CHRONIQUE n° 17 - 06/2002
BIOGRAPHIE DE COMPOSITEUR OU MYTHE
Les ouvrages sur la musique nous présentent avec des épanchements grandiloquents les compositeurs majeurs alors qu'ils exécutent en quelques lignes plus ou moins courtoises les compositeurs secondaires. Parfois - sans doute sous l'effet d'un mouvement de générosité de la part de nos savants biographes - des compositeurs mineurs peuvent être qualifiés de petits maîtres talentueux. Le grand compositeur au contraire est celui qui accapare toute l'attention du musicographe. Ses moindres faits et gestes, ses productions les plus anodines, sont développés avec une ferveur sacralisante. Ainsi, tous les événements de sa vie semblent s'ordonner autour de lui comme s'il était le centre d'intérêt universel, le messie venu apporter la bonne parole d'un nouveau dogme artistique. Même sa période obscure paraît éclairée par sa future gloire et sa médiocrité d'homme se trouve transcendée par l'exceptionnalité de son destin.
Pourtant, si l'on se penche plus attentivement sur les témoignages d'époque, notamment au travers des critiques (comme celles de Louis de Romain par exemple), il semble que de nombreux compositeurs aujourd'hui oubliés jouissaient à leur époque d'une notoriété comparable à celle des compositeurs consacrés. C'est également ce que montrent incidemment les dédicaces d'oeuvres de grands compositeurs à l'intention de confrères qu'ils considéraient souvent comme leurs égaux. Par exemple le fameux Introduction et Rondo capriccioso de Saint-Saëns est dédié à Pablo de Sarasate, le Concerto n°1 de Liszt à Henry Litolff, le Concerto n°1 de Frédéric Chopin à Frédéric Kalkbrenner. De même, Jules Massenet n'a pas dédaigné transcrire pour orchestre la Berceuse-Rêverie de Giovanni Sgambati, son collègue de l'Institut de France en remplacement de Franz Liszt.
La vie d'un grand musicien s'apparente à celle d'un Vercingétorix ou d'une Jeanne d'Arc dans nos anciens manuels scolaires du début du 20ème siècle par suite d'une transformation élevant ces personnages humains à la stature de héros mythiques. Une biographie de compositeur célèbre pourrait être le résultat d'une optique erronée car elle est écrite a posteriori au moment où l'on sait (ou plutôt au moment où l'on croit savoir) que le compositeur que l'on traite est un génie. Les musicographes du 19ème et du début du 20ème siècle auraient modifié inconsciemment l'Histoire en faisant apparaître les compositeurs qu'ils ont élus comme nécessairement prééminents et leurs confrères musicologues contemporains auraient été ainsi dans l'obligation d'avaliser les choix distinctifs de leurs aînés. L'importance des prétendus grands compositeurs ne serait bien souvent qu'un artefact introduit par des cénacles d'intellectuels disposant des médias ou induit à la faveur d'une seule oeuvre ayant obtenu un succès public particulièrement vif? Ainsi en est-il pour Mozart qui ne jouissait guère de son vivant que d'une notoriété locale (Autriche-Hongrie) alors que Gluck ou Salieri atteignaient une réputation européenne. Quelque peu rejeté par la critique et le goût du public - surtout à partir des Noces de Figaro, Mozart n'a jamais joué de rôle social important: 1777 et la tournée des capitales (Munich, Augsbourg, Mannheim, Paris), dont il espérait un poste correspondant à son talent, marque le début de son échec social nous dit Jean Duron dans Histoire de la musique (Larousse 2000).
Et n'oublions pas le hasard, ce grand maître des destinées humaines. Que représenterait aujourd'hui Wagner s'il n'avait pas eu la chance de rencontrer Louis II de Bavière? s'interroge Parmentier-Bernage dans De la musique pour tous. Questionnement impie qu'il vaut mieux oublier.
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