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CHRONIQUE 12 - 01/2002
DÉCONSIDÉRATION DES PLUS GRANDS GÉNIES


Les critiques de superficialisme, de colorisme, de rhapsodisme, de musique à effet, d'effet extérieur, de sentimentalisme, de virtuosisme, de déficience de la forme ou de l'harmonie, de mélodisme facile... ont été, me semble-t-il, le moyen le plus sûr employé par les musicographes jusqu'au milieu du XXème siècle pour discréditer les compositeurs et les oeuvres à mon avis les plus originaux, les plus inventifs, les plus géniaux. Certains de ces compositeurs cependant, portés par les suffrages du public, parvinrent à conserver ou retrouver une certaine notoriété malgré le poids des anathèmes: Sibelius, Vivaldi, Grieg, Saint-Saëns, Albeniz, Tchaïkovski, Paganini, Rimski-Korsakov. Pour les mélomanes supérieurs (tel Robert Bernard, Louis Aguettant ou Lucien Rebatet) au-dessus de la foule des mélomanes méprisables (dont je suis malheureusement), il ne s'agirait en aucun cas de comparer aux grands classiques ces musiciens secondaires prisés d'un public peu averti. Compositeurs de l'extrême, très différents les uns des autres, ils présentent comme point commun de se situer, esthétiquement et souvent géographiquement, hors du champ des valeurs établies par l'idéologie conventionnelle. S'opposant à ces marginaux, le profil du compositeur idéal à la convenance du musicographe traditionnel ou moderne, nous semble-t-il, est représenté a contrario par le compositeur mystique, religieux, peu original, généralement austère, ennuyeux, "riche" de son intériorité et peu susceptible de déchaîner la passion des foules, bref l'antithèse de l'artiste: Bach l'artisan ou d'Indy le professeur. Le jugement de Paul Landormy à propos de ce dernier compositeur nous paraît bien révélateur de cet idéal, anti-artistique à mon sens, et de la récupération des nouvelles valeurs: l'émotion, l'âme, la passion, enfin reconnues à partir du XXème siècle : Dans l'art de d'Indy, il n'y a pas en effet tout l'agrément, toutes les séductions, ni même peut-être la sorte particulière d'émotion - toujours un peu sensuelle - de celui d'un Debussy ou d'un Fauré, mais j'y trouve plus d'âme, je veux dire de foyer intérieur qui n'a pas tant besoin de se nourrir des impressions du dehors pour donner toute sa flamme Cette conception primitive du génie que les Intellectuels développèrent face à l'offensive des artistes se modifia au cours du XXème siècle. Bien que l'idéal moderne s'en détache notablement et en constitue sur certains points l'antithèse, le discrédit porté aux compositeurs mentionnés précédemment n'a pas été effacé. D'autres caractéristiques plus négatives à mon avis se sont substituées ou surajoutées à l'ancienne conception, notamment le parti pris de progressisme qui dresse contre les nouveaux artistes une barrière encore plus redoutable. Le modernisme étant devenu la norme dominante, des compositeurs comme Rachmaninov ou Khatchaturian par exemple se voient déconsidérés pour avoir refusé de se plier aux nouvelles normes de l'époque tout comme les progressistes l'avaient été au siècle d'or de la Tradition. La nouvelle austérité incarnée par l'école d'Arcueil (fille spirituelle de la Schola Cantorum) autour de Satie représente, me semble-t-il, la métamorphose ultime de la tendance anti-artistique qui se dévoile au grand jour et entérine la mort de l'Art.


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