LE JUGEMENT MUSICAL - AVANT-PROPOS



La présente page correspond à un article non documenté, orienté vers la pratique et les conclusions que peuvent nous fournir l'évaluation continue.


LE JUGEMENT MUSICAL - OBJECTIVITÉ, SUBJECTIVITÉ

L'impression ressentie à l'audition d'une oeuvre musicale, et conséquemment le jugement affirmé sur sa valeur, pourrait procéder uniquement de la subjectivité. C'est la conclusion immédiate que l'on pourrait tirer de la simple constatation des divergences profondes entre les jugements émis par différents auditeurs sur une même oeuvre. Si cette hypothèse de la subjectivité totale était retenue, il s'ensuivrait que toute oeuvre en vaudrait une autre et qu'aucune ne possèderait de valeur intrinsèque. La reconnaissance de chefs-d'oeuvre serait uniquement le fruit du hasard ou de la convention. Les oeuvres d'art n'auraient aucune valeur. La résolution de ce paradoxe impliquerait que l'on reconnût une certaine part d'objectivité dans le jugement musical, ce terme d'objectivité étant compris dans le sens où une majorité de personnes s'accorderait sur la valeur prééminente de certaines oeuvres sur d'autres. À la condition, naturellement, que ce consensus relatif soit le reflet exact de l'impression ressentie et non l'affirmation des codes de valeurs collectifs induits par la société ou par diverses manipulations commerciales. La méthode de jugement continu vise à obtenir un jugement le plus représentatif possible de l'impression réelle ressentie en tentant d'éliminer les facteurs extra-musicaux du jugement. Considérons d'abord ces facteurs.


LES CAUSES POSSIBLES DE DISTORSION DU JUGEMENT MUSICAL

Précisons que les considérations qui suivent sont purement hypothétiques et ne s'appuient que sur mon expérience et mon observation personnelles. J'ai néanmoins dialogué avec de nombreux mélomanes depuis plusieurs décennies et j'ai procédé à quelques tests expérimentaux sur un nombre limité de personnes.

D'une manière générale, il semble qu'apparaît la prééminence des facteurs affectifs et idéologiques extérieurs à l'oeuvre sur les facteurs musicaux liés au contenu de l'oeuvre elle-même, loi que l'on pourrait formuler de la manière suivante:

Dans le jugement émis sur une oeuvre musicale, les facteurs affectifs ou idéologiques extra_musicaux priment toujours sur l'impact des caractéristiques musicales intrinsèques à cette oeuvre.

Par exemple, si un ami que vous estimez vous recommande une oeuvre, cette recommandation primera sur l'intérêt réel de l'oeuvre. L'oeuvre devient un simple médium, un objet neutre en lui-même, le vecteur du lien affectif qui vous lie à cette personne. Il peut représenter aussi le lien d'ascendance morale que cette personne exerce sur vous. Inversement, si une personne avec laquelle vous avez un différent (notamment d'ordre intellectuel) vous recommande une oeuvre, il est très probable que vous la trouviez détestable. Autre exemple significatif: l'intelligentsia actuelle qui donne le ton affirme la prééminence de l'harmonie sur la mélodie. Une oeuvre de nature mélodique sera dépréciée et une oeuvre de nature harmonique sera estimée selon ce critère. La qualité possible de la mélodie ou de l'harmonie sera considérée en second lieu.

Cette loi rejoint ce qu'on pourrait nommer la loi de la primauté du genre et la loi de prééminence idéologique en littérature. En vertu de la première, par exemple, un lecteur passionné par Alexandre le Grand appréciera mieux un mauvais livre sur Alexandre le Grand qu'un excellent livre sur Napoléon (en supposant même qu'il le lise). En vertu de la seconde, un lecteur appréciera mieux un ouvrage mal écrit et sommaire qui conforte ses idées qu'un ouvrage bien écrit et fouillé qui les contredit.

Voici une liste de facteurs qui pourraient influencer le jugement sur une oeuvre musicale:

-préjugé sur le compositeur
-préjugé sur le style (classique, romantique, rhapsodique)
-effet de "recommandation" (effet mentor): préjugé dû à l'environnement familial, à une personne de connaissance (un mentor), une société musicale...
-effets de mode liés aux médias, à la culture ambiante
-effets commerciaux liés aux médias
-préjugé sur le genre (genre symphonique, rhapsodique...)
-insuffisance d'auditions (oeuvre insuffisamment écoutée)
-diminution réelle de l'effet ressenti par suite du style ne correspondant pas à ce que l'auditeur attendait
-jugement en rapport ou non avec les caractéristiques habituelles du genre (ex: une gigue sera jugée par référence à d'autres gigues)
-erreur sur l'appréciation d'ensemble quand l'oeuvre est longue (compte tenu qu'il peut y avoir de bons et de mauvais passages pour un auditeur considéré)
-plus ou moins grande sévérité de l'appréciation pour une impression identique (ex: certaines personnes seront plus exigeantes que d'autres pour indiquer la mention excellent)
-difficulté de prendre conscience de sa propre impression

Chacun de ces facteurs peut lui-même dépendre d'autres facteurs extrêmement divers, par exemple:

-pour la connaissance insuffisante de l'oeuvre:
.difficulté de concentration auditive
.intérêt insuffisant pour la musique classique
.paresse
.existence d'autres centres d'intérêt
.manque de temps
...........

-pour le préjugé sur le compositeur:
.opinion philosophique sur la personnalité du compositeur au travers de sa biographie ou des médias
.nationalité
.cote actuelle du compositeur dans les médias
.opinion sur le compositeur dans l'environnement immédiat de la personne
...........

Une grande part de ces facteurs représente sans doute le résultat de ce que l'on pourrait appeler la lecture projective de l'oeuvre, c'est-à-dire un résultat qui n'est pas en rapport avec l'émotion réelle procurée par le contenu thématique de l'oeuvre, mais avec une affirmation philosophique de l'auditeur constituant un élément passionnel ou intellectuel. Ainsi, par son jugement musical, la personne affirme ses goûts, s'affirme elle-même et affirme les codes de valeurs de sa communauté ou s'y oppose éventuellement. Dans le domaine musical, les communautés susceptibles de sécréter des codes à signification de lien social , d'adoubement, d'intégration peuvent être des familles, des classes sociales, des sociétés savantes, intelligentsias, des partis politiques, des nations, des civilisations, des groupes d'âge, des communautés d'intérêt économiques... La notoriété d'un compositeur est certainement le code de valeur le plus prégnant. Sa biographie, avec ses enjolivures, hyperboles, obéit au principe de l'héroïsation. Le compositeur crée un effet de personnalisation correspondant à un idéal esthétique, psychologique, philosophique, social particulièrement puissant. Un seul compositeur, cependant, n'est pas en lui-même un absolu. Il est permis, par exemple, de ne pas aimer Mozart, mais à la condition d'aimer une autre icône validée par la société (par exemple Debussy), une icône qui a ses partisans, qui constitue un groupe dans la société. En revanche, la désapprobation de toute icône (ou la désapprobation d'une icône particulièrement représentative) constitue une marginalisation à l'égard de la société musicale qui isole l'individu. Elle peut conduire à l'exclusion, qui peut se traduire par la perte ou l'impossibilité d'atteindre des intérêts matériels dans les instances de cette société musicale. La glorification des icônes constitue symétriquement une défense des intérêts de la part des membres de cette communauté. Les jugements musicaux qui, a priori, peuvent paraître gratuits ne sont pas dénués d'implication sur le plan d'intérêt et bénéfices matériels pour ceux qui les émettent.

Une des altérations possibles que nous observerons dans l'expression du jugement est sans doute ce qu'on pourrait nommer la crainte de l'effet sacrilège, c'est-à-dire que la personne éviterait un jugement négatif ou insuffisamment élogieux lorsqu'il s'agit de compositeurs célèbres. La célébrité exprime en elle-même l'autorité de la société et affirme la puissance de la collectivité sur l'individu en cautionnant des modèles. Si une personne doute de son jugement, elle sera amenée à mimer le jugement convenu, de manière à se fondre dans le groupe. Originellement, la survie de l'individu est liée à son intégration dans sa communauté. Par le jugement sur les icônes, nous touchons donc à un instinct de conservation essentiel qu'il sera difficile d'éliminer.

La difficulté de prendre conscience de sa propre impression pourrait également jouer un rôle fondamental parmi les facteurs évoqués, difficulté additionnée à la lecture projective de l'oeuvre. Par exemple, une personne pourra juger très favorablement une oeuvre d'un certain compositeur parce qu'elle admire l'image de ce compositeur, mais en réalité, elle se sera peut-être ennuyée en l'écoutant, ceci sans que cette personne ait réellement conscience de la distorsion entre le jugement exprimé et l'impression ressentie.

Tous ces effets pourraient agir en synergie soit en modifiant le jugement indépendamment de l'impression ressentie, soit plus profondément en modifiant l'impression elle-même. Certaines expériences de sociobiologie (expériences en double aveugle) tendraient à montrer que les normes sociétales peuvent influer sur la sensation réelle. Un exemple plus subtil peut être imaginé - et qui a peut-être valeur générale - ce que l'on pourrait nommer l'effet d'amplification: une oeuvre sera légèrement sur-évaluée si le préjugé est favorable, elle sera légèrement sous-évaluée si le préjugé est défavorable. Le jugement aurait donc bien ici un support véritable, mais il se trouve altéré. En outre, de nombreuses interférences peuvent exister entre tous ces effets. Par exemple, si l'on a par avance une opinion défavorable sur un compositeur, on n'écoutera pas aussi attentivement l'oeuvre et on la connaîtra insuffisamment. Il est même probable qu'on formulera un avis alors qu'on ne l'a jamais sérieusement écoutée. L'impression, et par conséquent le jugement, pourront être modifiés défavorablement par insuffisance de connaissance de l'oeuvre. Également, pour une oeuvre longue, on appuiera son jugement sur les bons passages en occultant les mauvais ou l'inverse selon le préjugé positif ou négatif (ceci plus ou moins consciemment). On comprend, dès lors que puisse intervenir une sommation de toutes ces distorsions, responsables en définitive d'une variabilité considérable du jugement exprimé. Nous essaierons par l'expérience du jugement continu de supprimer le plus possible ces effets et d'obtenir ainsi des appréciations, sinon absolues, du moins reflétant le plus fidèlement possible l'impression ressentie.


L'ÉVOLUTION DU JUGEMENT EN FONCTION DU NOMBRE D'AUDITIONS

Il semble que la jouissance auditive obtenue par l'audition d'une oeuvre dépende étroitement de la connaissance préalable des motifs et thèmes qu'elle contient, et donc qu'une corrélation étroite relie mémorisation et jugement. Il se pourrait que la reconnaissance des motifs constitue en elle-même la source de la jouissance musicale, indépendamment de la structure thématique. En ce cas, la valeur intrinsèque de l'oeuvre serait une illusion. Cependant, la facilité de mémorisation des motifs musicaux est liée elle-même à leur congruence, leur logique interne sur le plan mélodique, harmonique... ce qui permettrait de relier à nouveau la capacité de provoquer une jouissance à la texture intime de l'oeuvre. Le rôle de la mémorisation et de la reconnaissance dans le jugement se trouve suggéré par l'augmentation de la jouissance musicale lorsqu'on multiplie le nombre d'auditions jusqu'à une dizaine et plus. Précisons qu'il ne s'agit cependant là que d'hypothèses. Et signalons que certaines oeuvres désagréables - semble-t-il intrinsèquement - ne permettent jamais d'engendrer une jouissance musicale et font la quasi-unanimité sur leur caractère négatif en dehors de certains cénacles de la société musicale où les jugements sont strictement régis par l'intérêt. La courbe de l'intérêt musical provoqué en fonction du nombre d'auditions pourrait être la suivante:


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On pourrait distinguer en fonction de l'oeuvre:

-une phase réfractaire (de 1 à 4 auditions environ)
-une phase d'ascension (de 3 à 7 auditions environ)
-un plateau de fluctuations (à partir de 7 à 8 auditions environ)

Il y aurait donc une phase d'augmentation de la jouissance musicale jusqu'à ce que l'oeuvre soit totalement mémorisée, ensuite un pallier présentant des fluctuations, lesquelles correspondraient aux variations de notre réceptivité selon notre état mental circonstanciel. Notons que ce graphe ne représente le résultat d'aucune expérimentation réelle, si ce n'est ma propre expérience personnelle, corroborée par quelques appréciations de mélomanes. Une caractéristique semble se vérifier, c'est le sens positif des variations de jugement en fonction du nombre d'auditions (si l'on excepte les variations circonstancielles qui sont d'amplitude limitée). Je n'ai jamais constaté de diminution de la valeur du jugement à la suite de réauditions d'oeuvres. Un effet consécutif semble apparaître au cours des auditions successives: le nivellement par le haut, c'est-à-dire la diminution des différences de valeur que l'on avait accordée à certains passages par rapport à d'autres, les passages jugés initialement de moindre intérêt, révélant à la longue un certain intérêt.

L'augmentation de la valeur accordée en fonction du nombre d'auditions et le nivellement constatés - s'ils sont avérés - pourraient correspondre, en partie, à notre contentement de constater notre acquis mémoriel et à notre plaisir de discerner la texture thématique de l'oeuvre. Il s'agirait en quelque sorte d'un plaisir de déchiffrement sonore comme on peut ressentir un plaisir à déchiffrer une partition, soit en exécutant l'oeuvre, soit en l'écoutant. Ce plaisir serait donc d'ordre purement intellectuel et n'engendrerait aucune émotion supérieure. Il pourrait s'agir également d'une jouissance à retrouver des repères auditifs connus, induisant un sentiment de protection rassurante. De même, un environnement physique (lieu naturel, appartement habituel) nous procure un effet positif. Cet effet s'expliquerait par la sécurité associée à un environnement connu alors qu'un environnement étranger serait susceptible de recéler pour nous des agents agressifs inconnus.

De ces observations, si elles ont toutefois un caractère général, je retirerais la prévention selon laquelle il ne faudrait pas trop surestimer une oeuvre dont l'intérêt serait uniquement lié à notre plaisir de retrouver ce que nous avons mémorisé ou encore à notre simple contentement à discerner une texture musicale. On pourrait y ajouter l'intérêt d'y reconnaître des styles définis liés à des connaissances d'ordre analytique et culturel. L'oeuvre musicale, si elle possède la capacité d'exprimer le sublime, ne peut se réduire, me semble-t-il à cet aspect anecdotique.

Au-delà, si la mésestimation d'une oeuvre est souvent due à un nombre insuffisant d'auditions, il semble que l'on doive considérer avec circonspection les enthousiasmes tardifs réalisés au prix d'efforts excessifs. Cet effet pourrait être induit par une nécessité de valoriser l'oeuvre afin d'éviter l'angoisse fondamentale de la marginalisation. Tout se passerait, en quelque sorte, comme si le mélomane, à l'égard d'un compositeur révéré ou surconsidéré par l'intelligentsia dominante, s'acharnait à trouver de l'intérêt dans l'oeuvre de ce compositeur et finissait par autosuggestion à le trouver réellement. Le raisonnement inconscient pourrait être le suivant: "je ne tolère pas d'être insensible à une oeuvre considérée par l'intelligentsia dominante" et, consécutivement: "Si je suis insensible à cette oeuvre très considérée par les mélomanes supérieurs, cela signifie que mes capacités de discernement sont limités, ce qui est humiliant pour moi et inacceptable". L'élémentaire plaisir de mémorisation pourrait donc permettre la satisfaction d'une double nécessité morale: l'allégeance aux normes sociales et le respect de l'amour-propre. Et le bind entre ces deux nécessités serait réalisé par le raisonnement suivant, également inconscient: "Si je n'apprécie pas cette oeuvre élue par l'intelligentsia dominante, je risque d'être considéré comme un mélomane inférieur, ce que ne peut accepter mon amour-propre. Il est donc impératif que je parvienne à apprécier cette oeuvre.". Et pour parachever ce glissement nécessaire du jugement, l'effet de mémorisation pourra être favorisé par l'effet d'amplification - évoqué précédemment. En effet, l'oeuvre en question possède sans doute certaines qualités intrinsèques, celles-ci serviront de base pour que cette oeuvre soit perçue comme absolument géniale, assurément supérieure aux oeuvres équivalentes ou meilleures de compositeurs peu connus ou peu considérés par l'intelligentsia dominante.

En dehors de ces considérations liées à la pratique du jugement continu - que nous allons considérer - nous ne nous étendrons pas ici sur les hypothèses concernant les causes possibles de l'effet produit par l'oeuvre musicale et sa signification. Elles sont évoquées par nombre de philosophes et analystes de la musique, nous ne saurions rien ajouter de fondamental à ces théories.


L'ÉVALUATION CONTINUE - CONCEPT, MODALITÉS

Les facteurs extra-musicaux sont souvent d'ordre général par opposition au contenu thématique précis d'une oeuvre. On pourra donc espérer les réduire en procédant à une évaluation la plus topique possible. Cette constatation conduit à préférer en premier lieu le jugement sur une oeuvre plutôt que sur un compositeur. Plus précisément, il semble judicieux de préférer la formulation d'une évaluation pour chaque mouvement d'une oeuvre plutôt qu'un jugement global pour l'ensemble de l'oeuvre (dans le cas des oeuvres en plusieurs mouvements). Considérant qu'une oeuvre d'une certaine longueur est composée de thèmes, motifs et développement différents, on peut envisager une évaluation en continue de toute l'oeuvre. L'auditeur sera amené à fournir une appréciation au fur et à mesure que l'oeuvre défile grâce à un système approprié.

On peut réaliser en premier lieu une évaluation séquentielle minutée. Chaque minute, l'auditeur indique son appréciation sur la minute passée selon un code d'appréciation de 0 à 4 (de faible intérêt à intérêt exceptionnel). L'avantage de cette méthode est une mise en oeuvre très simple (un papier et un crayon suffisent). Cependant, les changements de motifs ou thèmes susceptibles d'entraîner une variation de l'appréciation ne se produisent pas nécessairement lorsqu'une minute vient de s'écouler, ce qui constitue un inconvénient majeur.

Exemple d'évaluation minutée:
Concerto n°1 op 36 piano orchestre 1er mouvement de Hans Huber
Temps en minutes, appréciation: de 0 faible intérêt à 4 Excellent, exceptionnel

temps123456789
appr.223321332


La seconde méthode est l'évaluation continue à chaque seconde selon l'initiative du mélomane. Je l'ai d'abord expérimentée il y a de nombreuses années (en 1989) à l'aide d'un petit appareil bricolé comportant un rouleau actionné par un moteur électrique. Un crayon dans une glissière permettait d'indiquer la valeur par translation. Voici le résultat de quelques évaluations que cette machine surréaliste m'a permis de réaliser.

Concerto n°24 violon orchestre 1er mouvement - Giovanni Battista Viotti

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Concerto n°4 violon orchestre - Hubert Léonard

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Je propose aujourd'hui un programme informatique en ligne obéissant au même principe.

Le concept d'évaluation ponctuelle impliqué par l'évaluation continue pourrait être une impossibilité théorique puisque l'effet musical résulte d'une combinaison de timbres produits pendant un certain laps de temps. Cependant, le jugement ponctuel peut exister en tant qu'intégration d'une appréciation globalisant celle des instants précédents et des instants suivants. Il est possible même que l'impression musicale ressentie dans l'instant soit aussi l'expression d'un jugement de valeur abstrait sur une séquence thématique, nous procurant un contentement a posteriori, une jouissance au second degré. Et puisque le jugement musical est une intégration et une sommation dans la durée, il se produira un certain retard entre une variation réelle d'intérêt et la traduction dans le graphe. De fait, la lassitude se trouve être générée par l'établissement d'un temps relativement long pendant lequel le matériau musical offre pour le mélomane un intérêt plus réduit ou lorsque son sens se dilue. Également, il risque de s'ensuivre une certaine hésitation de la part de la personne qui se livre à l'évaluation continue. De ce point de vue, les oeuvres de style wagnérien ou impressionnistes, en raison de la dilution de la thématique et de la durée qui les caractérisent, pourraient se révéler plus délicates à évaluer. On pourrait alors considérer que les éventuelles variations labiles du graphe ne sont que des artefacts. Il conviendrait alors d'éviter de modifier trop promptement son jugement. Inversement, on peut concevoir qu'une oeuvre réellement sublime continûment ne puisse offrir ces moments d'hésitations, ainsi la sanction de passages de transition dont la signification musicale apparaît incertaine pourrait être justifiée.


QUELLES OEUVRES ÉVALUER? COMMENT SE PRÉPARER À UNE ÉVALUATION CONTINUE?

Avant de procéder à l'enregistrement d'une évaluation, il est conseillé de ne pas visionner les évaluations déjà enregistrées concernant l'oeuvre que l'on a choisie, afin de ne pas subir l'influence d'autres jugements. Vous devez tout d'abord choisir une oeuvre que vous connaissez bien au point d'en saisir tous les motifs et leur succession, ceci afin de pouvoir juger de leur intérêt. Cinq ou six auditions ou plus paraissent indispensables. Le choix de l'oeuvre vous appartient. Il serait cependant d'un intérêt limité de choisir des oeuvres que vous considérez comme excellentes de bout en bout ou des oeuvres que vous exécrez en totalité - pour la même raison. Vous ne pourriez distinguer au cours du défilement aucune fluctuation de valeur, ce qui est le principal intérêt de l'évaluation continue. Inévitablement, l'on connaît toujours beaucoup mieux les oeuvres qui nous plaisent et beaucoup moins celles qui nous déplaisent ou nous indiffèrent. L'évaluation continue pourrait justement permettre de sortir de cette circularité vicieuse et apprendre à aimer les oeuvres dont l'abord - pour des raisons diverses - nous avait rebuté. Également, il paraît moins intéressant d'évaluer des oeuvres trop connues ou des oeuvres de compositeurs trop connus. Saisissons peut-être l'occasion de sortir de l'ombre de nombreuses oeuvres oubliées dont l'intérêt pourrait être ainsi révélé. Il est donc plutôt conseillé de reprendre des oeuvres que l'on a délaissées et d'en profiter pour les réécouter sérieusement. C'est ce à quoi je me suis astreint moi-même et je ne cache pas qu'il en a parfois découlé quelques surprises.

Afin de pallier à la difficulté de fournir un jugement ponctuel, on peut commencer par réaliser mentalement une évaluation ou réaliser plusieurs évaluations sur le présent site sans les valider. Pendant l'évaluation, il est conseillé de comparer mentalement la valeur du fragment musical testé en cours avec d'autres oeuvres que nous connaissons, qui peuvent servir de référents. La comparaison de l'intérêt à l'intérieur même d'une oeuvre demeure déjà difficile, mais se trouve facilitée par l'évaluation continue. Tous ces obstacles tiennent à la nature temporelle de l'art musical.


INTÉRÊT PERSONNEL DE L'ÉVALUATION CONTINUE POUR LE MÉLOMANE

L'évaluation continue, telle que je l'ai conçue, n'a pas pour but principal d'étudier des similitudes ou différences de jugement en utilisant les mélomanes comme cobayes. Au contraire, l'intérêt premier de ma démarche est celui que j'y ai trouvé moi-même en pratiquant l'évaluation continue, c'est-à-dire une introspection de ma propre impression et le jugement qui en découle. Je pense que cette pratique conduit à mieux apprécier les oeuvres, à mieux découvrir leurs qualités ou leurs faiblesses en s'interrogeant lors d'une véritable épreuve de vérité. Les contrôles de présence clignotant (toutes les 35 secondes sans intervention du mélomane) obligent également à une assiduité de l'audition que l'on obtient pas toujours lors d'une audition simple. L'évaluation continue est donc une aide à la concentration. Le graphe obtenu et les paramètres statistiques (moyenne, écart-type) permettent également de mieux évaluer notre impression réelle sur l'ensemble. Et surtout, l'évaluation continue peut nous révéler l'insuffisance que nous avions dans la connaissance de certaines oeuvres et donc nous amener à mieux les connaître.

Dans une optique d'échange entre mélomanes, à l'instar des listes et forums, l'évaluation continue peut permettre de confronter son jugement à celui des autres mélomanes ou plus précisément avec une ou plusieurs personnes que l'on connaît. Les évaluations sont enregistrées anonymement, cependant il est possible d'indiquer la référence d'une évaluation que l'on a enregistrée par son numéro et de la retrouver. Plus généralement, un mélomane peut consulter les évaluations afin de guider son choix de même qu'il consulte les critiques d'oeuvres musicales.


TRAITEMENT DES INFORMATIONS RECUEILLIES

Une interprétation globale des résultats sera tentée lorsqu'un nombre suffisant de mélomanes se seront prêtés à l'expérience, si toutefois ce site bénéficie d'un minimum de visites.

D'une manière générale, le traitement statistique constitue un premier moyen d'éviter l'influence de certains facteurs extra-musicaux apparaissant comme des accidents et peut donc permettre l'émergence de facteurs de fond. Également, l'étude des corrélations entre divers éléments statistiques peut révéler indirectement d'autres facteurs. D'autre part, la nature même de l'évaluation permettra, semble-t-il, une sélection naturelle des personnes. S'y prêteront préférentiellement, peut-on présumer, celles qui ressentent réellement un intérêt propre à l'oeuvre musicale. Celles au contraire qui émettent des jugements généraux extra-musicaux comprendront que ce type d'expérience ne leur est pas destiné et n'y verront aucune signification. Concernant l'examen des fluctuations du jugement au cours d'une évaluation, il est possible que certaines oeuvres occasionnent des graphes plats, c'est le cas presqu'obligé des pièces très brèves ou de pièces plus longues, mais excellentes sans interruption ou désespérément nulles (pour un mélomane considéré). Néanmoins, l'épreuve de l'évaluation continue, si elle ne révèle pas de variations précises de valeur musicale en fonction de la texture musicale, permet au moins de bénéficier d'un jugement précis sur l'oeuvre, consécutif obligatoirement d'une audition, bien plus significatif que les affirmations de jugement vagues que l'on peut obtenir oralement en interrogeant des mélomanes ou encore par les statistiques de vente, C'est peut-être là son principal intérêt.

Deux types d'observations pourront être réalisés à partir des résultats:

-recueil des moyennes obtenues par chaque oeuvre (et moyenne de ces moyennes), susceptibles d'indiquer l'intérêt de l'oeuvre pour les mélomanes, naturellement avec toute la prudence que l'on conçoit.

-comparaison visuelle ou mathématisée des courbes relatives à une même oeuvre évaluée par divers mélomanes. Cette comparaison permettrait d'éliminer (par translation) les variations dues à la différence de sévérité des mélomanes en montrant les passages qui les ont impressionnés sélectivement. Au cas où aucune courbe de valeur similaire n'apparaîtrait, il faudrait abandonner l'idée d'un jugement objectif, commun à une majorité de mélomanes.


L'ÉVALUATION COMPARATIVE

L'évaluation comparative - telle qu'elle peut être pratiquée sur ce site - consiste dans un premier temps à présenter en ligne au mélomane successivement 2 séquences musicales (par exemple 2 mouvements lents de concertos) appartement ou non au même compositeur. Il devra les écouter puis indiquer celle qu'il préfère ou bien s'il les met à égalité. Comme dans l'évaluation continue, le but du test est de recueillir immédiatement après audition une évaluation qui reflète le plus possible l'impression ressentie. Moins topique, moins précise que l'évaluation continue, l'évaluation comparative apporte cependant des éléments intéressants. Outre qu'elle est moins contraignante pour le mélomane, elle lui permet de comparer ses impressions comparativement à 2 séquences musicales qui peuvent être - ou non - d'intérêt très variable pour lui. Elle n'impose pas un jugement ponctuel, éliminant ainsi le caractère quelque peu artificiel du jugement instantané. Statistiquement, il serait possible, en testant 2 à 2 un échantillon d'œuvres de les classer. En pratique, un tel classement nécessiterait un grand nombre de tests et il est peu probable que critique-musicale.com puisse en recueillir un nombre suffisant.


CONCLUSION

On peut considérer que l'évaluation continue est un appréciable moyen d'investigation du jugement musical et un procédé original d'introspection personnelle. On peut considérer tout aussi bien que c'est l'invention la plus saugrenue et la plus inutile jamais imaginée. Peu importe, je me suis pour ma part investi avec passion dans cette expérience, j'espère que vous y trouverez un bénéfice sur le plan de votre propre perception musicale et sur le plan de la connaissance des oeuvres.

SOMMAIRE JUGEMENT MUSICAL

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