SOMMAIRE


CHRONIQUE n° 65 - 06/2006
QUELS PEUVENT ÊTRE LES FACTEURS DE L'ÉLECTISME MUSICAL?


Quels facteurs permirent la reconnaissance des oeuvres musicales comme chefs-d'oeuvre et des compositeurs comme génies? Quelles furent les causes de l'électisme musical?

Selon notre optique, deux causes principales auraient agi, d'une part le public, d'autre part ce qu'on pourrait nommer l'appareil professionnel, la société musicale: les musicographes, milieux musicaux, critiques, sociétés de concerts, universités, entreprises productrices d'enregistrements, conservatoires, instrumentistes...

Le jugement par le public (lors d'un concert ou par l'audition d'un enregistrement) semble en relation principalement avec les "effets musicaux", c'est-à-dire, selon nous, avec l'intérêt propre de l'oeuvre. Ainsi certaines oeuvres, connues ou inconnues actuellement, eurent un grand succès public lors de leur création et plus tardivement lors de réexécutions. Certaines de ces oeuvres ont pu parvenir jusqu'à nous par suite de ce succès, ce ne fut pas le cas pour toutes. Citons par exemple le Konzertstück pour piano et orchestre de Cécile Chaminade, la suite Tsar Saltan de Nicolas Rimski-Korsakov, qui connurent un grand succès lors de leur création, mais qui furent oubliées actuellement, malgré la notoriété du compositeur (dans le cas de N. Rimski-Korsakov). Les acteurs professionnels ont pu exercer des influences très diverses, seules des enquêtes statistiques précises permettraient d'en avoir une idée objective. Les sociétés productrices d'enregistrements pourraient, selon la logique économique, tenir assez bien compte des goûts exprimés par le public, de même les sociétés de concert et par voie de conséquence les praticiens, mais ce n'est pas certain car elles ont pu être influencées également et anvant-tout par l'idéologie ambiante. Les conservatoires ont la responsabilité de l'enseignement, ils sont influencés par les exigences de la pratique instrumentale dont ils ont maintenu, souvent, et à notre avis heureusement, les répertoires spécifiques. L'université tend à produire des études rigoureuses qui n'ont peut-être pas l'impact qu'elles mériteraient dans la vie musicale en raison de leur spécialisation obligatoire. En conséquence, ce sont peut-être les divulgateurs, les compilateurs, qui ont le plus d'audience. Les musicographes peuvent avoir des origines extrêmement diverses. Ce qui les rapproche, c'est peut-être une conception plus intellectuelle que sensible de la musique, par rapport aux autres acteurs de la vie musicale (professionnels ou non) qui n'éprouvent pas le besoin de théoriser, ou tout au moins de divulguer leur pensée sur la musique, mais plutôt de la pratiquer ou de l'écouter.

Le jugement par les musicographes, d'une manière générale, a pu faire intervenir, pensons-nous, des critères plus discutables, qui ne sont pas uniquement en rapport avec la valeur du contenu musical. L'électisme musical serait la résultante de ces deux électismes antinomiques. In fine, le jugement des Intellectuels aurait fini par primer, ils auraient imposé une véritable idéologie musicale dont le résultat est la notoriété actuelle, la hiérarchie actuelle des compositeurs. Mais les Intellectuels ont probablement aussi agi par récupération de ce que le public leur a imposé, de sorte que l'électisme actuel pourrait être le résultat de l'électisme des Intellectuels après récupération par ces derniers de l'électisme du public. L'exemple de P.I. Tchaïkovski nous paraît manifeste. Devant le triomphe du compositeur auprès du public de tous les pays, les musicographes, malgré leur dégoût, ont été dans l'obligation, vis-à-vis de leurs lecteurs, (surtout dans les dictionnaires généraux de noms propres) de considérer ce compositeur avec un certain sérieux et de lui concéder quelques pages. Les ouvrages actuels sont même devenus relativement élogieux vis-à-vis du créateur du Casse-Noisette.

Il se pourrait cependant que l'électisme concernant les oeuvres revêtît une signification d'une réelle valeur musicale beaucoup plus que l'électisme concernant les compositeurs, car le premier concerne un contenu musical précis alors que la notoriété d'un compositeur a pu faire intervenir plus facilement des critères idéologiques extra-musicaux. Ainsi certaines oeuvres de compositeurs relativement peu connus sont néanmoins devenues célèbres, il se peut que ce soit les oeuvres les plus remarquables, par exemple Le coucou de L.C. Daquin, Carmina Burana de C. Orff, l'Adagio de Giazotto/Albinoni, Les planètes de Holst, le Concerto de Aranjuez de Rodrigo... les seules qui puissent prétendre devoir leur notoriété uniquement à leur contenu musical. Mais il se peut d'autre part que l'influence des Intellectuels ait fortement contribué à imposer des oeuvres d'intérêt moindre et à négliger des oeuvres véritablement supérieures. Selon notre hypothèse, ainsi, l'électisme musical imposé par les Intellectuels serait responsable de la disparition d'un grand nombre de chefs-d'oeuvre musicaux qui ne sont pas encore exhumés. L'activité idéologico-intellectuelle aurait entraîné une véritable destruction de la musique, un meurtre du génie. La musique pourrait finir par disparaître au profit d'une activité stérile vide de contenu artistique.


Sommaire des chroniques

SOMMAIRE



Site optimisé pour norme W3C sous Linux

Valid HTML 4.01 Transitional CSS Valide !