SOMMAIRE


CHRONIQUE n° 72 - 01/2007
UN GRAND COMPOSITEUR ÉCRIT-IL RAREMENT, SOUVENT
OU TOUJOURS DES OEUVRES GÉNIALES?


Le culte des idoles s'appuie principalement sur le dogme de l'infaillibilité du compositeur, c'est-à-dire sa capacité à n'écrire que des chefs-d'oeuvre. Il nous semble au contraire que les oeuvres d'un compositeur peuvent présenter entre elles une différence de valeur considérable, témoignant de ce phénomère singulier que représente l'inspiration. C'est ce que semble confirmer le succès des concerts ainsi que l'émergence très nette de certaines oeuvres parmi celles signées d'un même nom. Ce constat est consécutif de l'existence d'une notoriété attachée aux oeuvres et qui peut être indépendante de celle du compositeur. Nous pouvons expliquer aisément une grande différence de valeur entre les oeuvres pour les compositeurs du XVIIIème siècle astreints aux nécessités de leur fonction. Mais comment l'expliquerait-on pour les compositeurs du XIXème siècle, n'écoutant pour composer - du moins le prétendent-ils - que la voix de l'inspiration? Il nous faudrait admettre que le compositeur possèdât une vision faussée sur la valeur de ses propres oeuvres. Ce problème difficile n'a certainement pas de réponse absolue, ni unique. Il pourrait exister en premier lieu de multiples raisons pour lesquelles un compositeur tend à surévaluer l'intérêt de ses oeuvres les moins estimables. Tout d'abord, un compositeur a pu noter dans une oeuvre des effets en germe qui ne s'épanouiront que dans les oeuvres ultérieures. C'est ainsi que F. Liszt distingue chez L. van Beethoven une alternance de périodes de prospection et d'intégration. C'est là une hypothèse acceptable qui n'entache pas le statut surhumain du compositeur, mais il en est d'autres moins acceptables. Il serait possible que le compositeur eût pu ressentir des émotions intenses, réelles, en composant, sans pour autant les restituer au travers de son oeuvre. La réécoute de cette oeuvre lui procurerait cependant les mêmes émotions qu'il avait ressenties en les composant. Il s'agirait ici d'un phénomène d'association, de remémoration d'un état antérieur, qui ne se traduit pas dans le contenu réel de l'oeuvre. Mais il existe probablement d'autres causes plus matérialistes expliquant l'existence de compositions faibles parmi les oeuvres d'un compositeur, causes liés à l'aspect social et à l'intérêt, au sens large. Un compositeur, peut-on penser, doit composer comme un écrivain doit écrire, et comme un peintre doit peintre pour assurer sa raison d'être, son statut social. L'activité continue de composition permettrait donc au compositeur d'assurer un rôle vis-à-vis de la société et de lui-même. Elle le rassurerait sur sa capacité de création, en lui prouvant incessamment qu'il n'est pas fini. Certains ont préféré se retirer prématurément de ce jeu un peu mensonger, peut-être Rossini et peut-être Sibelius. La nécessité de satisfaire aux règles d'un genre préétabli serait également un effet induisant l'existence d'oeuvres d'intérêt très secondaire. Dans une symphonie, un compositeur doit impérativement aligner au moins 4 mouvements pour respecter la structure classique du genre. Que se passe-t-il alors s'il n'a d'inspiration que pour un mouvement? Ce compositeur se trouvera donc dans l'obligation de réaliser du remplissage, terme ignoble que des esprits délicats ne supporteraient pas d'employer à propos des grands classiques, et surtout du plus grand d'entre eux, que je ne saurais nommer. Cette hypothèse pourrait s'appliquer à L. van Beethoven, pensons-nous, pour sa Symphonie n°3 dont le premier mouvement nous paraît nettement supérieur aux suivants par sa qualité. Que les esprits chagrins se rassurent, nous accordons à ce premier mouvement une densité d'idées géniales digne d'une symphonie entière. Chez ce même compositeur, le Concerto pour violon nous paraît dominé par le thème orchestral que nous jugeons particulièrement puissant et lyrique, en revanche la partie violonistique dans son ensemble nous paraît d'un moindre intérêt. Et cette fois, nous nous permettrons de penser, quitte à scandaliser ces mêmes esprit chagrins, que l'oeuvre est ratée. Tout cela ne repose évidemment que sur notre jugement personnel. Si l'on admet la rareté des moments d'inspiration, l'on est amené à penser que les oeuvre de faible intérêt représentent le cas général dans l'intégrale de nombreux compositeur. Naturellement il existerait des différences individuelles importantes. Et les compositeurs les plus réguliers ne sont peut-être pas ceux auxquels on pense. Mais je ne voudrais pas encore froisser certains esprits délicats en citant des noms. L'inégalité des oeuvres d'un compositeur, la faible quantité d'oeuvres véritablement géniales sur l'ensemble des oeuvres écrites, si les idées que nous avançons peuvent avoir quelque exactitude, confirmeraient la conception du phénomène musical dans son ensemble comme phénomène de marge puisque l'oeuvre réelle serait l'exception dont le rôle historique a été secondaire. La reconnaissance du génie, la simple reconnaissance de l'oeuvre musicale voudrait donc que l'on extrayât la petite fraction d'oeuvres géniales à l'intérieur d'un immense corpus sans valeur. Et croyons-nous, les oeuvres de médiocre intérêt se retrouveraient beaucoup plus dans les intégrales de compositeurs consacrés, victime de la surexploitation de leur répertoire, que dans les recréations d'oeuvres peu connues.


Sommaire des chroniques

SOMMAIRE



Site optimisé pour norme W3C sous Linux

Valid HTML 4.01 Transitional CSS Valide !