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CHRONIQUE 15 - 04/2002
LA MUSIQUE VAUT-ELLE ESSENTIELLEMENT PAR SA NOUVEAUTÉ


L'intérêt primordial d'une oeuvre réside-t-il dans sa nouveauté ou plutôt dans le plaisir musical qu'elle peut procurer? Tout mélomane normalement constitué répondra en affirmant la primauté du plaisir musical (non au sens restrictif, mais au sens profond du terme), qui représente la raison d'être de la musique. Cette opinion frappée au coin du bon sens ne semble apparemment pas être partagée par certains Intellectuels de la musique. Les assertions suivantes recueillies dans quelques ouvrages d'histoire de la musique en témoignent: Dans La musique française au XIXème siècle de F. Robert, nous lisons :

Chez César Franck et ses élèves, que le génie n'a pas dédaignés, ou chez d'honnêtes artisans d'un relèvement comme Lalo ou Saint-Saëns résonnaient les derniers échos d'un post-romantisme ou d'un néo-classicisme sans issue.


Vous remarquerez en outre avec quelle élégance l'auteur établit le distinguo entre notamment César Franck, visité par le génie et Saint-Saëns ou Lalo, qualifiés d'honnêtes artisans, pour le cas où le lecteur aurait l'inadvertance coupable d'inverser cette hiérarchie.

Si sur le plan de l'Histoire, la nouveauté chez un compositeur nous apparaît effectivement, par définition même, comme un critère d'importance, les propos de F. Robert semblent dépasser cette considération. Son jugement nous paraît illustrer une conception essentiellement idéologique de la musique, celle du progressisme. Pour cet auteur, la signification fondamentale du phénomène musical ne semble pas de produire des chefs-d'œuvre qui enchanteront le public en exprimant le génie, mais de réaliser une évolution.

Le même auteur nous précise plus loin :

En ce début de siècle, l'art instrumental en France aboutit à une impasse.


Toujours selon cette même conception téléologique, les productions artistiques semblent ne pas valoir pour elles-mêmes, mais uniquement si elles s'inscrivent dans une évolution et conduisent à une étape ultérieure du langage musical dont le terme, comme par un hasard extraordinaire, ne peut être que l'atonalisme.

Dans le même esprit, Lucien Rebatet écrit dans Une histoire de la musique à propos de P.I. Tchaïkovski:

En harmonie, il est presque aussi académique que son ami Saint-Saëns. [...] Chez nous, il serait utile de situer Tchaïkovski à l'intention du public populaire qui s'en délecte, de faire saisir à ce public toute la distance entre le talent du Russe, conservateur sentimental, et les premières symphonies de Mahler [...], sans chercher encore plus haut des points de comparaison. C'est pour contribuer à cette mise au point que nous avons accordé à Piotr Illich un peu de place qu'il n'y aurait droit historiquement.


Ainsi pour L. Rebatet, il faut dissuader le public d'écouter P.I. Tchaïkovski car ce compositeur, selon lui, ne se trouve pas à l'avant-garde de son époque, l'avant-garde étant naturellement définie par rapport à la progression vers l'atonalisme. Si l'on s'accorde à la conception de cet auteur, l'oeuvre musicale n'aurait pas d'intérêt intrinsèque. Ainsi, par exemple, si la Symphonie n°5 de L. van Beethoven, qu'il juge un chef-d'œuvre, avait été écrite en 1900 au lieu d'avoir été écrite en 1804, elle n'aurait aucune valeur! N'est-ce pas la négation même de la musique?

Cette foi progressiste apparaît d'autant plus curieuse que les compositeurs du 18e siècle considérés par les musicographes comme les plus importants (Bach, Mozart, Haydn) sont justement les plus traditionalistes alors que les plus novateurs à l'origine de l'évolution du langage musical (Vivaldi, Scarlatti notamment) sont par eux considérés comme inférieurs si l'on en juge par le peu de place qui leur est concédée par rapport aux premiers. Les zélateurs du progressisme pourraient bien être que d'habiles récupérateurs d'une idée qui s'est imposée.


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