science musicale. Tout ne me paraît pas négatif dans cet ouvrage, mais je n'adhère pas à sa philosophie.
DÉCADENCE RÉELLE OU SUPPOSÉE
Les notions de nostalgie ou de décadence trahissent le plus souvent,
chez
ceux qui les utilisent, un cruel manque d'imagination, de même les
propos de
Cassandre, dites-vous.
Je remarque tout de même au XXème siècle le développement de "musiques" qui
me paraissent avant tout des jeux d'écriture abstrus s'appuyant sur des théories
complexes. On rejoint donc la musique polyphonique de la
Renaissance. Il semble que la boucle soit bouclée. On ne croyait pas
Cassandre, mais elle avait tout de même raison.
"GUIDE" D'ULRICH MICHELS ET "UNE HISTOIRE DE LA MUSIQUE" DE REBATET
Ne vous inquiétez pas, je n'ai rien contre les enseignants. Vous pourriez
manifester aussi votre esprit critique de la même manière à propos du "Guide"
d'Ulrich Michels que vous avez conseillé. Ces deux ouvrages (le Rebatet et
le Michels) ont sans doute plus de 80% de leur
philosophie (réductrice à mon avis) en commun. Je vois tout de même un point
positif pour Rebatet, c'est qu'il appelle son ouvrage : "une histoire de la
musique" (vous aurez remarqué le "une") alors qu'Ulrich Michels par
l'appellation de "Guide" manifeste l'ambition d'enseigner la vérité. Une des
différences entre les deux auteurs est que Rebatet critique négativement les
auteurs qu'il n'aime pas alors que Michels réduit la représentativité des
compositeurs qu'il désapprouve. A tout prendre, je préfère la méthode de
Rebatet.
LA VISION DE REBATET
Que Rebatet n'ait pas mentionné Sgambati
ou Dittersdorf, pourquoi pas, mais qu'il ait traîné dans la boue
Saint-Saëns, Tchaïkovski et bien d'autres me paraît significatif de la
vision d'un intellectuel plus sensible à une certaine idéologie
anti-artistique, à mon avis, qu'à la musique véritable. Lorsque l'on
approuve la domination des "grands classiques" qui sévit actuellement, la
déconsidération à l'égard des virtuoses-compositeurs ou à l'égard des
néoclassiques... on est
plus ou moins le produit de la philosphie réductrice, à mon sens, de Rebatet
ou d'autres musicographes, dont le dogmatisme est similaire. Rebatet n'en
est que la caricature. Chacun se reconnaîtra ou ne se reconnaîtra pas, en
tout ou partie, dans cette philosophie.
CANNABICH ET KRAUS
Cannabich et Kraus que je viens de découvrir donnent sans doute une certaine image du
symphonisme autrichien pendant la seconde moitié du 18e siècle. Les symphonies 47 à 52 de Cannabich
témoignent à mon avis d'un
symphonisme peu affirmé du point de vue instrumental, les vents sont
utilisés très parcimonieusement et se fondent souvent dans la masse des
violons, en revanche, les procédés thématiques me paraissent mieux
préfigurer Beethoven que ne le font les oeuvres de Haydn et Mozart (celles
que je connais du moins). C'est Kraus, cependant, tant sur le plan symphonique que
sur le plan stylistique, qui me paraît avoir le plus orienté le symphonisme
mannheimien dans le sens dramatique. La correspondance des effets de la
symphonie en Do avec violon obligé (3ème mouvement) et de la symphonie bufa
avec le style beethovénien me paraît absolument frappant. Kraus dans ces
symphonies datant de 1770 environ (VB128, 129, 130) me semble au niveau de
la "Symphonie n°1" de Beethoven (écrite quelque 30 ans plus tard), mais en
deça de la "2". Je constate, à ce qu'il me semble, une fois de plus que les
compositeurs les plus connus (Haydn et Mozart) sont loin de représenter le
développement le plus avancé et le plus achevé du style musical de leur
époque. Je constate également le caractère très progressif de l'évolution du
style que confirmerait certainement bien d'autres oeuvres que j'ignore. Le
style viennois, tel qu'il fleurira même jusque dans les rhapsodies
hongroises de Brahms, pourrait s'être élaboré à Mannheim ou ailleurs grâce à
d'obscurs compositeurs, et le style de Mannheim s'être élaboré bien avant la
seconde moitié du XVIIIème siècle par l'école de Milan si j'en crois
certains ouvrages. Il me reste à écouter les oeuvres de cette école
pour le vérifier.
CONTESTATION DU JUGEMENT D'AUTRUI - LE "PÈRE" FRANCK
Je vois deux arguments fondamentaux qui justifie, si l'on prétend rechercher
la vérité, à contester - sinon nier - les jugements d'autrui, non pas dans
leur sincérité comme vous le savez, mais dans leur caractère illusoire :
-la contractiction des jugements d'une personne à un autre n'est pas
compatible avec l'existence d'une valeur intrinsèque de l'oeuvre. Si nous
admettions cette divergence, nous serions dans l'obligation de facto
d'accepter le caracère fondamentalement relatif de la valeur d'une oeuvre,
c'est-à-dire nier sa valeur.
-l'évidence d'une dépendance du jugement vis-à-vis de la notoriété des
compositeurs ne peut être contestée. Qui considèrerait par
exemple le "Clavier bien tempéré" comme un chef-d'oeuvre si Bach était un
inconnu. Qu'on m'excuse de cette répétition, mais apparemment elle est
nécessaire.
-l'évidence d'une contradiction entre la notoriété accordée à certains
compositeurs (au
moins sur le plan de leur importance historique) avec la réalité
musicologique montrée par certains travaux ne peut être également ignorée,
et d'une manière générale la
fausseté souvent avérée du discours musicographique traditionnel par rapport
aux faits historiques. C'est le cas particulièrement à propos de Bach, de
Haydn notamment.
-le caractère idéologique, confinant à la mystification, qui apparaît dans
les discours sur la musique au regard de l'analyse sociologique.
Certes, si la contestation du jugement d'autrui peut s'appuyer sur de
sérieuses bases, personne ne peut se prévaloir de posséder la vérité, c'est
la raison pour laquelle tout jugement doit être présenté comme personnel,
principe que j'applique généralement, il me semble. Tenter de
confronter les opinions divergentes peut permettre, à mon avis, de faire
évoluer la pensée sur la musique, de favoriser des prises de conscience.
Je ne dirige pas spécialement toute cette dialectique argumentaire contre le
père Franck (j'admire profondément certaines de ses oeuvres). On
pourrait aussi longuement évoquer la figure de ce compositeur et de sa
chapelle
dans le contexte idéologique de l'époque, son opposition (pas systématique
d'ailleurs) à la tendance incarnée par saint-Saëns avec la SNM (Société
Nationale de Musique). Ou pourrait aussi contester le
caractère bénéfique du passage à la Schola de certains compositeurs (Albeniz)... Y avait-il la nécessité
d'un tel cénacle? Mais après tout, le père Franck, c'était un brave type,
adorablement naïf, on peut tout lui pardonner, même d'avoir composé des
oeuvres géniales. Je n'en dirais pas de même de
son continuateur...
LISTES D'OEUVRES PRÉFÉRÉES
Voici mes listes conformément aux règles que vous avez proposées.
5 oeuvres marquantes pour vous depuis la petite enfance et l'adolescence :
Ouverture de Tannahauser 1ère version WAGNER
Symphonie n°8 Ludwig van BEETHOVEN
Adagio ALBINONI-GIAZOTTO
Le coucou DAQUIN
Symphonie fantastique Hector BERLIOZ
5 oeuvres que vous avez essentiellement découvertes par vous-mêmes,
et qui ont une très forte signification pour vous:
Concerto pour piano Giovanni SGAMBATI
Concerto n°1 Henri VIEUXTEMPS
Concerto pour piano Viteslav NOVAK
Fantaisie "Le cocotier" Louis Moreau GOTTSCHALK
Huit danses espagnoles Pablo de SARASATE
5 oeuvres du XXème siècle qui comptent vraiment pour vous (sans
que ce soient forcément celles qu'"objectivement", vous considèreriez
comme les plus marquantes.
Concerto pour violon n°2 Otar TAKTAKICHVILI
Barcarolle Teresa CARRENO
Spartaccus Aram KHATCHATURIAN
Concerto pour piano Pavel CONSTANTINESCU
Ballade pastorale Kosma LARA
RAVEL ET DEBUSSY
Je partage votre avis général sur la différence stylistique qui peut séparer
Debussy et Ravel dans le domaine de la musique pour piano et le caractère un
peu artificiel d'une comparaison entre les deux compositeurs (ce serait
peut-être moins évident pour certaines oeuvres orchestrales). Liszt, Chopin
chez Ravel, cela me paraît possible, il faut un peu d'imagination, Schumann,
là cela me paraît vraiment difficile - bien que Ravel l'appréciait
réellement. Je verrais plutôt, du propre aveu de Ravel, Saint-Saëns. Pour
une fois qu'un compositeur ose se réclamer de Saint-Saëns, n'oblitérons pas ce
fait, que resterait-il à ce pauvre obscur compositeur académique? La
recherche très poussée des effets pianistiques chez Debussy ne conduit pas
obligatoirement à la virtuosité, effectivement, c'est mon avis. Parfois même
l'on aboutit à une sorte de style figé où le rythme disparaît. pourtant, le
recours à
la virtuosité me paraît presque toujours constant (comparez à un Satie),
mais je précise, uniquement sous l'effet de la logique musicale sans viser à
aucun effet de virtuosité "démonstrative" (ce qui ne serait pas péjoratif
d'ailleurs). C'est le cas de "Ce
qu'a vu le vent d'ouest", et aussi une pièce très rarement jouée dans le
répertoire pédagogique "The snow is dancing". Cette pièce atteint une
virtuosité vraiment très spéciale à mon avis par suite de la multiplicité
des plans sonores, de leur interpénétration, l'importance des trémolos,
notes répétées
l'absence de grands écarts, d'arpèges (contrairement à "Docteur Gradus" de la
même suite et à bien d'autres pièces de Debussy).
J'ai rencontré dans certaines oeuvres pour piano et orchestre des cas de
virtuosité encore plus saisissants: la virtuosité feutrée, presque
intimiste et pourtant dense du concerto de Novak, un cas vraiment unique et
celle du "Concerto" de Massenet qui atteint à mon avis un art de la
demi-teinte inégalable avec des harmonies hallucinantes. Je n'ose pas dire
que là Debussy est dépassé pour ne pas traumatiser les esprits sensibles.
Concernant Ravel, mon jugement n'est pas conventionnel sur ce point, je le sais. On a dit de
Ravel que ses oeuvres exhalaient l'odeur des fleurs pourries. Ses pièces pour
piano, je les trouve inodores. A tout prendre, c'est peut-être mieux que
l'odeur de pourriture. Vraiment, cela ne m'inspire pas. J'y ressens une
sécheresse repoussante. A l'inverse, le lyrisme et la virtuosité propres au
genre concertant a permis à Ravel, à mon avis, de s'exprimer plus
généreusement. D'où les vertus de la virtuosité.
J'espère, cher ami mélomane, que vous vous êtes bien remis de l'accusation de "disciple
de Rebatet" que j'avais proféré envers vous, à votre corps défendant.
Le titre de dodécaphoniste stalinien
vous suffisait bien.
REJET DE LA MUSIQUE MODERNE - MISE AU POINT
Vous me reprochez le rejet que je fais de la musique "moderne" atonale. Il ne s'agit cependant pas chez moi, me semble-t-il, d' une position de principe, c'est
un
"sentiment" que cette musique même provoque
en moi, qu'il soit justifié ou non sur le plan intellectuel. Je remarque
cependant que le rejet que
je fais de la musique moderne et avec moi des millions de mélomanes n'a
jamais occulté la représentativité de cette musique alors que le rejet du
néo-classique (rejet de principe celui-là) entretenu par une caste très
minoritaire, lui, a entraîné l'exclusion et la déconsidération de la
tendance néo-classique avec une redoutable efficacité. Qui rejette l'autre
dans la réalité au niveau historique? Consultez l'"Histoire de la musique
occidentale" de Massin, très représentatif de cette philosophie partisane. Heureusement, au niveau des ventes d'enregistrements les néo-classiques
reprennent la prééminence, il ne peut en être autrement puisque la musique
moderne est inaudible pour presque tout le monde.
A propos de l'importance exagérée (à mon sens) de certains compositeurs par
suite d'une déformation de l'Histoire de la musique (avérée elle), je me
positionnerais plutôt pour un rééquilibrage raisonnable, c'est-à-dire que
j'adopterais
une philosophie du juste milieu contre l'excès et la déraison qui existe
actuellement (à mon
avis). Je voudrais également que l'on ne confonde pas les agresseurs et
les agressés. C'est la surreprésentativité, à mon avis éhontée, scandaleuse,
de certains compositeurs qui est une agression envers les autres,
surreprésentativité bien orchestrée depuis deux siècles notamment par le
relais d'associations partisanes, donc un phénomène dont l'origine n'est pas
la libre expression du mélomane de base, mais bien la volonté de cercles
d'intellectuels animés d'une idéologie partisane et excluante. Si vous voulez dire que je condamne
cette agression, je réponds par l'affirmative. Vous parlez des oeuvres "que
les autres aiment", mais vous oubliez de dire que leur émergence est
souvent le produit de ce conditionnement ou tout au moins d'une conception
erronée de l'Histoire de la musique.
Vous voudriez que j'accepte cet état de fait et que, lorsque je présente
l'intérêt de telle oeuvre de Paganini ou d'Arenski par exemple, le lecteur
de mon message continue en lui-même de se dire tranquillement en se
confortant au jugement établi "Oui, c'est bien, mais cela ne vaudra jamais
Bach ou Mahler. Non, cela, je ne l'accepterais jamais.
AFFECTIVITÉ CHEZ WEBERN?
Le rapprochement que vous faites entre Webern et les quintes ou quartes du
Moyen-Age plaiderait plus pour une absence d'affectivité marquée chez ce
compositeur. Il me semble qu'historiquement l'apparition de l'affectivité
dans la musique occidentale n'est pas antérieure à Monteverdi, en encore
timidement et qu'elle culmine à l'époque romantique. Sans doute a contrario
ne ressentez-vous aucune affectivité dans la pathétique de Tchaïkovski!
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