SOMMAIRE


REGARDS D’UN MÉLOMANE
SUR LA MUSIQUE INSTRUMENTALE
DES ANCIENS PAYS SOCIALISTES EUROPÉENS


Pourquoi cet article consacré à la musique d’une entité géographique qui fut avant-tout d’ordre politique? Tout d’abord parce qu’elle a correspondu consécutivement à une unité d’ordre culturel. J’ai découvert dans sa musique une originalité, une richesse dont je voulais témoigner autrement que par des notices dispersées sur telle ou telle œuvre, comme c’est le cas sur le site internet critique-musicale.

L’on doit concéder que la définition de cet espace très vaste, regroupant des pays et ethnies aussi divers que sont la Russie, les Républiques du Proche-Orient jusqu’à certains pays d’Europe Centrale (République tchèque par exemple) ou du Sud-Est européen (jusqu’à l’Albanie) revêt un certain caractère arbitraire. Cependant, nombre de compositeurs de la périphérie ont été attirés par Moscou ou ont subi l’influence de ses compositeurs et inversement. Aram Khatchaturian, par exemple, né en Géorgie et d’origine arménienne, rejoignit Moscou où il fit toute sa carrière.

Par ailleurs, doit-on pour cet exposé inclure ou exclure les compositeurs émigrés pour des raisons diverses. J’ai décidé d’inclure ceux, comme Rachmaninov, dont le langage musical s’est forgé à l’Est et qui ont exprimé une sensibilité propre à leur origine.

En dernier lieu, pourquoi se limiter à la musique instrumentale? Tout d’abord, parce que c’est un choix électif personnel et que je n’ai pas auditionné d’œuvres - ou si peu - en dehors de ce genre musical. En second lieu, cette limitation permet d’échapper aux influences extra-musicales véhiculées par les livrets d’opéra, et donc de mieux saisir la réalité musicale propre dans un contexte où les références idéologiques d'ordre politique sont très sensibles.

Le sujet de la musique en Russie depuis l'avènement du socialisme a été traité principalement sur le plan historiographique, dans l’imposant ouvrage de Frans Lemaire: “Le Destin russe et la musique”. Comme simple mélomane, je voudrais tenter de porter un éclairage différent en réduisant au minimum les données extra-musicales afin de me focaliser sur le contenu des œuvres, les impressions qu’elles m’ont produites en comparaison d’œuvres appartenant à la sphère occidentale. Il s’agit avant-tout de brosser un aperçu d’ordre analytique et critique.

Ainsi, dans notre ouvrage, Les œuvres pour piano et orchestre (Jean-Michel Percherancier, Claude Fernandez Champion-Slatkine, 1988), nous avions considéré par des auditions approfondies et des analyses critiques plus de 500 œuvres issues de tous les lieux géographiques du globe sans nous intéresser particulièrement au contexte lié à la biographie des compositeurs. Je vais tenter de la même manière une approche sur 120 œuvres environ dans tous les genres instrumentaux pour la période 1920-1990 et l’espace géographique qui nous intéressent. Parmi ces œuvres, environ 80 concernent des compositeurs soviétiques (30 compositeurs) , 40 environ concernent des compositeurs d’Europe de l’Est, d’Europe Centrale et d’Europe du Sud-Est à régime socialiste (20 compositeurs). D’autre part, 280 œuvres environ pour 200 compositeurs appartenant au reste du monde, donc essentiellement l’Occident au sens large, permettront une approche comparative. Par commodité, je désignerai par Est et Ouest ces 2 entités, quoiqu’il s’agisse d’une appellation erronée. C’est sans doute un échantillon très restreint par rapport au corpus total d’œuvres composées dans les pays socialistes européens à cette époque. Jacques Di Vanni revendique d’avoir écouté tous les compositeurs dont il a eu connaissance concernant la musique soviétique dans son ouvrage “Trente ans de musique soviétique”. J’en suis très loin, mais je revendique au moins d’avoir auditionné de manière approfondie chacune de ces œuvres pour en apprécier le contenu. Je ne cite jamais une œuvre à laquelle j’aurais consacré moins de 5 ou 6 auditions. Également, je peux me prévaloir, me semble-t-il, d’une approche comparative, ce qui n’est pas obligatoirement le cas des spécialistes s’intéressant à une époque ou une école musicale spécifique. On se reportera à la base de données de critique-musicale.com pour plus de détails sur l’échantillon ainsi que sur l’ouvrage “Les œuvres pour piano et orchestre” (où sont considérées certaines œuvres qui ne figurent pas obligatoirement sur critique-musicale.com).

Cela dit, pour se limiter au point de vue critique qui concerne le mélomane, il existe sur différents réseaux sociaux, des mélomanes qui connaissent beaucoup plus d’œuvres que moi et sans doute également de manière approfondie. Ils pourront exprimer leurs appréciations.

Malgré l’existence de courants très spécifiques sur l’ensemble de la production musicale à l’Est, j’ai simultanément été frappé par la très grande hétérogénéité stylistique d’un compositeur à l’autre comme d’une œuvre à l’autre chez un même compositeur, manifestant souvent les mêmes tendances modernistes ou classicisantes plus ou moins accentuées. C’est sans doute un constat général caractérisant le 20e siècle par rapport aux siècles précédents.

Je prendrai comme premier exemple le cas de Dimitri Kabalevski (1904-1987). Sa Symphonie 2 est empreinte d’un lyrisme traduisant un pathos très intense, souvent bouleversant à mon sens. La thématique s'appuie sur l’esthétique tchaïkovskienne et les Cinq. Cependant, ses symphonies 1 et 3, à mon avis moins originales, affichent un caractère plus sommaire, parfois un modernisme quelque peu bruyant. Par ailleurs, on discerne chez lui une manifestation du mélodisme simple ( les suites Nicolas Breugnon, les Comédiens, Roméo et Juliette, mais surtout Vesna...), œuvres à mon avis plus ou moins élaborées selon les parties considérées. C’est, me semble-t-il, le Concerto pour piano 3 et le concerto pour violon qui réalisent une synthèse particulièrement réussie, brillante autant que nostalgique, entre le style grave, profond, de la symphonie 2 et le mélodisme simple.

D’autre part, l’exemple d’Alexander Fliarkovsky, (1931-2014) nous permet de découvrir dans sa grandiose Symphonie to Coeval une synthèse audacieuse alliant le grand style romantique avec les tendances de la musique répétitive. Moins impressionnante sans doute, Urildaan (1971) réalise une excellente synthèse entre tradition et modernité.

Aram Khatchaturian (1903-1978), de son côté, me semble avoir illustré un pathos intense à l’instar de Kabalevski dans le mouvement lent de son Concerto pour piano notamment (en particulier avec un fameux passage à la clarinette basse), et la 2ème partie de son ballet Gayaneth. Spartaccus est plus caractéristique d’une esthétique musicale qui privilégie le mélodisme brut. En revanche, nombre d’autres œuvres de Khatchaturian me paraissent sombrer dans un mélodisme simpliste et une orchestration sommaire.

En opposition à ces exemples d’hétérogénéité stylistique chez un même compositeur, Alexander Glazounov (1865-1936) adopte un style néo-classique très pur qui se situe dans l’approfondissement du style hérité d’Arenski, Liapounov. Sa production présente une homogénéité de style remarquable. À ma connaissance, il n’a jamais manifesté la moindre velléité moderniste. Même s’il appartient à la première génération de compositeurs soviétiques (il est décédé en 1936), il est représentatif d’un courant néo-classique important. Dans cette lignée, on trouve par exemple Miaskovsky, Nicolaï Rakov, Reynold Moritsevitch Gliere (1875-1956), qui a développé dans ses symphonies des constructions orchestrales particulièrement poussées dans le sillage de l’impressionnisme musical.

D’une manière générale, on pourrait montrer chez un grand nombre de compositeurs de l’Est - comme de l’Ouest - l’empreinte d’un modernisme plus ou moins accusé sous des aspects divers: hyperdynamisme agressif, sursaturation en dissonances, hyperintensité sonore, dynamogénie, cacophonisme par abus des cuivres et percussions, pseudo-tonalisme ou ultratonalisme asséné sous forme de thèmes sommaires. J’interprète cette dérive moderniste comme une hystérisation traduisant la frayeur d’être assimilé à la tradition conservatrice, une obsession du καινὀϛ considéré comme vérité suprême, condition nécessaire d’élan vital, une incapacité à décontextualiser l’œyvre artistique et à la considérer dans sa dimension intrinsèque. Ces mêmes compositeurs, pour certains, peuvent avoir composé des œuvres souvent dévaluées par une certaine dose de modernisme dénaturant parfois d’excellentes idées thématiques. Il arrive aussi qu’à l’occasion de mouvements lents ou de genres plus spécifiquement accordés à un traitement harmonieux (le genre concertant pour violon par exemple), ils produisent des œuvres de haute tenue. C’est le cas pas exemple de la Symphonie 2 de Tikkon Khrennikov, qui pourrait devenir à mon avis une meilleure œuvre si elle était réorchestrée de manière moins bruyante, en particulier pour son premier mouvement. Le même Khrennikov est l’auteur d’un Concerto pour violon, témoignant d’une maîtrise compositionnelle impressionnante, très peu moderniste et très original.

Citons encore parmi les œuvres plutôt réussies, en tout ou partie, le Concerto pour piano d’Hermann Galynine, quoiqu’il frôle l’hyperdynamisme, le Concerto pour piano de Dimiter Christoff, pseudo-tonal, la Symphonie 7 de Peiko, chef-d’œuvre de traitement symphonique, mais la 4 dérive vers des effets bruyants, le Concerto slave de Liatochinski, très lyrique, mais aussi très cuivré, le 3ème mouvement du Concerto 3 pour violon de Grazyna Bacewicz, d’une grande pureté de facture, mais son Concerto 7 confine déjà vers un style pseudo-tonal à la thématique à mon avis inconsistante. De Prokofiev, je citerais les symphonies 4 à 7 alliant avec assez de raffinement mélodisme et hypersubtilités harmoniques, la Suite Lieutenant Kijé d’un pseudo-classicisme assez déroutant, mais à mon sens très captivant. En revanche, la symphonie 2, navigant entre le tonal et le pseudo-tonal,me paraît d'intérêt limité.

Parmi les œuvres que me paraissent plus ou moins détestables, je citerais le Concerto pour violon de Kara Karayev, pseudo-ronal au style très uniforme, la Symphonie concertante op 43, pseudo-tonale, très touffue de Rewol Bounine, le Concerto pour orgue de Balys Dvarionas, assez confus et dissonant, la Symphonie 3 d’Alemdar Karamanov au tonalisme très précaire et à l’instrumentation très cuivrée, le Concerto 1 pour piano de Zara Levina, ultradynamique au point d’être inaudible, les symphonies 4, 9, la Sinfonietta op 43 de Lazlo Lajtha (Hongrie), aux effets grotesques intégrant l’histrionisme malhérien, le Concerto pour piano de Johann Cilensek (Allemand d’origine tchèque), auteur d’un concerto aussi incohérent que dissonant, le Concerto pour flûte d’Emil Tabakov (Bulgarie), cacophonique et pseudo-tonal, les 2 concertos pour violon de Penderecki (Pologne), dérivant fortement vers l’atonalisme, Prométhée, l’Acte préliminaire de Scriabine, quasiment atonaux.... Quant à Bela Bartok, dans ses Mikrocosmos pour piano, son Concerto pour orchestre, pas plus que dans ses 2 premiers concertos pour piano, il ne me paraît pas avoir compensé par ses effets rythmiques et son exubérance perpétuelle l’insipidité intrinsèque à son atonalisme.

De même, les œuvres de Dimitri Chostakovitch telles les symphonies 1, 6, 7, 9, 10, 11, 15, ses concertos pour piano, son Concerto 2 pour violon - me paraissent largement surévaluées. Par ailleurs, on peut cependant admirer certains effets lyriques de sa symphonie 5 et certains passages très virtuoses de son Concerto 2 pour violon. Sa valse 2 pour orchestre, par rapport aux œuvres citées ci-dessus, est la seule qui me paraît avoir mérité la mention d’excellence. Ce compositeur, d’après cet échantillon d’œuvres, ne me paraît pas avoir atteint le degré de génie auquel témoignent les œuvres d’un grand nombre d’autres compositeurs de l’Est, souvent oubliés.

Concernant Stravinsky, si Petrouchka m’a bouleversé et, dans une moindre mesure, le Sacre, ses œuvres postérieures comme la Sonate, le Cappriccio, le Concerto, pour piano et orchestre, le Concerto pour violon me paraissent illustrer les navrants errements d’un compositeur sans inspiration.

Bartok, Chostakovitch, Stravinski, que j’égratigne ici, ne sont pas à mon sens les seuls compositeurs très connus dont la production m’est apparue décevante. C’est le cas pour un grand nombre d’icônes musicales transformées, me semble-t-il, plus ou moins en mythes depuis Bach pour des raisons extra-musicales ou d’idéologie musicale.

Il me semble que la dérive du modernisme - par le biais des effets bruyants ou du simplicisme ultratonal - représente le lieu commun où tombent inévitablement ces compositeurs en cas de déficit temporaire - ou prolongé - de l’inspiration, comme une compensation permettant de remplir le vide musical. Les compositeurs du 18e siècle agissaient plutôt en se rabattant sur les stéréotypes de la thématique galante ou certains effets faciles du baroque (eux aussi dynamogéniques) dans le même but. Au 19e siècle, on retrouve aussi la dérive vers le simplicisme ou les effets bruyants. On pourrait citer Wagner dans certaines de ses ouvertures comme les Maîtres chanteurs (alors que l’ouverture de Tannahauser, se maintenant à un très haut niveau d’inspiration, en est totalement dépourvue), Verdi bien souvent cède à ce simplicisme (mais l’ouverture de La Force du Destin apparaît au contraire suprêmement élaborée). On pourrait citer Liszt et bien d’autres. Le phénomène semble être similaire sous des aspects quelque peu différents à toute époque.

En définitive, il m’apparaît que le modernisme a régné à l’Est plutôt dans ses aspects bruyants et hyperdynamiques alors que l’on rencontre plus fréquemment à l’Ouest des œuvres atonales ou pseudo-tonales. Il ne faut cependant pas exagérer cette différence car l’atonalisme ne fut sans doute qu’un épiphénomène très marginal, historiquement négligeable à l’Est comme à l’Ouest. Il faut se méfier des notices biographiques transformées en hagiographies qui transforment facilement les succès d’estime lors de concerts confidentiels, voire des échecs, en succès grandioses. Il faut sans doute aussi considérer avec circonspection les assertions de certains historiographes selon lesquels à l’Est les atonalistes auraient connu un succès si les autorités n’avaient pas entravé leurs possibilités de s’exprimer. En effet, l’influence idéologique pro-atonaliste des milieux officiels à l’Ouest n’a jamais permis aux compositeurs se réclamant de cette esthétique - autochtones de l’Ouest ou émigrés de l’Est - de rencontrer le moindre succès auprès du public mélomane. J’ai quelques doutes que les œuvres atonales des Mossolov, Schnittke, Denisov, Sviridov, Chedrine... eussent pu recueillir une audience supérieure à celle des Boulez, Nono, Stockhausen...

Entre l’Est et l’Ouest, je décèle plutôt des influences communes, souvent en réaction à l’égard de telle ou telle esthétique, selon une logique évolutive autonome strictement musicale s’établissant internationalement. Les différences sont plus manifestement en rapport avec l’enracinement ethnique et culturel ou les écoles nationales des époques antérieures (l’influence des Cinq, de Tchaïkovski). On observe une très forte imprégnation du rhapsodisme pour les œuvres russes, mais aussi à l’Ouest pour les œuvres ibériques, nordiques, américaines et c’est vrai aussi des œuvres chinoises du 20e siècle.

Me livrant à une audition systématique d’œuvres aussi bien connues que peu connues, j’ai constaté que les œuvres néo-classiques au sens large représentaient une part relativement importante à l’Est, mais c’est le cas aussi à l’Ouest, quoique les milieux musicaux officiels occidentaux aient tendu à masquer cette importance. Citons à l’Est en plus de Glazounov, Miaskovsky, Rakov... déjà cités, Lucija Garuta, Ippolitov-Ivanov, Janis Ivanovs, Kosma Lara (Albanie), Atesk Zadeja (Albanie), Johannes Wiemzeslaus Kalliwoda (Pologne), Stefan Elmas... En Occident, on pourrait citer Carl Orf, Joaquin Rodrigo ou les Américains néo-classiques Ferdé Grofé, Samuel Barber, Amy Beach-Cheney, Richard Addinsell...

Notre étude systématique de toutes les œuvres pour piano et orchestre pourrait permettre de caractériser statistiquement l’importance de chaque esthétique: néoclassique, moderniste tonale, moderniste atonale comparativement à l’Est et à l’Ouest. Il est difficile cependant de catégoriser chaque œuvre, notamment celles qui sont à l’interface du tonal et de l’atonal, ce que je nomme souvent dans mes analyses critiques sous le terme de pseudo-tonal. Et comme nous l’avons dit, ces valeurs relatives aux œuvres produites et diffusées ne préjugent pas de leur impact réel auprès du public, élément déterminant pour caractériser leur réelle importance historique. Il me paraît très probable qu’une estimation intégrant la réelle audition des œuvres (par les concerts, enregistrements…) montrerait la prépondérance des œuvres néoclassiques pour la seconde moitié du 20e siècle.

Plus précisément, j’ai été frappé chez de nombreux compositeurs de l’Est (mais pas tous) par l’influence de l’esthétique du Groupe des Six initiée en France, une volonté de revenir à la mélodie simple et ultratonale en réaction aux hypersubtilités de l’impressionnisme finissant et aux cérébralités morfondantes d’un atonalisme aseptisé. Cette particularité a peut-être imprégné plus fortement la musique russe de l’époque soviétique que la musique de l’Ouest où pourtant elle s’est élaborée. Néanmoins, on pourrait citer à l’Ouest les Geigenmusic de Werner Egk (1902-1983), Pacific 231 d’Arthur Honegger, le concerto op 57 de Nielsen, le Concerto 2 de Malcolm Williamson, la Fantaisie créole, le Parade concerto, le Concerto Rhapsodie de Serge Lancen, les Bachianas brasileiras 3 de Villa-Lobos... et naturellement les compositeurs du Groupe des Six lui-même: Milhaud, Poulenc… Il se pourrait aussi que cette recherche du mélodisme élémentaire fût une tendance commune entre le groupe des Six et de nombreux compositeurs de l’Est, sans que la notion d’influence directe pût être alléguée. Sur un autre plan, l’on a, me semble-t-il, largement sous-évalué l’aspect moderniste inclus dans la manifestation souvent, arrogante et parfois bruyante du retour au mélodisme professé par les Six. Ainsi, ce que l’on a considéré comme un post-classicisme, n’était qu’une des faces adoptées par le modernisme destructeur, antithétique du sérialisme.

Je retiendrais surtout que les compositeurs dans les pays de l’Est - et c’est ici la partie essentielle de mon propos - ont élaboré un véritable style nouveau, ce que j’ai nommé l’expressionnisme russe, On pourra l’objectiver par les œuvres sus-citées (et bien d’autres) de Kabalevski, de Khatchaturian, Taktakichvili, impliquant une véritable coloration harmonique, une coloration instrumentale dans le choix et l’utilisation des registres (notamment la clarinette basse, le xylophone, l’emploi des cordes subtilement divisées…), une exploitation spécifique de la tessiture extrême-grave, sa thématique, suffisamment riche pour permettre des déclinaisons très variées, surtout un pathos spécifique, d’une plénitude et intensité à mon avis rarement atteintes en musique. Ce style me semble l’expression de l’âme slave dans sa profondeur, qui plus est en raison de sa dimension rhapsodique. Les références à Tchaïkovski ne sont pas surprenantes, en cette époque où l’image de ce compositeur s’affirme comme dépositaire privilégié de l’âme russe. Néanmoins, cette référence me paraît plutôt relative à l’esprit de l’œuvre tchaîkovskienne, le pathétisme viscéral qu'elle recèle, plutôt qu’à ses effets musicaux, sa thématique.

Je ne dispose pas d’éléments suffisants pour retracer une généalogie de cet expressionnisme. De très nombreuses œuvres en sont imprégnées, qu’il s’agisse du courant moderniste dans sa tendance bruyante ou ultratonale ou de la tendance néo-classique. C’est plus à mon sens une interface entre ces esthétiques, un territoire qui pourrait représenter le marqueur de l’inspiration. En plus des œuvres essentielles indiquées précédemment, voici quelques jalons où l’on peut retrouver plus ou moins les prémisses ou les développements ultérieurs de ce style dans les pays de l’Est ou en dehors: le Concerto symphonique op 27 d’Eduard Napravnik datant de 1877 (pour moi première apparition de ce style, avant la période soviétique), Pan et Syrinx (1917), Symphonie 4 l’Inextinguible (1916) de Carl Nielsen, la Symphonie 1 d’Albert Roussel (1904-1906), les symphonies 11 et 15 de Dimitri Chostakovitch (1957 et 1971), son Concerto 1 pour violon (1947), le Concerto pour piano de Dimiter Christoff, chimère curieuse mêlant des motifs mélodiques à des thèmes frisant l’atonalisme), un grand nombre de poèmes symphoniques de Sibelius aux alentours de 1930, le Concerto op 6 de Christian Sinding 1889), la Symphonie 5 de Vladimir Yurovski (1971), le 2ème mouvement du Concerto 2 pour piano de Rachmaninov, le Concerto pour piano de Mitja Nikisch (1936), le Concerto en E minor de Janis Ivanovs (1951), la Symphonie 4 lyrica et surtout 3 d’Eduard Tubin datant respectivement de 1943 et 1940-42, le Concerto pour piano de Viteslav Novak (sine data), le Concerto de Dimiter Christoff datant de 1956. Et même Lajtha, dont le modernisme atteint la bouffonnerie, a exprimé cet expressionnisme dans le 1er mouvement de sa Symphonie 9.

Ainsi, malgré une évolution vers un modernisme qui, me semble-t-il, a orienté une partie de la musique vers une dégradation du goût musical, se sont conjointement développées - souvent par les mêmes compositeurs - des œuvres d’une grande originalité et d’une suprême élaboration. Ce fut le cas en particulier par le développement de l’expressionnisme russe qui a débordé son implantation initiale pour inspirer bien d’autres compositeurs, en dehors de l’ancien espace des pays socialistes européens.

Pour terminer, et justifier pleinement l’approche du sujet sous l’angle du mélomane, je proposerais - dans la tradition des forums internautiques - quelques listes d’œuvres qui me paraissent particulièrement dignes d’être découvertes. Il faut les considérer parmi l’ensemble - nécessairement limité - des œuvres que j’ai auditionnées. Si certaines œuvres n’y figurent pas, cela ne signifie pas obligatoirement que je les ai écartées, mais tout simplement que je ne les ai pas auditionnées, donc pas soumises à mon appréciation. Une tout autre liste aurait pu résulter par suite d’une échantillonnage au départ différent.


ŒUVRES ESSENTIELLES PAR RAPPORT À TOUTE L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE (5 ŒUVRES)

CONSTANTINESCU Pavel (1909-1963)
PIANO ORCHESTRE
Concerto

FLIARKOVSKY Alexander (1931-)
ORCHESTRE
Symphony to Coeval

KABALEVSKI Dimitri (1904-1987)
ORCHESTRE
Symphonie n°2

STRAVINSKY Igor
ORCHESTRE
Pétrouchka

TAKTAKISHVILI Otar (1924-)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto n°1


LISTE D’ŒUVRES JUGÉES ESSENTIELLES DANS L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE AU 20E SIÈCLE (13 ŒUVRES INCLUANT LES PRÉCÉDENTES)

CONSTANTINESCU Pavel (1909-1963)
PIANO ORCHESTRE
Concerto

FLIARKOVSKY Alexander (1931-)
ORCHESTRE
Symphony to Coeval

IPPOLITOV-IVANOV Mikhail Mikhailovitch (1859-1935)
ORCHESTRE
Esquisses caucasiennes Suite n°1 op 10

KABALEVSKI Dimitri (1904-1987)
ORCHESTRE
Symphonie n°2
VIOLON ORCHESTRE
Concerto

KHATCHATURIAN Aram (1903-1978)
PIANO ORCHESTRE
Concerto (2e mvt)

KHRENNIKOV Tikhon (1913-)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto 1 C major

LARA Kosma (1930-)
PIANO
Ballade pastorale

NOVAK Viteslav (1870-1949)
PIANO ORCHESTRE
Concerto ré mineur

PROKOFIEV Serguéi (1891-1953)
ORCHESTRE
Symphonic suite op 60 lieutenant Kijé (2e, 3e,4e,5e mvt)

STRAVINSKY Igor
ORCHESTRE
Pétrouchka

TAKTAKISHVILI Otar (1924-)
DUO FLÛTE PIANO
Sonate C major (1er, 3e mvt)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto n°1

ZADEJA Çesk (1927-1997)
PIANO
Toccata mi mineur


LISTES D’ŒUVES JUGÉES EXCELLENTES (INCLUANT LES PRÉCÉDENTES)

BACEWICZ Grazyna (1909-1969)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto n°3 (3e mvt)

BODOROVA Sylvie (1954-)
GUITARE ORCHESTRE
Canzone di chiusura

CHOSTAKOVITCH Dimitri (1906-1975)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto n°1 op 99 (4e mvt)

CONSTANTINESCU Pavel (1909-1963)
PIANO ORCHESTRE
Concerto

DOBRZYNSKI Ignacy Feliks
PIANO ORCHESTRE
Concerto A flat major op 2 (1807-1867) (3e mvt)

ELMAS Stéphan (1862-1937)
PIANO ORCHESTRE
Concerto 3 (1er, 3e mvt)
Concerto 2 (1er, 3e mvt)

ENESCO George (1881/1955)
ORCHESTRE
Rhapsodie roumaine n°1 op 11

FISER Lubos (1935-)
GUITARE ORCHESTRE
Sonata per Leonardo per chitarra solo ed erchestra orchestra d'archi

FLIARKOVSKY Alexander (1931-)
ORCHESTRE
Symphony to Coeval
Urildaan

GALYNINE Herman (1922-1966)
PIANO ORCHESTRE
Concerto n°1 (3e mvt)

GLAZOUNOV Alexandre (1865-1936)
ORCHESTRE
Scène dansante
À la mémoire de Gogol
Prologue symphonique op 87
Scène de ballet op 52 (1er, 7e, 8e mvt)
Les saisons (1er, 2e, 8e, 10e, 12e, 13e mvt)
Symphonie 5 op 55 (2e, 4e mvt)
Symphonie 2
VIOLON ORCHESTRE
Concerto (2e mvt)

GLIERE Reinhold (1875-1956)
HARPE ORCHESTRE
Concerto mi mineur op 182
ORCHESTRE
Symphonie n°2 C mineur op 25 (1er mvt)
Le pavot rouge ballet (1er mvt)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto G mineur op 100

GODOWSKY Leopold (1870-1938)
PIANO
Sonata in E minor (3e mvt)

HARAPI Tonin (1928-1997)
PIANO
La joie revient

IPPOLITOV-IVANOV Mikhail Mikhailovitch (1859-1935)
ORCHESTRE
Esquisses caucasiennes Suite n°1 op 10

KABALEVSKI Dimitri (1904-1987)
ORCHESTRE
Symphonie n°2
Colas Breugnon 1ère, 3e, 4e parties)
The Comedians
Romeo and Juliet (4e, 6e, 7e, 8e, 9e parties)
Symphonie n°1 (2e mvt)
Symphonie 4
Symphonie 3 (1er mvt)
PIANO ORCHESTRE
Concerto n°3
VIOLON ORCHESTRE
Concerto

KALINNIKOV Vassili (1866-1901)
ORCHESTRE
Symphonie 2 la majeur (4e mvt)

KHATCHATURIAN Aram (1903-1978)
ORCHESTRE
Startacus ballet (1ère, 3e, 4e parties)
Suite de ballet Gayaneth (2e partie)
PIANO ORCHESTRE
Concerto (2e mvt)

KHRENNIKOV Tikhon (1913-)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto 1 C major

KHRENNIKOV Tikkon (1913-2007) / SVETLANOV Evgueni (1928-2002)
ORCHESTRE
Symphonie 2 (2e, 3e, 4e mvt)

LARA Kosma (1930-)
PIANO
Ballade pastorale
Ballade n°3
Ballade n°2
Prélude en si bémol majeur
Danse
Danse en la mineur

LEMBA Arthur (1885-1963)
PIANO ORCHESTRE
Concerto n°1 (1er mvt)

LIATOCHINSKI Boris (1895-1968)
PIANO ORCHESTRE
Concerto slave op 54 (1er, 3e mvt)

NOVAK Viteslav (1870-1949)
ORCHESTRE
Suite bohémienne du Sud (4e mvt)
Lady Godiva Ouverture de tragédie op 41
PIANO ORCHESTRE
Concerto ré mineur

PEIKO Nikolaï (1916-1995)
ORCHESTRE
Symphony 7 for folk orchestra

RAKOV Nicolaï (1908-1990)
Concerto 1 violon orchestre (1er mvt)

STOJOWSKI Zygmunt (1870-1946)
PIANO
Deux orientales op 10 (2e Caprice)
Quatre morceaux pour piano op 26 (1er Chant d'amour)

STRAVINSKY Igor
ORCHESTRE
Pétrouchka
Le Sacre du printemps (1ère partie)

SVETLANOV Evguéni (1928-2002
ORCHESTRE
Images d'Espagne rhapsodie (1er mvt)

SZYMANOVSKI Karol (1882-1937)
ORCHESTRE
Tarentelle op 28

TAKTAKISHVILI Otar (1924-)
DUO FLÛTE PIANO
Sonate C major (1er, 3e mvt)
PIANO ORCHESTRE
Concerto n°1
Concerto 4 (1er, 2e mvt)
VIOLON ORCHESTRE
Concerto n°1

TUBIN Eduard (1905-1982)
ORCHESTRE
Valse triste
Symphonie n°4 lyrica

ZADEJA Çesk (1927-1997)
PIANO
Toccata mi mineur


SOMMAIRE



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