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CHRONIQUE n° 27 - 04/2003
LA NOTORIÉTÉ D'UN COMPOSITEUR EST-ELLE DÉTERMINÉE FONDAMENTALEMENT PAR L'INTÉRÊT MUSICAL DE SES OEUVRES? L'EXEMPLE DE SATIE


Le jugement d'un compositeur par son époque et par les époques postérieures s'est-il appuyé principalement sur la réalité du contenu musical de ses oeuvres? Ce jugement n'est-il pas plutôt le résultat de l'image que le compositeur a tendu à donner de lui-même, qu'il a affiché ou affirmé, engendrant ainsi un pseudo effet Pygmalion par lequel on finit par prêter à une personne les caractéristiques qu'elle prétend posséder? Ainsi a pu se réaliser un jeu psychologique complexe entre les différents partenaires déterminant l'importance historique d'un compositeur: les instances officielles, les musicologues ou musicographes, les conservatoires et sociétés musicales, les critiques et le public. L'histrionisme de Satie accompagné d'une solide amitié avec Debussy n'a-t-il pas contribué à propulser ce marginal au niveau d'un génie supérieur, si l'on en juge par certains ouvrages qui lui consacrent plus de place qu'à Saint-Saëns ou Tchaïkovski? À titre d'exemple, signalons l'Histoire de la musique de la Pléiade (1997) qui consacre 11 pages à Erik Satie et 3 pages à Piotr Illich Tchaïkovski. Autre facteur extra-musical que l'on peut soupçonner dans cet exemple, l'origine géographique du compositeur. L'on a parfois l'étrange impression que le microcosme parisien de l'époque s'impose à l'historiographie musicale. Qui aurait évoqué d'Erik Satie s'il avait fait la même carrière, mais à Oslo, Naples ou Sofia ? La réelle importance de Paris dans le rayonnement européen de la musique à la fin du 19e siècle n'a-t-elle pas permis l'émergence de personnalités secondaires qui seraient passées inaperçues dans un autre contexte local. Si les oeuvres de Satie ne se distinguèrent pas particulièrement par leur succès au concert, en revanche le personnage fortement typé de marginal anarchiste affirme une dose d'originalité propre à attirer sur lui l'attention des Intellectuels de la nouvelle vague, notamment sa fréquentation des milieux littéraires. Son isolement farouche de gourou joint à son embrigadement tardif dans un des temples les plus austères de l'intellectualisme (la Schola Cantorum) peuvent surprendre. Quelquefois, les extrêmes ne se rejoignent-ils pas? Comme d'autres l'ont constaté avant moi, il est symptomatique que les plus grands admirateurs de Satie se recrutent souvent parmi des littéraires, par ailleurs assez peu portés sur la chose musicale. Le mythe Satie nous paraît procéder d'une véritable frénésie idéologique indépendante de toute considération artistique. La prolixité soudaine des auteurs d'histoire de la musique à son égard semble également montrer tout le poids des facteurs extra-musicaux dans l'élaboration de cette science fragile, peut-être plus souvent le reflet des tendances idéologique de notre époque que de la consignation objective du passé.


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