CHRONIQUE n° 42 - 07/2004
POURQUOI LE REFUS DE LA VIRTUOSITÉ?
La virtuosité pourrait être condamnée au nom de l'humilité rassurante, une manifestation de religiosité, de respect envers la musique. Créer une oeuvre qui recèle de la beauté, qui contient du génie ou produit du plaisir, ce serait une offense envers Dieu. Une oeuvre conforme à l'esprit religieux devrait être ennuyeuse, dépourvue de génie et de beauté, comme l'est peut-être le plain-chant et, pensons-nous, de nombreuses oeuvres de J.S. Bach comme L'Art de la Fugue ou L'Offrande musicale. Le refus de la virtuosité pourrait s'expliquer par des réactions inconscientes, d'ordre idéologique, psychologiques ou philosophiques: peur de la difficulté, peur d'être dépassé, jalousie fondamentale, préservation de valeurs conventionnelles. Elle pourrait signifier une réaction d'autodéfense car la manifestation d'une structuration (l'oeuvre géniale) pourrait menacer l'intégrité de l'individu. Ainsi s'expliquerait le caractère viscéral et violent du refus de la beauté et de la virtuosité.
La mode de la musique ancienne est une manifestation collective de couardise nous dit A. Savinio qui dénonce le goût pour cette musique sans âme, inexpressive, (à laquelle il inclut la baroque), comme une paresse satisfaisant un public en abdication de sa fonction de conscience. Il la dénonce également de la part de la jeunesse comme un refus de ce qui est proprement musical:
On est tout d'abord étonné que le bourgeois aime la musique ancienne, cette musique dépourvue d'imprévu, dépourvue de surprise, dépourvue de pittoresque, cette musique dépourvue de chaleur humaine et tout compte fait ennuyeuse. Mais ensuite, on comprend, la musique ancienne est la musique de l'anti-volonté, de l'anti-pensée, musique guidée et préétablie. Et le bourgeois veut ne pas vouloir et ne pas penser.
Pour notre part, nous pensons qu'il n'y a pas de meilleur exemple de musique susceptible de ravir en même temps le bourgeois, l'intellectuel, le snob... et même éventuellement l'authentique mélomane que la plupart des oeuvres de Bach, lesquelles, après avoir été l'expression de l'idéologie religieuse du XVIIIème siècle, retrouvent une nouvelle jeunesse en incarnant la tendance idéologique de notre époque, la démission et le reniement de la pensée. En cela, Bach nous paraît moderne.
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