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CHRONIQUE n° 74 - 03/2007
QU'EST-CE QUE COMPRENDRE LA MUSIQUE?


Nul n'a sans doute pu expliquer la musique par des critères d'ordre analytique, quoique les manoeuvres prétendant réduire l'oeuvre musicale à une approche purement intellectuelle ait séduit particulièrement les historiographes. Il nous faudrait alors plutôt penser que la musique est un phénomène d'ordre intuitif où prime la sensation, le sentiment, l'émotion sans que nous puissions préciser réellement en quoi consiste sa compréhension. Ce qui est le plus irritant et paradoxal à propos de la musique, c'est qu'on la comprend, mais qu'on ne sait pas ce que l'on comprend. La seule réalité dont nous puissions témoigner objectivement est celle du plaisir musical au sens large. Une oeuvre, par définition, posséderait une valeur en tant qu'elle provoque un plaisir musical sur un auditeur, l'analyse de la nature et des causes de ce plaisir ne nous étant pas obligatoirement accessible. La position idéale pour un critique musical, si l'on se réfère à cette définition, serait de n'avoir aucune culture musicale, aucune idée a priori. C'est naturellement une impossibilité, mais l'on peut cependant y tendre. La réceptivité de l'oeuvre, peut-on penser, nécessitera au maximum de faire abstraction de ses connaissances musicales afin de ne pas déformer son jugement par des critères d'ordre intellectuel extra-musicaux. Une personne sensible à la musique devrait, selon cette optique, se sentir capable de saisir les moindres variations d'intérêt de l'oeuvre, elle pourrait affirmer tel passage est bon ou plus exactement tel passage me plaît, celui-ci est un peu moins bon ou me plaît moins, celui-là m'ennuie... Ainsi son jugement, qui ne serait pas un jugement de valeur, représenterait le pur miroir de sa sensation de plaisir musical. L'apparition de tel bon motif ou plus exactement motif efficient pour engendrer un plaisir musical chez la personne considérée doit produire sur elle un effet de transport affectif immédiatement perceptible. C'est par ailleurs bien ce que l'on observe au cours du concert et que suggère le succès de certaines oeuvres dont les thèmes principaux ont été de nombreuses fois retranscrits pour satisfaire l'intérêt des auditeurs. Si une oeuvre est véritablement géniale, cela signifierait, selon notre hypothèse, qu'une personne sensible à la musique la ressentirait très intensément, elle devrait lui apparaître géniale avec une évidence indubitable. À l'inverse, on conçoit qu'une personne qui ne formule que des généralités d'ordre intellectuel sur un compositeur émette en réalité un jugement sans réel rapport avec le contenu musical de l'oeuvre de ce compositeur, et l'on pourrait considérer ce type de jugement avec plus de circonspection. Avouons d'autre part que les ouvrages de critique musicale qui conseillent aux mélomanes une sélection d'oeuvres nous ont paru plus souvent refléter un aplaventrisme regrettable à l'égard des notoriétés acquises plutôt que le témoignage personnel et sensible d'une réelle émotion. Et l'on ne peut conseiller que la plus grande circonspection concernant ce type d'ouvrage. Ne vaut-il mieux affirmer des jugements personnels, quitte à commettre des erreurs, plutôt que de servir de courroie de transmission à une tradition bien suspecte entachée par l'idéologie?


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