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CHRONIQUE n° 54 - 07/2004
LA VALEUR MUSICALE N'EST-ELLE QU'UN EFFET DE MARGE?


Selon notre hypothèse, la valeur proprement musicale, la valeur artistique ne constitueraient qu'un effet de marge, c'est-à-dire que les oeuvres musicalement intéressantes ne représenteraient qu'une faible partie de la production écrite par les compositeurs. Nous l'évaluons personnellement en moyenne à une oeuvre sur dix, que le compositeur soit reconnu ou inconnu (il s'agit d'une estimation très personnelle). On pourrait avancer l'idée selon laquelle presque toute l'activité musicale ne s'appuierait pas sur l'intérêt musical des oeuvres, c'est-à-dire, selon nous, principalement sur l'intérêt thématique, mais sur d'autres facteurs: mécanisme instrumental, technique instrumentale ou vocale, effet superficiel sonore, technique d'écriture... Par exemple le solfège, la technique instrumentale auraient permis d'asseoir l'activité musicale car ils constitueraient un point d'ancrage, ils permettraient un travail, une activité, un enseignement. Ils comportent des degrés de difficultés qui eux-mêmes permettront de distinguer les individus selon leurs dons... Cette activité gratuite peut jouer alors un rôle de repère social, de marqueur de classe, c'est l'hypothèse classique des sociologues. Il est possible que les concerts actuels ne comportent qu'une très faible part d'oeuvres véritablement géniales ou même musicalement intéressantes, ce qui n'empêche sans doute pas le public de les écouter, de les applaudir. Selon cette hypothèse, l'existence d'une valeur musicale, d'un intérêt musical, ne revêtiraient qu'une importance secondaire dans le maintien et le développement de la musique en tant qu'activité sociale. La valeur musicale, toujours selon cette hypothèse, serait donc un "effet de marge", un effet secondaire, accessoire, qui ne serait pas le moteur de l'émergence du phénomène musical dans son ensemble. Ainsi, jusqu'au XVIIème siècle, la musique n'aurait probablement eu qu'un rôle projectif, peut-être même négatif. Ce phénomène a pu se transformer par hasard au XVIIIème siècle lorsque la légitimité de la jouissance musicale artistique fut possible. En quelque sorte, l'on aurait découvert par hasard la puissance du phénomène tonal, c'est-à-dire, selon notre hypothèse, de la musique en tant qu'art. L'utilisation purement technique des instruments par le phénomène de la virtuosité, est probablement à l'origine de l'émergence de la musicalité et des nouveautés musicales, c'est-à-dire que l'on a pu explorer des possibilités techniques et l'on a découvert a posteriori qu'elles pouvaient présenter un intérêt musical. Il pourrait en être ainsi des premières écoles de virtuoses, notamment illustrées par Dowland, Byrd, Biber... Il est également possible que le continuum musical qui caractérise de nombreuses musiques folkloriques, le plain-chant, la musique rock, et même certaines compositions classiques, n'ait eu pour fonction que de créer une sorte d'oubli de la conscience, procurant une jouissance organique très primaire. Selon cette optique, le phénomène musical ne serait pas obligatoirement un art, il n'aurait été qu'accessoirement un art. Il est possible aussi que le développement de la musique classique elle-même ait été pour une large part dû à sa simple fonction de musique de fond, d'agrément sonore superficiel, dynamogénique. La reconnaissance ponctuelle de quelques oeuvres particulières qui possèdent un contenu thématique "intéressant", ne serait qu'un accident, l'effet de marge que nous avons défini. L'intérêt proprement musical, thématique n'est peut-être même lui aussi qu'un accident sans rapport avec la reconnaissance des prétendus génies musicaux. La seule reconnaissance véritable du génie musical serait le succès de l'oeuvre au concert, qui intervient probablement peu dans l'émergence des compositeurs, et resta sans doute secondaire dans la vie musicale elle-même. Il n'est d'ailleurs pas certain que le succès dans les concerts s'appuie dans le cas général sur l'intérêt thématique de l'oeuvre, mais peut-être le plus souvent sur une sorte d'effet présomptif, car, pensons-nous, une oeuvre ne se révèle intéressante thématiquement, souvent à partir d'un certain nombre minimum d'auditions. Ajoutons immédiatement que notre hypothèse a été exposée ici intentionnellement dans sa crudité choquante afin de provoquer la réflexion. Elle pourrait peut-être expliquer un aspect de la réalité, une réalité qui ne serait jamais simple, univoque, mais mouvante, impalpable, ambiguë. Il n'est pas certain que les mêmes facteurs soient intervenus suivant les époques, les genres musicaux, et même les lieux, pour expliquer le phénomène musical.


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