SOMMAIRE



MESSAGES DE LISTES 1999

LES PLUS GRANDS CONCERTOS POUR VIOLON
Selon vous, ce club très fermé des plus grands concertos pour violon ne comprendrait que Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Sibelius, Berg et Dutilleux. Vous êtes réticent pour intégrer Tchaïkovski à cette aréopage de compositeurs supérieurs et Vivaldi, un des plus fameux initiateurs du genre, vous paraît n'y pouvoir en aucun cas prétendre. Il s'agit ici du jugement personnel, très respectable, d'un mélomane, assez caractéristique de ce que l'on peut rencontrer sur les forums. Je me permettrais cependant le commentaire suivant. Aucun des violonistes-compositeurs qui ont élaboré le langage musical violonistique, établi le genre de l'oeuvre concertante, élaboré la virtuosité transcendante ne figurent dans votre club très fermé comprenant essentiellement des grands classiques, des symphonistes, des modernes. On remarquera la présence de Bach qui n'illustra bien souvent le genre concertant que sous la forme de la transcription à l'imitation des Italiens et dont les concertos pour violon sont d'une authenticité discutée par les experts. Ce choix de mélomane pourrait être la conséquence de l'éreintement systématique des violonistes-compositeurs par la société musicale et les Intellectuels pendant plus de deux siècles qui trouve sa continuation dans votre propre inclination. Même les compositeurs qui ont été redécouverts et bénéficient aujourd'hui d'une certaine notoriété comme Vivaldi ne sont guère considérés par les mélomanes avertis comme vous. Il s'agit naturellement d'une constatation objective qui ne préjuge pas du caractère fondé ou non du choix légitime que vous réalisez.

MAHLER - BRUCKNER
En ce qui concerne Malher, je suis assez réservé, je trouve que certaines de ses symphonies, très superficielles, sans aucun lyrisme, sont une véritable offense envers la musique. Ce n'est évidemment qu'un avis personnel. Pour Bruckner, c'est différent, son chef-d'oeuvre me paraît être la symphonie n°4 "Romantishe" où il dépasse littéralement Berlioz dans l'utilisation des cuivres. La "3" aussi me paraît un chef-d'oeuvre, j'ai plus de réticence pour les autres.

BUSONI
J'en profite pour recommander la "Fantaisie indienne" de Busoni pour orchestre qui me paraît une oeuvre manifestatant une liberté totale proche de l'improvisation. Busoni y atteint une sorte d'impressionnisme qui lui est propre, suggestif. Bien meilleur que son monumental "Concerto pour piano, choeurs d'hommes et orchestre" (le plus long qui existe, une heure et demi je crois), bien meilleur aussi que ses nombreuses pièces pour piano, plus sévères, quelquefois confuses (à mon avis).

TAKTAKICHVILI
Pour ma part, je vous recommanderais le "Concerto n°2" pour violon et orchestre de Taktakichvili qui me paraît un modèle d'expressionnisme russe comparablement au Concerto pour violon de Kabalevski ou le "Concerto" pour piano de Galynine. C'est une oeuvre qui communique une émotion viscérale. Le soliste, souvent très virtuose, se déploie sur un fond orchestral très discret, mais particulièrement incisif. Je ne manque jamais de faire de la "publicité" pour cette oeuvre qui me paraît une des plus importantes de notre siècle.

VIOLONISTES-COMPOSITEURS
Il est vrai que la polémique sur la virtuosité a beaucoup plus concerné, il me semble, les violonistes-compositeurs que les pianistes-compositeurs. J'ai moi-même en tête un article très polémique écrit par le violoniste-compositeur belge Hubert Léonard répondant à une critique selon laquelle les violonistes feraient mieux de jouer les "oeuvres vénérables" de Bach et Beethoven plutôt que d'imposer leurs extravagances. Personnellement, je pense que Léonard a fait mieux que Bach et Beethoven dans leurs concertos pour violon avec son magnifique "Concerto n°4", mais c'est un avis personnel.

IDEOLOGIE POLITIQUE SOCIALISTE - KABALEVSKI, ZHI HONG
Pour ce qui est de Kabalevski, je ne suis pas très partisan de considérer ce sompositeur sous l'angle de sa position idéologique (et d'ailleurs tout autre compositeur de l'Europe de l'Est, de Chine ou d'ailleurs) car je pense que cela ne transparaît pas dans ses oeuvres (du moins celles que je connais). En fait, bien qu'il ait été "Président des Artistes du Peuple", les dirigeants ne l'ont guère favorisé (à tort à mon avis) et se sont plus intéressés à Chostakovitch (avec des crises). Ce dernier cas me paraît un exemple déplorable de l'influence néfaste de l'idéologie sur la vie musicale. Idéologiquement, Kabalevski est un nationaliste, musicalement il s'inscrit à mon avis dans la tradition de Rimski. Sa "Symphonie n°2", peut-être le plus grand chef-d'oeuvre du vingtième siècle marque l'avènement du style expressionnisme russe qui a intégré le symphonisme rimskien. Sur d'autres oeuvres, par exemple les concertos pour piano, Kabalevski a beaucoup plus intégré le mélodisme facile du "Groupe de Six". Pour montrer l'indépendance entre le texte musical et l'idéologie, je citerai le concerto "La rivière jaune" de Xieng Sing-hai, Zhi-Hong... Il fut écrit dans une optique collectiviste à l'occasion de la création d'un barrage par un groupe d'une dizaine de compositeurs. Cette oeuvre, magnifique à mon avis, s'inscrit purement dans le style romantico-impressionniste hérité de Liszt et Debussy.

IDEOLOGIE POLITIQUE SOCIALISTE - KABALEVSKI
Je pense que Kabalevski a utilisé sa position officielle comme tout compositeur qui a une position officielle, mais ceci sans rapport avec une opinion politique. Ses déclarations, à mes yeux, n'ont aucune importance, ce qui m'intéresse, ce n'est pas son discours idéologique, mais sa musique. S'il a utilisé sa position officielle, il l'a fait certainement moins que certains dissidents qui ont réalisé une véritable exploitation de la dissidence pour asseoir induement leur position comme compositeur. Vous me parlez de Khrenikov, son style musical est aux antipodes de Kabalevski, c'est un "moderne", il y a chez les Soviétiques des modernes et des néoclassiques. Donc, tout cela n'a aucun rapport avec l'idéologie. J'ai écouté de nombreux compositeurs russes et soviétiques, il ne m'est jamais venu à l'idée de m'intéresser à leur opinion politique, d'ailleurs je n'aurais pas eu le temps et j'aurais considéré cela comme du temps perdu.

SATIE - SINDING
Si Satie avait été Suédois et non Parisien, serait-il connu aujourd'hui? Il me paraît regrettable qu'à cette époque le microcosme parisien ait eu des prétentions d'universalisme. On peut se demander aussi à propos de Satie si son amitié avec Debussy n'a pas fait plus pour sa musique que ses qualités réellement musicales (s'il en a). Le snobisme a sans doute fait beaucoup pour lui. Cela dit, il ne s'agit que d'une remarque personnelle. Je regrette que les compositeurs nordiques n'aient pas toujours été considérés à leur juste valeur, notamment Berwald que vous évoquez. Il y a beaucoup de travail à faire pour leur promotion. Personnellement je signalerais le très beau concerto pour piano de Sinding (surtout le second mouvement), heureusement Sinding jouit déjà d'une ceertaine notoriété, mais moins que Sibelius.

STRAVINSKI - OEUVRES NÉO-CLASSIQUES
Le "Sacre du printemps", je trouve l'oeuvre d'une grande pauvreté thématique (c'est un avis personnel qu'on n'est pas obligé de partager. On a quand même le droit d'avoir une idée personnelle qui n'est pas la plus couramment admise. Je crois que Stravinski a compensé l'absence d'intérêt musical de l'oeuvre par l'effet de scandale. C'est toujours facile. En revanche, Pétrouchka comme plus grande oeuvre du vingtième siècle (si cette notion a un sens), pourquoi pas? J'ajouterai que les oeuvres du vingtième siècle qui ont eu le plus grand succès ne sont pas des oeuvres modernes mais des oeuvres "néo-classiques", on pourrait citer: "L'apprenti sorcier" de Dukas, l'"Adagio" de Giazotto (dit d'Albinoni), le "Concerto d'Aranjuez" (Rodrigo), les "Planètes" de Holst, "Sur un marché persan" de Ketelbey...

INTERPRÉTATION
Je pense personnellement en tant que mélomane que la partition représente la base d'une oeuvre, de telle sorte que, quelles que soient les interprétations, le message du compositeur transparaitra. En quelque sorte, une interprétation ne peut transformer une oeuvre médiocre en chef-d'oeuvre et inversement. Cette idée me paraît indispensable si l'on veut considérer que l'oeuvre possède une valeur intrinsèque due à sa thématique. Un bon thème reste un bon thème, quelles que soient les nuances d'interprétation, à condition bien sûr que la parrtition soit respectée, ce qu'on doit supposer. Pour ce qui est des oeuvres peu connues, il me semble que les interprètes possèdent des références en considération des caractéristiques stylistiques de la partition qui les renvoient à des oeuvres connues ou inconnues. Par exemple, vous me citez Nielsen, il me paraît s'inscrire (si j'en juge par ses symphonies "5" et "7", je ne connais pas les autres) dans le style du "Groupe des Six" bien qu'il évite le simplicisme outrancier, le mélodisme facile (parfois) d'un Milhaud. Il est en revanche plus incisif que Bartevian. Pour Stenhammar, on peut se référer dans une certaine mesure à Ravel (pour les concertos) ou à Pierné ou Cras (en ce qui concerne leurs oeuvres pour piano). Pour les oeuvres dites "modernes", l'établissement de tels rapport est peut-être plus difficile.

NIELSEN ET RAVEL
Personellement, je ne vois pas de relation entre la "5ème symphonie" de Nielsen et le "Bolero", d'autant plus que la 5ème de Nielsen n'est pas du tout une oeuvre rhapsodique alors que le Bolero utilise le rhapsodisme espagnol. Néanmoins, on ne peut l'affirmer absolument. Il est toujours difficile de voir des relations entre certaines oeuvres d'une manière absolue. Il est possible quelquefois que certains effets soient véhiculés d'une oeuvre à l'autre par l'intermédiaire de plusieurs autres oeuvres. C'est ce qui fait l'évoution de la musique, il est alors difficile sinon impossible de suivre l'intrication des influences. Certains effets thématiques font tache d'huile sans qu'on puisse retrouver l'original et même il n'y a pas d'original car il peut s'agir d'évolution très progressive du style. Ainsi en est-il, je pense, de l'évolution des oeuvres pour piano depuis le style galant jusqu'à Chopin en passant par Czerny, Hummel, Field... Je citerais un autre exemple sur lequel je ne peux non plus rien affirmer absolument. Il y a dans le premier mouvement du concerto pour violon de Tchaïkovski un grand crescendo du soliste très progressif, complexe et très construit, absolument magnifique à mon avis. Ce type de crescendo me paraît provenir de ceux des concertos n°1 et n°2 de Tchaïkovski lui-même, mais l'origine de ce type de crescendo très lyrique, très progressif me paraît se trouver dans les concertos de Paganini, écrits beaucoup plus tôt, lesquels renferment, à mon avis, une multitude de nouveauté sur le plan strictement musical (et non pas seulement instrumental), c'est-à-dire thématique. On ne peut évidemment affirmer qu'il s'agit de la source primitive.

MUSIQUE ATONALE
On pourrait discuter longtemps sur la musique "atonale". De nombreux ouvrages sont parus concernant cette polémique, notamment un ouvrage de Bernard Gavoty consacré uniquement à ce sujet inépuisable. En ce qui concerne le "Sacre", je pense que Stravinski a utilisé la notoriété qu'il avait acquise, à mon avis, très justement, grâce à "Petrouchka". Il faudrait ajouter aussi que Milhaud n'avait pas le culot et le sens médiatique de celui qui "marchait sur les pieds des dames" (Debussy dixit). Il faudrait dire aussi qu'il y a, selon les déclarations d'un compositeur (?) des oeuvres dont on parle et des oeuvres qu'on écoute, ce ne sont pas obligatoirement les mêmes. On parle beaucoup du "Sacre", mais l'écoute-t-on réellement beaucoup. Je ne sais pas, il faudrait une statistique sur les concerts pour le savoir. Je donnerais un autre exemple de ce hiatus entre les oeuvres réellement écoutées par le public mélomane (qui est un public spécifique, rappelons-le). Par exemple, Bach qui est encensé par les intellectuels est en réalité beaucoup moins écouté qu'on le croit par rapport à Vivaldi plutôt méprisé par ces mêmes intellectuels. Ont-ils raison ou non, c'est une autre question. J'ai eu l'occasion de constater ce divorce par une enquête personnelle auprès de 100 mélomanes, même si c'est un peu léger comme statistique, Même divorce entre la place accordée par les musicographes à Wagner par rapport à Verdi et l'importance réelle de ces compositeurs dans les concerts. Sur les rapports de la musique et de son public, nous sommes en fait assez ignorants.

KABALEVSKI SYMPHONIE n°2
Cette symphonie, à mon avis une des plus belles parmi les oeuvres du 20ème siècle, est caractéristique du style fortement classicisant de Kabalevski, mais aussi du nouveau style expressionniste russe qu'il a contribué à imposer avec Christoff, Khatchaturian, Galynine, Novak, Chostakovitch... Dans les trois premiers mouvements, le compositeur a intégré des influences aussi contradictoires que celles de Tchaïkovski d'une part, Rimski et Stravinski d'autre part. Le premier mouvement ne recèle aucune influence du "Groupe des Six", contrairement au "Printemps", à l'"Ouverture pathétique" et aux concertos pour piano et pour violon du compositeur. Par ses sonorités sourdes, étouffées, ses stridences, le mouvement évoque plus particulièrement l'esthétique de la "Pathétique" de Tchaïkovski avec cependant une rutilance orchestrale plus prononcée, et Kabalevski réalise une utilisation magistrale du spectre instrumental. Le second mouvement, plus mélodique, suggère une atmosphère désolée où régne une angoisse pesante. On remarquera une reprise sublime du thème principal sur un ostinato de trompette. Le troisième mouvement, plus rimskien, très dense, révèle une science inégalée des sonorités, les registres instrumentaux s'y succèdent avec une étonnante virtuosité. L'on y retrouve, omniprésentes, les sonorités "déliquescentes" de "Fatum" et du "Voïevode" (Tchaïkovski) ainsi qu'un thème plus rythmé évoquant la "Fête de la semaine grasse" de Pétrouchka (Stravinski). C'est dans le quatrième mouvement que se révèle l'originalité du génie de Kabalevski. Le long thème développé par les cordes en tutti, qui semble nous introduire dans l'antichambre de la mort, et nous transporte en des terres ignorées où règne une angoisse indéfinissable. Sur le plan thématique, la symphonie est largement traversé par un rhapsodisme puissant. On pourrait dire que toute la musique russe se trouve condensée dans cette oeuvre magnifique.

BARTEVIAN
De Bartevian, je possède un enregistrement comprenant notamment "Rhapsodie caucasienne", une forêt en décembre"... Le style symphonique de Bartevian, "bucolique" en fait assez peu rhapsodique, même dans sa "Rhapsodie caucasienne" est peu contrasté, peu lyrique. Cette relative timidité orchestrale rappellerait le Fauré de "Pelleas et Mélisande" (en plus cuivré cependant), la suite "Dimanche matin" (de Massenet il me semble). Pour ce qui est de sa biographie, la pochette de l'enregistrement, très avavre de renseignements, signale qu'il a subi (c'est bien le mot à mon avis) l'enseignement de Franck à la Schola Cantorum. Je suppose qu'il est caucasien. Cela dit, ces oeuvres, agréables à écouter, ne m'ont pas paru transcendantes. Il a écrit beaucoup de mélodies pour voix et choeurs.

MUSIQUE ATONALE OEUVRES NÉO-CLASSIQUES
Si ces oeuvres (l'"Adagio" d'Albinoni-Giazotto et le "Concerto de Aranjuez de Rodrigo") vous donnent des boutons et des crises d'urticaire, c'est peut-être que leur succes au XXème siècle vous fait trop bien voir l'échec patent de la musique "moderne" qui n'a pas réussi à imposer une seule oeuvre auprès du public mélomane. Ces dernières oeuvres s'imposent artificiellement au concert uniquement par le biais de la subvention ou bien comme concert obligatoire pour les étudiants ou encore en alternant des oeuvres classiques et des modernes. On prend ainsi le public en otage. Si vous êtes aussi allergiques aux oeuvres classicisantes que j'ai cités, je me demande comment vous pouvez apprécier Beethoven, Mozart et les autres compositeurs des siècles passés. Pour ma part, je n'ai pas la prétention d'être un intellectuel au-dessus du public.

OEUVRES CONNUES
Je ne peux que vous approuver. Ce n'est pas parce qu'une oeuvre est rebattue qu'elle est forcément mauvaise, et réciproquement. Le dénigrement des oeuvres très connues me paraît quelquefois relever du snobisme. Les relations entre la notoriété d'une oeuvre et sa valeur sont certainement très complexes de sorte qu'il n'y a pas d'absolu. En général, pour ma part (mais c'est personnel), je constate que les oeuvres qui ont marqué le public me plaisent, qu'elles soient ou non aujourd'hui connues. Par exemple, une des meilleures oeuvres pour piano et orchestre que j'ai entendu est le "Konzertstück" de Cécile Chaminade. Or, j'ai découvert plus tard dans les critiques de Romain de Rolland que cette oeuvre lors de sa création avait obtenu un succes considérable. Je déclarerais aussi que pour moi la meilleure pièce pour piano de Beethoven est "La lettre à Élise". Je l'écoute toujours avec beaucoup d'émotion, de même pour "Tristesse" de Chopin. Les mélomanes supérieurs vont peut-être me plaindre, mais je n'y peut rien.

MUSIQUE FACILE - RACHMANINOV - GOTTSCHALK
Il me paraît toujours difficile d'affirmer que certains compositeurs créent du fast-food et d'autres du Bocuse (pour reprendre votre comparaison), car ce qui est qualifié de Bocuse pour les uns est traité de fast-food par les autres et inversement. Personnellement, je ne pense pas que la musique de Rachmaninov soit du fast-food, il me paraît atteindre une subtilité, une complexité, une densité rares dans certaines oeuvres, notamment le fameux "Concerto n°2" pour piano et notamment le second mouvement. On peut trouver, il est vrai, de la musique "facile" chez certains compositeurs, mais il peut y avoir des différences considérables d'une oeuvre à l'autre. Par exemple, je pense que Louis Moreau Gottschalk a atteint le niveau musical le plus élevé avec sa fantaisie pour piano "Le cocotier", en revanche, sa Symphonie "Les tropiques" me paraît relever de la musique facile pour ne pas dire plus. On pourrait constater la même différence à propos de Gershwin selon les oeuvres. Mais un compositeur démérite-t-il lorsqu'il écrit parfois de la musique facile? J'oserais dire que Bach aussi a écrit de la musique facile (les concertos brandebourgeois à mon avis), mais naturellement dans ce cas les Intellectuels vont toujours ensencer ces oeuvres et y trouver la marque d'un génie supérieur.

PERCEPTION INTUITIVE ET THÉORIQUE DE LA MUSIQUE
Prétendre qu'il faut avoir étudié l'harmonie et le contrepoint pour apprécier la musique, quelle horreur! Quelle horreur aussi ces gens qui préconisent que l'on suive sur la partition pendant le concert! Un auteur a fait remarquer: "les traités d'harmonie s'appuient sur Mozart et Haydn qui à leur époque, n'avaient jamais entendu parler de traité d'harmonie." Si on élargit cette idée, il faudrait connaître sa grammaire pour apprécier Victor Hugo. Pour ma part, j'ai oublié ma grammaire depuis longtemps, cela ne m'empêche pas d'écrire français. Il ne faut pas confondre la connaissance théorique et la perception intuitive. Or, ce qui fait parvenir à l'émotion, ce n'est pas la connaissance théorique, il me semble plutôt qu'elle en détourne.

OEUVRES RARES
Oui, les concerts de raretés ne sont peut-être pas toujours excellents car il y a beaucoup de risques, mais je crois qu'il faut les prendre. Ce que je regrette, c'est que les raretés choisies appartiennent générallement à un passé trop éloigné, des bizarreries du 16e, voire avant. On considère peut-être que ces compositeurs sont suffisamment loin et que cet éloignement leur confère une certaine authenticité historique. Je regrette que les nouveautés portent beaucoup plus rarement sur les compositeurs du XIXème siècle, peut-être les trouvons-nous suspects car ils ne sont pas assez loin de nous. Ce n'est pas un hasard si Giazotto a fait passer son célèbre "Adagio" sous le nom d'un compositeur du 18e siècle. Et je regrette particulièrement qu'on ne redécouvre pas les virtuoses compositeurs qui, à mon avis, ont subi plus que les autres un oubli injustifié par suite du dénigrement et peut-être de la jalousie des musicographes à l'égard de la virtuosité. Je pense aux premiers pianistes-compositeurs, Heller, Hiller, Ravina, Steibelt...

ADAGIO D'ALBINONI-GIAZOTTO
Si une oeuvre telle que l'"Adagio" de Giazotto vous insupporte alors que l'ensemble du public mélonane l'apprécie, c'est apparamment que vous n'avez pas le même sens musical que les autres. Peut-être avez-vous un sens musical supérieur. Vous prétendez que cette oeuvre est vide de sens, ce n'est pas mon avis, je la trouve particulièrement émouvante, subtile et riche. Mais on se demande si pour vous une bonne oeuvre est justement une oeuvre qui n'est pas émouvante. Je ne crois pas comme vous le dites que le public au concert suporte cette oeuvre car les ventes chez les disquaires démontrent amplement le contraire. Vous n'avez pas la prétention d'être au-dessus du public, dites-vous, mais vous affirmez cependant que le public se complait à écouter des oeuvres qui vous paraissent superficielles et vides. Je ne vois pas par quelle dialectique vous pouvez vous tirer de cette contradiction. Quand aux subventions, ne me faites pas croire que Boulez peut maintenir l'IRCAM sans bénéficier de la manne étatique. Il n'est pas le seul, c'est vrai. J'ajouterai aussi que très souvent les professeurs de conservatoire en classe instrumentale obligent les élèves à jouer des oeuvres "modernes" parmi des oeuvres "classiques", ce qu'ils ne choisiraient certainement pas d'eux-mêmes. Le résultat me paraît de déprécier l'image de la musique auprès des parents, qui saisissent parfaitement la marginalisation dans laquelle est tombée la musique dite "moderne".

APPROCHE INTIUITIVE ET THÉORIQUE
Merci de me taxer d'intellectuel, bien que cela, vous le supposez, ne m'enthousiasme pas particulièrement. Je voulais dire qu'un jugement critique en musique ne doit pas s'établir à partir de critères intellectualistes, mais intuitifs. Si l'intellectualisme peut, et même doit intervenir, il le doit a posteriori. Pratiquement je veux dire: à l'écoute d'une oeuvre j'apprécie tel ou tel thème qui me donne du plaisir à l'écoute, mais il s'agit d'une impression indépendante de critères intellectuels. Je peux ensuite m'interroger éventuellemnt en alalysant l'oeuvre pour tenter d'expliquer l'origine de mon impression. C'est une autre démarche. Toujours la phase intellectuelle, à mon avis, doit être assujettie à l'impression. Il me paraît impossible de déduire la valeur d'une oeuvre par constatation a priori de prétendues complexités ou subtilités que l'on découvrirait par l'analyse. Par exemple, ce n'est pas parce qu'on a découvert dans certaines partitions de Bach des algorithmes mathématiques qu'on a prouvé la valeur de ces partitions. Personne n'avoue expressément ce type de raisonnement, mais il est souvent contenu implicitement, à mon avis de manière fallacieuse, dans certains discours musicologiques. Mais j'arrête là sur Bach car on va me reprocher de faire une fixation.

PERCEPTION INTUITIVE - CRITIQUE MUSICALE
Je voudrais affirmer que je ne prétends nullement être un intellectuel, même dans le bon sens du terme. Il me semble que le plaisir musical, et par suite le jugement que l'on peut porter sur une oeuvre ne peut en aucun cas faire intervenir l'aspect intellectuel, c'est uniquement l'activité émotionnelle qui intervient. En revanche, faire oeuvre de musicologie, c'est aller effectivement plus loin que l'appréciation de l'oeuvre. Je ne prétend nullement pour ma part être un musicologue, ce qui implique des qualités et des connaissances que je ne possède pas dans tous les domaines de la musique. Ce que j'essaie, c'est d'exercer une activité de critique. La critique me paraît en même temps l'activité la plus facile et la plus difficile. La plus facile car il suffit d'écouter la musique et de rendre compte de sa perception. La plus difficile car il n'est pas si simple de prendre conscience de sa propre prerception. Combien d'intellectuels déclarent que Bach (toujours ma fixation) est leur compositeur préféré et ne se rendent pas compte qu'en fait ils s'ennuient en écoutant du Bach. Il y a souvent une distorsion importante entre la réalité de notre perception et ce que nous déclarons. D'autre part, il est toujours difficile de faire abstraction de ses parti-pris. La critique musicale, à mon avis, doit s'appuyer sur une étique très rigoureuse, c'est ce que je tente de faire depuis plus de vingt ans. Toute composition jugée doit être considérée comme si elle avait été composée par le compositeur "X" dont on ne considérera ni la biographie, ni les idées. La date de composition de l'oeuvre, qui est une donnée extra-musicale, ne doit en aucun cas intervenir . Pour être un bon critique musical, il faudrait dans l'idéal ne rien savoir. Ceci n'étant pas possible, il faut tâcher d'oublier ce que l'on sait pour retrouver une perception vierge et se trouver toujours dans une disposition positive vis-à-vis de l'oeuvre que l'on découvre. Je ne prétend pas n'avoir aucun parti-pris, nous en avons tous, mais j'essaie de suivre l'étique que j'ai posée. Je propose d'ailleurs à qui voudra de tenter de récouter l'"Adagio" d'Albinoni en faisant table rase de tout (5 à 10 écoutes), de mon côté j'accepte d'écouter une oeuvre "moderne" qu'on me proposerait dans les même conditions, et nous tâcherons de donner un avis le plus objectif possible. En fait, j'ai déjà écouté des centaines d'oeuvres "modernes" dans ces conditions en espérant à chaque fois découvrir une oeuvre intéressante, maintenant je n'espère plus.

SYMPHONIE DES TROPIQUES GOTTSCHALK - OEUVRE FACILE
Quelle que soit mon indulgence vis-à-vis de la musique "légère" et quelle que soit mon admiration pour Gottschalk (et elle est grande), je ne peux absolument pas considérer comme estimable la "Symphonie des tropiques" de Gottschalk. C'est aller trop loin. Si le compositeur avait intitulé cette "oeuvre" "Divertissement de concert" ou à la rigueur "Fantaisie" ou "Caprice", cela aurait pu paraître concevable. Ce que je reproche surtout à Gottschalk, c'est d'avoir utilisé un nom pour une composition qui n'en a pas l'éthique. Car cette oeuvre me paraît vraiment indigente. Je passerai sans problème sur les valses comme "Pasquinade" ou "Ojos criollos" dans lesquelles Gottschalk utilise le folklore afro-cubain d'une manière très libre. Je ne voudrais pas, d'autre part, accréditer l'idée selon laquelle une oeuvre devenue "populaire" est en fait facile. Ce n'est pas le cas, il me semble, de "Tristesse (Chopin). Dans cette pièce, ne considérons pas la partie centrale, très complexe, qui n'est sans doute pour rien dans la popularité de l'oeuvre, considérons la mélodie. Elle me paraît d'un style très élevé, d'un sentiment particulièrement noble. Mais certains ont tendance à considérer, il me semble, qu'à partir du moment où une oeuvre met en jeu l'émotivité, elle est vulgaire. Je voudrais dire aussi que les plus grands génies peuvent avoir des égarements. Il y a des facilités chez Mozart, des vulgarités chez Beethoven. On leur pardonnera en considération de ce qu'ils nous ont donné. Que voulez-vous, ces compositeurs ne peuvent pas se maintenir toujours dans les hauteurs inaccessibles où se meuvent les Jolas, Ligeti et autres Nono.

APPROCHE INTUITIVE ET APPROCHE INTELLECTUELLE
Contrairement à ce que vous affirmez, je ne crois pas que l'absence d'intervention de l'intellect dans l'appréciation de la musique (ce qui est ma conviction) entraîne automatiquement que toute analyse a posteriori soit sans intérêt, et donc que l'étude intellectuelle soit à bannir. On peut légitimement réfléchir sur la musique, l'analyser avec les outils intellectuels, la disséquer à condition de ne pas confondre les démarches comme je l'ai déjà dit, c'est-à-dire ne pas déduire induement qu'une oeuvre possède une valeur à partir d'une analyse intellectuelle. En littérature également, on peut parfaitement admettre la linguistique sans pour autant l'utiliser pour expliquer que "Notre-Dame-de-Paris" de Victor Hugo est un chef-d'oeuvre. Dans ce sens, je ne suis pas du tout opposé à l'analyse harmonique, elle représente pour moi une science intéressante, à condition que les analystes n'en tirent pas argument pour élire induement des oeuvres comme chef-d'oeuvre (c'est ce qu'ils font malheureusement à longueur d'ouvrage) et là, en général, je crois qu'il ont tout faux. Ils cpntribuent ainsi plutôt à la méconnaissance du génie et à l'ignorance des véritables chefs-d'oeuvre. Est-ce que notre jugement évolue avec notre expérience d'audition de la musique? C'est la problématique que vous posez. Je ne vois pas de réponse absolue à cette question, mais je pense que dans l'évolution de notre goût musical (s'il existe), l'intellect pur n'a pas un rôle fondamental, c'est peut-être notre sensibilité qui évolue.

CRITIQUE MUSICALE - INTELLECTUELS ET SNOBISME
Je ne vous envoie aucune pierre au contraire, bien que je ne connaisse pas certaines oeuvres que vous citez et ne puisse donc formuler d'opinion. Un membre de notre liste déclarait qu'il préférait ne jamais dire ses aversions, mais uniquement parler des oeuvres qu'il appréciait. C'est une prise de position élégante, cependant je ne l'approuve pas car je crois que certaines oeuvres et compositeurs se sont souvent imposés par suite du snobisme et de l'idéologie (lato sensu) et qu'il faut les condamner. Dans ce cas, il me paraît légitime de signifier la mauvaise opinion que nous pouvons avoir de ces oeuvres (j'ai déjà cité Satie, je pourrais rajouter Malher). Je ferais remarquer que contrairement à ce qu'on pourrait croire, les Intellectuels ne sont pas insensibles à la mode et au snobisme, ils y sont même à mon avis plus sensibles que les autres. Je me demande parfois si toute les historiographies ne sont pas le reflet de la mode ou tout au moins de l'idéologie musicale plus que de véritables histoires de la musique, qui restent à écrire.

MUSIQUE LEGERE - SYMPHONIE DES TROPIQUES GOTTSCHALK
Ce que je reproche à l'oeuvre (la "Symphonie des tropiques" de Gotschalk) est sans rapport avec sa structure, comme vous l'avez justement deviné, c'est tout simplement son caractère trop affirmé de "musique légère" qui, en plus, ne s'accorde pas au titre de symphonie, appelation qui implique pour moi la recherche d'un certain pathétisme. En comparaison, je préfère de beaucoup la "Tarentelle" de Gottschalk, c'est aussi de la "musique légère", mais elle me paraît moins indigente. Pour revenir à la symphonie des Tropiques, en fait, l'appelation de symphonie n'influe nullement sur l'opinion que j'en ai, en revanche, elle influe sur le jugement que j'ai sur Gottschalk lorsqu'il écrivit cette oeuvre. Je lui reproche d'avoir donné un titre à l'oeuvre qui prête à confusion. D'une manière générale, certains types de compositions s'accomodent plus facilement à la caractéristique de "légèreté", par exemple les oeuvres inspirées de la musique folklorique. Je citerai le "Concerto Petites soeurs de la prairie pour pipa et orchestre" de Wu Tsu-chiang. Il s'agit bien de musique légère, mais le contenu rhapsodique et l'appelation de concerto ne déparent pas. Pour Wu, je signale quand même qu'il a écrit des oeuvres de plus grande envergure, notamment ses pièces pour piano qui sont d'une autre tenue. Il existe à mon avis un autre type de musique proche de la "musique légère", que j'appellerai la musique simple, par exemple de nombreuses pièces pour piano dans le style galant de la seconde moitié du dix-huitième siècle et les pièces faciles pour la pédagogie, ce qui n'exclut pas la valeur de certaines. Par exemple je citerai les "Pièces faciles" pour piano et guitare de Diabelli et celles de Mertz. Leurs thèmes sont ultrasimples et pourtant d'une "efficacité" musicale extraordinaire. Tout le monde connaît (je veux dire ceux qui ont fait un peu de piano) ces pièces dans le même genre que l'on trouve dans les fameux "Classiques favoris", les pièces de Kulhau, Steibelt, Cramer, Kozeluch... On pourrait citer aussi "la petite Edwide" de Classens, les "Echos de la forêt" de Rosa et le "Songe d'amour après le bal" de Czibulka, une étonnante petite pièce simple qui imite le piano mécanique et qui est empreinte d'une nostalgie très profonde. Comment peut-on juger toutes ces oeuvres par rapport aux grands oeuvres lyriques comme les Polonaises de Chopin par exemple ou les symphonies de Beethoven par exemple? Elles sont toutes de la musique, mais est-ce que la comparaison est possible?

MUSIQUE MODERNE - LA MUSIQUE ET SON PUBLIC
Je ne saurais répondre à tous les arguments de votre message très dense. En ce qui concerne la musique atonale, je remarquerais que si des noms comme Schoenberg ou Bartok sont devenus familiers aujourd'hui, c'est par suite de l'activité des historiographes qui les ont imposés grâce à l'audience dont ils bénéficient auprès des médias, notamment l'édition d'ouvrages. Mais n'est-ce pas un phénomène artificiel? Quelle est la réalité de l'impact de Schoenberg ou Bartok sur le public? Pour le savoir, il faudrait consulter les chiffres de ventes d'enregistrements de l'édition discographique. Je ne connais pas ces chiffres, mais je pense qu'ils seraient significatifs. Il faudrait également soustraire l'impact des médias qui ont artificiellement contribué, à mon avis, à augmenter les ventes sans que le pourcenage de satisfaction soit important. Il faudrait savoir précisément combien d'auditeurs rachètent un 2ème enregistrement de ces compositeurs après en avoir écouté un. N'oublions pas qu'il y a un hiatus important entre les compositeurs dont on parle et ceux que l'on écoute réellement. La parlotte des intellectuels fait ressortir certains compositeurs qui, en réalité, sont peu écoutés, mais le phénomène passe inaperçu. La réalité des rapports entre le public et la musique reste à étudier sérieusement.

OEUVRES RARES - CONCERTOS DE DE BÉRIOT, NIELSEN
En ce qui concerne les oeuvres rares, je vous approuve, j'ai personnellement découvert des oeuvres peu connues que je considère comme majeures, autant que celles sui sont très connues. Je citerai par exemple le "Concerto pour violon et orchestre n°2" de Charles de Bériot. Ce compositeur, malheureusement, n'est connu que des violonistes. Le concerto pour violon de Nielsen, je ne l'ai jamais apprécié, je le trouve monocorde, sans relief, très statique. Ce n'est évidemment pas une raison de ne pas rejouer des partitions rares. A mon avis une une sur deux environ se révèle intéressante environ.

HISTOIRES DE LA MUSIQUE
Oui, je n'ai pas autant étudié que vous une période précise de l'histoire de la musique, ni un sujet aussi topique, mais, par le peu que j'ai fait, je me suis rendu compte que si l'on fouille un sujet on s'aperçoit vite de la différence considérable qui existe entre la réalité et ce qu'en disent les historiographes, notamment les compilateurs. C'est la raison pour laquelle je fais beaucoup plus confiance aux musicologues spécialisés qui au moins connaissent leur sujet plutôt qu'aux "généralistes" qui ne font souvent que projeter leur propre philosophie dans leurs écrits.

NOTORIETE DES OEUVRES ET VENTE D'ENREGISTREMENT
Ce que vous dites à propos des médias me paraît malheureusement juste. C'est d'autant plus paradoxal lorsqu'on compare deux oeuvres comme les "Variations Goldberg" et "Schéhérazade", qui pour moi est une véritable splendeur, le sommet du symphonisme. Il n'est pas cependant certain qu'au total les chiffres de vente d'enregistrement soient à l'avantage des "Variations Goldberg". Il y a quelquefois des oeuvres dont on parle peu, que tout lemonde méprise, mais qui en réalité font leur chemin. Regardez la "Grande fantaisie zoologique" de Saint-Saëns qui fait toujours recette. Que de fiel pourtant a-t-on déversé sur ce cher Camille depuis le début du siècle. J'ai noté à ce sujet quelques pages tirées de certains ouvrages qui ne sont vraiment pas piquées des vers et que je vous soumettrais peut-être quelque jour.

OEUVRE ET COMPOSITEUR - BACH GRANDE TOCCATA BWV 565
Je n'ai pas été bien compris, je parle de 5 à 10 écoutes au total qui ne sont jamais consécutives, par exemple dans un laps de temps d'une quinzaine de jours, c'est tout différent. Lorsque je découvre une oeuvre qui m'enchante, je peux l'écouter plus de vingt fois sans parvenir à satiété. Pour ce qui concerne Bach, j'approuve entièrement ce que vous dites à propos des "Variations Goldberg". Je crois qu'il faut toujours considérer l'oeuvre et non pas le compoçsiteur. Une oeuvre telle que la "Grande toccata" (BWV565) me paraît sublime, très lyrique, elle revêt un style d'ailleurs très différent du style habituel de Bach. Ce que je voudrais dénoncer, ce n'est pas tellement Bach lui-même, mais ce culte de Bach qu'entretiennent les Intellectuels. Jetez un coup d'oeil dans les "histoire de la musique", vous verrez. Il est courant qu'ils consacrent 40 pages à Bach et une demi page à Saint-Saëns, une demi-page à Rimski, quelques pages à Liszt.

RIMSKI - GRANDE TOCCATA BWV565 - RESPIGHI - CARMINA BURANA ORF
Je vous approuve pour Carmina burana, bien que ce soit dangereux de l'affirmer et pour la fameuse "Grande Toccata et fugue" de Bach, une oeuvre dont les effets sont parfois presque impressionnistes. Je suis plus réservé pour les fêtes romaines de Respighi. Son orchestration, bien qu'assez cuivrée évite le caractère par trop bruyant et éclatant des productions du "Groupe des Six", mais je crois que Respighi n'a pas très bien retenu la leçon de son maître Rimski et c'est dommage. Ce qu'on prend pour un progrès me paraît être un retour en arrière. Mais comment dépasser Rimski dans l'art symphonique?

WIKLUND - STENHAMMAR - ATTERBERG - NYSTROËM
Je voudrais cependant signaler mon admiration pour les 2 concertos pour piano de Wiklund. Si le style de ce compositeur, plutôt germanisant, réfère à Brahms ou Reger,(à mon avis), il fait preuve d'un tempérament plus original et coloré. Son pianisme, parfois, heurté, manque de souplesse, mais il traduit parfois, notamment dans les mouvements lents une grande émotivité. Stenhammar me séduit moins. Son style, dense, me paraît plus proche de Pierné en ce qui concerne ses oeuvres pour piano. Je ne connais pas ses symphonies. Je le trouve parfois confus. Quant à Atterberg, Nystroëm, si mes souvenirs sont bons, je les classerais plutôt parmi les "modernes" au sens large du terme, en tous cas parmi les compositeurs dont les oeuvres ne présentent pas un contenu thématique bien défini. Ce qui me paraît caractéristique chez ces compositeurs suédois, c'est qu'on n'y trouve, au moins dans les oeuvres que je connais, nulle trace du rhapsodisme slavisant qu'on rencontre chez les compositeurs des autres pays nordiques: un Sibelius, un Sinding, un Grieg par exemple.

PERCY GRAINGER
Dans le même genre gallois, écossais, irlandais, je conseillerais les oeuvres pour piano de Percy Grainger. Ses titres sont presque toujours présentés comme des adaptations ou transcriptions pianistiques de mélodies écossaires,irlandaises... En considération de son écriture pianistique très virtuose, je soupçonne fort que cette présentation ne soit qu'un prétexte. En tous cas, ce sont souvent à mon avis d'excellentes pièces, je conseille "Spoon river" notamment, "In dahomey", les autres pièces ont des noms trop compliqués pour que je m'en souvienne. Percy me semble avoir moins d'envergure que Gottschalk ou Macdowell, et il a moins produit. Il a cependant écrit, à mon avis, des pages d'une grande subtilité.

REMISE EN CAUSE DE BACH
Pour ma part, j'évoquerais non pas un aphorisme frappant, mais une remise en cause de Bach réalisée par un musicologue spécialisé, Handschin. Ce musicologue analyse les facteurs du culte de Bach, relevant notamment au départ, selon lui, du nationalisme germanique tel qu'il s'exprime chez Nicolas Forkel. Je ne partage pas entièrement cette opinion. Je crois que le culte de Bach a été imposé par les intellectuels et les traditionnalistes tout au long du XIXème siècle en réaction contre une musique véhiculant une réelle émotion. Ce musicologue rapporte également les problèmes d'attribution douteuse concernant certaines oeuvres de Bach et dont on s'aperçoit aujourd'hui qu'elles ne sont que des recopies ou transcriptions d'oeuvres contemporaines retrouvées dans diverses bibliothèques. L'exemple le plus significatif est celui des concertos pour clavecin et orchestre qui sont en réalité de Vivaldi. J'ai à ce sujet une anecdote personnelle. J'avais emprunté à ma médiathèque un CD de pièces pour orgue de Bach. Toutes ces pièces me parurent d'un intérêt limité, sauf une qui m'a paru absolument géniale. En lisant le texte de présentation des oeuvres (ce que je ne fais jamais avant de les écouter), je m'aperçus que cette pièce était la transcription d'une ouvre pour violon de Vivaldi!

RHAPSODISME - FALLA - SIBELIUS - SARASATE - SAINT-SAENS
Ce message m'intéresse beaucoup car je suis passionné de musique rhapsodique, notamment russe. Je pense que tous les pays que vous citez, depuis les pays nordiques jusqu'aux pays de l'Est ont tous une musique portant une marque rhapsodique très forte, en revanche, je ne pense pas que chacun de ces pays se distinguent assez peu l'un de lautre de ce point de vue. En effet, il me paraît clair, pour prendre l'exemple de Sibelius ou Grieg, ou encore Nielsen que, dans son essence, le rhapsodisme des pays nordiques s'apparente à celui des pays de l'Est, lequel n'est pas fondamentalement différent du rhapsodisme russe. C'est peut-être plus une question de degré que de spécificité. Certaines tours mélodiques propres au rhapsodisme russe se retrouvent dans la musique nordique, mais pas tous. J'irai même plus loin, il y a de nombreuses particularités qui sont communes au rhapsodisme russe et au rhapsodisme ibérique, de sorte qu'à la fin du XIXème siècle, il n'y a presque plus de différence. Je donnerais comme exemple de ce syncrétisme rhapsodique, le "Concerto n°3" pour piano de Saint-Saëns (qui par son titre ne se réfère à aucun rhapsodisme contrairement au "5" d'ailleurs). On peut aussi observer le phénomène de convergence dans le fameux "Capriccio espagnol" de Rimski et les non moins fameux "Zigenerweisen" de Sarasate.

RHAPSODISME - GERSHWIN
"I got rythms" ne me paraît pas personnellement du bon Gershwin. J'ai l'impresison que dans le "concerto en fa", Gershwin a utilisé tout ce qu'il y avait de positif dans la musique américaine et dans "I got rythms" tout ce qu'il y a de négatif, une sorte de dynamique perpétuelle, l'absence de thématique. De plus, cette oeuvre me paraît très confuse. Mais un compositeur, il est vrai, ne peut incessamment écrire des chef-d'oeuvres.

RHAPSODISME GERSHWIN FALLA
Je pense qu'on ne peut pas être en même temps moderne et rhapsodique. Par exemple, Falla est très rhapsodique dans les "Nuits dans les jardins d'Espagne" de style impressionniste (et même wagnérien parfois), en revanche, il n'est plus du tout rhapsodique dans le "Concerto pour clavecin" qui est moderne. On pourrait en dire autant de Stravinski entre "Pétrouchka" et le "Sacre", j'ajouterai cruellement que le style de Stravinski devient alors impersonnel et ressemble à celui de tous les compositeurs "modernes". Il est sans doute permis cependant de renouveler le style rhapsodique, de lui conférer une originalité nouvelle. Dans cette voie je crois que c'est Kodaly qui a le mieux réussi. Il me paraît atteindre des effets fascinants dans "Hary Janos", que l'on pourrait qualifier de "moderne" sans qu'il n'y ait aucune tendance à l'atonalisme.

BRUCH
j'avoue que Bruch m'a rarement séduit, sauf dans la "Fantaisie écossaise" pour violon et orchestre. Je le trouve souvent ennuyeux, incapable de communiquer à une oeuvre la moindre incisivité. On dirait qu'il veut manifeter la volonté de paraître terne. Il y parvient effectivement. Pourquoi s'obstine-t-on autant à rejouer Bruch alors qu'il y a tant d'autres grands violonistes-compositeurs qui me semblent largement le surpasser. Je citerai bien sûr Vieuxtemps, mais aussi Léonard, Viotti, Sarasate, Wieniawski, bref tous les compositeurs que connaît parfaitement tout violoniste, mais qu'ignorent totalement les pianistes par exemple, alors que nul violoniste n'ignore Chopin ou Liszt. Il y a encore beaucoup à faire pour la reconnaissance du répertoire spécifique du violon par le grand public.

PROKOFIEV PHOTOGRAPHIE
Concernant les compositeurs morts avant l'invention de la photographie, je crois qu'il faut distinguer leur physique objectif et le portrait qu'en ont fait les artistes. Ces portraits ne sont-ils pas plutôt l'image de l'impression qu'a produite le compositeur par tout son comportement, et peut-être encore plus par sa renommée et le caractère qu'on lui prêtre. Concernant les compositeurs dont on possède une photographie, je vois un cas où le physique me paraît refléter le style du compositeur, c'est celui de Prokofiev. On a dit de lui qu'il ressemblait plus à un ingénieur qu'à un musicien. Son air froid, doctoral, son visage glabre, son regard d'acier ne traduisent certainement pas les affres de la souffrance et les tourments de la sentimentalité. Quel contraste avec le visage angoissé de Tchaïkovski. Mais, j'affirme cela car je connais conjointement le portrait de l'homme et sa musique. Qu'en serait-il si je ne connaissais pas leurs oeuvres?

RHAPSODISME MARTINU KODALY
En ce qui concerne Martinu, je ne vois évidemment aucune marque rhapsodique tchèque dans ses concertos, je ne vois même pas de musique du tout dans ces oeuvres. Les oeuvres de Bartok dans leur ensemble ne me paraissent pas en recéler plus, bien que dans sa jeunesse il a commis une pièce pour piano "Nostalgie", réellement rhapsodique et, selon mon goût, fort belle. Il eût mieux fait, à mon avis, de cultiver ce style. Cette trahison musicale lui a permis, il faut le constater, de ravir la notoriété à son collègue Kodaly qui, pour moi, est un authentique grand compositeur et pas seulement un "flokloriste" comme on dit, terme qui m'insupporte assez. Les "Marossek dances", c'est pour moi un chef-d'oeuvre lumineux.

MUSIQUE SOVIÉTIQUE
Ce qui me paraît remarquable dans la musique des pays de l'Est pendant la période soviétique, c'est que l'on rencontre aussi bien des modernes comme Tchédrine, Boucouréliev, Molossov... que des néo-classiques comme Glazounov ou Kabalevski , Khatchaturian, Bartevian ou même Taktakichvili. Je n'ai pas de statistiques, mais je ne serais pas étonné que les modernes dominent en nombre. Malgré la désappobation des autorités contre la musique atonale, le courant moderne est resté très important pendant la période soviétique, ce qui semble montrer que l'impact de l'idéologie sur la musique n'a pas été aussi important qu'on veut bien le croire. D'autre part, on remarquera que les Soviétiques, d'une manière générale, ont tout fait pour développer une conception très aristocratique de l'art en favorisant la musique classique, la danse classique et en condamnant le rock.

VIOTTI - VIEUXTEMPS - SARASATE
A propos de Viotti, je vous conseille d'écouter le "Concerto n°24" et le "16". Je crois que le "22" donne du compositeur une mauvaise image et c'est malheureusement celui que l'on connaît souvent. Pour ce qui est de Vieuxtemps, je le considère comme un des plus grands génies. Ecoutez la "Fantasia appasionata", le "Concerto n°1", le "2", le "4" notamment. Quelle frénésie romantique. Il y a chez Vieuxtemps des instants miraculeux où l'âme donne l'impression de s'apitoyer sur elle-même et cherche à s'élever vers l'éther. Vieuxtemps a réussi une fusion unique entre le style violonistique paganinien et le style symphonique berliozien. De Wieniawski, j'admire surtout le "1" qui mme paraît meilleur que le "2", mais il ne faut pas oublier la magnifique "Concert-polonaise". De Sarasate, il y a évidemment les fameux "Zigenerweisen", mais aussi les "Danses espagnoles". On ne peut manquer d'être envoûté par une telle musique. Dans "Playera", Sarasate atteint la transcendance. J'espère que ce plaidoyer incitera quelques membres à écouter ou réécouter ces oeuvres.

NEOCLASSIQUES - GLAZOUNOV - RACHMANINOV - RODRIGO
Vraiment d'accord pour cette liste comprenant notamment "Les saisons" de Glazounov. Du grand art néo-classique. On pourrait aussi ajouter "Scène dansante" qui est une oeuvre d'un grand raffinement. C'est bien ce que je disais: les plus grandes oeuvres du XXème siècle sont des oeuvres néo-classiques. J'approuve pour Rimski qu'on cherche à oublier, pour Massenet sur lequel on a jeté beaucoup de fiel (son concerto pour piano me paraît sublime et pourtant ce n'est pas son genre de prédilection), pour Rodrigo, on pourrait ajouter toute son oeuvre pour piano, Je serais plus sceptique pour Falla qui a cherché un modernisme sans toujours le trouver. Le "Tricorne" ne me paraît pas son chef-d'oeuvre, mais plutôt les "Nuits", quand au "Concierto pour clavecin", c'est du moderne, mais c'est pour moi une oeuvre sans intérêt. Rachmaninov dépasse le néo-classicisme pur dans son magnifique "Concerto n°2, il ne me paraît pas toujours estimable dans ses pièces pour piano, qui ont les défauts de ses qualités...

KORNGOLD - BARBER - ATHÉMATISME
Je vous admire réellement de pouvoir écouter jusqu'au bout les concertos pour piano de Korngold ou Barber. Le concerto pour piano de Barber reste relativement tonal, je le reconnais, ce que je lui reproche, c'est qu'il est totalement athématique. Peut-on parler de musique lorsqu'aucun thème ou motif susceptible d'être reconnu n'apparaît. La distinction entre les oeuvres "modernes" et les oeuvres "classiques" ne me paraît pas fondamentalement relever de l'absence de tonalité dans les premières, mais surtout de l'absence de thématique. Il faudrait distinguer plus fondamentalement les oeuvres thématiques et les oeuvres athématiques.

HAYDN
Oui, mais Haydn est-il réellement créatif? Je suis loin de connaître toutes ses oeuvres, mais je n'en ai jamais trouvé une qui soit digne d'intérêt, sauf peut-être un scherzo pour piano (dont j'ignore l'opus). Les quelques symphonies de lui que je connais me paraissent vraiment indigentes. On peut être créatif en demeurant dans le style de l'époque sans le faire évoluer (cas de Mozart), on peut être plus profondément créatif en faisant évoluer la musique de son temps (cas de Beethoven ou de Vivaldi). Dans le cas de Haydn, je ne le trouve créatif ni dans un sens ni dans l'autre. Je reste d'accord avec votre idée. J'irai plus loin, même si c'est choquant, on peut être créatif en étant rétrograde. Mais la connotation de ce terme est devenue tellement négative depuis la sacralisation de la notion de modernisme (datant des Lumières) que je n'ose avancer aucun nom, de peur de nuire au compositeur que je nommerais.

MUSIQUE SOVIÉTIQUE
Je rappelle que je voulais montrer que les régimes communistes n'avaient en aucun cas empêché le développement de la musique "moderne" car il y a presque autant de compositeurs "modernes" dans les pays de l'Est qu'en Occident. L'exemple de Boucourechliev n'est pas excellent puisqu'il A fait sa carrière à l'Ouest. Pour vous faire plaisir, je peux vous citer en consultant mon répertoire personnel les compositeurs soviétiques (dont je connais au moins une oeuvre) en les classant en "modernes" ou "néoclassiques":

Modernes:
BOUNINE Révol ; CHEDRINE Roddon ; CHOSTAKOVITCH ; FEINBERG Samuel ; GRINBLATS Romuald ; MAKAROV-RAKITIN ; MOSSOLOV Alexander ; PROKOFIEV ; SCHNITTKE Alfred ; SVIRIDOV Georgui ; TANIEËV, KHRENNIKOV Tikhon ; TCHEREPNINE ; VLADIGEROV Pancho.

Néoclassiques :
GALYNINE Hermann ; KABALEVSKI ; KHATCHATURIAN ; MEDTNER Nicolaï ; TAKTAKICHVILI ; BORTKIEWITCH ; GLAZOUNOV Alexander Konstantinovitch

Je laisse de côté Stravinski et Rachmaninov, de même Djabadary qui doit être géorgien, mais je n'en suis pas sûr. Sur cette petite statistique, on voit même qu'il y a plus de modernes que de néoclassiques. Bien sûr, on peut ne pas s'accorder sur la caractéristique de "moderne". L'esthétique moderne ne se confond pas avec l'atonalisme. Sviridov est plus confus qu'atonal. Tanéiev reste tonal, mais certaines de ses oeuvres se résument à un continuum très statique. Prokofiev est moderne sans être non plus atonal, selon les oeuvres. En revanche, Schnittke est incontestablement un hypermoderne. En outre, le passage à l'ouest ne signifie rien de ce point de vue. Stravinski, qui est un moderne, passe à l'ouest, mais Rachmaninov, qui est un néo-classique, fait de même. L'idée selon laquelle le régime soviétique ait pu intervenir dans l'orientation musicale me paraît en grande partie issu de la propagande occidentale. Je profite de ce message pour vous rappeler que vous n'avez toujours pas répondu à mon défi il y a quelques mois, c'est-à-dire de me citer une seule oeuvre atonale qui ait obtenu un certain succès auprès du public mélomane, à part une curiosité due à l'effet de scandale (cas du Sacre). Ce TRÈS GRAND MONSIEUR, dont vous parlez (Boucouretchliev), je voudrais savoir s'il y a une de ses oeuvres qui a obtenu du succès! Tout le monde connaît le "Concerto n°2" de Rachmaninov, les "Planètes" de Holst, le "Concerto de Aranguez" de Rodrigo, la "Danse du sabre" de Khatchaturian... mais une oeuvre de Boucourechliev! Un des membre de cette liste pensait que ce n'était pas possible que tant de compositeurs aient écrit de la musique moderne si cela ne correspondait à rien de musical. Cela me paraît parfaitement possible. De même, au Moyen Âge, on a écrit des milliers de volumes de casuistique qui ne correspondant à rien de réel. C'est une des particularités du fonctionnement de l'esprit humain. L'importance historique d'un phénomène n'est nullement garant qu'il corresponde à une réalité en tant qu'art.

PSYCHO-PHYSIOGNOMIE - FRANCK
Je ne sais pas pourquoi, mais je commence à prendre goût à cette discussion sur la psycho-physiognomie (c'est comme cela que l'on dit je crois). Contempler le portrait d'un compositeur peut être bénéfique, c'est ainsi que je me suis réconcilié avec Franck. Je lui en ai longtemps voulu d'avoir trahi Saint-Saëns à propos de l'affaire de la SNM. Or, j'ai trouvé dans sa physionomie un tel air de candeur, de naïveté que je ne pouvais plus croire qu'il ait commis une telle forfaiture. De ce jour, je l'ai estimé. Musicalement, je reste sceptique sur un grand nombre de ses oeuvres, mais j'ai découvert la "Grande pièce symphonique" pour orgue. Je ne croyais pas que le petit père Franck pût être capable d'un tel lyrisme, d'une telle grandeur. J'ai donc fini par me réconcilier avec l'homme puis avec sa musique. Tout est donc très bien. Qui osera dire que l'étude des bouilles n'a aucun intérêt?

INSPIRATION SELON LES GENRES MUSICAUX - HAENDEL - RAVEL
Je crois qu'il est toujours difficile (et dangereux) de dire qu'on aime ou pas un compositeur. Je l'ai fait pourtant sans doute il n'y a pas si longtemps dans cette liste, mais je reconnais que j'ai eu tort. Justement à propos de Haendel, les quelques oeuvres pour orchestre que je connaissais de lui me paraissaient indigentes (dont "Water music" pour être précis). Or, j'ai récemment écouté ses concertos pour orgue et orchestre que j'ai trouvé sublimes. Je pense que souvent les compositeurs réagissent différemment suivant les genres musicaux, ils n'ont pas le même mode d'écriture, ils sont plus ou moins inspirés. Par exemple, Ravel, qui me paraît génial dans ses concertos, me paraît fade dans ses pièces pour piano. C'est l'inverse pour Mozart, à mon avis. Je ne vois rien dans ses 26 ou 27 concertos pour piano (je ne sais exactement le nombre), mais j'apprécie particulièrement nombre de ses pièces pour piano telles les Sonates n°4 et n°7 par exemple.

MUSIQUE ET PUBLIC - SUCCÈS DES OEUVRES ATONALES ET TONALES
Il est très difficile de juger le succès d'une oeuvre auprès du public mélomane. Il faudrait pour cela disposer de chiffres de ventes d'enregistrement. J'avoue n'en posséder aucun, ces chiffres existent pourtant. Nous parlons donc un peu tous dans le vide. Le "Sacre" est-il beaucoup vendu, et surtout est-il souvent écouté. Il y a des oeuvres que j'ai réécoutées des dizaines de fois, d'autres très peu parmi mes enregistrements personnels; Du point de vue statistique commerciale, c'est identique. D'une manière générale, on connaît très peu la relation entre la musique et son public. A ma connaissance, ce sujet n'est étudié dans aucune université en France; Je me suis renseigné quelque peu sur ce point. Cela dit, il est reste évident qu'aucune oeuvre atonale ne peut se prévaloir du succès qu'ont obtenu certaines oeuvres tonales du Xxème siècle.

SIBÉLIUS - INSPIRATION SUIVANT L'ÂGE DES COMPOSITEURS
Pour moi, la meilleure symphonie de Sibélius est la "1", c'est celle qui va le plus loin dans l'élaboration d'un langage propre, d'un "impressionnisme" foncièrement original, unique dans l'histoire de la musique. La "2" me paraît être un retour vers le romantisme, notamment par son style grandiose, parfois d'un lyrisme apocalyptique. Les suivantes alternent les effets romantiques et impressionnismes sans atteindre à mon avis une efficacité remarquable. Mais je crois qu'il ne faut pas oublier les poèmes symphoniques qui expriment de manière encore plus aiguë le génie sibélien, notamment "Lemminkainen in Tuonela" que j'ai déjà cité. Dans cette oeuvre, il me semble qu'on ne peut aller plus loin dans l'élaboration des progressions dans la dissolution impressionniste de la thématique, qui demeure pourtant. On pourrait citer aussi "Lemminkaïnen et les jeunes filles de l'île", étonnante fresque d'une lenteur infini, mais d'autant plus prenante. Quant à "Finlandia" ou la "Valse triste", ce sont à mon avis des oeuvres beaucoup moins marquantes. Il peut paraître curieux que je désigne une première symphonie comme l'aboutissement d'un style. On croit souvent qu'une première oeuvre est une oeuvre de jeunesse. Je pense que souvent, chez les compositeurs du 20e siècle, c'est l'inverse, les premières oeuvres contiennent une imagination thématique qui s'essouffle plus tard. Voyez Albeniz qui n'a plus rien à dire dans Iberia (à mon avis). L'idée selon laquelle un compositeur ne peut que s'améliorer et approfondir son style est une idée d'intellectuel. On pourrait aussi considérer l'évolution de Scriabine, celle de Rimski...

CRITÈRES OBJECTIFS DU SUCCÈS - RÉALITÉ DES FAITS ET DISCOURS
Qu'appelez-vous un certain succès, me demande-t-on. Le succes peut être mesurable, comme je l'ai dit dans un autre message par des paramètres objectifs: le nombre d'enregistrements vendus par exemple. Ce critère n'est sans doute pas absolu car on sait qu'on a vendu tant d'enregistrements, mais on ne sait pas combien de fois la personne l'a écouté, on ne sait pas non plus ce qu'elle en a pensé. On peut étudier objectivement le nombre de citations dans la presse par exemple, critère qui n'est pas absolu non plus. Je veux simplement dire qu'il est possible de s'appuyer sur des critères quantitatifs réels; il reste à les interpréter. A quoi correspond ma conception de la réalité musicale, me demande-t-on encore. J'entends par réalité: réalité d'une impression réelle produite sur le public. Lorsqu'une personne apprécie une oeuvre au point de l'écouter une dizaine de fois, il y a bien une réalité objective dans son esprit. Un compositeur a dit : "Il y a les oeuvres dont on parle et il y a celles qu'on écoute." Il faut donc distinguer le fait et le discours. Le premier traduit seul la réalité.

NAISSANCE DE LA SYMPHONIE - HAYDN
Je voudrais rectifier mon précédent message au sujet de Haydn. L'inconvénient du courrier électronique est que l'on se presse trop pour répondre et que l'on ne prend pas toujours le temps de la réflexion. Haydn, père de la symphonie, oui, maintenant, Je me souviens de cette expression consacrée dans certains ouvrages . Mais je pense qu'il s'agit d'ouvrages plutôt anciens antérieurs à la redécouverte du baroque et du préclassique. Je crois qu'avec les travaux plus récents de musicologie, c'est une idée qui n'est plus défendable. Vivaldi, que je citai, n'est sans doute qu'un précurseur, dans certaines oeuvres (que je ne connais pas d'ailleurs); Ses concertos pour orchestre à mon avis n'ont aucun intérêt. Sammartini est le plus souvent cité, Giuseppe ou Giovanni Battista? D'eux, je ne connais que des duos, des sonates qui ne sont pas significatives. De nombreux autres noms de compositeurs de l'école de Mannheim sont cités, qui sont antérieurs à Haydn, des Hongrois, des Italiens, des Autrichiens, je n'ai pas leur nom en tête. Je connais cependant un concerto de Michel Corrette qui me paraît écrit (malgré son titre de concerto) dans le style symphonique beaucoup plus que les symphonies de Haydn (la 94 "la Surprise" par exemple), c'est le "Concerto n°6 en ré m", notamment le premier mouvement, qui me paraît sublime. Je ne sais pas la date de création, mais Corrette est né en 1709 et Haydn en 1732, sauf erreur de ma part. D'une manière générale, je crois que l'époque où l'on croyait (où l'on voulait faire croire) que les compositeurs consacrés (Bach, Mozart, Haydn) étaient des précurseurs en leur temps est révolue.

AUDITIONS DES OEUVRES - MUSIQUE ATONALE
Pour complétez ces propos, je me demande si les partisans de la musique atonale écoutent réellement, et par goût, les oeuvres dont ils parlent. Depuis que j'ai découvert le "Casse-noisette", j'avais 14 ans, je l'ai peut-être écouté plus d'une centaine de fois. Evidemment, c'est une oeuvre que les grands intellectuels de la musique méprisent. Avez-vous écouté autant de fois "Lulu" ou "Le réveil des oiseaux?"

VALEUR INTRINSÈQUE DE L'OEUVRE - CAUSE DE LA SUBJECTIVITÉ
Oui, je pense que sans l'existence d'une valeur intrinsèque, la notion d'oeuvre artistique n'aurait pas de sens. Il faut donc tenter d'expliquer la subjectivité. Elle pourrait tenir à une orientation psychique de l'individu qui sélectionne ses choix et demeure fermé à certaines oeuvres possèdant des caractéristiques qu'il désapprouve. En sorte, la subjectivité serait due à l'intellect uniquement. Plus simplement, on peut dire que si on a par avance un préjugé défavorable sur un compositeur, ceci oblitèrera notre sensibilité et notre capacité à être ému. En pratique, je pense donc qu'il faut toujours essayer d'aborder une oeuvre avec une disposition d'esprit favorable. Ce n'est peut-être pas toujours facile à appliquer.

OEUVRE ATONALE ET EFFET DE SCANDALE
Le problème, c'est que la musique atonale aujourd'hui ne fait même plus scandale, elle indiffère. On a suffisamment exploité l'effet de scandale comme si "l'existence d'un scandale était la preuse qu'une oeuvre était géniale". Je cite ici un des compositeurs interwievés par Gavoty dans son ouvrage "Pour ou contre la musique". On peut le relire, 30 ans après, le constat est le même. Il est toujours facile de prétendre qu'on aura raison dans un demi-siècle, mais le demi-siècle est passé depuis les premières oeuvres de Schoenberg. Pour moi, le débat est clos. Nous avons assisté à la mort de la musique sous pretexte de progressisme.

POLYMORPHISME DANS L'OEUVRE DES COMPOSITEURS MODERNES - NIELSEN
Je voudrais préciser à propos de Nielsen : ses symphonies, réflexion faite, m'évoqueraient plutôt le style de Respighi (la "5" et la "7" que je connais). Le concerto pour clarinette, lui, me paraît plutôt moderne, rappelant Messien et Prokofiev, quant au concerto pour violon, il est à mon avis vraiment soporifique, presque autant que celui de Karlovitz (pour moi l'oeuvre vraiment la plus terne que j'aie pu entendre). "Syrinx", la meilleure oeuvre de Nielsen que je connaisse, me fait plutôt penser à Sibelius et aux expressionnistes russes comme Taktakichvili, Kabalevski ou parfois Khatchaturian, la "Petite suite" me paraît d'un classicisme compassé et même ringard. Je déduis de tout cela que caractériser le style d'un compositeur, surtout de l'époque moderne, me paraît souvent une chimère. On ne peut parler valablement que d'une oeuvre précise. Dire qu'un compositeur est moderne ou non, c'est également bien difficile, voyez Busoni, voyez Scriabine. Il se trouve, c'est un hasard, que je connaisse quelques oeuvres de Nielsen, mais pour de nombreux compositeurs, je ne connais qu'une ou deux oeuvres. Je suppose que les autres mélomanes en sont à peu près au même point, et je ne m'étonne pas que nous ne nous comprenions pas toujours. Tout dépend de l'oeuvre sur laquelle on appuie son jugement.

LE SACRE DU PRINTEMPS
J'essaie de vous comprendre. Je ne vois pas de thème intéressant dans le "Sacre", un thème qui puisse se comparer à l'un de ceux de "Pétrouchka" par exemple pour rester sur le même compositeur, le thème principal de la "Fête de la Semaine grasse" si vous voulez. Dans le "Sacre", je vois des effets rythmiques, oui, comme dans les "Mikrokosmos" de Bartok, encore que ceux de Bartok me paraissent meilleurs. L'oeuvre me paraît variée, contrastée, le symphonisme est traité de manière subtile, je vois de la puissance... L'écoute du "Sacre" ne m'est pas détestable, moins que de nombreuses oeuvres tonales uniformes. Je préfère autant l'écouter que le soporifique "Concerto" pour violon de Karlovicz dont je parlais sous peu, mais encore une fois, il manque pour moi l'essentiel, une thématique qui puisse véritablement accaparer l'intérêt. Je ne condamne nullement le "Sacre" parce que l'écriture est atonale, l'existence ou l'inexistence du tonalisme, sur le plan intellectuel, m'indiffère totalement.

IMPORTANCE EXAGÉRÉE DES GRANDS CLASSIQUES
Je pense que les musicographes de la fin du 18e et du 19e siècle (dont Forkel bien sûr que j'ai particulièrement dans le collimateur) ont beaucoup travesti l'histoire de la musique en exagérantl'importance de certains compositeurs par rapport à d'autres, pour des motifs nationalistes, mais peut-être plus encore pour des motifs idéologiques. Ces musicographes du XIXème siècle ont ainsi complètement oblitéré l'école de Milan qui serait à l'origine des premiers symphonistes, d'après ce que j'ai lu chez des auteurs actuels. Pour Mozart, vous avez raison, on ne l'a pas fait passer pour un compositeur en avance sur son temps (ç'eût été difficile), mais à mon avis on a exagéré son importance réelle par rapport aux autres compositeurs de l'école galante. Quant à Bach, je pourrais vous fournir des dizaines de citations si vous le désirez qui tendent à le montrer comme un compositeur en avance sur son temps, ceci par préjugé de progressisme. C'est vrai également pour Haydn, et je me réfère au moins ici, faute de mieux, à titre de comparaison, au concerto de Corrette que j'ai cité dans un autre message, mais ce n'est sans doute pas un cas isolé.

SUCCÈS DE LA MUSIQUE TONALE ET ATONALE
Je remarque que vous admettez que seule la musique tonale remporte du succès (car vous remettez en cause justement la signification de ce succès, et vous le prétendez critère de médiocrité). Sans doute avez-vous raison de ne pas vous escrimer inutilement à relever le défi perdu. Votre argument est plus sérieux. Vous avez sans doute raison d'une manière générale si on compare le "succès" du rock et du classique. Mais nous considérons ici un public déterminé: celui de la musique classique. Parmi ce public, il n'y a même pas une fraction significative de mélomanes qui puisse attester d'un certain intérêt, hors des effets artificiels sur lesquels je n'épiloguerais pas (mettre du Schoenberg entre deux oeuvres de Mozart par exemple et prendre ainsi le public en otage). Ainsi, je dirais que la musique atonale n'existe pas historiquement. A moins qu'on imagine que le petit cercle de partisans de cette musique représentent des gens supérieurs. Je n'ai pas prétendu que si une oeuvre avait de la valeur (selon mon point de vue), elle allait automatiquement devenir célèbre. Je pense que dans une catégorie d'oeuvres, il y en a une ou quelques unes qui percent au détriment des autres. Par exemple, dans le répertoire classique Mozart ou Dittersdorf (que personnellement j'estime autant que Mozart). Mozart a percé, pas Dittersdorf, ni les autres d'ailleurs, Platti, Cambini, Richter, Sammartini, Cannabich... Mais dans le cas de la musique atonale, aucun ne perce, aucune oeuvre n'obtient le moindre succès. Pour revenir sur Sarasate que vous évoquez, sa "Habanera" a été un immense succès à l'époque. Donc l'oeuvre existe historiquement au moins pendant une période. Et je n'ai jamais pensé que le temps réalisait une décantation positive. C'est encore une idée d'intellectuel. Je pense même que souvent cela peut être l'inverse à cause de l'influence néfaste des musicographes et des cercles musicaux. De même que Sarasate, Beethoven a eu un immense succès européen en son temps, et même beaucoup plus grand, il se trouve qu'il a persisté. Le succès européen de Vivaldi (on a retrouvé certaines de ses partitions en Suède) a cessé dès sa mort. Il se trouve qu'il a été ressuscité avec le baroque, mais c'est un pur hasard. Il n'y a pas de règle générale. La musique atonale ne ressuscitera jamais, car pour cela il faudrait qu'elle eût existé un jour (en tant que phénomène artistique). Historiquement, je la considère comme inexistante. Un livre d'histoire de la musique sérieux, à mon avis, ne devrait même pas la mentionner. Or les musicographes se complaisent à la développer sur des dizaines et des dizaines de pages. De nombreuses encyclopédies de la musique peuvent consacrer 10 ou 15 pages à Berg et une demi-page à Saint-Saëns et à peine citer Paganini, Tchaïkovski guère plus. Cela s'est amélioré pour Tchaïkovski dans les histoires de la musique plus récentes, mais il a fallu toute la mobilisation de toute une pléiade d'interprètes russes (souvent premiers dans les concours internationaux) pour le défendre et défendre la musique russe. Les musicographes ont été obligés de récupérer Tchaïkovski. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

MUSIQUE THÉMATIQUE ET ATHÉMATIQUE
Le plus important me paraît de distinguer la musique thématique, capable de nous émouvoir, et la musique athématique, qui me paraît en être incapable. On peut aller plus loin, une musique peut être thématique et les thèmes sans intérêt. Et l'on aboutit à votre conclusion. Comme disait Rossini: il y a deux sortes de musique, la bonne et la mauvaise.

PERCEPTION DE LA MUSIQUE ATONALE
Oui, il y a bien une subjectivité, par définition même; la question que je me pose est : est-ce que nos jugements (le vôtre et le mien) procèdent du même type de perception? D'une manière plus générale, est-ce que la perception de la musique atonale et celle de la musique tonale procèdent du même phénomène. Je doute que la perception de la musique atonale soit affective, qu'elle engendre chez l'auditeur des "sentiments" (au sens large du terme), comme c'est le cas dans la musique tonale. S'il y a un "plaisir" engendré chez l'amateur de la musique atonale, j'ai de fortes raisons de penser qu'il est engendré par l'intermédiaire de l'intellect, ce qui ne me paraît pas être le cas pour l'amateur de la musique tonale (cela peut être une même personne éventuellement). Et pourquoi un type de musique prévaudrait sur l'autre? On peut se poser la question effectivement. Le contresens et le conflit proviendraient que l'on a réuni sous le terme de "musique" deux formes d'expression qui sont sans rapport l'une avec l'autre. Je ne dis pas que le terme de musique devrait être réservé à la musique tonale, je dis simplement qu'il faudrait utiliser plusieurs termes. On peut se poser aussi la question de savoir ce qui a le plus de valeur: ce qui est le plus profond: le sentiment intuitif ou le plaisir intellectuel (s'il existe vraiment). Il n'y aurait qu'un petit nombre de personnes privilégiées capable d'avoir une perception intellectuelle et d'apprécier la musique atonale, et ces gens seraient de ce point de vue des gens supérieurs, surtout s'ils sont en même temps amateurs de musique tonale. Pourquoi pas après tout, on ne peut écarter aucune hypothèse. C'est aux amateurs de la musique atonale de se poser honnêtement la question quant à leur sincérité et sur l'intensité de ce qu'ils ressentent réellement. Je les laisse s'interroger eux-mêmes.

ÉVOLUTION GÉNÉRALE DE LA MUSIQUE
Je crois que nous entrons au coeur du problème en parlant d'une oeuvre précise et en évoquant le rôle exact d'un théme ainsi que, d'une manière générale, l'importance de la structure thématique dans l'histoire de la musique, ce que vous développez et qui est largement occulté dans l'histoire de la musique où on considère l'évolution avant-tout sur le plan harmonique. Jusqu'à la fin du 17e siècle (environ suivant les oeuvres), la musique était athématique et atonale. S'agit-il d'ailleurs de musique au sens où on l'entendra plus tard. Au XXème, la "musique" devient atonale (pour une petite partie des oeuvres créées). Le phénomène musical, au vrai sens du terme selon mon avis, est un phénomène très sporadique qui n'aura duré que trois siècles.

HOMOSEXUALITÉ DE TCHAÏKOVSKY
Il a eu aussi des relations avec des membres de l'aristocratie, ce qui a été la cause de sa mort, qui n'est pas due au choléra (thèse officielle), il s'agit d'un suicide déguisé. Le fait est aujourd'hui rigoureusement établi. Je voudrais ajouter que Tchaïkovski a été littéralement déifié sous le régime soviétique qui a beaucoup concouru à sa reconnaissance. Or, vous savez que l'homosexualité était proscrite dans la société soviétique. Les Russes sont passés outre. Il n'y a qu'eux pour être capable de passer sur une telle contradiction, comme ils sont passés outre sur le fait que Tchaïkovski était le pur produit de l'aristocratie et de la bourgeoisie, un "sentimental" bien éloigné du réalisme soviétique. Je pense que les Russes ont un sens intuitif très sûr qui leur permet de savoir ce qui a réellement de la valeur alors que nous avec notre intellect on se trompe toujours et nous sommes souvent victimes de notre snobisme.

TCHAÏKOVSKY - LES PURS ARTISTES
Oui, je viens justement de répondre à un étudiant de la liste qui semble mépriser profondément la musique de ce cher Piotr Illitch . Votre message me réjouit. Voilà au moins quelqu'un qui prend en considération un compositeur que j'adore. Je ne partage cependant pas votre avis sur les premières symphonies de ce maître, que je trouve médiocres. Je pense que ses chefs-d'oeuvres concernent plutôt la musique concertante et les oeuvres pour piano solo (notamment le sublime "Dumka") qui, curieusement, sont peu jouées. Son quatuor, je ne le connais pas. J'apprécie certaines symphonies comme la "3" ou la "5", mais surtout certains poèmes symphoniques comme "Fatum", le "Voïévode"... Pourquoi méprise-t-on toujours les mêmes compositeurs? Pourquoi a-t-on tendance à toujours considérer comme superficiels les purs artistes, au sens le plus noble du terme, comme Chopin, Liszt, Paganini...?

TCHAÏKOVSKY
Sans prétention artistique, la musique de Tchaïkovsky, ça c'est vous qui le dites. Sans prétention intellectuelle, c'est justement à mon avis ce qui en fait de l'art supérieur. D'autre part, croyez-vous que la prétention ajoute un élément à la valeur d'une oeuvre. Il ne s'agit pas de musique populaire car elle concerne les mélomanes de la musique classique. Quand cessera-t-on de confondre les mélomanes de la musique classique avec le "grand public", qui n'est pas concerné, sauf exception, par la musique classique? Je pense que les compositeurs qui sont capables de composer de la musique plus "facile", mais efficace sur le public (de la musique classique) sont ceux qui, dans d'autres oeuvres, sont souvent les plus profonds, les plus géniaux, les plus révolutionnaires. Considérez par exemple Beethoven, Vivaldi, ils sont "populaires" comme vous dites si bien (terme que je conteste) et ils ont révolutionné la musique. Effectivement, l'"Ouverture 1812" témoigne d'un symphonisme assez grossier (elle n'est pas mauvaise pour cela à mon avis), en revanche "Fatum", le "Voïévode" me paraIssent du grand art symphonique etTchaïkovski a trouvé un style qui lui est propre, dont s'est inspiré Kabalevski dans sa "Symphonie n°2" (oeuvre que j'ai beaucoup évoqué sur ce forum). "Casse-noisette" poursuit l'initiation d'un autre style symphonique très spécifique dont l'origine remonte à Saint-Saëns dans certains de ses poèmes symphoniques (la jeunesse d'Hercule je crois), Glazounov, dans "Les saisons", Kabalevski dans son concerto n°3 pour piano.

MUSIQUE CHINOISE CONTEMPORAINE
Je vous citerai de nombreuses ouevres de l'école chinoises contemporaines qui, à mon avis, valent les grands chefs d'oeuvre du XIXème siècle de la musique occidentale. J'ai eu l'occasion déjà de les citer sur ce forum, je le refais avec plaisir: par exemple le concerto pour violon "Liang Shan-po et Tchou Ying-taï" de He Zhan-hau (pour moi un des dix plus grands concertos pour violon jamais écrits), le Concerto pour piano "La rivière jaune "de Xian Sing-hai", les pièces pour piano de Wu-Tsu chiang... témoignant chez ce peuple d'un sens inné de la musique très élevé. Ces oeuvres sont écrites dans le style romantico-impressionnistes et n'ont aucun rapport avec les hymnes révolutionnaires. Je suis effaré de la désinformation qui règne sur la musique chinoise. Précision, qui a son importance: je vous signale que je ne suis nullement communiste.

MUSIQUE CLASSIQUE POPULAIRE
Oui, vous n'avez pas entièrement tort. D'ailleurs, pour ce qui est de l'emploi du terme "populaire", vous l'aviez mis entre guillemet dans votre message. En fait, je ne critique pas vraiment l'aspect élitiste de la musique classique lorsque les oeuvres concernées correspondent à un public véritable, même s'il est relativement restreint. Je critique le snobisme intellectuel qui met en avant des oeuvres, lesquelles, en fait, n'ont quasiment aucun public. J'ajouterai que ce n'est pas parce que l'on parle abondamment d'un compositeur que ses oeuvres sont obligatoirement très écoutées. Je dirai même que plus on a de propension à intellectualiser sur un compositeur, moins il est en réalité écouté, le plaisir musical et l'activité intellectuelle appartenant, à mon avis, à des sphères psychiques différentes. Par exemple, on ne cesse de polémiquer sur Wagner depuis le XIXème siècle (consultez le Fétis à cet égard et vous serez servi). En revanche, on trouve peu à dire sur Verdi. Dans la réalité, objectivement Verdi est beaucoup plus écouté que Wagner. Cela dit, je ne prétend nullement que Wagner vaut moins que Verdi, ce n'est pas si simple, d'ailleurs son public est loin d'être négligeable. Pour Beethoven je n'ai pas dit qu'il n'avait pas de prétention intellectuelle (relisez mon message), j'ai dit que certaines de ses oeuvres étaient "populaires" au sens où vous l'entendez. Cela me paraît incontestable pour la 5ème, la 9ème et peut-être encore plus pour la fameuse "Lettre à Élise". Une des oeuvres les plus connues des mélomanes.

RÉPERTOIRE POUR GUITARE
J'avoue ignorer quasi-complètement ce répertoire, et pourtant je crois beaucoup à l'intérêt des répertoires spécifiques qui permettent de conserver la mémoire de compositeurs délaissés dans le répertoire général. Je citerai le concerto pour guitare et orchestre de Castelnuovo-Tedesco que je trouve magnifique. Ecrit dans un style feutré, timide, il dégage un charme discret, rappelant la "Ballade pour piano et orchestre" de Fauré ou les "Impressions d'italie" de Gustave Charpentier. Il y a les duos pour guitare et piano de Herz (18e) et de Diabelli (fin 18e, début 19e). Ils sont écrits dans un style simple, galant, mais sont très accrocheurs. D'autres suggestions seraient les bienvenues pour faire connaître le répertoire de cet instrument qui était répandu dans de nombreux pays européens au 18e siècle.

CONSIDÉRATION DE TCHAÏKOVSKY PAR LES INTELLECTUELS
Vous pensez que Tchaîkovsky n'est pas méprisé par les intellectuels ou l'"intelligentsia" musicale. A titre d'exemple, je vous transmets la petite statistique suivante sur le nombre de lignes consacré à chaque compositeur dans l'ouvrage de B. François-Sappey "Histoire de la musique en Europe" 1992 dans la collection "Que sais-je", donc un ouvrage de référence appartenant à une grande collection:

Compositeur lignes consacrées
BACH 85
MOZART 82
WAGNER 81
BEETHOVEN 64
BERLIOZ 54
LISZT 52
BRAHMS 36
SCHUBERT 40
MENDELSSOHN 30
VIVALDI 22
TCHAÏKOVSKI 8

Dans l'"Histoire de la musique occidentale" (Messidor, 1983), 3 pages sont consacrées à Tchaïkovski contre 6 à Webern! Voici maintenant ce que dit à propos de Tchaïkovski Lucien Rebatet dans "Une histoire de la musique":

"Et pour leur beauté sonore [les symphonies d'A. Bruckner] , les plus éloquentes de ses symphonies chasseraient avantageusement de nos programmes Tchaïkovski, que les chefs d'orchestre choisissent par paresse, ou pour flatter les goûts les plus faciles de leur public."

Plus loin, il dit, toujours à propos de Tchaïkovski:

"En harmonie, il est presque aussi académique que son ami Saint-Saëns. [...] Chez nous, il serait utile de situer Tchaïkovski à l'intention du public populaire qui s'en délecte, de faire saisir à ce public toute la distance entre le talent du Russe, conservateur sentimental, et les premières symphonies de Mahler [...], sans chercher encore plus haut des points de comparaison. C'est pour contribuer à cette mise au point que nous avons accordé à Piotr Illitch un peu de place qu'il n'y aurait droit historiquement."

Si vous voulez, je peux vous en resservir d'autres. Dans les ouvrages plus récents, l'importance de Tchaïkovsky s'est heureusement améliorée,justement grâce à la ténacité des grands interprètes soviétiques à défendre avec beaucoup de courage et surtout d'amour leur compositeur dans le monde.

STATISTIQUE D'OEUVRES PRÉFÉRÉES PAR LE PUBLIC - LE "SACRE DU PRINTEMPS"
Une statistique, non pas relative uniquement au Canada, a été réalisée au niveau mondial, il y a quelques années, le résultat a été publié dans le Livre des Records (je ne pourrais pas vous préciser l'année, mais cela devrait pouvoir se retrouver car c'est écrit et non pas volatil). Elle indique que l'oeuvre la plus vendue dans le monde entier (cette année-là) était le "Concerto n°1" de Tchaïkovski, oeuvre qui arrive dans votre statistique à la 38ème position seulement. Cela signifie qu'il n'y a pas un rapport absolu - loin s'en faut - entre une enquête orale réalisée localement et une statistique mondiale des ventes, à moins que vous ne considériez que les autres pays sont quantité négligeable, en particulier les 143 millions de Russes, qui ne seraient pas du même avis, vous l'imaginez, sur Tchaïkovski, pas plus que sur Stravinski d'ailleurs. Cette statistique ne me paraît pas sans valeur, ni sans signification, mais il faut sans doute la considérer avec circonspection et l'interpréter. Vous m'interpelez spécialement sur le "Sacre" et non sur Tchaïkovski. Je répondrai tout d'abord qu'une statistique sur les ventes est plus significative qu'un avis verbal car l'acte d'achat est une adhésion qui n'est pas gratuite et elle traduit beaucoup mieux la réalité de l'audition plutôt qu'une affirmation verbale qui peut être beaucoup plus le reflet de la médiatisation réalisée par les Intellectuels (les milieux musicaux, la presse, les ouvrages sur la musique...). Pour prouver que le "Sacre" est la 20ème oeuvre la plus écoutée, il eût fallu que vous vous procurassiez une statistique des ventes, lorsque vous l'aurez fait (ce n'est pas impossible), nous en reparlerons. Même en imaginant ce résultat acquis, compte-tenu de l'énorme médiatisation réalisé sur cette oeuvre par suite de l'effet initial de scandale, la 20ème position du "Sacre" n'est pas si brillante que cela (pas plus que celle de Bach par rapport au traitement de faveur - éhonté à mon avis - dont il jouit dans les ouvrages où il est presque toujours parmi les 4 premiers et souvent le premier ou le second). Vous vous souvenez sans doute que lorsque j'ai cité le "Sacre", j'ai toujours pris bien soin d'indiquer que l'effet de scandale faussait tout et avait créé une célébrité artificielle. En dernier lieu, vous remarquerez que dans votre statistique "Carmina burana" se trouve 8 places avant le "Sacre"!, or "Carmina burana" n'a jamais bénéficié de la publicité du scandale et n'a eu au départ d'autre soutien que sa propre valeur. En plus, Orf est handicapé par son image politique alors que Stravinski, en Occident, est plutôt servi par la sienne, qu'il a exploitée - là aussi d'une manière éhonté à mon avis. Arriver après un néo-classique avec toute la publicité qui a été faite sur cette oeuvre et son compositeur, il n'y a pas de quoi pavoiser. La confirmation que c'est bien l'effet de scandale qui a été déterminant et non l'intérêt propre de l'oeuvre pour le public, c'est que sur les 41 oeuvres citées, il n'y en a pas une seule autre qui soit atonale. Et on pourrait sans doute aller beaucoup plus loin que 41 avant de trouver la suivante.

LES CONCERTOS DE RACHMANINOV
Il me semble que dans le "Concerto n°2", Rachmaninov nous a donné des instants musicaux miraculeux qu'il n'a jamais renouvelés, notamment dans le second mouvement que je qualifierais d'impressionniste, voire d'expressionniste. Seul le "Concerto n°3" me paraît faire figure honorable sur l'ensemble des concertos. A part dans le "2", il me semble que dans ces oeuvres la densité du pianisme rachmaninien se transforme quelque peu en confusion et qu'il y a une imprécision de la thématique qui lui ôte tout intérêt. L'oreille se perd dans des méandres pseudo-mélodiques sans jamais déboucher sur une issue. C'est l'inverse pour le 3ème mouvement du "2" dans lequel la thématique me paraît non seulement dense et riche, mais particulièrement nette. Il semble qu'il ne s'agisse pas d'une évolution de Rachmaninov car le "1" à mon avis présente les mêmes caractéristiques et insuffisances que le "4" par exemple. Je pense qu'il faut imputer ces variations à l'inspiration et l'inspiration est peut-être le phénomène le plus capricieux et le plus inexplicable qui soit. "Les Variations Paganini": le style me paraît très différent, elles sont grandiloquentes à mon avis, d'une orchestration peu souple et disgracieuse.

LISTE D'OEUVRES PRÉFÉRÉES
Excellente idée que ce défi. Mais permettez-moi d'aller jusqu'à 10 oeuvres préférées car 5, non vraiment je n'y arrive pas, cela impliquerait des sacrifices trop douloureux. Il s'agit d'oeuvres que non seulement je trouve excellentes, mais qui ont été pour moi des révélations et j'ai avec elles, bien sûr, un lien d'affectivité particulier.

Konzertstück (Cécile CHAMINADE)
Concerto n° 5 (Nicolo PAGANINI)
Symphonie n°1 (Jean SIBELIUS)
Symphonie pathétique (Piotr Illitch TCHAÏKOVSKI)
Grande Fantaisie zoologique (Camille SAINT-SAËNS)
Fantaisie sur des thèmes russes (ARENSKI / RHYABININE)
Symphonie n°2 (Dimitri KABALEVSKI)
Le quattro staggioni (Antonio VIVALDI)
Concerto de Aranjuez (Joaquin RODRIGO)
Concerto pour violon (HE ZHAN HAU)

J'ajouterais:

Le plus grand compositeur (si cela a un sens, on peut bien s'amuser tant qu'on y est), en considérant la valeur des oeuvres et l'apport dans l'Histoire de la Musique:
Ludwig van BEETHOVEN

L'oeuvre la plus géniale jamais sortie d'un cerveau humain, la plus intemporelle:
Le quattro staggioni (VIVALDI)

STATISTIQUES SUR L'AUDIENCE DES COMPOSITEURS
Pour caractériser l'audience réelle d'une oeuvre auprès du public, il faut tenir compte, de manière quantifiée, et c'est possible, de la "médiatisation", dont bénéficie chaque compositeur et calculer les différentiels. Par exemple Vivaldi, au travers des ouvrages, ne bénéficie pas du même support médiatique que Bach, le rapport peut aller de 1 à 8 en faveur de ce dernier. Bach devrait se trouver largement devant Vivaldi, or il se trouve après.

RHAPSODISME RUSSE, ESPAGNOL, POLONAIS
Dvorak a eu, à mon avis, raison d'appeler ses fameuses danse (magnifiques pour la plupart du reste) "Danses slaves" et non pas "Danses tchèques" ou "Danses hongroises". Une des "Rhapsodies hongroises" de Brahms me paraît plus proche d'une danse cosaque. Certains compositeurs russes ont naturellement un langage peu rhapsodique (Liadov, même dans son Baba-Yaga, Nicolaï Medtner, A. Rubinstein, Tchérepnine et presque tous les modernes en fait), d'autres sont plus foncièrement rhapsodiques (Liapounov par exemple), d'autres sont plus orientalistes (Rimski, Khatchaturian). C'est vrai également pour les Espagnols, Granados et Monpou semblent éviter le rhapsodisme au contraire de Rodrigo ou Albeniz. Mais Monpou est quasiment minimaliste, comment pourrait-il être rhapsodique? C'est peut-être une question de tempérament ou d'esthétique musicale. Chez les Polonais, on remarquera que Lessel, Melcer (dont je recommandais particulièrement les concertos), Maria Szymanowska, sont beaucoup moins rhapsodiques que Chopin ou même Scharwenka.

LES AFFINITÉS DE REBATET
Vous avez sans doute mal lu Rebatet, à commencer par la citation que j'en ai faite qui faisait l'éloge de Malher, et vous ne citez pas Malher parmi les compositeurs admirés par Rebatet. Le panégérique qu'il fait de Wagner est inoubliable et vous ne le citez pas non plus. Sur qui Rebatet jette-il du fiel, toujours sur les mêmes comme tous les intellectuels de son acabit : c'est-à-dire Massenet, Paganini, Chopin, Saint-Saëns, c'est-à-dire les purs artistes, les intuitifs. Sur Saint-Saëns, je pourrais vous servir des critiques pas piquées des vers, de Rebatet et d'autres. Il faut reconnaître que Berlioz a eu son compte aussi au début du siècle. L'ouvrage de Rebatet, du reste, n'a aucune valeur musicologique.

IMPORTANCE DE WEBERN - DÉCONSIDÉRATION DE PAGANINI
Vous savez, l'importance de l'influence d'un compositeur peut être très sujette à controverse. Je prends un exemple. Paganini, sur le plan thématique et violonistique, a eu principalement une influence sur les compositeurs de l'école franco-belge: Vieuxtemps, de Bériot, Léonard... et sur l'école polonaise: Lipinski, Wieniawski et même sur Spohr, qui est pourtant son détracteur. Mais si l'on considère comme quantité négligeable ces compositeurs (ce que font les ouvrages sur l'Histoire de la Musique), on en vient à la conclusion mathématique que l'influence de Paganini a été négligeable. Le raisonnement est magnifique. On peut faire en sens inverse le même rasonnement pour Webern, ce qui serait, à mon avis, beaucoup plus justifié que dans le cas de Paganini. Il est toujours très facile de gonfler l'importance de phénomènes musicaux sur le papier.

TCHAÏKOVSKY DANS LES HOSTOIRES DE LA MUSIQUE
Le nombre de pages consacrée à un compositeur dans un ouvrage est une donnée objective, et quantifiable, qui, pour moi, est la plus révélatrice, et elle est incontestable. Vous savez que la meilleur moyen de rabaisser un compositeur n'est pas de médire sur lui (car cela signifie au moins qu'on lui accorde une certaine importance), mais plutôt de n'en pas parler du tout ou le moins possible. En ce qui concerne les ouvrages du début du siècle, le nombre de pages comme leur contenu sont parfaitement concordants pour Tchaïkovski. Il est dommage que les mélomanes moins avertis se laissent influencer par l'autorité de tels ouvrages. Vous savez, l'"Histoire de la musique occidentale" (Messidor, 1983), que j'ai déjà citée, ouvrage comportant plus de 800 pages grand format, et qui est écrit avec la collaboration de 17 spécialistes sous la direction de 2 coordinateurs, me paraît encore plus négatif. La dimension ne fait rien à l'affaire. A titre d'exemple, Rodrigo, dans cette énorme bible de la musique, est à peine cité. On rejoue timidement la musique pour piano solo de Tchaïkovski, je m'en félicite, mais je regrette que l'on ne choisisse pas toujours (selon mon goût) les pièces qui me paraissent les meilleures. On se restreint souvent aux "Saisons", il y a de meilleures pièces, à mon avis, dans l'opus 40 pour n'indiquer que celui-là, et bien sûr la merveilleuse "Dumka que j'ai déjà citée, mais on commence à la rejouer. Saviez-vous que Michaël Ponti a enregistré l'intégrale des pièces pour piano de Tchaïkovski (elle est à mon avis magnifique dans son interprétation).

LES QUATRE SAISONS
L'intérêt musical pour une oeuvre ne s'explique pas, cependant je voudrais ajouter sur les "Quatre saisons" que cette oeuvre me paraît posséder en même temps une dimension baroque, classique, romantique, impressionniste, expressionniste et moderne. C'est pour moi le premier poème symphonique bien que la musique descriptive ait exsité bien avant Vivaldi.

CONCERTOS POUR PIANO: RACHMANINOV, TCHAÏKOVSKY, SGAMBATI
C'est ce que je disais dans un autre message. Le "3" me paraît un bon concerto, mais d'ici qu'il surpasse la "2" durablement dans le répertoire, je demande à voir. Que le "2", en revanche rivalise avec le "1" de Tchaïkovski, cela ne me paraît pas rédhibitoire. Je pense cependant que le "1" de TchaIkovski, de style plus mélodique, peut mieux s'imposer au public mélomane, ce qu'il a d'ailleurs fait jusqu'ici. Ce que j'aimerais voir plus souvent dans le répertoire, c'est le "2" de Tchaïkovski, un très grand concerto, aussi lyrique que le "1". Le 1er mouvement possède une cadence pianistique aux accents désespérés, absolument sublime. Une apothéose. On ne trouve l'équivalent que dans le concerto de Sgambati, un monument aussi, malheureusement très très peu connu.

IDÉOLOGIE DE REBATET
Sur Rebatet, je pense que c'est intellectuellement un lâche. Il aboie avec la meute, s'acharnant sur les petits compositeurs ou ceux qui sont déjà fragilisés par les critiques de ses collègues. Comme tous les intellectuel de son type, il n'a aucune opinion résultant directement de l'audition des oeuvres, il ne fait que répéter l'idéologie musicale en vogue. Jamais il n'a le courage d'attaquer les compositeurs sacralisés. A propos de Saint-Saëns, il tire sur l'ambulance. Au point où en est arrivée la cote de ce compositeur au milieu du siècle, Rebatet ne fait qu'achever un moribond.

LISTE D'OEUVRES PRÉFÉRÉES POUR DES INSTRUMENTS AUTRES QUE PIANO ET VIOLON

CONTREBASSE Grand duo concertant Giovanni BOTTESINI
FLUTE Concertino pour flûte et orchestre Cécile CHAMINADE
FLUTE DOUCE Concerto pour flûte et orchestre RV444 ou 445 (?) Antonio VIVALDI
HARPE Concerto pour harpe et orchestre Reynold GLIERE
PIPA Concerto pour pipa et orchestre "Petites soeurs... " WU TSU CHIANG
TROMPETTE Concerto pour 2 TROMPETTES et orchestre Antonio VIVALDI
GUITARE solo Milonga CARDOSO

SGAMBATI
Je me contenterai de vous parler de son concerto qui me paraît le plus grand avec le "Concerto n°1" de Tchaïkovski avec lequel on peut réaliser un parallèle. Sgambati semble avoir réaliser une synthèse du grand style romantique depuis Grieg (auteur d'un très grand concerto) en passant par Saint-Saëns dont on devine la marque dans la somptueuse ouverture au cor. La parenté avec Tchaïkovski se trouve dans les virtuosissimes cadences qui parsèment le premier mouvement. D'une affectivité peut-être moindre que le "1" de Tchaïkovski, le style pianistique de Sgambati se distingue par une complication thématique, une densité du tissu pianistique très poussée qui préfigure Rachmaninov. Le premier mouvement se termine en véritable apothéose. La découverte d'un tel concerto m'a amené à beaucoup méditer sur le problème de la reconnaissance des oeuvres de génie par la postérité. Sur la carrière de Sgambati, j'en sais assez peu, vous le trouverez sans peine dans les dictionnaires de musique. Je n'ai pas l'habitude de m'apesantir sur les biographies, je cherche au contraire à les oublier le plus possible pour ne pas être influencé par ce qui extra-musical. A part ce concerto, je ne connais de lui qu'une "sonate napolitaine" pour piano de peu d'intérêt à mon avis.

DIFFUSION DES OEUVRES AU 18e ET AU 19e SIÈCLE
Ce que je dis là (le caractère européen de la notoriété de Beethoven, Vivaldi, Paganini et sans doute de bien d'autres) peut être montré par des documents écrits : soit des compte-rendus de concerts dans les libelles, gazettes, presse, soit des découvertes de partitions imprimées d'époque dans divers pays, soit des jugements écrits par des personnalités en des lieux géographiques lointains...). Certains compositeurs au 18e siècle étaient publiés à la fois dans plusieurs pays européens : Pays-bas, Italie, France, Allemagne notamment. Pour ce qui est de la Russie, je n'en ai qu'une idée très vague, il faut sans doute attendre la fin du 18e, par exemple Clementi s'y rend et bien d'autres musiciens de son époque. Ce qui paraît extraordinaire, c'est le nombre important de virtuoses-compositeurs qui se rendent à Petersbourg et même Moscou au début du XIXème malgré les distances considérables. Les pays nordiques semblent concernés très tôt, comme je l'ai signalé déjà, on a retrouvé des partitions de Vivaldi en Suède ou Norvège). A partir du XIXème, les virtuoses-compositeurs effectuent des tournées aux Amériques, c'est le cas de Paganini, (d'après ses biographes). D'une manière plus générale, la diffusion des idées et des arts à travers l'Europe s'est effectué bien avant le 18e siècle. La renommée des compositeurs était due en partie aux tournées de concert pour les virtuoses-compositeurs. Il est vrai cependant qu'une renommée européenne au 18e siècle n'avait pas sans doute la même signification qu'aujourd'hui et elle était peut-être limitée à quelques capitales, c'est possible, peut-être est-ce que vous voulez dire. Marmontel nous dit que les oeuvres de Steibelt ont fait "le tour du monde". De quoi pouvait-il s'agir, sans doute un monde bien restreint. Cela pose aussi le problème de la diffusion des oeuvres par les salons, notamment grâce aux transcriptions. Que les oeuvres symphoniques dans leur version originale aient été peu diffusées, cela paraît certain, notamment en ce qui concerne les symphonies de Beethoven. De nombreuses personnes qui avaient entendu parler de Beethoven n'avaient sans doute jamais entendu une seule de ses symphonies.

VALEUR DES OEUVRES ET SUCCÈS
Je dois admettre que ma pensée était un aphorisme destiné à frapper et qu'elle ne peut pas expliquer la complexité des phénomènes historiques et musicaux qu'il faut considérer au cas par cas. Je complète alors. Certaines oeuvres, pour des raisons historiques, n'ont pas pu être soumises au jugement de leurs contemporains, dans ce cas il est évident que l'on ne peut appliquer la règle que je propose (le succès à l'époque comme critère de valeur). Il faudrait constater l'insuccès d'une oeuvre, si cette oeuvre n'a pas été soumise au public, on ne peut naturellement tirer aucune conclusion. Ce n'est pas non plus parce qu'une oeuvre un jour a fait un four qu'on pourra en tirer une déduction.

CAUSES DE LA NOTORIÉTÉ DES COMPOSITEURS
Je considère le succès aux concerts lors du vivant du compositeur comme critère de qualité (avec naturellement des nuances). Je pourrais donner comme exemple : Tchaïkovski (qui n'a pas révolutionné la musique, mais a sans doute apporté son originalité), Vivaldi (qui a révolutionné la musique), Mozart (qui n'a pas révolutionné la musique), Beethoven (qui a révolutionné la musique)... c'est peut-être plus clair. J'ai choisi uniquement des exemples de compositeurs révolutionnaires (à mon avis) parce que ils étaient les plus typiques. L'ensemble de ma proposition n'est naturellement qu'une hypothèse. Je voudrais d'ailleurs en profiter pour la compléter. Il apparaît qu'une oeuvre, selon moi, peut être appréciée réellement (dans sa thématique) uniquement si l'auditeur l'a écouté un certain nombre de fois (c'est une autre hypothèse), ce qui à l'époque n'était pas impossible, mais assez rare. Cette constatation met en défaut ma théorie. Je fournis cet argument critique, non pour me prémunir d'un argument venant d'un autre membre (quoique il soit moins désagréable de trouver soi-même le contre-argument de sa propre thèse que de se le voir infliger par quelqu'un d'autre), mais pour approfondir. Le succès de concert représenterait pour moi plutôt un jugement immédiat, une sorte de "jugement présomptif" qui peut avoir un certain rapport avec le jugement réel, mais pas absolu, par exemple trouver une oeuvre uniforme ou variée dès la première audition. Je déduis de tout cela que le jugement musical et l'établissement des notoriétés, qu'elles soient établies au concert ou postérieurement par les musicographes, tient souvent de l'arbitraire. La théorie de l'arbitraire ou celle de la multiplicité de causes diverses peuvent se rejoindre.

DÉCANTATION PAR LE TEMPS
Je pense, oui, que le temps a produit généralement une décantation négative en éliminant les meilleures oeuvres ou, dans le meilleur des cas, en les laissant subsister comme oeuvres secondaires souvent méprisées. Les plus grands chefs-d'oeuvre n'ont peut-être pas été recréés.

SAINT-SAËNS
Vous avez trouvé "fascinante" (pour m'éviter sans doute un terme plus péjoratif) mon analyse de la "Symphonie n°3" de Saint-Saëns; si vous lisiez mon analyse de la "Grande Fantaisie zoologique", vous la trouveriez encore plus "fascinante" certainement car j'évacue tout ce qui s'est dit sur cette oeuvre et j'en propose une interprétation totalement différente. Saint-Saëns, c'est mon grand cheval de bataille. J'en ai fait l'objet d'une partie importante de mon prochain ouvrage, qui hélas ne verra peut-être jamais le jour puisque Slatkine ne veut pas l'éditer (il le trouve apparemment trop éloigné des normes admises). Ceci est la raison pour laquelle je préfère ne pas trop développer le sujet. Je dirais simplement que je fais table rase de tout ce qui a été dit sur l'oeuvre de Saint-Saëns et j'essaie de démontrer que les jugements sur son oeuvre sont en réalité issus du contexte idéologique qui a entouré le compositeur et qu'ils sont totalement étrangers aux caractéristiques réelles de l'oeuvre. J'essaie de suivre le principe d'Adorno, mais mieux qu'il ne l'a fait lui-même, ce qui n'est pas difficile, car il ne l'a pas du tout suivi.

INFLUENCE DE L'"APPAREIL MUSICAL" SUR LE RÉPERTOIRE
Oui, mais justement, n'est-ce pas la hiérarchie actuelle des compositeurs entretenue par l'appareil musical dans son ensemble qui prétend constituer, sans l'avouer, évidemment, la vérité et entraîne que la majorité des mélomanes vont écouter toujours les mêmes oeuvres. Regardez notre chère Anne-Sophie (Mutter),je l'adore, mais n'aurait-elle pas pu profiter de son vedettariat pour mettre à l'honneur un concerto de Vieuxtemps ou de Winiawski au lieu des "Quatre saisons"?

L'OFFRE ET LA DEMANDE
Pourquoi est-ce encore du Bach et non pas du Spohr ou du Locatelli. Parce que nous sommes tous manipulés par la société et l'appareil musical qui autodécrètent les valeurs. La demande ne créé plus l'offre dans notre système, c'est l'offre qui créé la demande. On aboutit secondairement à une circularité vicieuse dans la dynamique commerciale...

SUBJECTIVITÉ DE L'OEUVRE MUSICALE
Je crois qu'il est diffcile de dissocier le couple oeuvre-auditeur. Des caractéristiques impersonnelles, non-spécifiques de l'oeuvre peuvent a mon avis engendrer des émotions, des images, voire des sensations chez l'auditeur selon sa sensibilité. L'oeuvre agit alors comme un élément déclencheur et l'auditeur se comporte comme un résonateur. Dans ce cas, le pouvoir émotionnel de l'oeuvre ne peut à mon avis être considéré comme un élément de sa valeur car il n'est pas spécifique. D'une manière générale, même si une oeuvre possède des caractéristiques qui agissent spécifiquement sur l'auditeur (ce que j'appelerai sa valeur intrinsèque), il y a toujours une certaine ambiguité entre signal transmis et effet perçu. Ma chère ,je vous suggèrerais, mais c'est là peut-être un avis partisan, que si vous ressentez des émotions sublimes en écoutant une oeuvre sérielle de Boulez, c'est vous qui êtes géniale (pourquoi pas) et non pas Boulez.

REMISE EN CAUSE DE LA HIÉRARCHIE DES COMPOSITEURS
Faut-il s'empêcher d'écouter Bach, dites-vous, pour écouter Spohr et Locatelli et vous assujétir à d'autres chaînes dont vous cherchez vaiement la présence en vous? Avant que Locatelli ou Spohr aient assujetti le goût des mélomanes comme peut le faire aujourd'hui Bach, il y a encore du chemin, vous pouvez être rassurés. D'autre part, j'ai cité ces deux compositeurs, mais je pourrais en citer bien d'autres, je ne suis pas assujetti à ces deux-là uniquement, vous le savez bien, cela signifie donc que je me prononce pour une vision plus générale de la musique dans laquelle certains noms ne prennent pas une importance inconsidérée, c'est-à-dire que je me prononce contre l'établissement de chaînes. Il ne faut pas s'empêcher d'écouter du Bach pour violon seul, d'ailleurs moi je ne me l'empêche pas, pourquoi voudriez-vous que j'en empêchasse les autres. Il faut, je pense, relativiser l'importance de ces oeuvres par rapport à l'ensemble de la littérature violonistique de l'époque, ne pas transformer un suiveur, voire parfois un imitateur, en pionnier génial. Faut-il expier le péché d'historiens de la musique (supposés) sectaires en nous privant du plaisir d'écouuter les oeuvres qui ont grandi en nous? dites-vous encore. Une remise en question générale de la hiérarchie des compositeurs est toujours douloureuse. Nos habitudes de pensée et nos goûts sont doublement contestés par la sociologie d'une part et la musicologie moderne d'autre part. Il s'agit, je pense, de reconquérir notre liberté en remettant tout à plat. Sans renier les "chefs-d'oeuvre qui ont grandi en nous", on peut tenter de les relativiser. Chaque fois que l'on écoute un supposé chef-d'oeuvre, il peut être sain de se poser la question: "Si cette oeuvre était signée d'un nom inconnu, y accorderais-je autant d'importance que je le fais". A moins que vous ne préfériez le confort intellectuel que procure l'aplatissement devant les valeurs consacrées en évitant de poser toute question dérangeante. Je me garderais bien naturellement, eu égard à votre envergure d'esprit et à votre immense culture, que ce pût être là votre tentation.

L'OFFRE ET LA DEMANDE
Les problèmes du rapport entre l'offre et la demande, que je ne saurais traiter car je ne suis pas spécialiste, occupent les théoriciens de l'économie. L'économie est souvent le siège d'équilibres qui se créent naturellement selon les lois de la systémique empruntées à la biologie. De multiples facteurs peuvent sans doute y intervenir. Que les choix réalisés par l'appareil musical (les producteurs, éditeurs et diffuseurs) interviennent de manière prépondérante ne me paraît pas spécialement improbable; c'est même à mon avis l'hypothèse la plus immédiate que l'on puisse formuler. Je n'ai pas l'impression d'ailleurs que cette hypothèse me procure un confort particulier, comme vous le prétendez. D'autre part, je suis le premier à me féliciter qu'une firme asiatique ait réussi dans le répertoire oublié puisque je défends les musiques rares, cela montre peut-être que les idées évoluent. Va-t-on voir bientôt Vorisek ou Melcer drainer autant de public que Bach ou Beethoven ? malheureusement, lorsqu'un(e) artiste veut faire un coup publicitaire, il (elle) en revient aux sentiers battus.

LE PRINCIPE DE LA SÉRIE
Oui, mais les définitions de la série, aussi précises soient-elles, ne font pas oublier que le principe en est arbitraire, alors que le mode d'ut sur lequel est assise la tonalité se trouve dans la nature (les fréquences émises par un résonateur). Lévi-Strauss, pensait, peut-être non sans raison, que la musique non-tonale nous conduisait à des errements sans avenir car elle est en contradiction avec la Nature.

LE RÉPERTOIRE POUR ORGUE
Oui, je suis très sensible à l'orgue qui pour moi est un instrument très lyrique. Malheureusement, je connais peu d'oeuvres pour orgue, car je me suis principalement intéressé à la musique concertante pour piano. Je suis néanmoins un inconditionnel de Lefébure-Wéli, un compositeur passablement méprisé aujourd'hui. Le grand siècle de l'orgue, ce n'est peut-être pas obligatoirement le 18e. Vous apprendrez que je suis un peu spécialisé dans la réhabilitation des compositeurs méprisés. Et croyez-moi, que ne faut pas endurer dans cette tâche? En revanche, ne me parlez surtout pas deTournemire...

MOTIVATION DES INTELLECTUELS
Pourquoi les Intellectuels auraient-ils méprisé les véritables oeuvres? Ma réponse est que les Intellectuels voient dans la musique une expression autre que l'intellectualisme et qu'ils manifestent donc une tendance naturelle à l'exclure, à la refuser. Il s'agirait de la jalousie fondamentale de l'esprit envers l'âme. Il y a toujours eu une opposition entre l'intellect et l'Art. Dans une première phase, jusqu'au dix-septième siècle, les Intellectuels ont tendu, me semble-t-il, à refuser de reconnaître la musique en général par rapport, notamment à la philosophie et à la littérature. Lorsqu'une la musique se fût tout de même imposée, s'est établie la seconde phase : la récupération de la musique par les Intellectuels.

RÔLE DE LA SOCIOLOGIE EN MATIÈRE MUSICALE
La sociologie fait partie des sciences humaines, "molles" disent certains, par opposition aux sciences dites "dures" que sont la physique-chimie et la biologie. La sociologie prétend expliquer (au moins en partie) le phénomène artistique comme un ensemble de rites à signification sociale. Dans ce contexte explicatif, l'objet artistique n'intervient pas par ses caractéristiques spécifiques, mais comme un prétexte illusoire. Ce sont les théories de Durkheim, de Menger, Becker, Moulin, Bourdieu... En ce qui concerne Bach, on peut noter le rôle religieux de ses compositions, l'existence de symboles plus ou moins ésotériques ou de procédés d'écriture codifiés contenus dans ses oeuvres (phénomène étudié et dénoncé par Baxandall), le caractère hagiographique (que j'ai déjà signalé) du vocabulaire employé à propos de commentaires)... D'autre part, la musicologie met en évidence le caractère archaïque de son oeuvre par rapport aux autres compositeurs du 18e siècle (Vivaldi, Locatelli, Scarlatti, Rameau, Royer, Daquin...) qui nous a été révélé par la redécouverte et l'étude de ces compositeurs grâce à Pincherle, Landa Wandowska, Kirkpatrick... sans compter les problèmes de désattributions d'oeuvres particulièrement aigus. Ce caractère archaïque n'est pas à mes yeux rédhibitoire en soi, mais il entame le prestige du Cantor (notamment par rapport à Vivaldi et Scarlatti) dans la mesure où on veut le considérer comme un super-génie, le Père de la Musique. L'histoire de la musique s'est orientée également vers l'étude des médiateurs de la musique (les sociétés musicales, les concerts, les académies, le public...) et vers l'étude des oeuvres oubliées (Montias) au lieu de se restreindre à l'esthétisme pure. Je ne suis pas un spécialiste de ces domaines et je ne peux vous fournir que des généralités sur ce qui me semble ressortir des ouvrages essentiels. Personnellement, je ne souscris pas entièrement à l'hypothèse sociologique sinon je ne serais pas mélomane, je pense qu'elle doit s'appliquer selon les cas et concerne plus particulièrement la musique avant le 17e (la musique polytonale) et à partir du vingtième (la musique sérielle et dodécaphonique), qui se rejoignent par leur caractère non tonal.

L'APPROCHE MODERNE DE L'HISTOIRE DE L'ART
La révolution de notre perception du passé s'est produite depuis que nous avons une conception moderne de l'Histoire débarrassée de l'idéologie. L'histoire de l'art a suivi, mais plus lentement et plus difficilement, et en partie seulement. Cette révolution, c'est l'approche moderne, scientifique dans son esprit, même si nous restons il est vrai dans le cadre des fameuses "sciences molles" qui ne peuvent pas prétendre à la rigueur absolue, et dont les résultats doivent être considérés avec réserve.

RAMEAU
Je vous approuve tout-à-fait en ce qui concerne l'oeuvre pour clavecin de Rameau, qui me paraît particulièrement imaginative et pleine de hardiesses, notamment rythmiques (il n'y a pas que Scarlatti dans ce genre). J'en profite donc pour en parler puisqu'il est question de Rameau. Ceci montre au moins qu'on ne retrouve pas forcément chez le compositeur l'image que donnait le théoricien. Cette différence n'est pas faite pour m'étonner particulièrement. Rameau avait-il un cerveau compartimenté ?

CONSIDÉRATION DES OEUVRES RARES
Les oeuvres rares n'ont pas pour vous la même place que pour moi, la découverte que j'en ai faite a totalement bouleversé l'idée (traditionnelle) que j'avais des valeurs musicales. Pour vous, les oeuvres rares se sont simplement rajoutées comme oeuvres généralement "secondaires" dans le schéma préexistant de l'histoire de la musique. Cela dit, je considère qu'il y a des oeuvres tout court, sans leur mettre d'étiquette, rare ou non. Je ne critique pas en elle-même l'absence de contestation globale dans votre cas: la contestation n'est nullement en elle-même un critère de vérité. Je ne me fais non plus aucune gloire de réaliser une telle contestation.

MONTEVERDI
Votre message sur Monteverdi m'a paru très fouillé, malheureusement ma connaissance très sommaire de ce compositeur ne me permet pas d'en saisir tout le sens et de vous répondre. Si cela peut vous intéresser, je vous signale un avis très contestataire d'Alberto Savinio, grand mélomane et grand érudit s'il en est, compositeur, peintre et littérateur, ami de Casella et Dallapiccola, dans son ouvrage "La boîte à musique". Il assimile le goût actuel pour Monteverdi et la musique ancienne comme le triomphe de l'esprit petit-bourgeois et pantouflard, le refus de se transcender dans la musique (ce que représente le 19e à partir de Beethoven). Toujours selon lui, les gens s'ennuient en écoutant la musique ancienne, mais il se sentent délivrés du poids de prendre leur destin en main, ils se sentent l'âme en paix en refusant ainsi la conscience de soi. C'est un exemple parfait d'analyse philosophico-psycho-sociologique qui néglige l'intérêt propre des oeuvres concernées.

UNIVERSALITÉ DE LA MUSIQUE TONALE
Selon vous, le système tempéré ne serait valable que dans notre société et cela est prouvé. Je n'en suis pas si sûr. Comment expliquez-vous que des extrême-orientaux comme les Chinois aient écrit des oeuvres (et à mon avis des chefs-d'oeuvre) en utilisant la tonalité (l'école chinoise contemporaine). Il est vrai qu'ils ont changé de société pour adopter en partie nos valeurs, oui, mais cela montre tout de même l'universalité de la tonalité. Le système de la musique folklorique des Chinois est-il d'ailleurs si différent du système tonal?

JUGEMENT SUR UN COMPOSITEUR OU SUR SES OEUVRES
Je choisis comme vous de considérer l'oeuvre elle-même, mais je m'aperçois que je ne parviens pas toujours à l'appliquer dans mes commentaires et me surprends souvent à formuler des jugements d'ensemble sur des compositeurs au risque d'extrapolations hasardeuses. Pourquoi? PPar facilité ou par paresse peut-être. Si l' oeuvre d'un compositeur est homogène du point de vue style, on peut effectivement affirmer un jugement sur cet aspect, c'est déjà rare. Mais sur le plan de la qualité, de la valeur, l'homogénéité n'est-elle pas encore plus rare?

CONCERTO N°2 DE SCHARWENKA
Le "2" de Scharwenka, n'est pas mon préféré, mais je considère que c'est un très grand concerto. Sa partie pianistique se caractérise par une surcharge considérable en accords et dissonances (le premier style romantique (bien qu'il date de 1879), mais il y a à mon avis un tel lyrisme, des thèmes si irrésistibles que ces insuffisances stylistiques ne me semblent pas trop préjudiciables. Quant à Ponti, c'est lui qui a recréé un nombre extraordinaire de concertos rares, notamment celui de Franck (un peu oublié malgré la nototriété du compositeur), la "Fantaisie" de Liapounov, le "3" de Litolff...

VALEUR DU CONCERT PAR RAPPORT AUX ENREGISTREMENTS
Il y a deux théories, je crois, ceux qui pensent que le concert représente la musique authentique vécue alors que le disque est un succédané présentant de la musique quelque part un peu morte, où il manque le "je ne sais quoi" d'essentiel, ce qui fait la communication. Selon la seconde théorie, le concert traduit beaucoup plus la dimension sociale qui outrepasse la musique et la trahit. Le disque est au contraire le pur véhicule de la partition, c'est-à-dire la musique débarrassée de tout ce qui est extra-musical. En résumé, le disque gomme le plus possible les médiateurs alors que le concert gomme la partition derrière la médiation.

INTROSPECTION SUR LE PLAISIR MUSICAL
Votre introspection de l'audition et de la sensation m'intéresse particulièrement. Pour ma part, j'écoute une oeuvre entre 5 à 10 fois ou plus selon l'intérêt que j'y trouve. A la première audition, je peux y trouver un plaisir, mais c'est un plaisir que me paraît superficiel car il n'est pas en relation avec la thématique que je n'ai pas encore saisie ou très peu. Celle-ci se révèle de manière éclatante (si l'oeuvre est pour moi excellente) à la troisième écoute environ. Les auditions supplémentaires servent alors à savoir "jusqu'où va pour moi l'intérêt de l'oeuvre". Pour certaines oeuvres se manifeste une véritable envie frénétique de l'écouter, totalement incoercible. Au fur et à mesure des auditions suivantes, jusqu'à la vingtième et plus, l'envie d'écouter l'oeuvre diminue, mais l'intérêt que j'y trouve ne me paraît généralement pas amoindri. Je me rémémore (sans que je le cherche) tous les thèmes caractéristiques de l'oeuvre et pour les motifs (par exemple les motifs de cadences solistiques qui sont trop complexes), je me remémore des bribes. J'oublie rarement les thèmes des oeuvres qui m'on impressionnées, par exemple le concerto de Sgambati, cela fait peut-être 5 ou 6 ans que je ne l'ai pas écouté, mais le thème principal du 1er mouvement me poursuit toujours, en revanche, j'ai "perdu" celui du 3ème mouvement depuis 2 ou 3 ans. Les cadences solistiques, je ne les ai plus en tête, mais je les reconnaîtrais en les réécoutant. Ce n'est pas une question de pure mémoire, me semble-t-il, c'est l'affectivité qui permet la mémorisation.

LEFÉBURE-WÉLI
Vous trouvez Lefébure-Wéli pompier et l'assimilez à Offenbach. Lefébure-Wéli est pompier comme Saint-Saëns est académique sans doute. Pour moi, Lefébure-Wéli est un des grands génies de la musique auprès duquel Bach représente bien peu. Je dis "pour moi", je n'interdis à personne de penser différemment.

MUSIQUE BAROQUE ET MUSIQUE ANCIENNE - QUATRE SAISONS DE VIVALDI ET PASTORALE DE BEETHOVEN
La musique baroque (terme impropre à la musique) n'est pas vraiment pour moi de la "musique ancienne", quoiqu'on y retrouve parfois un certain caractère sommaire et une rythmicité un peu superficielle, ainsi le rapprochement que vous faites ne me paraît pas tout-à-fait incongru. Mais il faut à mon avis, considérer chaque oeuvre. Du point de vue style, "signification", il y a pour moi un univers entre "La quattro staggioni" et un concerto de Galuppi par exemple ou une sonate de Tibaldi. Je rapprocherais plus facilement "Les quatre saisons" de la "Symphonie Pastorale" de Beethoven du point de vue esprit (pas uniquement du point de vue sujet), mais pas du tout du point de vue thématique ou symphonique. Je trouve même que Beethoven dans cette symphonie (grande, sublime s'il en est à mon avis, mais pas sa meilleure) est plus descriptif, parfois plus aimable, plus divertissant que Vivaldi. Comparez le conventionnalisme (au bon sens du terme) du "coucou" de Beethoven dans cette oeuvre et la tristesse indicible, douloureuse de la "tortorella" dans les "Quatre saisons" par exemple. En revanche, les deux orages sont peut-être plus proches (dans l'esprit toujours), quoique Beethoven à mon avis se révèle plus grandiose et Vivaldi plus violent.

SIGNIFICATION DE LA MUSIQUE MODERNE
Webern, Boulez, Dusapin expriment peut-être la décadence de la société. Je ne sais plus qui a dit que la musique moderne exprimait "l'aliénation de l'homme dans la société moderne", Adorno ou Fubini ou un autre?

SIGNIFICATION DU CONCERT - APOLOGIE DES OEUVRES ENNUYEUSES
Le concert ne permet-il pas parfois de s'adonner sans l'avouer au masoschisme. La salle de concert, un espace clos, sombre, étouffant comme l'Erèbe, où chacun se trouve enchaîné à son fauteuil ainsi que les deux héros Grecs venus séduire Perséphone? L'apologie des oeuvres nulles et ennuyeuses n'a-t-elle pas parfois la signification d'une cynique revanche de nos esprits étroits à l'intention des génies véritables?

CONCERTO N°2 DE BRULL
Je dois avouer que Brull ne me porte pas aux nues. Je ne retiendrais de son "Concerto n°2" qu'un petit thème assez bon dans le premier mouvement, tout le reste me paraît terne , sans personnalité. Vraiment désolé. Mais s'il peut faire votre bonheur!

CONCERTOS CLASSIQUES DE SCHUMANN, BRAHMS, MENDELSSOHN
Les concertos classiques des Brahms, Schumann, Mendelssohn ne se trouvent pas, me dites-vous, dans la série des concertos édités par Hypérion. Et à mon avis, cet éditeur a eu raison car ces concertos me paraissent de faible intérêt pour les Mendelssohn, un peu meilleur pour le Schumann, encore un peu meilleur pour le 1 de Brahms et encore un peu meilleur pour le 2, mais même avec cette progression de concerto en concerto on n'arrive à mon avis qu'à un bon concerto sans plus, un honnête concerto. Interessante philosophie que celle de cettte série, je ne suis pas enfin le seul à vouloir réhabiliter les virtuoses-compositeurs, il y a de l'espoir. Je ne suis cependant pas absolu car pour moi, le "5" de Beethoven est un très grand concerto (le "3" moins) qui a joué le rôle de pionnier dans l'histoire du genre, celui de Rimski me paraît aussi excellent, ce sont pourtant deux symphonistes notoires.

MUSIQUES DE L'ANTIQUITÉ
D'après ce que j'ai compris, même si l'on ne peut parler de tonalité dans l'Antiquité, il existe des modes témoignant de l'existence d'une hiérarchie des sons, ce que représentent les intervalles de quarte, de quinte principalement, intervalles qui correspondent aux principales vibrations émises par un corps solide excité. Cette hiérarchie, même réduite, semble donc sinon universelle, au moins utilisée par plusieurs peuples de l'Antiquité. Je vous avoue que l'audition du fameux "Hymne à Seleukos" et quelques autres pièces "authentiques" (ou prétendues authentiques?) de musique grecque ancienne me font plutôt l'effet de musique "tonale", au sens large du terme. Cela dit, c'est de l'ordre de l'intuition. Ceci contraste avec la musique dodécaphonique dans laquelle toute hiérarchie entre les degrés disparaît.

MOSZKOWSKY
"Moritz Moszkowsky : concerto pour piano en la majeur op. 59 Michael Ponti/Philharmonia Hungarica/Hans Richard Stracke" Hélas, Moszkovski. C'est curieux, mais j'ai l'impression que ses petites études pour les jeunes pianistes sont meilleures que ses autres oeuvres et ses études de haute "virtuosité". Pourquoi "Étincelle" est-il devenu le morceau obligé en fin de concert de certains pianistes? Est-ce de la virtuosité? Pour moi, c'est de la difficulté instrumentale qui n'engendre pas de "virtuosité" véritable. Le "Concerto op 59" me paraît bien confus. Je suis certain que Moszkovski pourrait nous donner le meilleur et qu'il nous donne le pire.

SUR UNE LISTE D'OEUVRES PROPOSÉE
A mon avis, il y a dans cette sélection un bon concerto : le 1 de Reinecke, dont j'admire particulièrement l'orchestration sombre et romantique (notamment le thème d'ouverture), un grandissime concerto : le "3" de Litolff animé d'une fougue, d'une frénésie remarquable, des concertos de faible intérêt, ceux de Mendelssohn et le Rheinberger. Mendelssohn dans ces oeuvres ne parvient pas, à mon avis, à se départir d'un rythme vif, mais régulier (comme s'il s'agissait d'une redite indéfinie de sa "Fileuse") qui interdit tout pathétisme dans ces compositions, j'y déplore le manque d'expression, le caractère systématique de l'écriture. Le Rheinberger me paraît plutôt confus, dynamique et peu mélodieux. J'essaie de faire là de la critique musicale objective, c'est-à-dire que je témoigne de jugements favorables ou défavorables selon les oeuvres sans considération de la notoriété des compositeurs.

WAGNER ET LE WAGNÉRISME
Nietszche était un sage, la preuve à mon avis, c'est qu'il a été un des premiers à ne plus aimer Wagner en pleine euphorie wagnérienne. Son "Wagner", dont le "Vaisseau fantôme" a été arrêté selon lui par le "roc Schopenhauer" vaut la peine d'être lu. Schopenhauer qui, pour demeurer en état d'ataraxie, écoutait quotidiennement du Rossini. Cela dit, j'aime le style symphonique de Wagner, je suis passé par les deux phases, j'en suis à la troisième phase du perpétuel balancier. Mais, tout ce verbiage philosophico-musical entretenu depuis le 19e siècle a-t-il une véritable signification dans la mesure où l'on n'évoque pas des oeuvres précises, mais où l'on n'exprime qu'une affinité générale à l'égard de Wagner?

CONCERTO n°3 DE MOSCHELÈS
Le "Concerto n°3" de Moschelès est pour moi un concerto fondamental dans l'évolution du genre et une très grande oeuvre par sa valeur propre. Il me semble plutôt représenter un pont entre Hummel et Chopin. Le second mouvement présente à mon avis, de nombreuses analogies avec le second mouvement du "Concerto en fa" de Chopin (notamment la partie centrale). On pourrait ajouter aussi la correspondance entre l'orchestration en général de ce concerto et ceux de Chopin, les motifs confiés aux bois, les développements aux cordes, particularités qui se retrouvent, il est vrai, pour toutes les oeuvres de cette époque

HARMONIE ET MÉLODIE - TONALITÉ
J'en profite pour me demander jusqu'à quel point le terme de tonalité implique la hiérarchie entre les degrés. En Europe le mode dominant est le mode d'ut, mais quels sont tous les poins communs entre le mode d'ut et les modes secondaires par exemple le mode tzigane, le mode hispano-mauresque ou même tout simplement le mode mineur. Entre ces modes, il y a des degrés communs, mais aussi des degrés variables. L'existence de modes différents représente donc une variabilité de la tonalité. Tout dépend aussi si on considère l'expression de la tonalité dans l'harmonie ou dans la mélodie. L'expression de la tonalité dans la mélodie est beaucoup plus floue puisqu'il faut tenir compte du chromatisme. Ne considérer que l'harmonie pour analyser une oeuvre sur le plan de la tonalité est sans doute plus facile, mais ne me semble pas recevable puisque c'est un accompagnement facultatif.

FÉLIX MENDELSSOHN
Mendelssohn (injustement ou justement) brocardé par une certaine postérité, c'est possible. Il n'empêche qu'il tient une place assez conséquente dans les ouvrages actuellement, donc en tant que spécialiste des compositeurs méprisés, je ne me sens pas tenu de le défendre. Étrangement, le flot des critiques qui ont fini par laminer plus ou moins Saint-Saëns, Paganini et d'autres, n'a pas entamé Mendelssohn, par quel mystère? En fait, je crois que Mendelssohn n'a pas été méprisé parce qu'il était trop lyrique ou trop virtuose, mais surtout parce qu'il était trop classique ou rétrograde? C'est un "défaut" qui se pardonne beaucoup mieux (regardez Bach). Personnellement, je n'ai aucun a priori sur le caractère moderne ou classique. Sur un autre plan, je crois qu'il est quasi-impossible de parler de Mendelssohn si l'on ne distingue pas au moins les différents genres instrumentaux qu'il a abordés. Son oeuvre pianistique me semble n'avoir presqu'aucun rapport avec son oeuvre violonistique, que je trouve plutôt bienvenue, et même très bienvenue.

CONCERTOS LITTOLFF, SCHUMANN, GRIEG, MOSCHELÈS
Je n'ai pas du tout eu cette impression de superficialité en écoutant le "3" de Litolff, j'ai ressentiau contraire une grande impériosité, un lyrisme intense, presque haletant, notamment tout au long du premier mouvement. Les thèmes me paraissent très caractéristiques et mémorisables. Cette oeuvre, parue à peu près en même temps que le Schumann, me paraît le dépasser considérablement et à mon avis préfigure le Grieg beaucoup plus, contrairement aux affirmations de certains. Cela dit, des 3 concertos, c'est le Grieg que j'estime le plus, en raison de sa dimension nostalgique et rêveuse alliée à une grandeur qui atteint parfois l'apothéose. On dit que mes goûts sont isolés, voire surprenants, pas du tout, je crois même que sur ce forum, c'est moi qui manifeste les goûts les plus proches de ceux exprimés par le public, donc les plus communs, les plus partagés, mais bien sûr il ne faut pas considérer uniquement le public de notre époque, c'est l'erreur que l'on fait, il faut voir plus large. La plupart des oeuvres que je loue ont été de grands succès à leur époque, par exemple le "3" de Moschelès. Et, comme l'écrasante majorité du public, je déteste la musique atonale.

MONOCÉPHALIE ET APOSTASIE
Tout cela est bien sybillin. Pourquoi "bicéphale" à propos du "pourfendeur de la musique atonale". Pour ma part, je me contente d'être un pourfendeur monocéphale de la musique atonale et cela suffit peut-être car en plus, vous le savez (c'est ce qui me vaut les foudres de vos messages), j'ai apostasié (depuis longtemps) la religion des compositeurs consacrés.

LES APPLAUDISSEMENTS EN CONCERT
Au point où en est arrivé le public aujourd'hui, les applaudissements ont-ils une signification? On a l'impression qu'il ne s'agit plus que d'une manifestation de convenance, une sorte de réflexe pavlovien.

VARIATIONS D'INTÉRÊT À L'INTÉRIEUR D'UNE OEUVRE
Presque tous les compositeurs sont en même temps géniaux et nuls à la fois, selon les oeuvres considérées. J'attribue cette caractéristique à l'importance de l'inspiration dans la création (ce que Bach niait justement bien qu'à mon avis il ait connu aussi l'inspiration). J'irai même plus loin en affirmant qu'à l'intérieur d'une oeuvre, un thème peut être génial et un autre sans intérêt, parfois, ce sont les développements qui sont fastidieux, parfois au contraire les motifs secondaires sont mieux venus que les thèmes principaux, parfois encore, c'est la trop grande répétition d'un même thème, fût-il excellent, qui déprécie l'oeuvre en engendrant une certaine monotonie, c'est le cas, me semble-t-il, de nombreuses pièces de Balbastre. Il y a une dizaine d'années j'avais eu l'idée d'un graphique qui indiquait en fonction du temps (depuis le début jusqu'à la fin de l'oeuvre) l'intérêt de cette oeuvre pour l'auditeur, l'échelle des ordonnées allait de "sans intérêt" à "sublime". Ce serait intéressant de savoir si toutes les personnes réagissent identiquement aux mêmes motifs. J'ai réalisé personnellement un tel graphique (avec une bande de papier défilante devant un curseur perpendiculaire muni d'un crayon) pour quelques concertos et j'ai pu en déduire une valeur moyenne de l'oeuvre issue de ce graphique (relative évidemment à mon propre jugement). Ceci peut être intéressant, je crois, car il est possible que deux personnes fournissent un jugement différent pour la même oeuvre, uniquement parce que l'une s'appuie sur les bons passages en occultant les faibles tandis que l'autre fait l'inverse, selon son préjugé vis-à-vis du compositeur. Les deux ont raison ou tort, comme on veut. Ce genre de test pourrait avoir l'intérêt à mon avis de nous faire prendre conscience de notre jugement à tout instant alors que parfois on peut être tenté de fournir un jugement global qui ne s'appuie pas obligatoirement sur la réalité de l'impression. Aujourd'hui, un tel test pourrait être facilement réalisé par la création d'un petit logiciel assez simple. On pourrait peut-être grâce à ce test augmenter notre connaissance sur le jugement musical. Bon, certains vont dire que je suis devenu complètement fou avec cette histoire de machine à tester le jugement musical.

L'ÉCOLE FRANCO-BELGE DE VIOLON - VIEUXTEMPS
Vous savez peut-être que je suis un grand admirateur de l'école franco-belge de violon et je ne peux que vous encourager à faire connaître les grands compositeurs de cette école qui, à mon avis, dépassent amplement les Mendelssohn, Haydn, Bach, Bruch et autres Schumann. Je parle notamment de Vieuxtemps, bien sûr, mais aussi d'Hubert Léonard, de Charles De Bériot, d'Auguste De Boeck (ce dernier est à mon avis occulté outrageusement par Ysaye)... J'ai tenté sur ce forum d'évoquer quelque peu Vieuxtemps, mais malheureusement il n'y a pas eu beaucoup d'écho. On pourrait parler particulièrement de l'orchestration de ses concertos car pour moi c'est un grand symphoniste. D'une manière générale, je pense que l'école franco-belge et les violonistes du 19e siècle ont plus apporté à l'orchestration que les pianistes-compositeurs qui, jusqu'en 1850 en sont restés à des formules symphoniques plus classiques. Je ne défends pas les compositeurs belges en tant que belges, la nationalité n'a pour moi aucune valeur, mais parce qu'ils ont effectivement, à mon avis, développé une école de violon possédant ses caractéristiques propres, une certaine idée du lyrisme, une fusion particulièrement prononcé du symphonisme et du solisme...

TIPETT ET VIVALDI!
Tipett s'inspirant de Vivaldi! C'est assez cocasse, il faut l'avouer, mais pourquoi pas. C'est le mariage de la Grée et de l'alcyon (je vous laisse imaginer qui est pour moi l'alcyon et qui est la Grée). Je ne connais que le "Concerto pour piano" de Tipett, est-il atonal ou non? je n'ai pas encore réussi à résoudre le problème, en tous cas j'y vois une grande confusion. Je ne connais pas les symphonies, alors je peux bien imaginer qu'elles sont meilleures. On peut toujours garder l'espoir.

JUGEMENTS DE COMPOSITEURS
Personnellement, je crois que l'on a tort de brandir le jugement émis par un compositeur consacré sur un de ses confrères comme s'il représentait la parole divine. Tout d'abord, cela signifie qu'on ne se fie pas à son jugement personnel, mais à celui d'un tiers. Tout individu sensible à la musique, il me semble, ne peut accepter cet abandon du pouvoir de jugement ou alors c'est qu'il n'a pas de sensibilité musicale. En second lieu, le jugement d'un compositeur sur ses pairs, fussent-ils disparus depuis longtemps, peut être à mon avis suspecté comme tendancieux, au moins eu égard à sa propre conception artistique. Que penser de Chopin qui, parmi ses contemporains, n'appréciait rien d'autre que la musique de Bellini?

CHOSTAKOVITCH ET LA POLITIQUE
Chostakovitch, selon vous, aurait été défavorisé par ses rapports tumultueux avec les autorités soviétiques. Reprenons donc notre vieille polémique. Si ma mémoire est bonne (mais elle ne l'est pas obligatoirement), j'ai parlé d'exploitation éhontée de la dissidence et j'ai signalé dans le même message que Chostakovitch n'était pas un dissident, il n'est donc pas de facto concerné par le terme, mais cela n'a pas grande importance. Pour autant, je suis très sévère envers lui car je constate, (outre que la plupart de ses oeuvres que je connais me semble détestable en elle-même) que les ouvrages qui parlent de Chostakovitch développent tous ses démélés avec le régime (je n'ai que des sources secondaires effectivement) alors que Mossolov qui faisait de la musique plus moderne que lui n'a pas, semble-t-il, été le sujet de commentaires aussi fournis (rien qui soit très médiatisé en tous cas) de la part du régime. J'en déduis que Chostakovitch n'est peut-être pas totalement innocent dans cette anti-propagande qui est devenue pour lui une véritable propagande. Mon propos sur Chostakovitch est destiné surtout à affirmer l'indépendance que je crois nécessaire de la musique vis-à-vis de la politique. Chostakovitch semble créer ou au moins accepter l'amalgame entre politique et musique. N'a-t-il pas voulu se positionner comme compositeur "politique". C'est une simple présomption, une subodoration. Il me paraît certain que les démélés de Chostakovitch avec le régime lui ont apporté une publicité qu'il n'aurait pas eu s'il s'était préoccupé uniquement de composition musicale comme l'a fait Kabalevsky. Et, depuis les Lumières, nous sacralisons automatiquement, les yeux fermés, toute révolte à l'égard de l'autorité et du traditionalisme.

KABALEVSKY ET LA POLITIQUE
Je fais un modèle de Kabalevski uniquement sur le fait qu'il me semble considérer musique et politique comme deux sphères séparées. Je ne sais s'il a fait de la propagande nationaliste, mais il n'est pas connu pour cette raison, ce qui m'amène à penser qu'il ne s'est pas particulièrement fait remarquer sur ce plan. Il est surtout connu pour ses activités pédagogiques dans le domaine du piano. Faire accepter au monde ses études au 20e siècle au même titre que celles de Clementi quand on est russe et qu'on n'est même pas dissident, avouez tout de même que cela force l'admiration. Ce que je ressens, par ailleurs, c'est une profonde affinité avec ce qu'exprime sa musique.

CONCERTO POUR VIOLON DE KHATCHATURIAN
J'apprécie aussi beaucoup l'originalité expressionniste de ce concerto qui me paraît cependant moins prononcée que dans le second mouvement de son concerto pour piano. Dans ce concerto pour violon, Khatchaturian à mon avis dérive dangereusement vers la facilité, voire parfois la vulgarité, que l'on trouve dans certaines parties de "Gayaneth" et il n'atteint pas l'intensité émotive de son "Spartaccus" (pourtant parfois encore plus sommaire à mon avis mais sauvé par sa puissance expressionniste). En matière de concertos pour violon du 20e siècle, je vous avoue que je préfère nattement le Glazounov, plus classique, et surtout le Taktakichvili, plus mystérieux, plus expressionniste) (le "n°2" car le "1" me paraît de très faible intérêt). Le point commun entre ces deux dernières oeuvres, c'est l'exploitation hallucinante dans un passage de chaque oeuvre des extrêmes-aigus en staccato et pizziccati rapides. Comme tous les compositeurs russes (d'ailleurs il n'est pas russe, mais peu importe), à mon avis, Khatchaturian peut d'un instant à l'autre passer du degré le plus élevé de la sublimité à la vulgarité la plus désolante. Pour moi, ceux qui ont révolutionné la musique au vingtième siècle ne sont pas Schöenberg, Stravinski, Berg et les autres "modernistes", mais plus sûrement Kabalevsky, Khatchaturian, Rachmaninov, Taktakichvili et même Rodrigo, mais il faut savoir rechercher les nouveautés qu'ils ont apportées. Elles ne frappent pas dès l'abord, à l'instar de celles de Debussy par rapport à son temps. Elles s'intègrent à l'histoire de la musique depuis le 18e siècle et ne constituent pas un bloc erratique gratuit, dont on peut douter qu'il constitue réellement la continuation de la musique.

NOVATIONS APPORTÉES PAR LES COMPOSITEURS PEU CONNUS
Les compositeurs peu connus reprendraient plus ou moins ce qu'on trouvé les compositeurs connus, dites-vous? C'est ce que croient les ignorants trompés par le catéchisme d'une histoire de la musique à la convenance des idoles.C'est souvent l'inverse, me semble-t-il. Les compositeurs connus reprennent un style existant en ajoutant (ou en n'ajoutant pas) leur originalité et on attribue à tort des "inventions" qui proviennent en fait de compositeurs antérieurs et sont le résultat d'une longue évolution. C'est notre connaissance trop partielle des oeuvres musicales d'une époque qui est responsable de cet artefact. Par exemple, le style de Chopin dans ses concertos n'a pas été "inventé" par Chopin, il est le résultat d'un long cheminement d'une oeuvre à l'autre depuis Vorisek, Hummel, Fiels, Moschelès... On peut trouver des passages très équivalent notamment dans les mouvements lents, des tournures thématiques correspondantes. Chopin, ne représente même pas, à mon avis, l'apogée de ce style car il faut ajouter Kullak qui, à mon avis, le dépasse dans ce style spécifique au premier 19e siècle (mais qui a continué de se développé)... Voilà quelques éléments très fragmentaire en considération du faible nombre d'oeuvres que nous connaissons de cette époque. Je donnerai un autre exemple plus évident. La musique de Mozart représente un style nettement identifiable par tous. Or, on sait très bien qu'il s'agit du style galant dont il n'est pas l'inventeur, lequel s'est élaboré presque un demi-siècle avant lui. Y a-t-il eu des bonds comme vous le dites grâce à des créateurs exceptionnels, c'est possible, mais pour le savoir il faudrait avoir entendu toutes les oeuvres de l'époque correspondante, donc on ne peut pas se prononcer. Qui aurait (je dis bien "aurait") permis ces bonds : Beethoven peut-être en partie, mais il y a Dittersdorf, Berlioz, à mon avis, a modifié l'instrumentation, mais pas fondamentalement l'esprit (ce qui n'est déjà pas si mal), Vivaldi, peut-être car son style au 18e est unique, à moins que de récentes découvertes ne montrent le contraire, mais c'est Torelli qui inventa le concerto de soliste. Paganini, peut-être aussi a été l'inventeur de la virtuosité transcendante et d'une thématique très originale, notamment dans les grands crescendos, un chromatisme spécial pour les thèmes lents, mais Spohr a peut-être joué un rôle. L'inventeur de l'expressionnisme russe, Rachmaninov, peut-être en partie, dans le mouvement lent de son "Concerto n°2", mais on trouve des traces de ce style chez Wiklund et sans doute chez bien d'autres. Rachmaninov n'a peut-être jamais entendu Wiklund, mais leurs oeuvres se rapportent peut-être à une source commune que nous ne connaissons pas...

LIADOV ET MOUSSORGSKY
Le 2ème Prokofiev (pour piano je suppose), et même les autres, à mon avis, non, le "2" pour violon et même le "1" je dirais oui pour le style, ce qui me paraît assez inimaginable et me scandalise. Je trouve indécent de la part de Prokofiev de s'approprier un style en totale oppositionn avec le sien propre. Le "baba-yaga" de Liadov, je le trouve plutôt wagnérien, pour moi, c'est du post-pressionnisme, celui de Moussorgski me paraîtrait plus expressionniste, en tous cas pour moi il a plus d'allure.

VIVALDI MUSIQUE RELIGIEUSE ET MUSIQUE INSTRUMENTALE
Le sublime "Dixit Dominus" de Vivaldi! Oui, je parlais de l'exécrable "Dixit dominus". En fait non, pas exécrable. J'avoue que cette messe ne m'a pas paru particulièrement rébarbative, mais pas enthousiasmante non plus. Les intermèdes orchestraux m'ont paru parcouru d'une certaine animation. Ce sont les parties vocales en solo qui me paraissent assez longues (plus que les choeurs) et pour tout dire athématiques. D'autre part, les oeuvres vocales évoquent assez une certaine communion humaine, une chaleur qui n'est sans doute pas dépourvue d'intérêt et que j'ai ressenti. Est-ce la raison pour laquelle ces oeuvres sont tout de même appréciées, c'est possible. Mais est-ce suffisant pour que se soient des oeuvres musicales d'intérêt supérieur? Dans mon message initial, je parlais de l'imagination bridée de Bach dans les compositions à vocation religieuse, soit la plupart des oeuvres de ses oeuvres, mais pas toutes, les concertos brandebourgeois, les partitas, les "Suites" me paraissent dépourvues de tout esprit religieux et sont plus proches de la littérature musicale baroque. Je vous dirais, cela va vous faire plaisir, que je trouve le "Gloria" de Vivaldi guère meilleur, à part le premier mouvement. Le reste me paraît du pur remplissage. Pour ce qui est de ses concertos, puisque vous abordez le sujet, il faut d'abord distinguer les concertos pour violon, 260 environ, et ceux pour diverses compositions instrumentales...

LES INNOVATIONS APPORTÉES PAR RODRIGO
J'aurais sans doute été plus à l'aise d'écrire sur l'apport de Khatchaturian que de Rodrigo, mais vous me mettez au pied du mur avec Rodrigo. Je ne peux tout de même pas me défiler. Quelles nouveautés a pu apporter Rodrigo? Vous avez vous-même fourni une réponse élégante en affirmant que les oeuvres de ce compositeur, c'était mieux que les "couinements élaborés dans le sous-sol du Centre Pompidou". Certes. Je vais tenter de compléter. Pour fixer les idées, je m'appuie sur son oeuvre pour piano (l'intégrale une cinquantaine de pièces environ : Jean-Gabriel Ferlan - Dante Production 1994 PSG 9432 et PSG 9433), son fameux "Concerto de Aranjuez" et deux ou trois oeuvres du même type, une oeuvre pour harpe, la "Fantaisie pour un gentilhome", voilà pour fixer la réflexion. Je ne connais d'ailleurs pas son "Concerto pour piano". Je considèrerais sous deux aspect les nouveautés apportées, selon moi, par Rodrigo.
1)L'utilisation particulière de l'harmonie, des modulations dans le sillage de Debussy, ceci dans l'oeuvre pour piano: notamment dans "A l'ombre de Torre Bermeja", "Séguédille du diable". Rodrigo utilise amplement l'apport de Debussy et le complète à mon avis. Du point de vue thématique, il créé un impressionnisme aux effets très intenses sans déstructurer au maximum les thèmes comme Debussy. Il élabore parfois des fond sonores autonomes ("Au bord du Guadalquivir") alors que Debussy s'oriente vers des effets très nuancés dans le même plan sonore. plus de fusion chez Debussy, plus de relief chez Rodrigo. Rodrigo recherche des effets saisissants, amplifiés par la puissance du rhapsodisme comme chez les Russes. Je crois que parfois, dans ce style, Rodrigo a dépassé Debussy (mais on va encore m'accuser de placer à tout prix placer les compositeurs peu connus avant les plus connus). 2)La création d'un style de synthèse entre le lyrisme du 19e siècle et la musique des cours renaissantes ou médiévales (par exemple Dowland). C'est le cas dans le 1er et 3ème mouvement du "Concerto de Aranjuez", et plus encore peut-être dans la "Fantaisie pour un Gentilhomme". Stravinski a, de son côté tenté de telles synthèses avec des styles anciens, mais à mon avis bneaucoup plus dans un esprit de snobisme, voire de provocation et de "goût du rétro", bien dans le personnage de "m'as-tu vu" qu'il était, esprit totalement inconnu de Rodrigo. A côté de cela, on trouve, à mon avis, des oeuvres "vulgaires" comme le "Concerto pour quatre guitare" sur lequel il est préférable de ne pas s'attarder. La "Fantaisie pour harpe" souffre de la même insuffisance pour certains de ses mouvements, à mon avis, mais elle atteint le parfois le sublime. Je dirais que Rodrigo me paraît plus isolé que Khatchaturian, Glazounov, Djabadary, Christoff (Dimiter), Rachmaninov, Constantinescu, Galynine... qui s'inscrivent (pour certaines de leurs oeuvres) dans le mouvement expressionniste russe, mouvement à mon avis, le plus fondamental du 20e siècle, mais cela est peut-être du en partie à ma connaissance insuffisante de la musique espagnole. Tout le monde ne sera pas convaincu (et même plus probablement personne), mais j'ai tenté d'apporter quelques éléments.

CHOPIN ET PAGANINI PAS DE VRAIS COMPOSITEURS!
Une de vos connaissances, dites-vous, considère que Chopin et Paganini ne sont pas de véritables compositeurs car ils n'ont écrit que pour leur instrument. Outre que c'est faux pour l'un comme pour l'autre (mais admettons que c'est vrai pour une grande partie de leur oeuvre), je me permettrais de citer à l'intention de votre connaissance une citation du violoniste et critique Jacques Thibault, que je tiens toujours en réserve pour les casdésespérés :

"Paganini est, dans l'art instrumental, une double liaison dans le style classique-romantique et le style moderne. Il a donc devancé d'un siècle l'écriture violonistique, et je reste persuadé que ses inventions, ses heureuses créations ont influencé les possibilités techniques de toute l'orchestration mondiale."

Pour répondre à votre question, que vous posez très judicieusement à mon avis, je dirais sous forme de lapalissade: être un (bon) compositeur, c'est essentiellement composer de belles oeuvres, la nouveauté apportée me paraît facultative. A propos de Paganini, je dirais qu'il a illustré les deux aspects, surtout le second : composer de la belle musique, tout comme Chopin d'ailleurs. Il n'y a pas de complot contre les virtuoses-compositeurs, mais il y a tout de même assez souvent des attaques visant à les réduire à des compositeurs secondaires, sinon moins.

CHOPIN ET BACH
Chopin avait toujours sur son pupitre le "Clavier bien tempéré", me dites-vous, c'est donc qu'il attribue à cette partition un certain prix. Et au moins, Bach pourrait être un bon constructeur à défaut d'être un novateur. Oui, mais voilà, la maison Bach pourrait être encore plus mal bâtie qu'elle n'est archaïque. Ce n'est pas parce que la musique d'un compositeur a un caractère sérieux et intellectuel qu'elle est obligatoirement bien structurée. Je pense qu'une structure existe chez Bach, mais elle me paraît inefficiente car elle concerne un aspect qui n'est pas musical, mais plutôt ésotérique. Quant à Chopin, je ne sais pas s'il a eu beaucoup le loisir de consulter des partitions de Royer par exemple ; Scarlatti ou Rameau, c'est possible, mais peut-être pas évident. De plus, Chopin, comme tout artiste, est tributaire de la culture qu'on lui a donné, or on ne lui a certainement pas présenté et fait étudier sur le même pied d'égalité Bach et Scarlatti ou Rameau. D'ailleurs rien n'a changé aujourd'hui, un élève du Conservatoire pourra avoir fait dix années de piano en n'ayant jamais joué Scarlatti ou Rameau alors qu'il aura joué des dizaines de pièces de Bach. C'est la perduration de cet "abus de position dominante" qui m'amène à réagir. Scarlatti est resté connu pendant tout le 18e siècle et le début du 19e, mais tout de même de manière fortement marginalisé. De toutes manières, ce que Chopin a utilisé chez Bach, cela pourrait bien provenir en réalité de la littérature concertiste de l'époque de Bach que ce dernier n'a fait que réutiliser, assez servilement à mon avis et avec peu d'imagination. Il n'a peut-être servi que d'intermédiaire. Chopin disposait avec "Le clavecin bien tempéré" d'une des rares compositions qui pouvait lui révéler -imparfaitement d'ailleurs - l'art des anciens clavecinistes. On comprend qu'il lui ait attribué un certain prix. Mais je suis heureux que vous ne remettiez pas en cause tout ce que je dis. Et puis, il faut considérer la manière partiale dont on a pu, peut-être, s'intéresser à la biographie de Chopin. N'a-t-on pas particulièrement mis en évidence ce qu'on y cherchait et occulté ce qu'on ne voulait pas y trouver? Tout essai de biographie ou de reconstitution historique est obligatoirement biaisé par une certaine déformation idéologique propre aux valeurs véhiculées par la société dans laquelle vit le biographe.

LE LAC DES CYGNES ET LE CASSE-NOISETTE
je ne partage pas totalement votre point de vue. Pour moi, le "Lac de cygnes" crée surtout une atmosphère, je dirais vide de tout contenu, c'est-à-dire qui n'est soutenue par aucun thème intéressant. J'opposerai le "Lac des cygnes" au "Casse-noisette", oeuvre sublime s'il en est pour moi, peut-être le plus beau ballet avec "Les saisons" de Glazounov. La "Belle au Bois dormant" me paraît aussi un échec. Rares sont les compositeurs qui,à mon avis, produisent un grand nombre de chefs-d'oeuvre dans le même genre musical.

SGAMBATI CONCERTO POUR PIANO
Je ne sais pourquoi vous voulez voir Sgambati comme un génie uniquement mélodique alors que son concerto se place, à mon avis, dans la lignée de Grieg et Tchaïkovski, or ces deux compositeurs comme Sgambati, ont développé, je pense, tout de même l'aspect harmonique et symphonique dans leurs oeuvres. Remarquez d'ailleurs l'importance de la partie orchestrale dans le premier mouvement du Sgambati, notamment par plusieurs cadences et par l'ouverture. Par rapport aux concertos de Chopin, par exemple, on peut même dire que le pianisme de Sgambati est beacuoup plus surchargé en accords, d'une grande densité à mon avis à tel point qu'il préfigure nettement Rachmaninov. Je dirais qu'avec le Concerto de Dvorak (pour piano), le Sgambati me paraît l'un des plus denses harmoniquement, ce qui n'exclut pas son intérêt mélodique. Par rapport à Brahms, il me semble que vous faites passer très habilement l'infériorité de celui-ci -à mon avis - sur le plan des idées musicales comme une supériorité puisque vous dites en substance "il a moins d'idées mais les développe mieux". Seriez-vous poussé dans vos derniers retranchements?

PERCEPTIONS D'UNE OEUVRE MUSICALE
Je ne sais qui a écrit ceci, mais je jurerais que c'est vous, mon cher ami. Il n'y a que vous pour réaliser une telle analyse introspective de mon jugement. Je répondrais qu'elle me paraît d'une certaine sagacité, et même plus que cela. Quelle est donc cette dimension d'une oeuvre musicale que je considère comme secondaire -mais c'est bien sûr - la dimension intellectuelle, comment n'avez-vous pas résolu l'énigme. Elémentaire, mon cher!

LAC DES CYGNES ET CASSE-NOISETTE - CONCERTOS POUR PIANO DE KABALEVSKY
Je ne cherche nullement à montrer la petitesse de certaines oeuvres pour montrer la grandeur d'autres oeuvres, et même dans le cas de Tchaïkovski, croyez bien que cela me désole, mais je ne fais que témoigner ce que je ressens à l'audition. Je pense qu'il n'y a aucun procédé systématique dans mes jugements. A propos du "Lac des cygnes", je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de thèmes ou alors je me suis mal fait comprendre, ce qui est possible, je pense que les thèmes sont d'un faible intérêt. Concernant le "Casse-noisette", il faut distinguer la suite d'orchestre et l'intégrale du ballet. La suite d'orchestre me paraît remarquablement homogène du point de vue valeur; L'intégrale me semble tout de même d'un niveau assez constant. Je n'entre pas du tout dans cette dialectique que vous me prêtez, je peux vous l'assurer. Je peux vous donner un autre exemple intéressant. Depuis que j'ai écouté le "Concerto n°3" de Kabalevski, je l'ai considéré comme un chef-d'oeuvre. Or, quelques années après, miracle, j'ai pu me procurer les 2 premiers concertos, j'étais convaincu que j'allais découvrir 2 nouveaux chefs-d'oeuvre. Quelle ne fut pas ma déception de constater que je ne trouvais aucun intérêt à ces 2 concertos (qui pourtant sont dans le même style que le 3ème), malgré la conviction que j'avais au départ. L'inverse peut exister, cela fait une moyenne. Un compositeur que nous avons trouvé très décevant dans plusieurs oeuvres peut se révéler en une nouvelle oeuvre. C'est ce qui créé le plaisir de la découverte. Et c'est la raison pour laquelle il me paraît préférable d'éviter tout jugement général sur un compositeur.

GLAZOUNOV INCAPABLE DE DÉVELOPPER? - LES SAISONS
Je crois qu'il ne faut pas confondre l'incapacité de développer et la volonté de ne pas développer. Le développement est plutôt à mon sens, sans qu'il y ait rien d'absolu, un moyen pour un compositeur sans imagination, de pallier à sa faiblesse imaginative. Un compositeur très imaginatif peut créer une oeuvre plus dense en évitant systématiquement les développements. Il peut y avoir aussi une manière géniale de développer ou de varier, par exemple, à mon avis, Rimski dans le 3ème mouvement de Schéhérazade (même si certains pensent que la variation des timbres ce n'est pas de la variation). Arenski, dans la Fantaisie sur des thèmes russes... Les impressionnistes, souvent, réalisent un kaléidoscope de motifs sans transition, c'est ce que fait aussi Liszt dans ses concertos. Je donnerai un exemple d'oeuvre extrêmement dense, selon moi, où les thèmes sont développés incomplètement, tronqués ou suggérés de manière très recherchée, c'est l'ouverture de "Gwendoline" de Chabrier. Savoir développer, à mon avis, est moins difficile que de trouver de bons thèmes. On voit qu'un compositeur ne sait pas développer, me semble-t-il, non pas à l'absence de développement, mais à la présence de développements de faible intérêt. Je vous rejoins néanmoins sur l'existence de parties plus faibles dans cette oeuvre (Les Saisons de Glazounov). Pour moi, "l'automne" estsublime et le printemps sans intérêt, très long. Mais la "Barcarolle" et la coda de l'été me paraissent aussi d'un niveau très élevé. L'hiver aussi, evec l'"Introduction", me paraît sublime. Mais le plus génial de Glazounov, c'est peut-être le "Préambule" de "Scène de ballet op 52".

SHUBERT
Je connais Schubert par quelques pièces pour piano et quelques quatuors dont "La mort et la jeune fille". Mon impression est que Schubert possède un sens aigu de la mélodie comme de l'harmonie. Il utilise cette dernière notamment en exploitant de nombreux accords diminués traduisant une puissante émotivité. Dans "La jeune fille et la mort", ses mélodies très resserrées, évitant d'utiliser les longues tenues du violon, possèdent, à mon avis, un charme indéniable. Je serais plus sévère sur son inaptitude à adopter une forme convenable. Il se contente souvent, me semble-t-il, de répéter 4 ou 5 fois le même thème, puis il passe au suivant et ainsi de suite. Schubert n'a-t-il pas fait preuve de négligence?

CONTREPOINT
Vous ne serez pas surpris si je vais dans le sens de ces interprètes qui se défient des méthodes d'analyse. Tout d'abord, je pense qu'aucune méthode d'analyse n'a pu montrer qu'une oeuvre était ou non géniale. A quoi sert donc l'analyse si elle n'est pas capable d'entrer au coeur de ce qui fait l'intérêt de la musique, sinon constituer un apport de connaissance limité, purement didactique? De mon point de vue, je considère que le contrepoint en lui-même est une forme d'écriture non musicale le plus souvent, héritée d'une époque où la "musique" avait un rôle social (religieux) et un rôle de bruit de fond superficiel. L'acharnement avec lequel les pédagogues et théoriciens ont entretenu cette forme d'écriture jusqu'au 19e siècle et même au-delà, me paraît significative de la puissance du traditionalisme et de la prépondérance des Intellectuels (toujours eux évidemment) sur la musique dans son développement historique. Je vous laisse méditer les propos de Savinio:

"Le contrepoint est le plus puissant anesthésique que la chimie musicale ait pu inventer."

De là, selon lui, la prédilection du bourgeois pour le contrepoint.

VARIATIONS ET DÉVELOPPEMENT DANS SCHÉHÉRAZADE DE RIMSKI-KORSAKOV
Je viens de réécouter "Shéhérazade" et je confirme qu'il y a de la variation et du développement, quoique dans une moindre mesure pour le développement. Le thème du jeune prince dans le 3ème mouvement, lors de sa troisième présentation, est métamorphosé, le thème de la fête à Bagdad aussi. Après le léitmotiv du thème de la princesse, réapparaît le thème du jeune prince encore différemment varié...Vous oubliez que le terme de variation concerne le traitement instrumental, de ce point de vue "Shéhérazade" est un immense jeu de variation, et il ne s'agit pas de simples transposition du thème d'un instrument à l'autre, il faut tenir compte des autres registres instrumentaux qui s'ajoutent en proposant d'autres motifs. D'autre part, les thèmes eux-mêmes sont modifiés. Ils se développent aussi parfois en thèmes dérivés. D'ailleurs, le thème de la fête à Bagdad est lui-même un thème dérivé du thème du "jeune prince".

VERSER DES LAMRES EN ÉCOUTANT BACH!
Inutile de dire que je ne suis pas très convaincu par ces histoires qui nous présentent des mélomanes versant des larmes en écoutant le "Clavecin bien tempéré" ou "L'Art de la Fugue". Votre histoire de l'inculte qui pleure en écoutant Bach me paraît un peu préfabriquée pour la cause, même si je n'affirme pas qu'elle est totalement fausse. C'est tout de même extraordinaire, on voudrait nous faire croire que Bach peut émouvoir plus que les compositeurs romantiques. On refuse de reconnaître la spécificité de musique intellectuelle d'une large majorité de ses oeuvres. On a l'impression qu'il faut faire des efforts considérables pour apprécier Bach, sans doute ces efforts sont-ils nécessaires pour que se crée l'illusion. Comme dit Pascal, pour croire en Dieu, il faut d'abord se mettre à genoux et prier. Je crois que dans la réalité, ce sont surtout des adolescents qui sont fanatiques de Bach et que par la suite les hommes plus mûrs relativisent leur admiration pour ce compositeur.

BEETHOVEN ET LE CONTREPOINT
Oui, mais le problème, c'est que la mélodie est beaucoup plus difficilement analysable que l'harmonie, à part le balancier tonique-dominante! Une des raisons, à mon avis, pour laquelle les savants ont considéré l'harmonie comme prééminente, c'est qu'ils pouvaient mieux l'analyser et donc ramener la musique à des notions compréhensibles. D'autre part, n'oublions pas tout de même que la mélodie ne se résume pas au contrepoint (qui en est une forme très spéciale si on peut considérer qu'il en est une). A propos de Beethoven, il est peut-être heureux pour nous que ce compositeur n'ait pas appliqué dans ses oeuvres la fameuse "religion éternelle" dont il parle. Ce qui compte chez un compositeur, ce n'est pas ce qu'il dit, mais ce qu'il fait. Beethoven a fait du contrepoint, sans doute, comme tout compositeur de son époque, bien sûr, mais cela revêt-il une grande importance? Est-ce par son contrepoint qu'il est devenu célèbre dans toute l'Europe?

LA VULGARITÉ EN MUSIQUE
Vous avez été choqué que j'emploie le terme de "vulgarité" à propos d'une oeuvre écrite par un grand classique. J'avoue que le terme est excessif si on le prend dans son acception péjorative, sans doute ai-je eu tort de l'employer mais c'est l'exemple de la plupart des critiques qui emploient ce terme à propos des virtuoses-compositeurs qui a déteint sans doute sur moi. Quand ils cesseront de l'employer pour en agonir les compositeurs qui me sont chers, je risquerai moins moi-même de suivre malencontreusement leur inclination négative et j'en épargnerai les grands classiques. De nombreux compositeurs, me semble-t-il, pourraient être pris en flagrant délit de recours à la facilité sinon à la "vulgarité", bien que celle-ci (facilité ou "vulgarité") puisse revêtir des colorations différentes. Ce qu'il y a de remarquable et d'unique à mon avis chez Khatchaturian par exemple, notamment dans "Spartaccus", c'est qu'il peut faire naître le sublime de la facilité (vulgarité). Brahms, personnage vulgaire et misogyne par excellence - dans sa vie selon certains biographes - me paraît plus déconcertant. Comment comprendre que dans cette "musique de casino" que sont volontairement les rhapsodies hongroises (à mon avis) il parvienne à éviter toute vulgarité, une prouesse sur laquelle je ne cesse de m'interroger. On dirait qu'à force de disséquer cette vulgarité, de l'imiter, il l'annihile, la transcende. La "vulgarité" de Mozart, l'enfant divin, est d'une autre essence, me semble-t-il, elle naît à mon avis d'une surenchère de la naïveté, de l'abus des formules compassées propres au style galant. La "vulgarité" de Debussy est certainement la plus subtile. Malgré la recherche d'élévation dont fait preuve le créateur de "Jeux", certains voient chez lui un côté plébéien, voire bas. Il existe peut-être et serait dû à la complaisance envers une sensualité qui nie la pensée ou le lyrisme, s'appesantit sur elle-même. De nombreux compositeurs peuvent être "vulgaires" de la manière la plus banale, en s'abandonnant parfois à des motifs mélodiques d'un rythme facile comme Carulli ou Rodrigo. Peut-être Chopin est-il le seul à éviter la vulgarité avec les représentants de l'école de Bélaïev, Arenski et Liapounov, leur préimpressionnisme ne s'englue jamais à mon avis dans les marécages mouvants de Magister Claudius. Mais Chopin, dans ses "Valses" pourtant, se laisse aller, sinon à la "vulgarité", du moins, à des motifs plus simples et plus faciles. J'allais oublier Bach, quel oubli. Bach me paraît différemment "vulgaire" selon les oeuvres, il l'est, me semble-t-il, par l'adoption de figures d'écritures insistantes et entêtées d'une part, d'autre part il l'est à mon avis par l'affirmation de motifs simplistes racoleurs dans le style baroque le plus superficiel, genre de "vulgarité" qu'il a pas obligatoirement apprise de Vivaldi. Sans doute pourrait-on continuer ce répertoire des "vulgarités". Je m'arrête là car on on prétendra que j'y prends goût. Au fond, les compositeurs qui font preuve de "vulgarité" sont peut-être ceux qui sont capables d'oeuvres géniales (parfois) car cela prouverait qu'ils ont le sens de l'effet musical. La cause la plus courante de "vulgarité" pourrait être le rythme facile, ce qui ne vaut pas pour la "vulgarité" -si elle existe - tout à fait hors norme de Debussy et Wagner. Je pense que la particularité même de la "musique classique" par rapport aux autres arts est justement d'éviter la "vulgarité", elle représente la recherche de l'expression la plus élevée possible, la moins matérielle, Pour moi, l'oeuvre qui est parvenu a évoquer la hauteur aristocratique la plus élevée, la noblesse, l'élégance la plus accomplie est le concerto pour piano de Théodor Kullak. Comme je ne connais pas d'autres oeuvres de ce compositeur, je peux toujours espérer qu'il n'a jamais été vulgaire.

BACH INTELLECTUEL OU SUSCITANT L'ÉMOTION?
Faire des efforts pour apprécier la musique intellecdtuelle de Bach! Ne soyez pas désolé, vous avez bien eu raison de le dire car justement certains ne le disent pas. A l'époque de Forkel, on considérait comme une qualité que Bach soit un intellectuel, c'était une manière d'asseoir sa supériorité, personne n'aurait osé imaginer qu'on pût fondre en larmes en écoutant "L'art de la fugue". Aujourd'hui où l'on a rendu une certaine justice à l'émotion, on ne veut plus que Bach soit intellectuel, on le trouve profondément émouvant. Ne met-on pas ce pauvre Bach à toutes les sauces en fonction des préjugés liés à l'idéologie de notre époque?

TÉMOIGNAGES CONCERNANT BACH
C'est tout de même curieux tous ces témoignages de personnes qui ont fondu en larmes en écoutant Bach comme ceux qui avaient vu leChrist vivant après sa résurrection. Personne ne propose de tels témoignages à propos de Beethoven ou de Berlioz, et je ne parle pas de Paganini, je n'en demande pas tant. La "Lettre à Elise", une confidence amoureuse laisserait les gens de glace, mais une fugue de Bach les ferait fondre en larmes. L'hypothèse de la croyance me paraît encore renforcée, vous apportez de vous-mêmes des arguments à mon hypothèse. Il y a, me semble-t-il, un certain caractère miraculeux de la part de ceux qui pleurent en découvrant Bach comme s'il découvraient la foi, la foi en Bach, sans doute. Prétendre qu'on fonde en larmes en écoutant une fugue de Bach, avouez qu'il faut tout de même oser le faire passer. On pourra me dire aussi que je n'ai pas le droit de mettre en doute la résurrection du Christ, c'est offenser les Chrétiens et que je veux absolument imposer mon athéisme à tout le monde. Ce que j'ai trouvé curieux, c'est que personne spontanément n'ait éprouvé le besoin d'affirmer qu'on pouvait fondre en larmes en écoutant Beethoven ou Berlioz, mais qu'on le fait à propos de Bach. Vous considérez, vous, le cas inverse où on veuille affirmer que les oeuvres de Beethoven soient de pures constructions intellectuelles, ce qui n'était pas mon propos. Mais le fait qu'à ce dernier propos suggéré par vous, on émette des protestations tout comme j'ai protesté quand on soutenait que Bach pût faire pleurer va plutôt dans le sens de ma démonstration, il me semble. Je ne sais si vous suivez ma logique, si toutefois elle est bonne. Je m'insurge justement contre le fait que Bach ait été érigé en cas particulier. Si on veut enfin le considérer comme n'importe quel autre compositeur, je serais le premier ravi, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Ce que je remets en cause réellement, ce n'est pas la sincérité de votre témoignage, ni même la sincérité de la personne qui pleurait en écoutant Bach, mais le lien entre les caractéristiques intrinsèques particulières de l'eouvre de Bach et le fait que la personne pleure. Je veux dire : aurait-elle pleuré si on lui avait dit que cette oeuvre n'a aucune valeur musicale. La théorie de l'illusion ne remet pas en cause la sincérité, elle fait appel à un mécanisme d'auto-suggestion. On peut considérer également le cas de la dame émue d'écouter une messe de Bach, n'aurait-elle pas été émue de même en écoutant une messe de Palestrina ou d'un autre compositeur. N'est-ce pas l'atmosphère, l'effet de musique de fond qui joue primordialement.

L'AMOUR DES MÉLOMANDES À L'ÉGARD DE BACH!
Est-ce moi qui fait des efforts considérables pour nier tout amour des mélomanes à l'égard de Bach? Mais n'est-ce pas Forkel lui-même qui a déclaré que pour aimer cette musique hautement intellectuelle qu'était celle de Bach, il fallait faire des efforts. D'autre part, je ne suis pas vraiment sûr que les apologies de Bach, même lorsqu'elles ne sont que des témoignages d'une émotion ressentie, soient dénués de toute arrière pensée d'ordre idéologique. Certes, je peux me tromper. C'est très éloigné de votre démarche, j'en ai bien conscience, mais vous avez sans doute lu comme moi sur cette liste récemment des propos selon lesquels Bach était en avance sur son temps... On voulait qu'il soit le plus grand compositeur de tous les temps (il faudrait d'abord qu'il soit le plus grand compositeur de la première moitié du 18e siècle, ce n'est peut-être pas si évident). On voudrait aussi qu'il dépasse les compositeurs romantiques sur leur propre terrain. Avouez qu'il y a de quoi s'interroger et rester dubitatif.

LES VARIATIONS SUR CARMEN DE BIZET: WAXMAN, SARASATE
La variation sur les thèmes de Carmen de Bizet par Vaxman est plus acrobatique, plus "moderne" que celle de Sarasate. Je l'adore et suis étonné que vous le l'aimiez pas. Je vous avoue que je préfère amplement ces fantaisies à la suite d'orchestre de Bizet. Bien évidemment, c'est Bizet tout de même qui retire le mérite de ces thèmes absolument géniaux.

CONCEPTION IDÉOLOGIQUE ET RELIGIEUSE DE BACH
En situant Bach par rapport à l'orthodoxie et au piétisme qui traversaient l'Allemagne, vous le considérez sous l'angle essentiellement idéologique et religieux. Vous avez sans doute raison, mais sans le savoir et en faisant son apologie vous fournissez ainsi des arguments à ceux qui le contestent. Ainsi, l'approche purement musicale ne serait pas essentielle dans son oeuvre.

JANKÉLÉVITCH - THÉORIE GÉNÉRALE SUR LA MUSIQUE
Je connais cet ouvrage et je vous recommande de mon côté "Liszt ou la Rhapsodie", que vosu connaissez peut-être déjà. Je reproche cependant à Jankélévitch de beaucoup suggérer, nuancer, de beaucoup circonscrire son sujet, mais de ne jamais formuler d'idées très nettes, de ne pas toujours entrer au coeur du sujet. Il est vrai qu'aucun auteur à ma connaissance n'a fourni de théorie solide sur l'interprétation de ce que représente la musique. L'approche de Kant, je n'y crois pas du tout, si je peux me permettre, je suis plutôt partisan d'une explication plus matérialiste que métaphysique. La théorie qui m'a le plus frappé, et c'est pourtant la plus simple, c'est celle qui établit le parallélisme entre la musique et le mouvement, je ne saurais vous dire qui l'a exprimée. La référence se trouve dans l'ouvrage de Fubini "Philosophiede la musique", un très bon essai de synthèse à mon avis, sur les théories concernant la musique. Il est cependant incomplet car il n'aborde pas l'aspect sociologique.

BACH ET LE CONTREPOINT
L'implication de Bach dans la recherche de nouvelles techniques du contrepoint? Tout de même, ces techniques n'étaient pas nouvelles. Que l'on prétende que Bach les a développées, et, selon l'expression consacrée, qu'il a "porté le contrepoint à son plus haut degré de perfection", cela peut être crédible, oui, mais cela demanderait tout de même une compairaison avec les oeuvres de ses prédécesseurs et contemporains dans ce genre musical.

TENTATIVE D'APPROCHE "OBJECTIVE" DES OEUVRES MUSICALES
Je peux vous expliquer ma démarche, qui n'est que mon point de vue aussi. J'essaie de considérer l'oeuvre en tentant d'évacuer tout ce qui est étranger à sa manifestation purement sonore. C'est, me semble-t-il, la position idéale dans laquelle se trouve le vrai mélomane qui ne doit pas obligatoirement posséder une culture musicale très approfondie. J'essaie d'oublier l'époque, la philosophie, le style, ce qu'est la musique... Je ne lis les notices accompagnant les enregistrements que bien après avoir écouté les oeuvres correspondantes. Évidemment, lorsque j'écoute du Brahms, par exemple (ou du Bach tant qu'on y est), je ne peux pas oublier qui est Bach et qui est Brahms, mais il me semble, quoique cela puisse paraître curieux eu égard aux propos virulents que je tiens, que tout cela m'indiffère. J'ai même tendance, il me semble, à juger moins sévèrement un compositeur que je n'aime pas. Je vais vous donner un exemple. Sur chaque oeuvre ou chaque mouvement d'oeuvre que j'écoute, je mets une mention concernant mon jugement personnel: oeuvre peu intéressante, bonne, très bonne, excellente... pour constituer une sélection personnelle. Il y a un mois, j'ai écouté (10 auditions environ) le concerto pour violon de Chostakovitch, compositeur que je déteste pour diverses raisons (l'homme et sa musique). Or, cette oeuvre (en partie) m'a paru d'intérêt supérieur, elle rejoint le style expressionniste de Khatchaturian et Kabalevski, mais ce n'est pas la raison première de mon jugement. Exactement j'ai noté "sans intérêt" pour les premier et second mouvement, "très bon" pour le troisième, "excellent" pour le quatrième, j'ai hésité très longtemps pour le troisième entre la mention "très bon" et "excellent", je l'ai réécouté encore de nombreuses fois. Il y a selon moi d'excellents thèmes, une cadence impressionnante, parfois sublime, émouvante, mais aussi des moments plus faibles, des insistances inutiles, voire des "vulgarités". Dans cette évaluation du jugement, je peux vous assurer que la référence à ce qu'est Chostakovitch n'a pour moi aucun sens. Je ne voudrais pas prétendre par là juger mieux que les autres et plus objectivement, je voudrais simplement témoigner de mon approche. J'ai repris le dictionnaire de la musique de Candé où j'ai lu, selon lui, que la musique de Chostakovitch contenait le meilleur et le pire. Il reste à savoir si pour lui ce qui est le pire n'est pas pour moi le meilleur et inversement.

BRUCH ET GRANADOS
Je suis bien d'accord avec Laurent sur Bruch et Granados qui me semblent limités dans l'ensemble. Je fais une exception aussi pour la "Fantaisie écossaise" de Bruch. En ce qui concerne Granados, ses valses, si j'ai bon souvenir, me paraissent meilleures que le reste de sa production, très schumanienne à mon avis et peu rhapsodique. Je ne placerai pas cependant ces oeuvres, tant de Bruch que de Granados, dans le haut de ma sélection. Vous m'interrogez sur une de ses symphonies, je vous avoue que ne connais que ses oeuvres concertantes pour violon et pour piano, une dizaine d'oeuvres environ. Dans ces oeuvres, les parties symphoniques me paraissent assez compactes et peu variées. Peut-être est-il meilleur dans ses symphonies, c'est le cas, me semble-t-il, justement de Berwald.

DOWLAND ET BIBER
Dowland m'a beaucoup fasciné car son style apparaît sans rapport avec celui de la musique "savante" de son époque, j'entends la musique religieuse. Il y avait donc à l'époque des courants parallèles très différents. Je corrèlerais Dowland à Biber au 17e siècle par opposition à la musique religieuse de son époque ou par rapport aux oeuvres instrumentales très austères de d'Angleberre ou Cabezon. Dowland et Biber, sur certains aspects, me semblent même largement en avance, (si l'on peut se permettre cette vision un peu trop progressiste) sur Corelli par exemple un demi-siècle plus tard si je ne trompe. C'est une considération toute personnelle, évidemment.

MUSIQUE BAROQUE
vous me reprochez de mal connaître les compositeurs de musique baroque. Une précision sur mon itinéraire musical vous éclairera. Comme un grand nombre d'entre nous, j'imagine, j'ai commencé par écouter les compositeurs les plus connus. C'est un ami qui a attiré mon attention sur les oeuvres plus rares. Depuis une vingtaine d'années j'en écoute régulièrement. Je constate effectivement que je suis loin de connaître l'essentiel. Avec cet ami, nous avons fait un travail sur les oeuvres pour piano et orchestre, et donc nous avons dû écouter de nombreuses oeuvres postérieures à l'époque du baroque, dont d'ailleurs de nombreuses oeuvres atonales, vous imaginez le supplice. C'est la raison pour laquelle, pour ce qui concerne la musique baroque, à quelques exceptions près, je ne connais que les compositeurs les plus connus.

APPROCHE DE LA MUSIQUE RELIGIEUSE
Oui, comme vous le dites, c'est un raisonnement intellectuel que de considérer uniquement les aspects techniques, c'est la raison pour laquelle j'essaie de les évacuer le plus possible à l'écoute. Lorsque j'écoute Bach, c'est d'autant plus facile pour moi que ces aspects techniques, je n'en ai pas une connaissance approfondie (les règles du contrepoint et de la fugue), pas plus que je ne connais les aspects ésotériques, religieux ou spiritualistes véhiculés, paraît-il, par cette musique. Mais adopter cette approche uniquement "émotionnelle", n'est-ce pas d'un certain point de vue une approche moderne, ce que vous désapprouvez et qu'auraient sans doute désapprouvé Bach et ses contemporains. Il me semble que nous ne pouvons plus comprendre la musique religieuse des siècles passés, mais peut-être certains y parviennet-ils! Il est possible, comme vous le dites, qu'on ne puisse exclure les circonstances historiques, religieuses liées à l'oeuvre musicale, mais dans ce cas, celle-ci ne perd-elle pas son caractère d'universalité?

L'ART ET LA SOCIOLOGIE
La sociologie n'a rien compris à l'art, ditesvous. C'est, il me semble, la fonction normale de la sociologie, de nier l'art a priori car elle ne dispose d'aucune preuve scientifique de sa valeur en tant qu'art. Il y eût une période d'invective et d'incompréhension totale entre partisans de l'esthétique et partisans de la sociologie, à la suite notamment de Durkeim que j'ai déjà évoqué sur ce forum. Mais avec la sociologue Moulin par exemple, d'une part et la recherche plus technique ou plus historique de la musicologie moderne (Françaix ou Ryom par exemple), l'étude des médiateurs: milieux musicaux, concerts... les points de vue se rapprochent peut-être. Je me demande même parfois si les anciens musicographes ne sont pas plus iconoclastes que les nouveaux sociologues.

PAGANINI APPRÉCIÉ OU NON PAR LES MÉLOMANES?
Vous me dites avoir entendu des gens trouver long les oeuvres de Paganini en concert, mais vous accordez que vous avez pu rêver. Bien sûr que vous avez dû rêver, moi j'ai entendu des gens trouver que l'"Art de la fugue" c'était vraiment long, j'ai dû rêver également. Mais ce que j'ai entendu un jour, et là je ne crois pas l'avoir rêvé, c'est Michel Damian il y a une vingtaine d'années environ dans une émission quotidienne de grande écoute (sur France-Inter, je crois) présenter Paganini comme un compositeur qui avait eu une certaine importance car il avait introduit la virtuosité transcendante, mais ses compositions n'avaient aucun intérêt musical. Ce genre d'émission diffusée à grande écoute a pû faire des ravages. J'ai rencontré des gens assidus des émissions de Damian, des novices comme vous dites, qui m'assuraient que les oeuvres de Paganini n'avaient aucun intérêt. Si Damian avait affirmé que les oeuvres de Paganini étaient géniales, que m'auraient dit ces mêmes personnes. Je n'en sais rien, mais je me pose la question. Les violonistes se forcent à jouer du Paganini, dites-vous, mais les pianistes, eux,évidemment, jouent tous le "Clavecin bien tempéré" toujours par amour du génie musical. Je voudrais tout de même vous citer une grande violoniste, Leila Josefovitch qui a entregistré une fantaisie de Paganini et qui l'a présentée elle-même avec une passion, un enthousiasme et une admiration vraiment extraordinaires, considérant que cette composition était une des plus belles qui existait. Il y a donc quelques exceptions. Je voudrais profiter de ce message pour développer quelque peu mon opinion sur la valeur comparée dequelques oeuvres de Paganini, si je ne lasse pas trop les membres car c'est vrai que nous avons beaucoup évoqué ce compositeur (mais ce n'est pas moi qui l'ai remis sur le tapis). Il me semble que l'on privilégie anormalement les "Caprices" sur les concertos, ce qui me paraît d'abord en opposition avec l'indication du compositeur selon lequel cette oeuvre est pédagogique (en fait comme les études de Chopin, elle ne l'est sans doute pas toujours). En second lieu, cette manière de privilégier une oeuvre didactique me paraît tout à fait caractéristique de notre époque anti-artistique qui cherche tous les prétextes pour dévaloriser les véritables oeuvres. De même, ne privilégie-t-on pas aujourd'hui les "Préludes" de Chopin sur ses grandes polonaises, les oeuvres tardives de Liszt (la sonate en si m par exemple) sur ses productions de la maturité qui sont des oeuvres de haute virtuosité?, n'est-ce une manière encore de déconsidérer la virtuosité? La fantaisie interpétée par Leila Josefovitch, dont il était question précédemment est celle sur "Non piu mesta" de la Cerenentola de Rossini", certainement une des fantaisies de Paganini les plus inspirées contrairement à la "Fantaisie sur Nel cor piu" qui me paraît un pur exercice de virtuosité de faible intérêt musical De même, une des oeuvres de Paganini que je n'apprécie pas estla "Grande sonata sentimentale".

ÉVOLUTION DE LISZT - THALBERG
Les modifications du style de Liszt au cours de sa carrière, notamment en ce qui concerne la virtuosité ne sont sans doute pas aussi nets que je l'imagine effectivement. Les dernières oeuvres de Liszt, de style contemplatif comme l'indique leur intitulé (dont j'ai oublié les noms, vous me pardonnerez) présentent cependant, il me semble, une régression sensible de la virtuosité. Et l'on considère souvent que ces oeuvres sont plus profondes parce que justement elles sont moins virtuoses. On conçoit que l'abbée ait tout de même un peu tempéré la verve du jeune pianiste, mais avec Liszt tout est possible Personnellement je pense que Liszt est le plus génial lorsqu'il est flamboyant comme dans la fameuse fantaisie hongroise pour piano et orchestre ou dans la pièce pour piano "Le rossignol"... L'idée peut être discutée. Pour répondre à votre seconde question, je distinguerais la difficulté instrumentale et la virtuosité. Les études de Moszkovski comme "Étincelle", par exemple ou ses oeuvres pour piano et orchestre, de nombreuses oeuvres de Dohnanyi et de Medtner me paraissent plus relever pour moi de la difficulté instrumentale que de la virtuosité. Le terme de virtuosité, à mon avis, implique une certaine idée de dépassement lyrique, d'ampleur, ou de brillant ostentatoire (pourquoi pas). Le meilleur exemple que je donnerai, sans nommer des oeuvres peu connues, est encore le "Concerto n°1" de Tchaïkovski, mon préféré. Quant à Thalberg, je ne connais que son concerto, lequel m'a paru assez uniforme, de faible intérêt, mais je vous avoue que je n'en ai guère de souvenir.

ORCHESTRATION DE PAGANINI, SCHUMANN, SCHUBERT
Je n'apprécie pas hautement le style d'orchestration de Paganini. Comparée à celle de Beethoven, Berlioz, de Vieuxtemps ou même encore de Viotti, de Liszt ou de Rossini, l'orchestration de Paganini, à mon avis, ne présente pas une finesse particulièrement élevée comme vous le dites justement. Ce qui la sauve, à mon avis, c'est qu'elle s'appuie sur une thématique presque toujours excellente. Elle me paraît cependant un peu meilleure que celle de Schumann ou de Schubert, mais ce n'est pas pour moi un terme de compariason élogieux. Il faut cependant replacer cette orchestration à son époque...

IMPORTANCE DES CONCERTOS POUR PIANO DANS LES OUVRAGES
Effectivement, les concertos de Liszt ne sont pas sous-représentés dans la discographie, c'est essentiellement dans les ouvrages qu'ils sont sous-estimés, ce qui est justement significatif. A ce sujet, je vous donnerai quelques chiffres que je viens d'établir sur la représentativité de quelques concertos pour piano connus dans le "Guide illustré de la musique" d'Ulrich Michels (en lignes consacrés à chacun des concertos ci-dessous) :

Concerto n°1 de Tchaïkovski 3 lignes
Concerto n°1 de Brahms 15 lignes
Concerto n°2 de Brahms 20 lignes
Concerto n°1 de Chopin 1 ligne
Concerto n°2 de Chopin 1 ligne

Une différence de 1 à 20 apparaît entre les concertos de Chopin et le "2" de Brahms, de "6" entre le Concerto de Tchaïkovski et le "2" de Brahms (alors que le "2" de Tchaïkovsky n'est même pas cité). Ces différences pourraient être relativisées dans la mesure où, si l'on choisit d'analyser un concerto, on y consacre obligatoirement un certain nombre minimum de lignes et on ne peut pas traiter toutes les oeuvres, mais tout de même l'auteur aurait pu choisir d'analyser un concerto de Brahms et un concerto de Chopin pour équilibrer, ce qu'il s'est bien gardé de faire. La représentation de ces oeuvres dans les programmes des concerts n'est pas de cet ordre, il me semble, quoique je ne pourrais pas vous la préciser exactement. Les rapports indiqués par l'ouvrage d'Ulrich Michels sont peut-être extrêmes par rapport à d'autres ouvrages, mais ils n'en sont que la caricature.

VIRTUOSITÉ DANS LA SONATE EN SI MINEUR DE LISZT
Pour moi qui ne suis pas violoniste justement, les concertos apparaissent nettement plus virtuoses dans la mesure où on assimile, comme je l'ai dit dans un autre message, virtuosité à dépassement lyrique, brillant, transcendance, voire véhémence. C'est dans ce sens là que je trouve la "Sonate en si m" de Liszt peu virtuose, en tous cas je ne la trouve pas excellente.

CONCERTOS DE SGAMBATI ET BUSONI
Busoni, n'a-il pas composé lui aussi le pire et le meilleur! Pour ma part, je suis au contraire convaincu de la supériorité du concerto de Sgambati sur celui de Busoni, notamment à mon avis sur le plan harmonique et symphonique bien que le pianisme de Busoni soit aussi très surchargé. J'insisterais sur la nouveauté apportée à mon avis par Sgambati par rapport à ce que sera le style de Rachmaninov en me référant aux oeuvres pour piano et orchestre de l'époque. Je ne puis évidemment écarter l'hypothèse selon laquelle une évolution parallèle devançant Sgambati s'est établi dans le domaine de la pièce pour piano seul. Busoni est plus "moderne", notamment dans ses oeuvres pour piano seul, mais il faut peut-être réviser l'idée selon laquelle plus on est moderne, plus on apporte de nouveauté effective. Le concerto de Busoni me paraît très touffu, souvent peu clair par rapport à sa "Fantaisie indienne" où tout son génie me semble éclater dans l'évocation très progressive d'une thématique volontairement hésitante qui esquisse d'incessantes dérivations sans perdre le fil de son discours. Pour le concerto, je ferai exception pour le troisième mouvement qui me paraît d'un intérêt plus affirmé. En fait il me semble que nous n'avons aucune raison de comparer le concerto de Sgambati à celui de Busoni. Sgambati appartient à mon avis à une lignée qui va de Tchaïkovski, Grieg à Rachmaninov et n'a aucun rapport avec Busoni, lequel dans son concerto se rapprocherait plutôt de Donanhyi. Dans le "Konzertstück" et la "Fantaisie indienne", Busoni est peut-être plus proche de Liszt, celui des fantaisies justement.

TYPES DE VIRTUOSITÉ LIAPOUNOV, SARASATE, TCHAÏKOVSKY...
J'irai même encore plus loin à propos de la virtuosité. Il y a la virtuosité qui conduit au brillant comme dans la fameuse "Fantaisie sur des thèmes ukhréniens" de Liapounov que j'ai citée souvent, mais il y a aussi, à mon avis, la virtuosité synonyme de véhémence, de marque affective, d'exaltation suprême. Là encore je ne peux rien trouver mieux que les cadences véritablement délirantes de Tchaïkovski dans le "Concerto n°1" et peut-être plus dans le "Concerto n°2". Il existe aussi la virtuosité diffuse, feutrée, dense, voilée du concerto de Novak ou du concerto de Massenet ou encore dans celui de Cras. Cette virtuosité paradoxale est pour moi la plus fascinante. On remarquera aussi qu'un mouvement lent, mélodique, serein, peut devenir très virtuose, mais dans ce cas ce sont des figurations ou des mélismes qui se surajoutent à la mélodie; C'est le cas il me semble dans le second mouvement du "Concerto n°3" de Paganini et même dans le premier si je me souviens bien, la "Havanaise" de Sarasate lors de la réexposition du thème principal (attention il ne s'agit pas de la havanaise de la "Fantaisie sur Carmen"). Les modalités de la virtuosité m'apparaissent tels que je n'hésiterai pas, mais pas toujours, à identifier élaboration musicale à virtuosité. Je n'hésiterais pas non plus à dire que pour moi la virtuosité peut être synonyme de profondeur.

DIMENSION MÉTAPHYSIQUE DES OEUVRES MUSICALES: VIVALDI, WAGNER, SGAMBATI, BUSONI, SIBELIUS
Philosophiquement, en tant que positiviste, je demeure très sceptique à l'égard de la métaphysique. Je la considère, il est vrai, comme une forme archaïque de la pensée, à mi-chemin entre la pensée religieuse et la pensée scientifique ou philosophique au sens restreint. De là à affirmer que tout ce qui n'est pas scientifique est caduque, je n'irai pas jusque là cependant. Mais peut-être m'éloignais-je de notre sujet musical. Une philosophie, peut s'exprimer, je pense, dans une oeuvre musicale, mais toujours par l'intermédiaire d'une émotion. On peut sans doute évoquer l'existence d'un "sentiment métaphysique", par exemple l'angoisse métaphysique, qui est peut-être le sentiment le plus profond qui puisse exister et qu'a tenté de définir Heidegger. Comme exemple d'oeuvre musicale qui puisse traduire ce sentiment, tout au moins où moi-même je le ressens, je citerai les "Quatre saisons" de Vivaldi. Sibelius, quant à lui, notamment dans sa "Symphonie n°1" me communique un sentiment cosmique de la Nature minérale dans sa nudité, sa virginité la plus totale, la plus absolue... et pour moi ces 2 oeuvres se rejoignent malgré une différence de style évidente. Pour finir de répondre à votre question, je vous avoue que suis passionné par ce qui porte une réelle marque germanique, mais j'ai dit réelle, en tous cas pour moi. Je pense la trouver chez Wagner notamment par l'évocation des vieilles légendes des Niebelungen et une certain climat symphonique. Au risque de heurter certains, je dirais que ce que je ressens le plus intensément chez Wagner, c'est le sentiment d'atteindre la germanité dans sa profondeur. Mais cette marque germanique, je ne la vois pas chez Busoni. Je la vois mieux chez Sgambati qui, d'ailleurs, me semble plus proche de Wagner que Busoni, cela me paraît net en ce qui concerne son orchestration dans le premier mouvement du concerto. Et il était de notoriété publique que Sgambati se disait wagnérien. Mais, en ce qui concerne spécifiquement son "Concerto", je placerai Sgambati dans la lignée de Grieg.

GAMME PAR TONS ENTIERS OU CHROMATISME CHEZ DEBUSSY
Je ne sais si je fais partie de la noble assistance, mais je me permettrais néanmoins quelques mots. Il me semble que Debussy, si je me fie à mon oreille, n'a pas véritablement exploité ce mode par ton entier, tout au moins dans son oeuvre pour piano qui permet sans doute de reconstituer son évolution, ou tout au moins pas dans la grande majorité de ses oeuvres. Parfois, il y tend peut-être comme dans "En blanc et noir", mais est-ce vraiment net? Ce mode s'oppose, il me semble, à son goût pour le chromatisme. Certes, on me répondra sans doute que le chromatisme peut affecter la mélodie mais non l'harmonie. Pour ma part, je ne conçois guère que l'on puisse considérer qu'un mode est utilisé dans une oeuvre si on ne fait pas référence à la mélodie et si on évacue toutes les altérations qu'elle peut contenir comme simples "accidents". Si Debussy peut faire mine de quitter la tonalité, ce serait plutôt à mon avis par la voie du dodécaphonisme. Mais je ne sais quelle est votre conception. D'autre part, il me semble que rien de formel n'a pu obséder Debussy, il me paraît trop réellement musicien (et trop génial) pour cela. Le formel, la théorie, à mon avis, ont plutôt intéressé d'Indy et la Schola cantorum.

TAKEMITSU
Il s'agit de "Corona & Crossing" de 1962. Takemitsu y utilise parfois les notes du piano frappées directement, d'où l'effet de musique concrète. Cette oeuvre, comme les autres que je connais : "Rain tree Skretch", "Les yeux clos"," For away", Interrupted rest" me font l'effet d'une musique très dure, même si elle rappelle parfois Messiaen et parfois un peu Debussy. Même Schoenberg a des faiblesses et rompt parfois l'implacable logique de la musique atonale par des plages où s'exprime la sensibilité, mais Takemitsu, lui jamais - au moins pas dans ces oeuvres. Je serais enchanté de découvrir ses oeuvres orchestrales si elles sont plus musicales à mon goût ou selon l'expression consacrée pour la musique moderne plus "accessible" car bien sûr cette musique s'adresse aux gros cerveaux, catégorie à laquelle je n'ai pas l'honneur d'appartenir. Et quand les très gros cerveaux qui l'ont conçue condescendent à être plus accessible pour le vulgum pecus dont je fais partie, he bien croyez-moi, j'apprécie cette attention.

CHROMATISME CHEZ DEBUSSY
Le chromatisme joue un rôle important chez Debussy. Pour préciser, je pense notamment à la célèbre mélodie si voluptueuse du "Prélude à l'après-midi d'un faune" qui me paraît très chromatique, j'ai souvenir également de "The snow is dancing" (les 6 dernières mesures en particulier). L'adoucissement dont vous parlez, la fluidité si spécifique de la musique de Debussy (dont certains ont dit qu'elle était "trempée, dégoulinante"), la sensation de volupté sont obtenus, il me semble, par le chromatisme. On pourrait sans doute trouver des contre-exemples. Ainsi chacun n'a pas la même "lecture" d'une oeuvre et n'est pas frappé par les mêmes éléments. D'où provient ce chromatisme, si chromatisme il y a, de Wagner probablement, quoi qu'en ait pu dire Debussy.

MAHLER
Le caractère sardonique dont vous parlez ne m'a pas échappé chez Mahler. Il me semble même atteindre une sorte de satanisme. Mais qu'on puisse trouver un plaisir particulier à écouter une telle musique m'est totalement étranger. Ne vaut-elle pas uniquement par une impression vague qu'elle suggère, ce que vous appelez l'aspect métaphysique, plus que par l'intérêt véritablement musical. N'est-ce pas le tout qui communique une "impression d'ensemble" alors que tel ou tel motif par lui-même n'a pas d'intérêt. S'agit-il de musique au sens où on le comprend pour Mozart, Wagner, Rossini... je n'en suis pas sûr. Quoique vous contestiez, sans doute avec juste raison, la position d'Adorno, c'est tout de même lui qui a par ailleurs développé des élucubrations invraisemblables, à mon avis, sur le contenu métaphysique de l'oeuvre de Mahler. Vous demeurez donc dans sa conception générale.

GAMME PAR TON ENTIER, CHROMATISME CHEZ DEBUSSY
Je n'avais pas réalisé qu'une gamme par ton supprimait la dominante, c'est pourtant l'évidence; je crois qu'il faut en sonder les conséquences. Cela signifie, à mon avis, qu'avec la gamme par tons, nous quittons la tonalité, pas stricto sensu, mais la tonalité en tant que mode d'ut caractérisée en premier lieu par l'existence du balancier tonique-dominante. La musique de Debussy est-elle "tonale" ou non, c'est alors ainsi que se pose le problème. La réponse me paraît évidente à 98% de la production du compositeur. Quant à savoir si la gamme par tons peut introduire une certaine douceur, j'aurais plutôt tendance à penser l'inverse, mais chacun ne ressent peut-être pas les mêmes procédés de la même manière. Tout le monde sait que les compositions modernes (qui sont justement en dehors du mode d'ut) sont plus dures, plus arides. D'autre part, il me semble que la logique immédiate veut qu'un écart d'un demi-ton au lieu d'un ton introduise un passage intermédiaire, un "glissement", plus propice à évoquer la douceur ou la volupté.

CONCERTOS DE GRIEG, TCHAÏKOVSKY, SGAMBATI, RACHMANINOV
Un des points communs entre le Grieg, le Sgambati et les 2 concertos de Tchaïkovski me paraît être l'existence de nombreuses cadences très virtuoses du soliste traitées avec un lyrisme équivalent, mais peut-être considérez-vous d'autres caractéristiques que je néglige. On peut aussi ajouter, à mon avis, une certaine parenté avec le pianisme de Rachmaninov (au moins avec le 2).

COMPOSITEURS MÉPRISÉS - REPRÉSENTATIVITÉ DES COMPOSITERUS DANS L'OUVRAGE D'ULRICH MICHELS
La désaffection dont seraient victimes Rimski, Paganini, Grieg, Vivaldi, Sibelius, Rodrigo, Saint-Saëns, Tchaïkovski... chez les musicographes malgré leur succès s'expliquerait parce qu'il s'agit de compositeurs "typés", dites-vous. Ces compositeurs ont tous à mon avis développé un sens particulier du lyrisme propre à fasciner le public, et donc à rendre méfiant les Intellectuels. Selon une expression que je n'aime pas beaucoup, on dit souvent que leur musique est une musique "à effet". Six d'entre eux se sont appuyés considérablement sur la musique folklorique de leur pays, une musique folklorique à l'impact très puissant, qui se situe en dehors de la norme classique, les autres ont développé la virtuosité, autre effet en dehors de la norme classique. Ils sont tous plus ou moins taxés de superficialisme (colorisme ou virtuosisme voire les deux), ce que je conteste, vous vous en doutez. En définitive, je dirais que ce sont des compositeurs de l'extrême, des marginaux qui se situent en dehors des références établies de leur époque. Il pourrait être intéressant de savoir à quels autres compositeurs on peut les opposer. Ces autres compositeurs, si je me réfère à ceux qui occupent statistiquement les premières places dans les ouvrages, seraient les suivants :

Beethoven, Wagner, Bach, Mozart, Schubert, Schumann

Leur point commun pourrait être qu'ils représentent l'image d'un certain "classicisme" au sens large du terme, Wagner faisant exception. Sauf Wagner, ils sont antérieurs à la seconde moitié du 19e siècle, ce qui renforce l'argument selon lequel leur caractère "classique" a pu privilégier leur émergence. Curieusement, Wagner aurait dû appartenir à l'autre liste ! Il arrive pourtant souvent en tête dans les ouvrages en concurrence avec Beethoven, Bach et Mozart. Par ailleurs, vous citez l'existence de nombreux ouvrages de spécialistes concernant certains des compositeurs de la première liste. Ceci montre effectivement que la désaffection des musicographes n'est pas totale, et c'est encourageant (de mon point de vue), mais dans les ouvrages généraux (histoires de la musique, dictionnaires) que je consulte on peut établir la hiérarchie réalisée par l'ensemble des musicographes, la différence apparaît alors évidente. Vous citez Malipiero parmi les protagonistes de la résurrection de Vivaldi. Sans vouloir poursuivre ce compositeur de ma vindicte, je dirais tout de même que son apport, à mon avis, fut mineur et plutôt opportuniste. Pincherle me paraît devoir être cité en premier, puis Peter Ryom, Antonio Fanna... Vous me parlez d'ouvrages étrangers, effectivement je suis peu renseigné sur ces ouvrages. J'ai cependant l'exemple du "Guide illustré de la musique" d'Ulrich Michels ouvrage allemand. C'est un exemple isolé, mais c'est une référence importante car il a été traduit en français et sans doute dans d'autres langues et publié en France par Fayard (1990), il fut probablement vendu à plusieurs milliers d'exemplaires en Europe. Voici la représentativité de quelques compositeurs en valeurs relatives dans cet ouvrage et leur rang:

1 MOZART 1
2 BEETHOVEN 0.81
3 BACH 0.52
4 SCHUBERT 0.49
5 HAYDN 0.41
6 BRAHMS 0.33
7 SCHUMANN 0.31
8 WAGNER 0.31
9 LISZT 0.30
10 HAENDEL 0.27
11 VERDI 0.19
12 CHOPIN 0.18
13 SCHOENBERG 0.14
14 STRAVINSKI 0.14
15 BARTOK 0.13
16 MENDELSSOHN 0.11
17 BRUCKNER 0.10
18 STRAUSS 0.11
19 MAHLER 0.10
20 MONTEVERDI 0.10

Vous remarquerez que Debussy, dont nous parlions il y a peu, ne figure même pas dans cette série des 20 premiers. Il se trouve à la 21ème place avec une représentativité relative de 0.09, donc notamment après Mendelssohn. En revanche, il est sans doute dans les premiers en vente de partition en France car il a éclaté dans le domaine pédagogique, ceci certainement grâce au rôle joué par le Conservatoire de Paris du vivant même du compositeur (d'après ce que j'ai lu). D'autre part, Boulez se trouve avant Berlioz, Vivaldi et Tchaïkovski! Les partisans du "cinglé" seront contents. Quant aux autres compositeurs de la liste que j'ai cités, ils sont loin, notamment Sibelius avec une représentativité relative de 0.0022 (on croit rêver). Je me remémore un ouvrage d'histoire de la musique où le peu de place qui était consacré à Sibelius était utilisé pour expliquer que son oeuvre, trop localement "typée", n'avait d'intérêt que pour les Finlandais. Je m'élève contre ce prétendu universalisme qui, en fait, tend à laminer tout ce qui n'est pas lui-même et se trouve en dehors de sa norme réductrice. Malheureusement, cette idéologie, comme vous le dites, me paraît encore trop répandue. Quant à Rodrigo dans l'ouvrage d'Ulrich Michels, il n'est même pas cité et précisons pour terminer que cet ouvrage atteint tout de même 570 pages. J'espère qu'il n'est pas le plus représentatif des ouvrages étrangers, (soyons optimiste) compte-tenu qu'il existe un grand nombre de pays susceptibles d'établir des hiérarchies de valeurs très différentes. Certains parmi les membres diront que tout cela n'a pas beaucoup d'intérêt ni d'importance dans la mesure où chacun conserve son opinion propre, que d'autre part cela n'empêche pas les interprètes de représenter plus convenablement les compositeurs sous-estimés... Ils ont peut-être raison. Mais lorsque Debussy par exemple ne sera plus réduit qu'à quelques lignes dans les ouvrages (c'est malheureusement bien parti dans ce sens), ne sera-t-il pas trop tard pour réagir et quelles seront les conséquences sur sa représentativité en terme d'enregistrements et de vente, je n'en sais rien, on peut se poser la question. Considérer comme négligeable et sans impact l'influence de la médiatisation écrite me paraît fort imprudent. L'évolution peut aller plus vite qu'on ne le pense. L'un d'entre nous signalait il y a quelque temps le faible nombre d'enregistrement de "Shéhérazade" (Rimski), désaffection surprenante pour une oeuvre qui connut un succès aussi retentissant.

THÈME TONAL CHEZ DEBUSSY
Un thème tonal chez Debussy, je ne vois pas de quelle oeuvre il peut s'agir. Votre message me suggère que c'est la juxtaposition d'un passage "atonal" et d'un thème tonal qui peut communiquer un certain relief à l'ensemble. En fait, on ne sort pas vraiment de la tonalité à mon avis car le passage "atonal" ne tire son intérêt que par rapport au passage tonal comme un accord dissonant par rapport à un accord consonant. N'est-ce pas ce qu'a fait quelquefois Debussy. Les spécialistes de ce sujet nous le diront peut-être. Pour ma part, je me suis livré à une expérience extrêmment élémentaire dont j'aurais pu m'aviser plus tôt, c'est tout simplement de jouer la gamme par ton sur mon piano, il y a longtemps que je ne l'ai plus touché et j'avais oublié. Effectivement, cette gamme évoque une certaine atmosphère debussyste. Il me semble qu'elle a été plus utilisé dans des intermèdes, des gammes justement, plutôt que dans l'exposition de thèmes ou motifs principaux qui doivent être plus liés à la tonalité pour revêtir un intérêt musical. Elle a pu, peut-être, être utilisée dans la totalité d'une pièce, mais ce type de pièce est-il ce qu'il y a de meilleur chez Debussy ? J'ajouterai que l'impression que me fournit la gamme par ton par rapport à l'oeuvre de Debussy est plutôt celle du mystère ou ou de l'étrangeté. Cette utilisation temporaire ou transitoire de la gamme par tons ne s'oppose pas à mon avis avec l'utilisation du chromatisme, c'est peut-être une savante juxtaposition des deux qui communique à la musique de Debussy sa richesse. Je rappelle que tout ce commentaire n'est qu'hypothèse, peut-être un peu gratuite... Il reste, de l'avis général, que Debussy, est un compositeur tonal. Je ne saurais rien ajouter de plus.

REPRÉSENTATIVITÉ D'UN COMPOSITEUR
D'une manière générale, je crois que l'on peut caractériser la représentativité d'un compositeur en considérant les médias suivants:

-ouvrages généraux : histoires de la musique
-dictionnaires courants non spécialisés
-nombre d'ouvrages spécialisés et nombre de ventes
-nombre de partitions et nombre de ventes
-nombre d'enregistrements et nombre de ventes
-programme des concerts
-présence comme support dans divers médias : publicité, générique d'émission...

Pour un même compositeur, il peut y avoir sans doute des différences considérables. Ce sont justement ces différences qui peuvent être à mon avis hautement significatives. Par exemple, si Vivaldi est négligé dans de nombreuses histoires de la musique, en revanche on pourra remarquer par exemple que dans le Larousse grand format en couleurs 1998, son importance dépasse même Bach et il arrive au premier rang de tous les compositeurs. C'est que l'importance dans un dictionnaire général ne revêt pas du tout la même signification que l'importance dans une histoire de la musique. Le premier est peut-être plus significatif d'une certaine réalité musicale concernant l'impact sur le public alors que le second exprime peut-être plus une idéologie au sens large. C'est une interprétation.

REPRÉSENTATIVITÉ DE SCHÉHÉRAZADE DE RIMSKI-KORSAKOV - TSAR SALTAN
Je ne pensais pas que la référence à Schéhérazade pût entraîner un tel pugilat, à coup de références discographiques. J'avoue être impressionné par la connaissance que vous avez dans ce domaine... En dehors de l'aspect polémique, qui n'a peut-être pas beaucoup d'intérêt, la flambée de messages générés par ce sujet me paraît intéressante par les développements que vous avez fait, les uns et les autres, notamment sur l'existence possible de manoeuvres commerciales. Pourquoi Tipett est plus disponible que X ou Y? Je vous avoue ma complète ignorance sur ce sujet, mais je soupçonne que la demande n'est pas toujours à l'origine de l'offre. Il n'y a jamais de complot nulle part, bien sûr, mais n'y a-t-il pas des manipulations au profit d'intérêts divers ou d'idéologies camouflées. Pour revenir au sujet principal de la polémique, on pourrait certainement citer bien d'autres oeuvres célèbres en leur temps qui ont disparu ou se sont raréfiées, ne serais-ce qu'une certaine suite d'orchestre "Tsar Saltan" d'un certain Rimski je crois, oeuvre qui eut un grand succès d'après ce que j'ai lu. Mais de grâce, ne vous battez pas de nouveau à coups de références discographiques sur cette oeuvre, quoique j'ai quelque raison de penser que vous risquez cette fois de cesser faute de munitions.

IMPORTANCE PRIVILÉGIÉE ACCORDÉE À LA FORME
Oui, pas seulement les compositeurs, mais tous les musicographes jusqu'au 19e siècle particulièrement ont accordé une importance privilégiée à la forme. Cette importance accordée à la forme au détriment de toute autre caractéristique : thématique, expression, sentiment... fut longtemps la grande préoccupation du monde musical. Je conteste personnellement cet intérêt outrancier pour la forme, même pour la musique du 18e siècle, et l'approche analytique moderne, il me semble, va plutôt dans ce sens. Le terme d'analyse motivique que vous employez me semble assez récent, en tous cas, il se trouve que je ne l'ai rencontré que dans des ouvrages modernes. Le musicologue Pestelli, par exemple, continue à faire beaucoup d'analyse de la forme à propos des oeuvres mannheimienne (il ne fait pas que cela), mais je me demande s'il ne s'égare pas vers une piste secondaire.

MARQUE RHAPSODIQUE
On pourrait s'interroger aussi sur la réalité de la marque rhapsodique dans la "Symphonie norvégienne" de Lalo et une autre de ses oeuvres dont j'ai oublié le nom "concerto russe" peut-être ou un nom dans ce genre. Peut-être est-ce de même pour le "Souvenir de Moscou" de Wieniawski. Certains ont mis en doute également la réalité de la marque du "Groupe des Cinq" dans l'oeuvre de Debussy qui pourtant s'en réclamait. C'est aussi mon avis que la marque de ce groupe n'y est pas perceptible. En revanche, la marque rhapsodique espagnole 'chez Lalo, Debussy, Liszt...) ou tzigane (depuis Dreyschock, Paganini, Sarasate...) me paraît plus évidente. Pour revenir au sujet que vous évoquez, le "Quatuor américain" de Dvorak ne me paraît pas très américain lui non plus. En revanche, la marque rhapsodique américaine (qui d'ailleurs est une sorte de syncrétisme) me paraît nette dans certaines oeuvres de Gottschalk ou de Grainger, mais là c'est bien normal puisqu'ils sont américains. J'admire particulièrement ces deux compositeurs. Gottschalk, encore un autre compositeur accusé d'avoir développé "les côtés extérieur de la musique" au détriment de "l'intériorité". Pour Bloch, je suis bien d'accord avec vous aussi, je m'interroge d'ailleurs sur la compatibilité entre modernisme et rhapsodisme. Le caractère "hébraïque", c'est peut-être différent car on peut voir un rapprochement avec le dodécaphonisme ou tout au moins une musique moins tonale. .

RHAPSODISME ET OEUVRE ATONALE
Je parlais effectivement d'incompatibilité fondamentale entre l'atonalisme et le rhapsodisme, tout au moins les rhapsodismes européens (ibérique, slave essentiellement) car ces rhapsodismes s'appuient sur des modes tonaux dérivés du mode d'ut (le mode tzigane, le mode andalou...). J'y ajouterais même le rhapsodisme chinois ou extrême-oriental. Ces modes disparaissent donc par définition dans une composition atonale, et je ne vois donc plus très bien alors comment ces compositions pourraient être rhapsodiques, à moins que l'on élargisse la notion de rhapsodisme à d'autres éléments que le mode (rythme peut-être, couleur instrumentale...). Un autre facteur, il est vrai, intervient : les compositeurs qui furent le plus portés vers le rhapsodisme à l'époque moderne sont naturellement les néo-classiques, par idéologie au sens large. En fait, je vois l'addition de deux causes dont le résultat est l'absence (ou la quasi-absence?) d'oeuvres rhapsodiques chez les modernes. Les exemples que vous évoquez sont tout de même des raretés par opposition au rhapsodisme généralisé qui imprègne la musique de nombreux néo-classiques. J'imagine que les compositeurs que vous citez ont dû se livrer à un équilibrisme assez précaire pour parvenir à induire un caractère rhapsodique à l'intérieur d'une composition atonale. Le rhapsodisme pas incompatible avec la modernité au sens large du terme, oui, mais avec l'atonalisme, à mon avis, non, par définition même. Par exemple, la Suite "Hary Janos" de Kodaly me paraît relever de l'esthétique moderne, sans quelle soit atonale, et elle me paraît très rhapsodique. Malheureusement, je ne connais pas l'oeuvre dont vous parlez. Le ou les rhapsodisme "latin" que vous évoquez, je ne suis pas très sûr que cela existe au niveau rhapsodique. C'est la première fois que j'en entend parler. Tout au moins je ne connais pas d'oeuvre qui puisse véritablement les représenter, ou peut-être des compositions du genre du "Capriccio italien" de Tchaïkovski ou des "Impressions d'Italie" de Charpentier ? Cela me paraît un peu limité. Au niveau des musiques traditionnelles, j'avoue que je ne suis pas suffisamment connaisseur pour en juger. Dallapiccola, je n'en ai encore jamais écouté une note, peut-être un certain aphorisme, faux bien sûr, de ce compositeur, m'en a-t-il dissuadé, sait-on jamais! Je voudrais préciser par rapport à mon message précédent, afin d'éviter une fausse interprétation qu'à propos du rhapsodisme espagnol de Liszt, je faisais allusion à sa "Rhapsodie espagnole pour piano et orchestre", alors que l'ensemble des oeuvres de Liszt naturellement se réfère au rhapsodisme hongrois. Il s'agit d'une intention rhapsodique occasionnelle chez Liszt et nommément indiquée par le titre de l'oeuvre, cette précision pour les membres qui ne sont pas obligés de connaître cette oeuvre. De même, en ce qui concerne Paganini, je faisais allusion au dernier mouvement du "Concerto n°5" "Allegro alla zingarese" alors que l'ensemble de son oeuvre n'est pas du tout rhapsodique à mon avis, et pour Sarasate je pensais à ses fameux "Ziegenerweisen" alors que l'ensemble de son oeuvre se réfère bien évidemment au rhapsodisme espagnol.

RHAPSODISME CHEZ GOTTSCHALK, GRAINGER, MACDOWELL
Ce "Quatuor américain" de Dvorak, comme l'indique son titre, porte-t-il une marque rhapsodique? En fait, je n'ai entendu cette oeuvre qu'en concert, ce qui est insuffisant. Comme vous le dites justement, folklore américain, cela veut tout dire et rien dire (surtout rien peut-être). Pour reprendre l'exemple de Gottschalk que j'évoquais, il a écrit des pièces dans le style afro-cubain "La gallina "Les yeux créoles", "Pasquinade",... des pièces plutôt inspirées du rhapsodisme irlandais "The banjo", des pièces de pur rhapsodisme ibérique "Souvenir d'Andalousie", des pièces synthétiques "Souvenir de Porto-Rico"... un des meilleurs exemples de cette synthèses qu'a réalisé aussi Grofé me semble le dernier mouvement du "Concerto n°2" de Macdowell, à l'inverse sa "Rhapsodie indienne" (par ailleurs sublime à mon avis) me laisse rêveur quant à un quelconque rhapsodisme. Grainger, que j'évoquais aussi, lui, s'est plutôt inspiré du mélodisme irlandais et écossais, notamment dans "In dahomey", que je trouve superbe. Cela dit, j'avoue préférer le pur rhapsodisme slave, ibérique ou nordique. La pulsion rythmique introduite par la musique africaine ne me paraît pas toujours avoir produit des oeuvres supérieures, même s'il y a quelques réussites comme la fameuse "Rhapsodie in blue" de Gershwin. Pour ce qui est de Gottschalk, je préfère encore ses pièces purement romantiques comme "Suis-moi", "O ma charmante" (c'est tout un programme) "El cocoye", et mieux encore ses fantaisies sur des hymnes nationaux. De Grainger "Spoon river" qui est certainement sa pièce la moins rhapsodique, arythmique et impressionniste.

TSAR SALTAN DE RIMSKI-KORSAKOV
Je dois dire que cette suite est une de mes plus grandes passions, notamment "la tsarine dérivant dans un tonneau sur les flots". Je me rémémore souvent cette partie dans mon "musée musical intérieur". C'est à mon avis une des pages les plus hallucinantes qu'ait écrites Rimski. Le thème principal exprimant une détresse profonde se déroule sur un fond mouvant en pianissimo propre à évoquer l'immensité de l'océan. L'on se sent plongé dans un abîme de désolation au-dessus duquel tremble une faible lueur d'espoir, sans doute l'image de la tsarine, une image de beauté perdue au milieu de l'insensibilité cosmique. C'est peut-être une représentation de toute l'Existence. Et le fond orchestral, ce serait le Mystère même de la Création, lourd de potentialités inconnues, de dangers menaçants... Mais vous allez peut-être plutôt penser que j'ai l'imagination féconde. Et n'ai-je pas dit qu'une oeuvre musicale ne pouvait pas être métaphysique? Alors je m'arrête là.

FIN MESSAGES 1999

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