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CHRONIQUE n° 28 - 05/2003
LA NOTORIÉTÉ D'UN COMPOSITEUR EST-ELLE DÉTERMINÉE FONDAMENTALEMENT PAR L'INTÉRÊT MUSICAL DE SES OEUVRES? L'EXEMPLE DE HAYDN ET BEETHOVEN


L'émergence d'une oeuvre ou d'un compositeur ne peut s'affranchir de contraintes d'ordre matérielles indispensables à sa réalisation historique. L'exécution d'une représentation devant le public nécessite notamment la mobilisation de nombreux partenaires de la société musicale qu'il faut d'abord convaincre, grâce à ses relations personnelles. Le compositeur doit posséder la capacité de s'insérer dans un milieu social qui possède ses codes, il doit lutter légitimement pour sa reconnaissance, voire, pour les compositeurs moins intègres, éliminer les concurrents, organiser des cabales, utiliser les innovations des autres pour s'en attribuer les mérites... De ce point de vue, le personnage de Haydn, le faquin adroit et malicieux ne semble pas au-dessus de tout soupçon si l'on en croit quelques anecdotes rapportées par Fétis. J'ai trouvé le modèle des symphonies de Haydn se serait écrié Myslivecek à Milan dans un concert en entendant pour la première fois les vieilles symphonies de Sammartini. Une multitude de travaux objectifs de musicologues du 20e siècle ont permis de vérifier les doutes suggérées par Fétis, qui ne rapportait donc pas toujours des ragots dénués de vérité. Selon le Dictionnaire de la musique - Larousse, 2001 - sous la direction de Marc Vignal, il est même probable que Haydn en plus de procédés tirés de Sammartini et Stamitz, utilisa aussi des effets symphoniques provenant de Vivaldi. Voici ce que dit un des rédacteurs de ce dictionnaire pour expliquer les vivaldismes de Haydn à une époque où le compositeur des Quatre saisons est déjà oublié:

Haydn fut vers 1760 le musicien des Morzin avec lesquels Vivaldi avait été très lié. Il semble dés lors probable que le jeune musicien autrichien ait étudié les oeuvres du vénitien alors que ce dernier était déjà tombé dans l'oubli. Ce qui est sûr, c'est que Haydn put trouver Les quatre saisons dans la bibliothèque du prince Esthérazy.

Il ne s'agit que d'une hypothèse et l'auteur de la Création a pu tout aussi probablement utiliser des procédés encore en vigueur à son époque alors que leur créateur était oublié. Dans les deux cas, Haydn n'en est pas à l'origine. Il apparaîtrait donc que Haydn ait établi en partie sa notoriété sur sa prétention de novateur usurpée.

D'une manière générale, l'hypothèse qui est ici développée n'exclut nullement que les oeuvres des compositeurs reconnus soient dépourvues de valeur, mais que la valeur (supposée ou réelle) de leurs oeuvres fut peut-être indépendante des causes qui les ont fait reconnaître comme grand compositeur. Nous pourrions citer l'étude réalisée par Tia Denora (Actes de la recherche en sciences sociales Musique et musiciens n° 110 décembre 1995) tendant à montrer que Beethoven a réussi à s'imposer, outre par ses efforts personnels, essentiellement grâce au soutien de la bourgeoisie viennoise qui aurait réalisé un véritable lancement promotionnel du compositeur.

La conséquence pourrait être que les compositeurs connus ont ravi la notoriété à d'autres compositeurs tout aussi méritants qu'eux sur le plan strictement musical. Nous pourrions citer à propos de Beethoven les innovations à notre avis considérables réalisées par Dittersdorf, notamment dans ses Symphonies sur les métamorphoses d'Ovide, qui ruinent en grande partie l'image de Beethoven comme compositeur précurseur dans le domaine symphonique créant de novo la quasi-intégralité de ses procédés. C'est cette optique erronée dont témoigne notamment le Précis d'histoire de la musique de Paul Bertrand (1942) pour lequel Beethoven est le profond remodeleur de presque tous les genres musicaux de son époque. Une focalisation qui, même si elle a été reconsidérée par des travaux actuels plus objectifs, n'en a pas moins contribué à oblitérer l'intérêt que le mélomane pouvait porter sur les contemporains de Beethoven, notamment Dittersdorf lui même, mais aussi Kraus et Cannabich. Dittersdorf auquel Haydn - quel hasard extraordinaire - emprunta d'après Brenet le thème principal de sa Symphonie Militaire, comme nous le remarquions dans une chronique précédente. Il importe peu que la vérité soit reconnue puisque Haydn en a tiré irréversiblement tous les bénéfices. Il est en outre protégé par une société musicale jalouse de la hiérarchie qu'elle a créée, peu encline à reconsidérer la valeur de ses grands classiques.


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