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CHRONIQUE n° 22 - 11/2002
PARLONS SÉRIEUSEMENT DE BACH


Bach est-il un compositeur si génial que seule une élite intellectuelle peut l'apprécier? C'est ce qu'il m'a semblé à la suite d'une petite aventure. Il y a quelques années, le hasard voulut qu'au concert je fusse assis à côté d'un ancien camarade de classe. Pendant l'entr'acte, nous échangeames quelques mots sur le programme qui proposait notamment quelques pièces du Clavecin bien tempéré de Bach. C'est le plus grand compositeur, me dit gravement mon camarade, désignant le nom inscrit sur le programme. Là-dessus, le pianiste rejoignit son instrument et entama l'oeuvre. Au bout de cinq minutes, comme ma tête dodelinait, mon camarade s'enquit de mon opinion. Cela me paraît ennuyeux, dis-je. Comment, une oeuvre comme celle-ci ! s'offusqua-t-il, me jetant un regard sévère à travers ses lunettes d'intellectuel austère. Cependant, condescendant, il se reprit : Bon, viens chez moi demain, on parlera sérieusement de Bach.

Assis sur le sofa de son salon, je l'écoutai. Il me fit pénétrer, moi le béotien, dans les arcanes du temple Bach, m'expliquant que des relations mathématiques complexes régissaient l'écriture du Cantor, mais aussi qu'il dépassait les romantiques par sa véhémence. Bach exprime aussi bien la joie que le drame ou bien une poésie merveilleuse. Bach, c'est le point de départ et d'aboutissement de toute la musique. Bach, c'est un géant, le saint qui trône, dominant toute la musique... Par moment, il fronçait le sourcil, le regard perdu vers le haut, comme s'il se sentait écrasé par la hauteur incommensurable qu'atteignait le génie du Cantor. Puis il posa un CD sur la platine : L'Art de la Fugue, une oeuvre comme il n'en est jamais sorti d'un cerveau humain. Je fis de louables efforts pour tenter de saisir la pensée de ce compositeur si formidable, mais en vain, je devais constater que le génie de Bach me plongeait dans un ennui profond. Intimidé, cependant, et honteux de mon incapacité perceptive, je n'osais lui avouer.

Je me mis à compulser quelques notices d'enregistrements qu'il avait mis à ma disposition sur la table, j'y trouvai alors l'intitulé d'une oeuvre qui m'avait toujours enthousiasmée: la Grande toccata et fugue BWV 565.
Voilà une oeuvre que j'apprécie, lui dis-je. C'est un début, me répondit-il, effectivement c'est l'oeuvre qui a le plus contribué à sa notoriété. Je m'attardai quelque peu sur la notice quand je lus: Certains experts pensent que cette oeuvre serait issue d'une oeuvre violonistique inconnue... Mais, dis-je, elle n'est peut-être pas de Bach, cette oeuvre? Un rire épanoui illumina la face de mon camarade. Qu'importe la source, le génie de Bach est tel qu'il a transcendé toutes les faibles oeuvres de ses contemporains.

Comme il me raccompagnait jusqu'à la porte, j'aperçus par l'imposte de son bureau les énormes volumes des musicographes qui avaient établi l'exégèse des oeuvres du grand Bach : Forkel, Pirro, Spitta, Riemann, Bassi, Dufourcq... Impressionné par tant de science, je fus convaincu, hélas, de l'inanité de mon jugement musical. En effet, comment pourrais-je avoir raison dans mon opinion, moi, pauvre petit amateur de musique, alors que tant de docteurs depuis deux siècles avaient montré la grandeur de Bach. Quel piètre mélomane je suis, me dis-je désespérément. À moins que... (à suivre).


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