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CHRONIQUE n° 30 - 07/2003
LA MUSIQUE A-T-ELLE UN SEXE?


La musique est sans doute un des domaines par lequel le mélomane exprime sa philosophie, ses tendances idéologiques, notamment au moment de son adolescence. Il s'agirait de la fonction projective de la musique qui s'opposerait à sa fonction émotionnelle. L'adolescent en quête d'identité, d'affirmation philosophique, préférera plus probablement J.S. Bach, Mahler, Bruckner à Vivaldi, Chopin, Debussy ou Massenet. Sans doute parce que les premiers font beaucoup plus figure d'intellectuels, de théoriciens alors que les autres sont peut-être plus purement des artistes qui ont exprimé une sensibilité dénuée de prétention didactique ou spéculative. Les uns sont considérés plus comme des cérébraux, les autres plus comme des sensitifs. J.S. Bach exprime également plus de certitude que Vivaldi, Debussy ou Chopin, dont les oeuvres évoquent peut-être plus l'instabilité, le doute et l'incertitude. Les sensitifs, les purs artistes expriment également beaucoup plus, pensons-nous, la recherche de la sensation, du lyrisme et du plaisir musical. Comme les étudiants qui sifflaient les concertos chez Colonne au début du siècle, les adolescents et les mélomanes sérieux semblent rechercher l'austérité et condamner l'hédonisme. L'opposition entre les cérébraux et les sensitifs, pourrait être également perçue comme une différence de nature sexuelle, la cérébralité représentant le caractère mâle et la sensibilité le caractère femelle. Naturellement la virilité - inconsciemment ou consciemment - sera considérée comme étant de nature supérieure et la sensibilité femelle de nature inférieure. La première sera donc glorifiée, la seconde bafouée ou ridiculisée. Quant à la virtuosité exprimée par les virtuoses-compositeurs, naturellement superficielle et vaine comme toute production d'essence féminine, elle ne saurait égaler les oeuvres orchestrales assurément profondes des grands symphonistes, expressions de la puissance mâle. Et il se trouve - concordance extraordinaire - que les grands symphonistes ont essentiellement développé l'harmonie, élément mâle à n'en pas douter, alors que les virtuoses se sont concentrés sur la mélodie, élément femelle. Ainsi, de ce point de vue, Chopin, l'archange féminin aux ailes prismatiques ne saurait être considéré par la nouvelle intelligentsia qui donne le ton, au même niveau que les virils Bruckner et Mahler, pas plus que l'expression virtuose et capricieuse de Vivaldi ne saurait égaler les complexités contrapuntiques élaborées par un gros cerveau tel que Bach. Évidemment. Et puis, un compositeur non-germanique pourrait-il atteindre la profondeur virile à laquelle parviennent seuls les élus représentant la caste très fermée des grands classiques? Certainement pas. Chopin, auteur de nombreux grands succès qui ont marqué l'histoire, et qui conserve la faveur des instrumentistes, ne pouvait cependant être ignoré par les Intellectuels. Dans ce cas extrême, la solution est la récupération. Depuis quelques décennies, l'on s'est mis à considérer que, somme toute, les qualités viriles dominaient chez le créateur de la Polonaise brillante et qu'on avait jusqu'alors procédé à une mauvaise lecture de ses oeuvres, une lecture édulcorée due au public frivole. On ne peut qu'admirer les ressources dialectiques de nos penseurs, jamais à cours d'argument, pour imposer leur idéologie. Heureusement qu'ils sont là pour nous soustraire à nos erreurs et rétablir la vérité.


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