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CHRONIQUE n° 23 - 12/2002
RIEN NE RÉSUSTE AU POUVOIR D'ANALYSE DE L'HISTORIOGRAPHE!


Dans son Dictionnaire de la Musique (La Musique, 1969), Roland de Candé nous dit à propos de C.W. Gluck :

Il rencontre peu de succès à Londres auprès d'un public habitué à la perfection d'écriture de Haendel.

N'est-il pas exagéré d'expliquer avec certitude le manque de succès de C.W. Gluck par le caractère parfait du génie de G. F. Haendel? Le musicologue considère comme un axiome la notion de perfection chez Haendel à partir de laquelle il établit une explication d'ordre causal, oubliant que le créateur du Messie fut loin d'être le seul compositeur à obtenir de retentissants succès à Londres à cette époque. L'on peut mentionner notamment ceux de Bononcini, compositeur qui, en cette capitale, nous dit Fétis, obtint un tel succès que les directeurs de spectacle furent obligés d'introduire quelques morceaux de Camilla [ouvrage lyrique de Bononcini] dans tous leurs opéras, succès que confirme le New Grove Dictionary, précisant que les deux premières saisons de ce compositeur dans la capitale anglaise furent un incredible successful et que five of his works accounted for 82 of the 120 performances given by the Royal Academy of Music. Il fut notamment donné, précise le rédacteur de l'article, 64 représentations de Camilla entre 1706 et 1709. À titre de comparaison, nous apprenons dans l'article Haendel que l'un des plus grands succès lyriques de ce compositeur, Rinaldo, atteignit 53 représentations, mais nous apprenons aussi que Il pastor fido [autre ouvrage de Haendel] was a failure. La reconnaissance particulière de la perfection de Haendel par le public londonien ne repose-t-elle pas là de la part de R. de Candé sur une déformation de la réalité objective, à moins qu'il n'étende cette notion de perfection aux ouvrages de Bononcini. La notice très sèche qu'il consacre à ce compositeur dans son dictionnaire permet d'en douter. Le musicologue, qui nous semble avoir écrit par ailleurs des pages souvent admirables et avoir fait preuve d'une grande ouverture d'esprit, nous paraît dans son dictionnaire et son histoire de la musique adopter un ton professoral, convenu, qui prétend savoir de manière absolue qu'une oeuvre est bonne ou mauvaise et qui interprète le moindre fait appartenant à l'Histoire de la musique pour lui conférer une signification idéologique. Plus loin, il nous affirme avec la même autorité que les grandes oeuvres de César Franck

...souffrent d'un mauvais goût dont il ne reste plus trace dans sa musique de chambre.

De nombreux auteurs d'ouvrages historiographiques, établissant la confusion entre critique musicale et analyse musicologique, utilisent ainsi l'autorité que leur confère leur position pour communiquer à leurs jugements de valeur très orientés l'autorité de la Science. Ils nous présentent l'Histoire de la Musique comme un ensemble cohérent dont ils auraient l'entière compréhension, comme s'il savaient exactement ce que vaut chaque oeuvre et chaque compositeur. Ne devrait-on plutôt dire selon les termes de Brigitte François-Sappey dans l'introduction de son Histoire de la musique en Europe :

L'histoire est partielle et partiale.


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