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CHRONIQUE n° 82 - 11/2007
LA MUSIQUE MÉDIÉVALE EST-ELLE DE LA MUSIQUE EN TANT QU'ART?


La faillite de la musique atonale et dodécaphonique fait rejaillir le problème de la valeur accordée à la musique ancienne et réactualise la déconsidération que l’on en avait depuis le XVIIIème siècle en la qualifiant de barbarie polyphonique. L’évolution de la musique pendant le Moyen-Âge pourrait s’interpréter comme une destruction de la musique antique comparablement à ce qu’il en fut dans tous les domaines de la pensée, et peut-être même de l’architecture avec l'avènement de l'art roman. À cette époque, les instruments accompagnant les hymnes sont interdits par l’Église. Les différents modes médiévaux, obtenus arbitrairement par décalage automatique d'un degré à l'autre à partir du mode d'ut, peuvent paraître d’une efficacité musicale contestable. Le refus de toute virtuosité dans la mélodie, (Saint Ambroise la débarrassa de ses ornements), la recherche de la simplicité, le refus de toute expression aboutissent au plein-chant qui pourrait être considéré comme une forme de minimalisme. Dans une seconde période, à partir du IXème siècle, le refus de l’expressivité ne se serait plus effectué par la recherche de simplicité, mais par une complication gratuite (la polyphonie) qui, selon nous, confine bien à ce que certains observateurs du XVIIIème et XIXème siècle ont nommé de l’obscurantisme. Il est possible que le contenu musical n’ait revêtu d’importance que d’une manière globale, par le style, non par l’intérêt propre de la thématique musicale (qui n’existait pas). En quelque sorte, la musique médiévale aurait pu - selon notre hypothèse - jouer le rôle d’une musique de fond douée d’un certain pouvoir évocateur superficiel comme c’est peut-être le cas, dans un autre registre, de la musique rock aujourd’hui. Elle a pu également jouer un rôle fonctionnel important, c’est-à-dire qu’elle a peut-être valu fondamentalement pour être exécutée plus que pour être écoutée. Elle vaudrait avant-tout pour sa valeur de pratique, d’activité. Ulrich Michels note que cette conception était celle qui guidait en partie J.S. Bach dans son activité de compositeur. N’est-ce pas une déformation moderne d’imaginer que ce type de musique puisse être joué en concert pour le plaisir musical? Si nous interprétons la musique médiévale comme une dégénérescence de la musique antique, laquelle aurait subi une involution vers l’ésotérisme, il y aurait eu selon cette hypothèse un point de fixation, le détournement d’un phénomène existant pour le transformer en pratique à valeur ésotérique. Ainsi l'Église pourrait s’être appropriée la musique antique pour la détruire alors qu’elle lutte dans le même temps de toutes ses forces contre la musique sacrilège des troubadours et trouvères. Et dans cette lignée profane, les oeuvres d'un Dowland sont certainement plus attractives, plus proches de l'expressivité musicale que les édifices contrapuntiques abstrus d'un Palestrina, d'un Cabezon ou plus tard d'un d'Anglebert. Ainsi, on pourrait établir un parallélisme entre l’action du christianisme et le rôle des Intellectuels à la fin du XVIIIème siècle à partir du moment où ils ont élaboré des structures et une littérature qui fait autorité. Ils anathèmatisent la musique extérieure à leur système de valeur, c’est-à-dire celle des virtuoses-compositeurs et plus tard celle du Groupe des Cinq, indépendante de la tradition scolastique. Ne retrouve-t-on pas la volonté de confisquer la musique, de la récupérer, de la déformer, de la contrôler, et peu à peu de renier les véritables génies musicaux du passé par un travail de sape inlassable, jamais avoué, souterrain, afin d'imposer un nouvel ordre musical à la convenance du traditionalisme. Et, suprême revirement dialectique, cette philosophie anti-artistique, par récupération et mimétisme, a même réussi à intégrer l’idée de progressisme pour la retourner contre la véritable musique ?


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